Dès qu’il est question d’accueil, de francisation ou d’intégration des nouveaux immigrants, cela soulève bon nombre de discussions, de débats, voire même de controverses. L’intégration, particulièrement, demeure un sujet délicat et très sensible. Il est vrai que le visage de la population canadienne a beaucoup changé au cours des dernières années, notamment dans les grands centres urbains. Mais les enseignants sont-ils bien outillés pour faire face à cette réalité? Se sentent-ils parfois démunis pour intégrer ces jeunes à la société d’accueil? Et que dire des nombreux défis qui attendent ces jeunes immigrants! L’enseignant doit alors prendre en compte leurs difficultés personnelles, familiales, socioaffectives et identitaires. De part et d’autre, cela exige une grande capacité d’adaptation.
Faut-il repenser la formation initiale des enseignants en considérant les dynamiques scolaires et systémiques susceptibles d’influencer l’intégration des élèves issus de l’immigration? Pour promouvoir et réaliser un enseignement culturellement responsable, ne faudrait-il pas disposer en classe d’outils fiables, validés par la recherche, pour bien comprendre ces élèves ayant un vécu fort différent du nôtre?
C’est dans cette perspective qu’un groupe de chercheures du Québec propose, dans notre dossier thématique, d’excellents outils pédagogiques pour apprendre à enseigner dans une société plurielle.
L’outil Des clés pour mieux comprendre la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique en milieu scolaire : fiches régionales présente un modèle de fiches pour les 17 régions du Québec, identifiant à la fois les spécificités régionales et des réalités communes. Une belle façon de s’approprier la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique qui caractérise le Québec d’aujourd’hui.
Les guides de soutien à l’enseignement de l’histoire des Noirs, de la communauté juive et des communautés arabes et musulmanes du Québec constituent un autre outil fort utile et pertinent. Comme le précisent ses auteures, l’objectif de ces guides est de fournir aux enseignants des balises pédagogiques et des repères historiques pour l’intégration de ces contenus.
Quant au guide Aborder les sujets sensibles à l’école, il suggère une démarche générale pouvant s’adapter à différents contextes, thèmes et niveaux scolaires.
Sachez que tous ces outils, servant à mieux soutenir le développement de compétences interculturelles et inclusives chez le personnel scolaire, sont désormais disponibles et peuvent être adaptés à toutes les provinces du Canada. À vous de les découvrir!
Photo : Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019
Grâce à une recherche-action en partenariat avec la Commission scolaire de Montréal, les auteures expliquent comment bien former et outiller les directions d’école à déployer des pratiques d’équité et d’inclusion en contexte de diversité ethnoculturelle. Elles proposent un modèle de développement de cette compétence ainsi qu’un webdocumentaire contenant des témoignages de directions d’école.
Les recherches menées dans plusieurs pays ont soulevé le rôle important des directions d’établissement sur la réussite éducative de tous les élèves, notamment en milieu pluriethnique1, et l’importance de développer un leadership d’équité et d’inclusion en contexte de diversité2.
Pourtant, la formation des directions d’école sur le leadership à développer en milieu pluriethnique et défavorisé s’avère lacunaire au Québec et dans de nombreux pays3. En référence à ces constats, nous nous sommes posé la question suivante :
Comment former et outiller les directions d’école à déployer des pratiques d’équité et d’inclusion en contexte de diversité ethnoculturelle?
Nous avons mené une recherche-action en partenariat avec la Commission scolaire de Montréal (CSDM) afin de coconstruire une formation sur le leadership en milieu pluriethnique avec des directrices d’école au primaire ainsi qu’avec des conseillers pédagogiques et des cadres des services éducatifs4. Le projet s’est déroulé sur trois ans5.
En collaboration avec les chercheures de l’équipe, les directrices ont créé et suggéré d’ajouter une compétence liée à l’équité et à l’inclusion dans le référentiel de compétences des directions de la CSDM. Elles ont libellé la compétence comme suit :
Favoriser et mettre en œuvre avec les acteurs de la communauté éducative des pratiques et un environnement éducatif inclusifs et équitables, exempts de discrimination pour toutes et tous.
Également, un webdocumentaire intitulé En route vers l’équité a émané de ce travail de réflexion sur la compétence et ses composantes afin d’exemplifier, par des récits vidéo, des pratiques concrètes.
Le webdocumentaire a été structuré autour d’un modèle de compétence québécois, construit en parallèle par le Groupe de travail sur les compétences et la formation des directions en matière d’équité et de diversité de l’Observatoire sur la Formation à la Diversité et l’Équité5. Ce modèle est composé d’une vision de la direction qui chapeaute la compétence et ses quatre composantes.
Dans le webdocumentaire, on peut visionner le témoignage de la directrice de l’école Bienville qui incarne cette vision6. Elle nous indique que favoriser la réussite éducative de tous ses élèves constitue une priorité qui guide l’ensemble de ses actions quotidiennes. Adapté de Les compétences des directions en matière d’équité et de diversité : pistes pour les cadres de référence et la formation, Larochelle-Audet et al., 2018.
Dans la composante 1, visant à développer un agir professionnel intègre et critique, on peut également visionner les récits de directrices de deux écoles : La Visitation et Simonne-Monet. Elles nous racontent que leur principal défi est d’adopter une posture réflexive et proactive quant aux enjeux relatifs à la diversité. Elles soulèvent l’importance :
Dans la composante 2, relative à un environnement éducatif favorisant l’action face aux inégalités, injustices et exclusions, les directrices nous racontent l’importance :
Dans la composante 3, visant principalement des pratiques éducatives et pédagogiques équitables, les directrices proposent :
Dans la composante 4, dans laquelle on prône la mise en place d’une culture scolaire inclusive des multiples points de vue et des apports des personnes de groupes minorisés, les directrices suggèrent des initiatives pour rapprocher l’école et les familles. Elles soulignent l’importance :
Nous espérons que ce modèle de compétence ainsi que son exemplification dans le webdocumentaire pourra inspirer les directions d’écoles, mais aussi les formateurs en milieu universitaire, les formateurs responsables de la formation continue dans les commissions scolaires ainsi que les associations de directions. Le modèle de compétence pourra être utilisé dans une optique de bonification de la formation des directions et des référentiels de compétences des commissions scolaires et du ministère de l’Éducation au Québec, dans d’autres provinces ou d’autres pays.
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019
Photo : Productions Cinta, Webdocumentaire réalisé par Jacinthe Moffatt
[Description] Deux photos de Catheline Bien-Aimé, directrice, discutant avec un élève de l’école Bienville (CSDM)
Notes
1 KHALIFA, M. A., GOODEN, M. A. et DAVIS, J. E. (2016). Culturally responsive school leadership: A synthesis of the literature. Review of Educational Research, 86(4), 1272-1311.
2 SHIELDS, C. (2015). From paradigm wars to transformative leadership. Can Educational Administration Foster Socially Just Schools?, The Solo Journal: Educational Foundations and Social Justice Education, 1(1), 1-22.
3 BORRI-ANADON, C., POTVIN, M., LONGPRÉ, T., PEREIRA BRAGA, L. ET ORANGE, V. (2018). La formation du personnel scolaire sur la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique dans les universités québécoises : portrait quantitatif de l’offre de cours de deuxième cycle en éducation. Rapport de recherche. Repéré à https://bit.ly/31pRJJF
4 Nous tenons à remercier toutes les personnes ayant participé à cette recherche-action : 1) les directrices Catheline Bien-Aimé, Guylaine Cool, Katia Fornara, Anne-Geneviève Ialongo, Annick Houle; 2) les conseillers pédagogiques Réginald Fleury, Aline Léveillé, Sonia Robitaille; 3) les cadres des services éducatifs Danielle Roberge, Line St-Pierre; 4) les chercheures Françoise Armand, Justine Gosselin-Gagné, Julie Larochelle-Audet et Luciana Pereira Braga.
5. Pour obtenir davantage d’informations relatives à cette recherche-action, voir l’article suivant : MAGNAN, M.-O., GOSSELIN-GAGNÉ, J., CHARRETTE, J. et J. LAROCHELLE-AUDET (2018). Gestionnaires et diversité ethnoculturelle en milieu scolaire : une recherche-action/formation en contexte montréalais, Éducation et francophonie, 46(2), 125-145. Repéré à https://bit.ly/2OD9Daj
LAROCHELLE-AUDET, J., MAGNAN, M.-O., POTVIN, M. et DORE, E. (2018). Les compétences des directions en matière d’équité et de diversité : pistes pour les cadres de référence et la formation [Rapport soumis à la direction des services d’accueil et d’éducation interculturelle du ministère de l’Education et de l’Enseignement Supérieur]. Repéré à https://bit.ly/2ZA0xMR
Depuis près de 25 ans, le Groupe de recherche et d’intervention sociale (GRIS) de Montréal est un organisme de prévention universelle dont la mission est de démystifier la diversité des orientations sexuelles et, depuis 2019, les réalités trans et non binaires. Les ateliers offerts par le GRIS permettent de présenter des modèles positifs LGBT (lesbienne, gai, bisexuelle et trans) tout en aidant les enseignants à rendre ces réalités moins abstraites. L’approche du GRIS comble clairement un besoin tant au primaire qu’au secondaire : l’organisme est en croissance constante depuis sa création et d’autres GRIS ont depuis vu le jour ailleurs au Québec.
La méthode d’intervention de l’organisme est basée sur le vécu : les intervenants se présentent brièvement avant de passer la période à répondre aux questions des jeunes sur leurs expériences personnelles en lien avec la diversité sexuelle. Chaque intervention, réalisée conjointement par deux bénévoles LGBT, est immédiatement précédée et suivie d’un questionnaire permettant de comparer les attitudes des jeunes face à des situations liées à la diversité sexuelle. Ces questionnaires, en plus d’inciter les jeunes à réfléchir à ces situations, permettent à l’organisme de mesurer l’impact à court terme des interventions et d’observer l’évolution des attitudes dans la société.
L’approche du GRIS est fondée sur le fait que connaitre une personne LGBT permet de mieux comprendre les réalités vécues par celle-ci et d’ainsi faire diminuer les malaises envers une orientation sexuelle ou une identité de genre autre que la sienne. Les questionnaires recueillis par le GRIS montrent ainsi que les attitudes des jeunes changent positivement pendant l’intervention, mais aussi avant même l’intervention du GRIS, les jeunes connaissant déjà une personne LGBT sont plus à l’aise avec des situations liées à l’homosexualité ou la bisexualité. Les jeunes rencontrés reconnaissent eux-mêmes ceci, comme le note cet élève : « C’est une chance [d’avoir eu le GRIS], parce que s’il y a une personne qui n’aime vraiment pas les homosexuels et qui n’a pas eu d’intervenants du GRIS dans sa classe, elle va peut-être rester comme ça toute sa vie. […] Alors que, comme c’est le cas dans ma classe, après le cours avec les personnes du GRIS, il y en a qui ont carrément changé d’avis » (garçon de 14 ans, attiré par les filles).
La rétroaction des jeunes permet de prendre conscience de certains sujets qui créent des malaises particuliers, tels que la religion, l’expression de genre ou la sexualité. Ainsi, nos recherches montrent que, au-delà de la religion d’appartenance, c’est surtout la pratique religieuse d’un individu qui influence négativement ses perceptions face à l’homosexualité et à la bisexualité. Il est particulièrement frappant de constater que certains jeunes se trouvent déchirés entre les enseignements émanant de leur culture religieuse et les observations qu’ils font eux-mêmes entre autres lors de la visite en classe d’intervenants du GRIS. Par exemple, une élève a mentionné qu’elle se sentait « partagée vis-à-vis l’homosexualité et la bisexualité parce qu’en tant que chrétienne, l’homosexualité n’est pas considérée comme étant bien, mais en tant qu’humaine [elle n’a] pas de problème vis-à-vis l’homosexualité ni la bisexualité » (fille de 16 ans, attirée par les garçons).
La question des stéréotypes de genre semble marquer un nombre encore plus important d’élèves. Terrains particulièrement fertiles aux pressions sociales, les comportements et l’apparence sont des lieux importants de réitérations constantes de la conformité de genre, par exemple en s’attendant d’une femme qu’elle soit émotive ou d’un homme qu’il ait un grand intérêt pour le sport. Plusieurs auteurs ont souligné les liens entre les stéréotypes de genre et les attitudes envers la diversité sexuelle. Sans surprise, plusieurs élèves mentionnent retenir que les personnes LGB ne correspondent pas nécessairement aux stéréotypes véhiculés à propos de l’homosexualité et de la bisexualité, particulièrement ceux concernant l’expression de genre : « Avec mes amis, on a parlé du fait qu’ils avaient l’air normaux, alors qu’on s’attendait à voir un homme habillé comme une femme et une femme habillée comme un homme » (fille de 16 ans, attirée par les garçons et les filles). La visite d’intervenants qui dérogent de cette association amène donc une remise en question chez les jeunes rencontrés. Le défi reste cependant de s’assurer qu’en s’attaquant au préjugé liant systématiquement orientation sexuelle et inversion de genre, les intervenants ne présentent pas le fait de correspondre à ces stéréotypes d’inversion de genre comme étant une chose négative et, par le fait même, d’associer ces caractéristiques à une marque d’étrangeté ou de faiblesse. La sensibilisation aux normes sociales, associées à la masculinité et à la féminité et à la présentation de modèles variés, représente ainsi un enjeu essentiel à considérer dans la démystification de l’homosexualité et de la bisexualité au-delà de l’intervention du GRIS.
Finalement, la sexualité reste un sujet tabou, surtout dans un contexte où l’éducation à la sexualité avait disparu des classes. Les malaises couvrent la sexualité dans un grand nombre de ses dimensions (intimité sexuelle, âge des relations, descriptions d’actes sexuels) et reflètent des attitudes courantes dans la société en général. Malgré ces malaises, nous croyons que nous ne pouvons ignorer ce thème : non seulement parce que la sexualité est une des dimensions de l’orientation sexuelle, mais surtout parce que derrière la plupart de ces malaises se cachent des mythes que notre intervention vise justement à défaire.
Depuis un quart de siècle, le GRIS-Montréal a permis à des milliers de jeunes d’entrer en contact avec le vécu de personnes LGB, et maintenant trans et non binaires, dont certains pour la première fois de leur vie. Avec les années, les sujets ont évolué. Par exemple, un grand nombre de nos bénévoles sont parents et peuvent ainsi répondre aux nombreuses questions des jeunes et moins jeunes sur l’homoparentalité et la transparentalité, ce qui n’était pas le cas en 1994. Nos questionnaires et les rencontres avec les jeunes permettent d’observer que le travail de démystification est toujours nécessaire et est loin d’être terminé; l’équipe de bénévoles du GRIS n’est donc pas prête à cesser de se raconter.
Photo : Gracieusé de les auteurs Marie Houzeau et Olivier Vallerand
Première publication dans Éducation Canada, juin 2019
Dans le monde de l’éducation, certains membres de communautés académiques se questionnent toujours au sujet de divers aspects de leur apprentissage. Pourquoi les voix d’un trop grand nombre d’élèves afro-canadiens, autochtones ou provenant de milieux socioéconomiques moins favorisés ne se sont pas vraiment reconnues dans les curriculums sur lesquels ils sont évalués et selon les pratiques de nombreux enseignants? Pourtant, c’est bel et bien la majorité des enseignants qui ont à cœur le succès de tous leurs élèves. C’est justement la mission du magazine Éducation Canada d’appuyer la pratique des pédagogues qui doivent répondre à d’irréalistes attentes.
Ce numéro est particulièrement approprié, car s’il est une communauté qui n’est pas reflétée dans les curriculums ni dans la formation continue des enseignants, c’est celle des élèves LGBTQ2+. Bien que ces élèves fassent maintenant partie de la normalité, trop d’adultes ne savent pas comment reconnaitre leur réelle identité ni répondre à leurs questions bien spécifiques. Pourquoi de trop nombreux pairs nous harcèlent-ils et encore trop d’enseignants ne nous reconnaissent-ils pas lorsqu’ils font cours, et particulièrement lorsqu’ils enseignent l’éducation sexuelle? Pourquoi la justice ne reconnait-elle pas notre droit d’être qui nous sommes? Pourquoi la grammaire française n’évolue-t-elle pas afin que nous ne subissions plus les insupportables règles où le masculin domine toujours et où toute chose et tout être doivent être uniquement catégorisés en masculin et féminin? Pourquoi ne nous sentons-nous pas toujours en sécurité, ni bien dans notre peau, dans les vestiaires et les salles de bain de notre école ou lorsque vient le temps de prendre les présences et que notre nom de naissance est proclamé au lieu de notre véritable nom? Quel monde nous attend lorsque nous serons matures et adultes dans un monde qui ne l’est pas?
En espérant que la voix enfin entendue de ces élèves si normaux dans ces articles vous apportera réconfort et soutien dans l’appui que vous leur devez; sur ce, je persiste et signe mon dernier mot du rédacteur. – Jean-Claude
Ce numéro sera le dernier de Jean-Claude Bergeron. Au nom du Réseau ÉdCan et de ses fidèles lecteurs, nous souhaitons saluer sa contribution envers notre publication phare et lui souhaiter bonne chance dans ses projets futurs.
Photo : Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, juin 2019
Cette affiche a pour objectif de présenter les faits concernant les jeunes LGBTQ2, et ce, en présentant 5 mythes et réalités concernant leur orientation sexuelle, leur identité de genre et l’expression de genre dans les écoles.
Cette affiche est inspirée par un article (en anglais seulement) rédigé par Kristopher Wells, Ph. D., ayant été publié dans le magazine Éducation Canada en mai 2019.
Le Réseau ÉdCan a également publié un fiche de faits en éducation de ce même auteur. La fiche Comment les écoles peuvent-elles soutenir les élèves LGBTQ2? présente des stratégies basées sur la recherche qui peuvent intervenir positivement dans la vie des jeunes LGBTQ2 de la maternelle à la 12e année.
En plus de pouvoir apposer l’infographie dans votre salle des professeurs et dans vos salles de classe, voici quelques ressources pratiques afin de vous permettre d’acquérir la connaissance et la confiance nécessaires pour traiter de ce sujet dès demain en classe.
À noter : Cette affiche est conforme à la nouvelle orthographe. Le générique masculin est utilisé sans discrimination et uniquement dans le but d’alléger le texte.
Dans cet article, l’autrice explore la question de savoir si une obligation légale de respecter les pronoms et accords neutres existe en contexte scolaire francophone au Québec. Ille débute par un survol du contexte vécu par les personnes non binaires francophones ainsi que de leurs besoins par rapport au respect des pronoms et accords neutres. Ensuite, ille analyse l’état actuel du droit relativement au harcèlement et à la discrimination envers les personnes trans en contexte scolaire et évalue la plausibilité qu’une obligation de respecter les pronoms et accords neutres soit retenue par les tribunaux québécois. Enfin, à la lumière des limites du droit, elle propose une approche stratégique concernant le respect des pronoms et accords neutres qui met l’accent sur le développement de politiques institutionnelles s’appuyant sur le droit.
Une version de cet article a précédemment paru dans Service Social, Volume 63, Numéro 2, 2017, p. 35–50
La reconnaissance du genre est un signe de respect, en sociétés euroaméricaines. Pensons à la série télévisée états-unienne Scrubs. Dans cette série, le Dr Perry Cox se plait à mégenrer1 le Dr John Dorian — un homme cisgenre2. Perry Cox démontre ainsi son dédain pour John Dorian à coups de pronoms traditionnellement féminins et de prénoms tout aussi habituellement féminins. Loin d’être banale, cette pratique montre le Dr Cox comme une personne cruelle qui harcèle ses employés et crée un environnement de travail toxique pour l’amusement du public. Heureusement, ce n’est qu’un personnage fictif.
Pour les personnes non binaires3, le mégenrage est souvent la norme. Malgré le respect érigé en principe dans les milieux scolaires et malgré les avancées sociales sur le plan des droits trans, le respect des pronoms et accords neutres demeure un obstacle de taille pour les élèves et étudiant·e·s non binaires. La méconnaissance de la grammaire non genrée et des formes épicènes4, 5 ainsi que le manque de consensus sur le sujet dans les communautés trans québécoises ne font qu’aggraver le problème5.
Même si l’écriture non genrée voit une recrudescence d’intérêt ces dernières années5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 7, le français neutre est encore embryonnaire et peu d’intérêt universitaire lui a été réservé. L’anglais, au contraire, peut facilement être utilisé de façon neutre en empruntant le pronom « they ». Peu de travaux académiques s’appliquent à la situation franco-québécoise, les travaux anglophones oubliant leur spécificité linguistique, alors que les travaux francophones s’intéressent peu aux réalités trans12.
Peut-on parler d’une obligation de respecter les pronoms et accords neutres dans un contexte où la majorité des mots sont genrés et où aucune piste de solution ne fait encore l’objet d’un consensus communautaire? Est-ce que les droits des personnes trans sont circonscrits par l’aisance linguistique? Quel rôle ont et peuvent prendre les politiques institutionnelles par rapport au respect des personnes non binaires? Dans le présent article, je tenterai de répondre à ces questions.
J’approche le sujet en tant que personne transféminine francophone qui utilise à la fois « elle » et « ille », mais seulement les accords féminins. L’enjeu du respect des pronoms et accords neutres m’est limitrophe, mais ne me touche pas dans toute sa complexité. En ramenant au premier plan le rapport ambigu que j’entretiens avec mon propre genre, je souhaite souligner l’impact du vécu sur l’analyse en droits de la personne qui, nécessairement, fait appel à des connaissances expérientielles lorsque vient le temps d’évaluer la gravité et proportionnalité des actes discriminatoires.
Dans la première section de l’article, j’exposerai le contexte sociojuridique pertinent pour l’évaluation politique et juridique du respect des pronoms et accords neutres. Dans la deuxième section, je tenterai de déterminer quelles sont, à l’heure actuelle, l’existence et les limites de l’obligation juridique de respecter les pronoms et accords neutres. Dans la dernière section, après avoir conclu en l’incertitude des protections légales, je ferai valoir l’importance des politiques institutionnelles pour combler les lacunes du droit et assurer le respect des personnes non binaires et suggèrerai certains ajouts importants aux politiques récentes pour les personnes non binaires.
Dans cette section, je peins un portrait du contexte sociojuridique pertinent pour l’évaluation juridique de l’obligation au respect des personnes non binaires et pour l’élaboration de politiques adaptées à leurs réalités. Ce portrait comporte deux parties : les conséquences du mégenrage et l’arrière-plan de vulnérabilité psychosociale chez les personnes non binaires.
Le non-respect des pronoms et accords est fréquent en contexte scolaire13. Leur respect est une des revendications principales des communautés trans et non binaires14. Comme le dit Alexandre Baril, « [c]’est une marque de respect, c’est une marque de reconnaissance et c’est également très important dans le processus de transition pour s’accepter soi-même et de sentir que donc les gens nous accepte11 ». La non-reconnaissance du genre perturbe l’identité sociale et est ressentie comme une injure psychologique6, 15, 16, 17. Sa haute fréquence contribue fortement à l’anxiété et à la dépression15, 16.
Le sentiment de stigmatisation lié au mégenrage ne semble pas moindre chez les personnes non-binaires15, qui représentent environ 36 % des jeunes trans4.
D’autres formes de non-respect ou encore de violence sont fréquentes : 56 % des jeunes trans répondant au questionnaire de Galantino et al.18 avaient, dans les 6 mois précédents, vu leur réputation attaquée, 52 % avaient été victimes d’insultes et de moqueries et 17 % avaient été victimes de violence physique. Dans une autre étude, 87 % des jeunes trans ont rapporté avoir été victimes de harcèlement verbal dans la dernière année 19,4. Plus de 46 % des jeunes avaient manqué au moins une journée d’école dans le dernier mois à cause notamment du harcèlement et du manque de respect dont illes font l’objet19, 13.
Certaines études démontrent que l’hostilité et l’insensibilité au genre augmentent les risques de tentatives de suicide et le décrochage scolaire20, 21, 13. Plus de 19 % des élèves ou étudiant·e·s trans ontarien·ne·s ont évité l’école par peur d’être harcelé·e·s ou d’être vu·e·s comme étant trans22, 18, 23.
À mon avis, le respect des pronoms et accords est une des manifestations principales du soutien social dans la vie de tous les jours. Il est d’autant plus important de les respecter que les élèves et étudiant·e·s trans et non binaires portent une attention particulière aux signes d’acceptation ou d’intolérance en milieu scolaire13. Le droit moral à l’éducation dépend d’une atmosphère sécuritaire et confortable, ce qui inclut le respect du genre des élèves non binaires.
Malheureusement, la majorité des institutions scolaires manquent de connaissances au sujet des réalités trans19 et ne sont pas outillées pour faire respecter le genre des jeunes non binaires. Si Chamberland, Baril et Duchesne ne s’intéressent pas particulièrement aux connaissances des pronoms et accords neutres, la complexité et nouveauté du français neutre laisse à penser que les connaissances sont pires à ce niveau5, 24, 9.
Le non-respect des personnes non binaires est monnaie courante autant qu’il est dévastateur. Si le respect des pronoms et accords neutres vient trop peu et trop tard, est-ce que le droit pourrait obliger à leur respect systématique? C’est cette question vers laquelle je me tourne à présent.
Dans cette section, j’analyserai la portée du droit au respect des pronoms et accords neutres du point de vue du droit à la vie privée, de la prohibition du harcèlement et du droit à l’égalité. Je conclurai que ces protections sont limitées et ont une portée incertaine par rapport aux accords.
Les personnes trans sont protégées par la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c. C -12 (« Charte québécoise »). Avant l’ajout de l’identité et l’expression de genre à la Charte québécoise par le projet de loi 10325, la protection des personnes non binaires était incertaine. Si les personnes trans étaient protégées sous le terme « sexe » depuis la décision26, Me Jean-Sébastien Sauvé note qu’il n’est pas certain que toutes les personnes trans soient protégées contre la discrimination par cet arrêt, les personnes non binaires ne rentrant pas aussi facilement dans la terminologie binaire de « sexe » telle qu’utilisée en droit québécois27.
Depuis l’ajout de l’identité et l’expression de genre, l’article 10 de la Charte se lit ainsi : « Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur […] l’identité ou l’expression de genre […]. » Indépendamment de l’intention législative, qui ne semble pas être dirigée vers la protection des personnes non binaires, ce changement a pour effet d’inclure explicitement celles-ci dans les protections de la Charte québécoise. Les protections de l’État ayant été accordées aux personnes non binaires, leur statut juridique est dorénavant moins précaire, même si les protections formelles ne présagent pas toujours une protection substantive28.
L’obligation de respect des pronoms et accords se conçoit sous trois aspects : le droit à la vie privée, la prohibition du harcèlement et le droit à l’égalité.
Le droit à la vie privée offre une protection contre le dévoilement du genre assigné à la naissance d’une personne non binaire. Toutefois, cette protection est inefficace lorsque le genre assigné à la naissance est connu des autres ou encore lorsque le mégenrage ne dévoile pas le genre assigné à la naissance. Le droit à la vie privée n’offre donc pas une garantie efficace du respect des pronoms et accords neutres.
« Toute personne a droit au respect de sa vie privée. » « Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tel le droit […] au respect […] de sa vie privée. » Voilà les termes employés par l’article 5 de la Charte québécoise et l’article 3 du Code civil du Québec58. Le privé non binaire se conçoit principalement en termes de confidentialité de l’assignation de genre à la naissance, confidentialité du morinom — nom attribué à la naissance — et confidentialité par rapport à l’anatomie.
La confidentialité, ramenée au droit, se rapporte à ce qu’on appelle le droit à l’anonymat29. Dans le spectre du droit à la vie privée, l’usage de pronoms et accords qui révèleraient l’assignation de genre à la naissance d’une personne non binaire serait une atteinte au droit à l’anonymat. La diffusion d’informations relatives à l’état de santé ou à l’anatomie, celles relatives à l’orientation sexuelle ou encore celles relatives à la transitude30 sont toutes comprises dans le droit à l’anonymat31. Toutefois, les pronoms et accords neutres dévoilent la transitude dans la mesure où une personne non binaire n’est pas cisgenre. De façon générale, le droit à l’anonymat ne protègera donc pas une personne non binaire contre le dévoilement de sa transitude, même lorsque l’attention est portée sur celle-ci à cause d’une situation de mégenrage. Le mégenrage peut, néanmoins, dévoiler l’assignation faite à la naissance et la forme des caractéristiques sexuelles primaires et secondaires — ouvrant la porte au harcèlement de la part des autres élèves.
Le droit à la vie privée demeure très limité. Il est difficile d’avoir une attente légitime par rapport au caractère confidentiel de l’assignation de genre à la naissance si celle-ci est visible pour le grand public. Le droit à la vie privée est aussi privé de son mordant dans le cas des personnes non binaires qui, contrairement aux personnes trans binaires, publicisent leur transitude en communiquant leur genre non binaire.
Les maux causés par le non-respect des pronoms et accords proviennent plutôt de l’invalidation du genre. Le droit à la vie privée est peu adapté à la condamnation de ce non-respect. On devine ainsi que les droits à la protection contre le harcèlement et à l’égalité seront plus aptes à cerner et punir le transantagonisme32 inhérent au non-respect des pronoms et accords neutres.
La prohibition du harcèlement est large et interdit vraisemblablement le non-respect intentionnel et/ou répétitif des pronoms et accords neutres. Comme nous le verrons dans la section suivante, le fait que le mégenrage peut constituer une forme de harcèlement fait intervenir la protection du droit à l’égalité.
Le harcèlement d’une personne en raison de son identité ou expression de genre est interdit par la Charte québécoise. L’article 10.1 nous dit, en effet, que « [n]ul ne doit harceler une personne en raison de l’un des motifs visés dans l’article 10 », motifs qui incluent l’identité et l’expression de genre. L’article 10.1 complémente le droit à l’égalité édicté par l’article 10.
Loi ontarienne, le Code des droits de la personne33 définit le harcèlement comme le « [f]ait pour une personne de faire des remarques ou des gestes vexatoires lorsqu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques ou ces gestes sont importuns ». Cette définition illustre bien la notion de harcèlement en droit québécois, la Charte québécoise ne définissant pas le harcèlement. Il n’est pas nécessaire que l’intention de harceler existe pour qu’il y ait harcèlement34. Il suffira de démontrer une conduite vexatoire ou non désirée dont la fréquence et gravité entrainent un effet durable35.
Comme le soulignent aussi bien le tribunal dans Gaston que la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP), c’est le point de vue de la victime non binaire raisonnable qui sera pertinent pour juger si une conduite constitue du harcèlement 35,36. À la lumière des normes sociales et linguistiques dominantes, il sera difficile de prouver le harcèlement si la personne accusée ne s’est pas informée et n’a pas été informée de l’identité de genre ou des pronoms et accords utilisés par la personne non binaire. Le mégenrage occasionnel sera vraisemblablement excusé par la loi compte tenu du critère de fréquence intrinsèque à la définition de harcèlement.
Compte tenu de la conception qu’ont les tribunaux du mégenrage, il est fort probable que celui-ci puisse constituer du harcèlement. Par exemple, décrire une personne sur la base de son genre assigné à la naissance est considéré être une violation du droit à la dignité34, 37, le tribunal accorde un poids considérable au fait qu’un document d’identité non concordant invalide l’identité de la personne trans et suggère que cette identité n’est pas suffisamment légitime. Les mêmes effets sont présents dans le non-respect des pronoms et accords neutres.
Compte tenu de la désobligeance, voire du caractère injurieux du mégenrage ainsi que de l’atmosphère d’hostilité provoquée par celui-ci, le non-respect des pronoms et accords neutres est une forme de harcèlement tel que défini en droit québécois36.
Le droit à l’égalité fait office de pont entre la prohibition individuelle du harcèlement et la responsabilité institutionnelle par rapport au non-respect de l’identité de genre non binaire. L’établissement scolaire pourra être tenu légalement responsable du mégenrage de son personnel scolaire ainsi que des autres élèves, en l’absence d’efforts suffisants pour éradiquer le harcèlement.
La responsabilité de l’établissement peut être engagée par le refus des éducateurices et autre personnel en position d’autorité d’intervenir lorsqu’une personne est mégenrée, que ce soit par un·e adulte ou par un·e élève. Cet aspect de la responsabilité est crucial en milieu éducatif à cause de l’étendue des interactions interélèves, et s’articule à travers la notion juridique de milieu empoisonné. La discrimination inhérente au milieu empoisonné relève de l’article 10 de la Charte québécoise, soit le droit à l’égalité. La preuve du milieu empoisonné peut être faite notamment lorsqu’une institution manque à son obligation de fournir un environnement scolaire libre de harcèlement 36,38.
La présence d’un milieu empoisonné donne naissance à une obligation d’intervention de la part des personnes responsables36. Sauf justification, la responsabilité de l’établissement scolaire sera engagée par un manquement à cette obligation, les éducateurices et membres du personnel scolaire se devant d’intervenir. Le rôle des enseignant·e·s est essentiel compte tenu de l’obligation de fournir un milieu d’éducation libre de harcèlement, les enseignant·e·s ayant l’accès le plus direct aux élèves et étudiant·e·s, ainsi qu’une autorité effective sur celleux-ci.
Les droits de la personne ne sont pas absolus. Une violation de la prohibition de harcèlement ou du droit à l’égalité pourra être justifiée par l’établissement si aucun accommodement raisonnable n’est possible.
L’obligation d’accommodements raisonnables est définie comme « [l]’obligation de prendre des mesures d’accommodement raisonnable en faveur des personnes subissant les effets préjudiciables d’une politique ou d’une règle apparemment neutre » et « cesse lorsqu’elle va entrainer des “contraintes excessives” » 39. La raison d’être de cette obligation est l’existence d’un « ensemble complexe d’obstacles systémiques et apparemment neutres » 40.
La justification d’un obstacle à l’égalité se fait en trois étapes41. Premièrement, l’obstacle doit être lié à un objectif légitime. Deuxièmement, l’obstacle doit être relié à une croyance honnête et sincère que celui-ci est nécessaire à la satisfaction de l’objectif. Troisièmement, l’obstacle doit être raisonnablement nécessaire à la satisfaction de cet objectif. C’est l’analyse de la troisième étape qui contiendra la nécessité d’accommoder jusqu’à la contrainte excessive. Ce sera à l’établissement scolaire ou à la commission scolaire de justifier l’obstacle et donc l’absence d’accommodement36.
La facilitation des rapports sociaux que comporte le respect des normes sociolinguistiques prédominantes et du genre des élèves est vraisemblablement l’objectif justifiant la norme selon laquelle les élèves et enseignant·e·s ont pour fonction de deviner le genre de la personne. Cet objectif semble légitime. On peut aussi penser que cette norme, laissant aux enseignant·e·s le rôle de « deviner » le genre de l’élève, relève d’une croyance sincère et de bonne foi en sa nécessité. Le caractère erroné de la croyance importe peu légalement puisque le droit se satisfait de toute croyance sincère et de bonne foi. Ce sera plutôt le troisième pan de l’analyse qui formera le noyau contentieux.
Est-ce que l’obstacle est raisonnablement nécessaire à la satisfaction de l’objectif? Si la réponse est négative, l’obstacle est injustifié. Si la réponse est positive, nous devrons nous demander si un accommodement raisonnable est possible.
Le langage neutre n’est pas bien connu, est difficile à utiliser en permanence, et plusieurs se sentiraient insulté·e·s de se faire genrer au neutre. Plusieurs personnes trans binaires, même, se sentiraient potentiellement invalidé·e·s par cette nouvelle norme. Que nous partagions ou non ces sentiments, leur présence aura un impact important sur l’évaluation qui sera faite de la nécessité de l’obstacle à cette étape de l’analyse. Il semble donc que l’objectif soit servi par la norme de laisser les gens choisir leur langage sur la base des apparences.
La question se corse au niveau des accommodements. En contexte anglophone, il est difficile d’argüer que l’accommodement individuel comporterait une contrainte excessive : le respect des personnes non binaires ne revient qu’à changer les pronoms « he » ou « she » par « they », etc. Si l’habitude de l’usage peut prendre un certain temps à se développer, mes expériences démontrent que le changement demeure très peu exigeant dans l’ensemble. La campagne « No Big Deal », créée par lea professeur·e non binaire ontarien·ne Lee Airton, est fondée sur l’idée que le respect des pronoms neutres en anglais est facile42.
Cependant, le français n’est pas l’anglais. Le pronom singulier « they » existe depuis plusieurs centaines d’années, et l’accommodement revient à redéployer l’usage d’un pronom connu. Aucun consensus similaire n’existe en français. Si un consensus semble imminent autour du pronom « iel » 5, ceux-ci sont des néologismes et, de plus, ne couvrent pas la problématique des accords : c’est la grammaire entière qui doit être révisée! Ayant moi-même assisté à des ateliers sur le français neutre que j’utilise assez régulièrement en référence à des personnes proches de moi, je remarque malgré tout une certaine lenteur lorsque je l’utilise à l’oral. Il ne serait pas très surprenant, alors, que certaines personnes tentent de justifier leur refus d’accommoder par l’alourdissement grammatical engendré par celui-ci.
Il semble que l’obligation de respecter les pronoms et accords neutres serait une contrainte pertinente sur le plan légal puisque la facilitation des interactions dans le milieu scolaire est un facteur légitime43, 44, 45, 41. Est-elle excessive? Pour en juger, nous devons prendre en compte la nature, la légitimité et la force des intérêts en question41.
Si je crois fortement que cette contrainte n’est pas excessive, ma perspective en tant que personne trans n’est partagée, à ma connaissance, par aucun·e de nos juges. L’existence d’une obligation de respecter les pronoms et accords neutres demeure ambigüe, se heurtant à l’incertitude du droit. Si le respect des pronoms peut difficilement être jugé excessif, le respect des accords pourrait l’être. En l’absence d’un jugement à portée juridique claire, la portée du droit au respect des pronoms et accords est vouée à l’incertitude.
Le détail de l’accommodement demandé est important : certaines personnes, par exemple, utilisent les pronoms « iel » ou « ille », mais acceptent que les accords soient genrés. D’autres acceptent une hiérarchie flexible d’accords et pronoms, laissant aux personnes éprouvant de bonne foi une difficulté avec le français neutre le choix de genrer leurs accords autrement tout en respectant l’élève non binaire. Cet accommodement risquera moins d’être jugé comme représentant une contrainte excessive qu’un accommodement demandant le respect des accords non genrés.
L’obligation d’accommodement n’est pas seulement substantive, mais aussi procédurale36. En effet, il revient à l’établissement scolaire d’inclure la personne non binaire dans les discussions sur les accommodements à instaurer. Cette obligation procédurale est essentielle compte tenu de la variété des choix et des identifications langagières des personnes non binaires. Une personne utilisant des pronoms neutres pourrait très bien désirer, comme moi, être catégorisée avec les femmes et se reconnaitre dans des termes genrés comme « princesse ». Il est aussi possible d’utiliser un pronom neutre tout en acceptant des accords genrés. Dans un tel cas, l’obligation de respect des pronoms et accords est claire. Au contraire, la loi est incertaine si des accords neutres sont demandés.
En l’absence d’un droit clair et certain, les politiques institutionnelles peuvent jouer un rôle important en promouvant le respect du genre des personnes non binaires. Celles-ci sont moins chères à établir, peuvent être plus claires, spécifiques et flexibles que le droit et peuvent codifier des normes plus exigeantes que le minimum légal.
Le droit étant incertain par rapport au respect des accords neutres, les politiques institutionnelles devraient comporter des recommandations claires et détaillées par rapport à ce sujet : est-ce que les pronoms et accords neutres doivent être respectés? Par qui? De quelle façon?
Plusieurs organismes et institutions ont établi ces dernières années des politiques qui incluent le respect des pronoms des personnes trans. Pensons notamment aux lignes directrices du Ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance de la Nouvelle-Écosse46, aux Lignes directrices relatives au soutien des élèves transgenres de la Commission scolaire de Montréal47ainsi qu’aux plus récentes Mesures d’ouverture et de soutien envers les jeunes trans et les jeunes non binaires de la Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation48. Plusieurs autres documents portent sur les mesures à prendre pour soutenir les jeunes trans tant en contexte francophone qu’anglophone13, 14, 49, 50, 51, 52, 53, 19.
Comme le remarquent Chamberland et Puig, en l’absence de mesures explicites, les élèves « doivent s’en remettre au personnel pour les accommoder dans l’utilisation de leur nouvelle identité, s’exposant là aussi à l’incompréhension et au rejet13 ». Il est donc louable que les divers documents cités incluent une reconnaissance du devoir de respecter les pronoms des élèves non binaires, ainsi que du devoir de systématiser le processus de changement de mention de sexe. Ce dernier devoir peut aller jusqu’à celui d’offrir une troisième option de genre, tel que maintenant offert en Nouvelle-Écosse, ou d’enlever toute mention de genre sur les dossiers de l’élève, une avancée considérable par rapport à la norme actuelle dans les écoles. Un pas de plus serait d’envisager la possibilité d’inclure systématiquement les pronoms et accords désirés des élèves sur les listes de classes.
Malheureusement, les politiques de la Commission scolaire de Montréal et de la Table nationale sont fortement inspirées de politiques tirées de contextes anglophones – dont notamment le guide de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants54. Ce fait conspire avec le manque de personnes non binaires dans les équipes de rédaction des politiques pour produire un manque d’attention relativement à la problématique des accords neutres en français. Cette dynamique — le manque d’attention à l’égard du français combiné à un manque d’attention à l’égard des identités non binaires — fait écho aux observations d’Alexandre Baril par rapport aux études féministes francophones12, à la différence que le binarisme est centré à la place de l’identité cisgenre.
Tandis que la loi se bute aux difficultés du français neutre, nos politiques institutionnelles refusent de s’attaquer à celles-ci. Ce refus perpétue le manque de protections auquel font face les élèves non binaires. Comme le disent Chamberland et Puig, « c’est en s’appuyant sur les lignes directrices et les politiques institutionnelles en place, et sachant que la direction les soutient, que le personnel ainsi que les élèves et les étudiant.e.s pourront développer des actions à plus petite échelle au sein de l’établissement. […] Il est aussi important de s’attarder à ce que les individus ressentent et aux besoins qu’ils expriment13 ». Ces recommandations méritent suite.
Selon une étude récente de Taylor et al., seulement 24 % des commissions scolaires du Québec ont une politique visant le harcèlement des personnes trans50. Et ces politiques comptent probablement peu de suggestions concernant spécifiquement les jeunes non binaires. Cependant, on peut penser que plusieurs commissions scolaires emboiteront le pas à la Commission scolaire de Montréal dans les prochaines années et adopteront une politique par rapport aux jeunes trans. Nous sommes donc à un moment critique de la propagation de ces politiques, et il est crucial de souligner l’importance de développer nos politiques par rapport au respect des pronoms et accords neutres, et cela de façon détaillée. Une liste des pronoms les plus communs devrait être donnée : iel, yel, ielle, ael, æl, aël, ol, olle, ille, ul, ulle, al, i, im5. Les stratégies de neutralisation des accords devraient aussi être exposées, dont notamment les graphies tronquées comme « étudiant·e », les néologismes et nouvelles graphies comme « elleux » pour « elles » et « eux » et la rédaction épicène comme « l’élève » à la place de « l’étudiant » ou « l’étudiante » 9, 10, 24, 5.
Dans le développement de futures politiques, on devra s’assurer d’engager plus largement des personnes trans et non binaires au processus de rédaction de ces politiques. Il est critiquable que la Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation ne semble pas avoir inclus de personnes non binaires, voire de personnes trans, à la rédaction. Le contenu de ces politiques devra aussi refléter la diversité des personnes non binaires ainsi que reconnaitre la difficulté du français neutre. Il n’existe pas de formule générale pour respecter toutes les personnes non binaires. Nos politiques devront être suffisamment souples dans leur énoncé pour pouvoir en prendre acte et s’ajuster selon l’élève ou l’étudiant·e individuel·le.
La mise en œuvre du respect des personnes non binaires doit prendre en compte les perspectives des personnes trans francophones et des personnes ayant des difficultés d’apprentissage. Tant l’anglocentrisme du langage trans que les difficultés d’apprentissage créent un décalage entre les réalités cisgenres anglophones et les réalités trans francophones.
La notion du « temps trans-crip-t » d’Alexandre Baril55 nous force à prendre acte du fait que nous devrons investir des ressources concrètes pour enseigner le français neutre à l’ensemble du corps étudiant québécois, et non pas seulement aux élèves et étudiant·e·s ayant des facilités d’apprentissage. Il n’est pas suffisant de dire qu’il faut respecter les pronoms et accords des personnes trans. Encore faut-il définir et enseigner le français neutre.
Sous sa forme actuelle, la Charte québécoise promet plusieurs protections aux personnes trans et non binaires. Certaines de ces protections suggèrent l’existence d’une obligation de respecter les pronoms et accords neutres s’ils sont demandés par la personne. Toutefois, l’ambigüité de la situation sur le plan juridique ainsi que l’inaccessibilité des tribunaux rend cette obligation difficile à mettre en œuvre. Les normes genrées singulières du français créent une asymétrie juridique et factuelle entre les contextes francophone et anglophone, même à l’intérieur d’une seule juridiction. Il y a un grand besoin de recherches universitaires additionnelles sur la non binarité et le français neutre.
En l’absence de directives claires de la part des tribunaux, la tendance récente à la création de politiques institutionnelles fait apparaitre celles-ci comme le recours le plus prometteur pour les élèves et étudiant·e·s trans et non binaires. Il est essentiel pour les activistes de souligner l’aspect procédural des obligations des établissements scolaires puisqu’il met en évidence le potentiel transformatif de la consultation. Même si son application demeure chétive, le droit peut servir à informer et à motiver ces politiques.
Compte tenu de l’importance du respect des personnes trans et non binaires pour leur bienêtre personnel et pour leur succès scolaire, les récentes lignes directrices de la Commission scolaire de Montréal marquent, malgré leurs imperfections, un tournant dans l’accès à l’éducation des personnes trans. Espérons que d’autres établissements et commissions scolaires emboiteront le pas.
Notes
1 On mégenre une personne si on utilise des termes genrés qui ne sont pas appropriés au genre de la personne. L’usage de mauvais pronoms (« il » pour une personne utilisant « ille »), de mauvais accords (« étudiante » pour une personne utilisant les accords masculins) ou de mauvais termes genrés (« princesse » pour un homme) peuvent tous constituer une forme de mégenrage5
2 Une personne est cisgenre ou cis si son identité de genre correspond au genre qui lui fut assigné à la naissance. Une personne sera, au contraire, transgenre ou trans si son identité de genre ne correspond pas au genre qui lui fut assigné à la naissance. Certaines personnes non binaires ne s’identifient pas comme trans. Toutefois, il est généralement admis que la notion de « trans » inclut les personnes non binaires.
3 Une personne est non-binaire si elle ne s’identifie pas exclusivement comme homme ou comme femme56, 6. Les identités non binaires sont variées, incluant notamment l’identité agenre, genderqueer, fluide dans le genre (genderfluid), demi-genre, etc. Le terme « troisième genre » est à éviter puisque les différentes identités non binaires sont des genres distincts. Pourquoi troisième et non pas soixante-neuvième? Ça sonne bien plus agréable…
4 Veale, J., E. Saewyc, H. Frohard-Dourlent, S. Dobson, B. Clark et le Groupe de recherche de l’enquête canadienne sur la santé des jeunes trans (2015). Être en sécurité, être soi-même. Résultats de l’enquête canadienne sur la santé des jeunes trans. Stigma and Resilience Among Vulnerable Youth Centre, Université de la Colombie-Britannique, Vancouver.
5 Unique en son genre (2018). Le langage dans la communauté non binaire 2017. En ligne : http://ekladata.com/Gik8DdzqEfaGDTkRfE1qrPzI450/Le-langage-dans-la-communaute-non-binaire-2017-Unique-en-son-genre.pdf
Unique en son genre (2016). “Mégenrer c’est violent ”, blog : http://uniqueensongenre.eklablog.fr/megenrer-c-est-violent-a119698416
Unique en son genre (2018). Le langage dans la communauté non binaire 2017. En ligne : http://ekladata.com/Gik8DdzqEfaGDTkRfE1qrPzI450/Le-langage-dans-la-communaute-non-binaire-2017-Unique-en-son-genre.pdf
6 Scali, D. (2016). « Ni madame ni monsieur. Des personnes trans revendiquent le droit d’être définies comme “non binaires dans le genre” », Journal de Montréal, 20 juin 2016. En ligne : www.journaldemontreal.com/2016/06/20/ni-madame-ni-monsieur
7 Greco, L. (2013). « Langage et pratiques “transgenres” », Langues et cité : Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques, no 24, p. 5-6.
8 Académie française (2017). « Déclaration de l’Académie française sur l’écriture dite “inclusive” », 26 octobre 2017. En ligne : www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive
9 Lessard, M., et S. Zaccour (2017). Grammaire non sexiste de la langue française. Le masculin ne l’emporte plus !, Saint-Joseph-du-Lac, M Éditeur.
10 Alpheratz (2017a). « Le genre grammatical neutre en français à la lumière des Problèmes de linguistique générale d’Émile Benveniste ». En ligne : https://www.academia.edu/33427792/
11 Baril, A. (2017b). « Pour ou contre l’ajout d’un genre neutre à la langue française? », TFO 24.7, 6 octobre 2017. En ligne : www.youtube.com/watch ?v=2NFWHVBfsY4
12 Baril, A. (2017a). « Intersectionality, lost in translation? (Re)thinking inter-sections between Anglophone and Francophone intersectionality ”, Atlantis: Critical Studies in Gender, Culture & Social Justice, vol. 38, no 1, p. 125-137.
13 Chamberland, L., et A. Puig (2015). Guide des pratiques d’ouverture à la diversité sexuelle et de genre en milieu collégial et universitaire, Chaire de recherche sur l’homophobie, Université du Québec à Montréal, Montréal.
14 Singh, A. A., S. Meng et A. Hansen (2013). “‘It’s already hard enough being a student’ : Developing affirming college environments for trans youth ”, Journal of LGBT Youth, vol. 10, no 3, p. 208-223.
15 McLemore, K. A. (2015). “Experiences with misgendering: Identity misclassification of transgender spectrum individuals ”, Self and Identity, vol. 14, no 1, p. 51-74.
16 McLemore, K. A. (2016). “A minority stress perspective on transgender individuals’ experiences with misgendering ”, Stigma and Health. Publication anticipée en ligne : http://dx.doi.org/10.1037/sah0000070
17 Proulx, G. (2015). « Un français plus neutre : utopie? », ICI Radio-Canada Estrie, 3 décembre 2015. En ligne : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/752820/identites-sexuelles-trans-genres-francais-difficultes
18 Galantino, G., M. Blais, M. Hébert et F. Lavoie (2017). Un portrait de l’environnement social et de l’adaptation psychosociale des jeunes québécois. e. s trans ou en questionnement de leur identité de genre. Rapport de recherche du projet Parcours amoureux des jeunes LGBT au Québec, Université du Québec à Montréal, Montréal.
19 Chamberland, L., A. Baril et N. Duchesne (2011). La transphobie en milieu scolaire au Québec. Rapport de recherche, Université du Québec à Montréal, Montréal.
20 Goldblum, P., R. J. Testa, S. Pflum, M. L. Hendricks, J. Bradford et B. Bongar (2012). “The Relationship between gender-based victimization and suicide attempts in transgender people ”, Professional Psychology: Research and Practice, vol. 43, no 5, p. 468-475.
21 Haas, A. P., P. L. Rodgers et J. L. Herman (2014). Suicide Attempts Among Transgender and Gender Non-Conforming Adults, Los Angeles, The Williams Institute.
22 Bauer, G. R., A. I. Scheim, J. Pyne, R. Travers et R. Hammond (2015). “Intervenable factors associated with suicide risk in transgender persons: A respondent driven sampling study in Ontario, Canada ”, BMC Public Health, vol. 15, no 525, p. 1-15.
23 Meyer, E. J. (2014). “Supporting gender diversity in schools: Developmental and legal perspectives ”, dans A. Pullen-Sansfaçon et E. J. Meyer (dir.), Supporting Gender Creative and Transgender Youths: Family, schools and community in action, New York, Peter Lang.
24 Alpheratz (2017b). « Un genre neutre pour la langue française ». En ligne : https://www.academia.edu/33035651/
25 Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs transgenres, LQ 2016, c. 19.
26 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Maison des jeunes A…, [1998] RJQ 2549; 33 CHRR 263.
27 Sauvé, J.-S. (2015). « L’interdiction de discriminer les personnes trans* dans la Charte des droits et libertés de la personne : pour son amélioration par l’ajout de l’“identité de genre” et de l’“expression de genre” à la liste des motifs de distinction illicites », Enfances, Familles, Générations, vol. 23, p. 108-126.
28 Ashley, F. (2018). “Don’t be so hateful: The insufficiency of anti-discrimination and hate crime laws in improving trans well-being ”, University of Toronto Law Journal, vol. 68, no 1, p. 1-36.
29 Glenn, H. P. (1979). « Le droit au respect de la vie privée », Revue du Barreau, vol. 39, p. 879.
30 Office québécois de la langue française (2017). « Transidentité », Le grand dictionnaire terminologique. En ligne : www.gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx ?Id_Fiche=8359852
31 Valiquette c. The Gazette, [1997] R.J.Q. 30 (C.A.)
32 Le terme « transantagonisme » est proposé à la place du terme plus commun « transphobie » dans la mesure où ce dernier place l’accent étymologique sur le rapport émotif (« phobie ») aux personnes trans, passant sous silence l’intégration de ces attitudes et comportements dans une structure sociale hostile aux personnes trans. Pour une discussion du terme « transantagonisme » en contexte anglophone28.
33 Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, chap. H. 19.
34 Vanderputten v. Seydaco Packaging Corp., 2012 HRTO 1977.
35 De Gaston c. Wojcik, 2012 QCTDP 20, JE 2012-548.
36 Commission ontarienne des droits de la personne (2014). Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur l’identité sexuelle et l’expression de l’identité sexuelle.
37 XY v. Ontario (Government and Consumer Services), 2012 HRTO 726.
38 Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 RCS 825.
39 Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 RCS 624.
40 Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3.
41 Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., [2007] 1 RCS 650.
42 Airton, L. (2016). “What is the NBD Campaign ?”, No Big Deal – I’ll Use Your Pronoun. site Web : https://www.nbdcampaign.ca/what/
43 Meiorin, para. 63
44 Central Alberta Dairy Pool v. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 SCR 489.
45 Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 RCS 868.
46 Ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance (2014). Lignes directrices pour le soutien aux élèves transgenres et non conformistes de genre, Nouvelle-Écosse.
47 Commission scolaire de Montréal (2016). Lignes directrices relatives au soutien des élèves transgenres de la Commission scolaire de Montréal.
48 Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation (2017). « Mesures d’ouverture et de soutien envers les jeunes trans et les jeunes non binaires : Guide pour les établissements d’enseignement », Montréal. En ligne : www.colloquehomophobie.org/wp-content/uploads/2017/11/brochure_jeunes_trans_web-2.pdf
49 Beemyn, G. (2003). “Serving the needs of transgender college students ”, Journal of Gay and Lesbian Issues in Education, vol. 1, no 1, p. 33-50.
50 Taylor, C., T. Peter, T. Edkins, C. Campbell, G. Émond et E. Saewyc (2016). Inventaire national des interventions des commissions scolaires pour soutenir le bien-être des élèves LGBTQ, Stigma and Resilience Among Vulnerable Youth Centre, Université de la Colombie-Britannique, Vancouver.
51 Gay-Straight Alliance Network, Transgender Law Center et National Center for Lesbian Rights (2004). Beyond the Binary: A Tool Kit for Gender Identity Activism in Schools, Oakland, CA. En ligne : https://translaw.wpengine.com/wp-content/uploads/2012/07/99640173-Beyond-the-Binary.pdf
52 Lambda Legal et National Youth Advocacy Coalition (2008). Bending the Mold: An Action Kit for Transgender Youth, New York. En ligne : www.lambdalegal.org/sites/default/files/publications/downloads/btm_bending-the-mold_0.pdf
53 Vallières, A. (2015). « Recherche sur les problématiques liées à la diversité sexuelle à l’Université de Montréal », adoptée à la 513e séance du Conseil central, Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal. En ligne : www.faecum.qc.ca/ressources/avis-memoires-recherches-et-positions-1/recherche-sur-les-problematiques-liees-a-la-diversite-sexuelle-a-l-universite-de-montreal
54 Wells, K., G. Roberts et C. Allan (2011). Soutien aux élèves transgenres et transsexuels dans les écoles de la maternelle à la 12e année. Guide à l’intention des éducatrices et éducateurs, Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, Ottawa.
55 Baril, A. (2016). “‘Doctor, am I an Anglophone trapped in a Francophone body?’: An intersectional analysis of ‘trans-crip-t-time’ in ableist, cisnormative, and Anglonormative societies ”, Journal of Literary & Cultural Disability Studies, vol. 10, no 2, p. 155-172.
56 ICI Radio-Canada (2016). « Petit lexique de l’identité sexuelle », ICI Radio-Canada, 3 décembre 2015. En ligne : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/752595/lexique-genres-identite-sexuelle
57 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c. C -12.
58 Code civil du Québec, RLRQ c. CCQ-1991.
59 Greco, L., et S. Kunert (2013). « Genre, langage et sexualité : Entretien avec Luca Greco », entretien mené par Stéphanie Kunert, Communication et langages, vol. 3, no 177, p. 125-134.
60 James, S. E., J. L. Herman, S. Rankin, M. Keisling, L. Mottet et M. Anafi (2016). The Report of the 2015 U.S. Transgender Survey, Washington, National Center for Transgender Equality.
61 Lacroux, M. (2017). « Prêt·e·s à utiliser l’écriture inclusive? », Libération, 27 septembre 2017. En ligne : www.liberation.fr/france/2017/09/27/pretes-a-utiliser-l-ecriture-inclusive_1598867
62 Ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels (2015). Politique ontarienne en matière d’admission, de classification et de placement des détenus et détenues trans, Ontario.
63 Sébille c. Photo Police, [2007] R.R.A. 320 (C.S.).
Les auteures de cet article présentent comment le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance de la Nouvelle-Écosse, en collaboration avec le Youth Project, ont, au cours de la courante décennie, a fait preuve de leadeurship en instaurant de nouvelles lignes directrices qui ont de profondes répercussions sur la configuration des écoles, sur l’enseignement et sur les systèmes d’information sur les élèves afin d’assurer la sécurité et l’inclusion dans le milieu scolaire pour tous les apprenants, et en particulier, pour les individus qui se sentent marginalisés, comme les lesbiennes, les gais, les personnes bisexuelles, les personnes transgenres, les personnes queer, les personnes bispirituelles et les autres membres de minorités sur le plan de la sexualité ou de l’identité de genre (LGBTQ2+).
Si l’on veut que tous les apprenants se sentent concernés et puissent connaitre la réussite dans leur apprentissage, il est essentiel de proposer des écoles favorisant l’inclusion de tous et où tout le monde est en sécurité. Pour que les enfants et les jeunes puissent connaitre le bienêtre et progresser sur le plan scolaire, il est essentiel qu’ils aient le sentiment d’être en sécurité, d’être acceptés tels qu’ils sont et d’avoir leur place au sein de l’école. La sécurité et l’inclusion dans le milieu scolaire sont d’une importance cruciale pour tous les apprenants et en particulier pour les individus qui se sentent marginalisés, comme les lesbiennes, les gais, les personnes bisexuelles, les personnes transgenres, les personnes queer, les personnes bispirituelles et les autres membres de minorités sur le plan de la sexualité ou de l’identité de genre (LGBTQ2+).
Dans cet article, nous évoquons le chemin parcouru par le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance de la Nouvelle-Écosse (MEDPE), en partenariat avec la communauté LGBTQ2+, pour transformer les écoles en des lieux où tous les enfants et les jeunes sont inclus de façon équitable et où l’on valide et met en valeur leur identité. Pour valider et mettre en valeur l’identité des apprenants, il faut savoir et respecter ce qu’ils sont et leur apporter un appui, dans le cadre d’approches axées sur les relations et la sensibilité culturelle. En vue de permettre aux gens de vivre de façon authentique et d’exprimer leur identité, nous sommes en train d’apporter délibérément des changements importants aux milieux scolaires, au système d’information sur les élèves (PowerSchool), aux programmes d’études, aux politiques et lignes directrices et aux ressources dans les écoles. Même s’il y a eu des changements significatifs en vue d’offrir un meilleur appui aux apprenants LGBTQ2+ dans leur expérience éducative, nous maintenons notre engagement à prendre des mesures touchant toutes les salles de classe, dans toutes les écoles.
Les jeunes queer ne sont pas simplement des jeunes qui sont en train d’attendre que nous rattrapions notre retard. Ce sont des jeunes qui sont devenus eux-mêmes des agents de transformation au sein même du système éducatif. Alors que c’était à peine imaginable il y a une décennie, la question de l’identité de genre, de l’expression du genre et de la sexualité fait désormais indéniablement partie du paysage dans les écoles aujourd’hui. Les jeunes sont en train d’effacer les frontières traditionnelles divisant les gens en deux catégories selon des attentes relatives au sexe, à l’expression du genre et à une vision hétéronormée du monde. Les jeunes, leurs alliés et les parents demandent au système éducatif d’examiner les changements à apporter aux écoles pour que tous les apprenants y trouvent leur place, quelle que soit leur identité, et pour garantir qu’ils bénéficient tous d’un accès équitable à la vie scolaire sous tous ses aspects. D’après un rapport d’Égale Canada, intitulé Every Class in Every School (2011), il est recommandé d’accorder de l’importance aux consultations appropriées quand on s’intéresse aux groupes vulnérables, aux alliances des identités de genre et des sexualités (AIGS), à la préparation des enseignants, au programme d’études et au travail d’élaboration des politiques.
En Nouvelle-Écosse, au cours des dernières années, de solides liens de partenariat en collaboration se sont tissés entre le MEDPE et le Youth Project, qui est un organisme à but non lucratif dont la mission est de « faire de la Nouvelle-Écosse un lieu plus sûr, plus sain et plus heureux pour la jeunesse lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre, grâce à des mesures de soutien, de sensibilisation, d’élargissement des ressources et de développement communautaire ». Le Youth Project, qui assume à la fois un rôle de direction et de premier interlocuteur, remplit de plus l’essentielle mission d’offrir un soutien aux écoles et au MEDPE, avec des ateliers pour les élèves, des activités de perfectionnement professionnel pour le personnel enseignant et le personnel administratif, du soutien aux AIGS, des consultations pour les programmes d’études et les ressources et des contributions relatives à l’aménagement des installations. Grâce à notre collaboration avec le Youth Project, le système éducatif est en train de devenir un système mieux informé, plus inclusif et plus délibéré dans sa conception et ses façons de faire.
« Notre travail dans les écoles a pour but de lancer une conversation sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, de réduire la stigmatisation et de normaliser les différences, tout en veillant à ce que les élèves queer et transgenres se sentent validés et se reconnaissent dans le système. Notre partenariat avec le MEDPE a renforcé la capacité qu’a le Youth Project de toucher un plus grand nombre de jeunes dans les centres urbains et dans les communautés rurales partout dans la province. »
— Kate Shewan, directrice générale du Youth Project
En décembre 2012, la loi sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse (Nova Scotia Human Rights Act) a été modifiée en vue d’interdire les discriminations fondées sur l’identité de genre et l’expression du genre. En 2014, en réaction aux changements apportés à la loi, le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance (MEDPE) a publié ses Lignes directrices pour le soutien aux élèves transgenres et non-conformistes de genre. Ce document a été préparé en concertation avec des jeunes et des organismes représentant la communauté LGBTQ2+ et il aborde des sujets comme le soutien aux élèves et à leurs démarches individuelles, les noms et pronoms préférés, les dossiers scolaires, l’expression du genre, les activités dans l’école et l’accès aux toilettes et aux vestiaires. Les lignes directrices ont aidé les éducateurs à mieux comprendre la terminologie actuelle et les problèmes auxquels font face les enfants et les jeunes transgenres ou ayant diverses identités de genre dans les écoles. Ces lignes directrices ont également contribué à une prise de conscience du caractère non inclusif ou des partis pris sur les sexes qui marquent bon nombre des croyances, des processus et des pratiques dans le système éducatif et des changements nécessaires dans le système.
Les données du MEDPE pour 2016–2017 indiquent que 65 % environ des écoles de la province ayant des élèves de la 7e à la 12e année ont une alliance des identités de genre et des sexualités (AIGS). Depuis cette époque, le nombre d’AIGS continue de grimper et plusieurs écoles élémentaires participent désormais au mouvement. Les jeunes queer nous disent que, quand il y a une AIGS dans l’école, ils se sentent plus en sécurité, mieux acceptés et mieux soutenus. En outre, ils sont en mesure de s’identifier et d’exprimer leur genre ou leur sexualité plus librement et avec fierté. Le MEDPE continue, avec ses partenaires, de s’efforcer de faire augmenter le nombre d’AIGS dans les écoles et de veiller à ce qu’elles constituent un système actif et utile de structures de soutien pour les apprenants dans les écoles. Notre but est d’avoir une AIGS dans chaque école, dont la présence est célébrée et qui est reconnue comme jouant un rôle important en vue de faire évoluer la culture de l’école.
Le document Lignes directrices pour le soutien aux élèves transgenres et non-conformistes de genre contient une recommandation en vue d’offrir un accès en toute sécurité aux toilettes et aux vestiaires aux élèves selon leur identité de genre. Les lignes directrices contiennent le passage suivant :
« Tous les élèves ont le droit d’utiliser les toilettes et les vestiaires en toute sécurité et le droit d’utiliser les installations dans lesquelles ils se sentent à l’aise et qui correspondent à leur identité de genre, quel que soit le sexe qui leur a été attribué à la naissance. Les élèves transgenres et non-conformistes de genre ont droit à la mise en place de structures de soutien qui répondent le mieux à leurs besoins particuliers1. »
En réaction à ce passage, l’équipe de la Division de la gestion des installations a commencé à changer sa façon de penser pour ce qui est de l’aménagement des toilettes et des vestiaires. Elle a commencé à explorer les changements qu’on pourrait apporter à ces installations pour aider les élèves transgenres ou ayant diverses identités de genre. Cette réflexion a débouché sur un processus de consultation approfondie faisant intervenir des éducateurs, des administrateurs scolaires, des membres du personnel du MEDPE, des architectes, des ingénieurs, des membres du personnel du Youth Project et des élèves, notamment des élèves LGBTQ2+. Grâce à ce processus approfondi, il est apparu clairement que la prise en compte des droits relatifs au sexe et à l’identité de genre de la personne menait en fait à une prise en compte des droits universels de toutes et de tous. Le résultat est que nous avons adopté, pour les constructions de nouvelles écoles et pour les rénovations des écoles existantes, des aménagements innovants pour les toilettes et les vestiaires, en éliminant les distinctions entre les sexes et en favorisant l’inclusion de tous, tout en tenant compte des préoccupations relatives à la sécurité et à la vie privée de tous les élèves. À ce sujet, Darrell MacDonald, directeur actuel des Services pour les projets d’installations éducatives du ministère des Transports et du Renouvèlement de l’infrastructure de la Nouvelle-Écosse, mentionne :
« Le point d’ancrage de la réussite de ces initiatives est que nous nous sommes concentrés sur le caractère universel des dispositifs. Les deux éléments fondamentaux sont le respect de la vie privée et la sécurité. Ces concepts ne se limitent pas à certains segments particuliers de la société, mais sont véritablement universels et ils nous ont permis de surmonter les aspects stigmatisants sur le plan social. »
En 2017, le MEDPE a lancé le programme de prématernelle dans plusieurs écoles de la Nouvelle-Écosse, en prenant l’engagement de rendre ce programme disponible dans toutes ses écoles d’ici à 2020. Cette initiative propose un programme éducatif gratuit pour les jeunes enfants âgés de quatre ans. Le Youth Project (YP) a été consulté par le MEDPE lors de l’élaboration du document Capable, confiant et curieux — Cadre pédagogique pour l’apprentissage des jeunes enfants de la Nouvelle-Écosse. Cette collaboration a permis d’inclure des pratiques souples relatives au sexe des individus et elle a offert l’occasion de mettre un terme aux comportements et aux attentes traditionnelles relatives au sexe des individus dans les milieux d’apprentissage à la petite enfance. Il faut que nous cherchions délibérément à aider les enfants originaux sur le plan de leur identité de genre à s’affirmer conformément à ce qu’ils ressentent et que nous leur permettions d’explorer leur propre identité.
En offrant aux enfants et aux jeunes la possibilité d’indiquer leur nom, leur identité de genre et leurs pronoms préférés en toute sécurité, on leur permet de s’affirmer tels qu’ils sont et de sentir qu’ils ont vraiment leur place. Nous sommes en train de modifier le programme et de créer des espaces, dans PowerSchool, notre système d’information sur les élèves, et dans le processus d’inscription, où les apprenants ou leurs parents peuvent indiquer leur véritable identité en toute équité. Ceci nous permet d’inscrire les apprenants sans leur faire de tort et sans susciter de stress inutile et en évitant de révéler l’identité de genre des personnes par inadvertance.
Même s’il y avait déjà un processus permettant aux élèves d’indiquer leur nom préféré pour les enseignants et les membres du personnel de l’école, ce processus n’était pas visible partout dans PowerSchool. Les listes produites par le système d’information sur les élèves, par exemple, comme les listes d’appel pour les suppléants, les palmarès pour les prix, les listes pour les frais et même les images pour l’annuaire affichaient encore le nom légal de la personne et non son nom préféré. Pour remédier à ce problème, en 2018, nous avons fait une mise à jour de PowerSchool, qui affiche désormais le nom préféré dans tous les documents scolaires, y compris les bulletins scolaires, et dans tous les volets du système. Même si le nom légal de la personne reste bel et bien présent dans PowerSchool, il ne figure que dans les documents officiels, comme les relevés de notes et les diplômes d’études secondaires de la province.
En 2019, la loi sur l’état civil de la Nouvelle-Écosse (Nova Scotia Vital Statistics Act) a été modifiée pour inclure le sexe « X », en plus des sexes « M » (masculin) et « F » (féminin), tout comme dans le changement qui a été apporté par le gouvernement fédéral pour les passeports canadiens. Ceci a entrainé des mises à jour supplémentaires dans PowerSchool et dans le processus d’inscription. Le système note désormais l’identité de genre de la personne, au lieu du sexe qui lui a été attribué à la naissance, avec le code « X » pour les personnes non binaires et les autres identités de genre. Il n’est plus nécessaire, aujourd’hui, de faire une démarche officielle de changement de sexe auprès de l’état civil pour pouvoir définir son identité de genre dans les écoles. Pour la majorité des élèves, l’identité de genre coïncide avec le sexe attribué à la naissance et aucun changement n’est donc nécessaire. En ce qui concerne les apprenants transgenres ou ayant diverses identités de genre, ce changement leur permettra de s’identifier tels qu’ils sont en toute sécurité, sans craindre d’être stigmatisés. Toutes ces modifications continueront de remettre en cause les frontières strictes imposées par la tradition et d’élargir notre compréhension de la diversité des identités.
Nous nous sommes concentrés, plus récemment, sur la complexité des intersections entre les différentes catégories, par exemple les catégories raciales et socioéconomiques, et notre travail sur le sexe, l’identité de genre et la sexualité. En outre, nous nous efforçons de faire le lien avec d’autres initiatives, comme l’inclusion scolaire, la pédagogie sensible à la culture et à la langue, puis les approches relationnelles. Il est plus que jamais nécessaire d’aider les éducateurs, avec des activités de formation, des ressources et des programmes d’études pertinents et un leadeurship innovant. Dans toutes ces activités, nous avons l’obligation d’instaurer une culture scolaire qui respecte tous les apprenants et leurs familles et qui reconnait leur identité telle qu’ils la définissent. Notre expérience nous montre que cet objectif ne peut se réaliser sans la mise en place de liens de partenariats avec la communauté qui sont marqués du sceau de la sécurité, de la confiance et de l’authenticité.
Tout au long de ce parcours et pour les orientations à venir, nous continuons de nous concentrer sur ce que disent nos apprenants LGBTQ2+ ainsi que sur la validation et la mise en valeur de leur identité dans tous les domaines de leur existence. Avec la poursuite de la mise à jour des programmes d’études, des programmes et des politiques, en plus de la mise au point de nouveaux programmes et de nouvelles politiques, comme la politique sur l’inclusion scolaire, il est indispensable que les questions d’équité continuent de se situer au cœur même de notre vision pour l’éducation. Que ce soit en salle de classe, dans les écoles ou au gouvernement, nous nous devons de nous instruire, de remettre en question nos partis pris tout comme nos croyances et de réaménager nos processus, puis nos pratiques, afin de veiller à ce que tout le monde puisse vivre l’éducation en toute sécurité et en se sentant inclus dans le groupe.
Taylor, C. et T. Peter. Every class in every school: Final report on the first national climate survey on homophobia, biphobia, and transphobia in Canadian schools, Fonds Égale Canada pour les droits de la personne, 2011. Sur Internet : https://egale.ca/wp-content/uploads/2011/05/egalefinalreport-web.pdf
Ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance. Lignes directrices pour le soutien aux élèves transgenres et non conformistes de genre, 2014. Sur Internet : https://studentservices.ednet.ns.ca/sites/default/files/Guidelines%20for%20Supporting%20Transgender%20Students_FR_0.pdf
Notes
1 Ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance. Lignes directrices pour le soutien aux élèves transgenres et non conformistes de genre, 2014, p.17. Sur Internet : https://studentservices.ednet.ns.ca/sites/default/files/Guidelines%20for%20Supporting%20Transgender%20Students_FR_0.pdf
« Voici mon histoire. Voici les mots qui tentent de faire justice à la tempête d’insécurité de la jeune fille devenant femme, d’une adolescente qui prend ses couleurs. »
J’ai 9 ans, je suis en troisième année du primaire. Comme les petits garçons de ma classe, j’ai le béguin pour elle. Depuis longtemps en plus. Elle fait les plus beaux dessins de toute l’école, elle trouve toujours les meilleures idées de jeux, et surtout, elle est capable de faire sourire n’importe qui, n’importe quand. Je m’étais décidée à me lancer dans la lutte pour son cœur, combat que les garçons de ma classe avaient commencé bien avant moi. Je lui ai fait un dessin que j’ai recommencé une dizaine de fois, parce que c’est difficile de mettre ça sur papier, un amour d’enfant. Un matin, j’ai décidé que c’était le grand jour. Je suis arrivée toute gênée à son pupitre et je lui ai tendu mon cadeau. Elle m’a fait un de ces sourires qui réchauffe la poitrine, puis je lui ai demandé si elle voulait être mon amoureuse. Je suis tombée de mon nuage quand mon enseignante s’est dépêchée de me prendre à part. Elle m’a grondée, me disant que ce n’était pas comme ça que ça marchait, qu’une petite fille ne pouvait pas être amoureuse d’une autre petite fille. J’ai 9 ans, je n’ai aucune idée ce qu’est une orientation sexuelle. J’ai juste laissé tomber, et on n’en a plus jamais parlé.
En grandissant, je me suis conditionnée, probablement inconsciemment, à m’imaginer plus tard sortir avec un garçon, parce que c’est ce qu’on avait toujours tenu pour acquis. En commençant le secondaire, la pression de se matcher avec un garçon est arrivée tout d’un coup, comme si c’était devenu une norme du jour au lendemain, et qu’à cet âge-là, ça devait arriver. Même au souper de famille, les « as-tu un p’tit chum? » commençaient à être lourds. En deuxième secondaire, à l’âge de 14 ans, j’ai reçu un message texte d’un gars, me disant qu’il était intéressé. Je n’étais pas très coopérative, mais mes amies l’aimaient et c’était un « bon p’tit gars », selon ma famille. On a fini par s’appeler un couple, et un mois après, il était chez moi, dans ma chambre, beaucoup trop près de moi. Son bras était autour de mes épaules et il enchainait les avances peu subtiles pour qu’on s’embrasse. Embarrassée par ses efforts constants et le malaise dans lequel il nous mettait, j’ai succombé et on s’est embrassé. C’était trop long, on était trop proche. Qu’est-ce que je faisais là? Quand il est parti, je me suis écroulée et j’ai pleuré. Je venais de réaliser que je ne pourrais jamais avoir la vie facile, que je ne pouvais pas me faire vivre ça une fois de plus. La phase de déni était terminée. J’étais homosexuelle.
Quelques mois après, un évènement a changé ma vie. Le 12 juin 2016, je me suis levée et je suis allée déjeuner comme tous les matins. C’est en passant devant la télévision familiale que j’ai appris la nouvelle. On avait tué des dizaines de personnes à Orlando. Sans avoir un visage, ils avaient été choisis par le terroriste parce qu’ils étaient dans un bar fréquenté par les homosexuels. On disait que c’était l’attentat homophobe le plus meurtrier depuis la Deuxième Guerre mondiale. Je sais que c’était leur donner raison aux terroristes, mais ce matin-là, j’ai eu peur. Si en 2016, la vie des personnes de l’Occident s’identifiant autrement qu’hétérosexuel était compromise, la mienne l’était donc aussi, non? Un article avait été publié où on montrait la photo de chacune des victimes, et ça m’a tellement bouleversée. Ces gens désiraient simplement passer une soirée entre amis dans un endroit où ils étaient convaincus être protégés des jugements. C’est à ce moment-là que mon mépris pour les gens homophobes est né.
J’ai passé un peu plus d’un an, seule avec mon secret. Je pense que c’était la bonne chose à faire. Il fallait d’abord que je m’accepte avant de demander aux autres de le faire. Au mois de novembre 2017, ma sœur et moi discutions, et je lui ai alors révélé mon secret. Les mots s’enchainaient et me brulaient la langue; je n’osais même pas la regarder, par peur qu’elle ne m’aime plus. Mais elle m’a simplement souri, et elle m’a questionnée sur le genre de filles que j’aimais. Le poids qui pesait sur mes épaules depuis tout ce temps avait disparu, et j’étais tellement bien. J’étais lesbienne, et maintenant quelqu’un d’autre le savait. Quelques jours plus tard, je l’ai annoncé à mes meilleures amies, qui, elles aussi, m’ont immédiatement acceptée. Puis à d’autres connaissances. Moi qui, autrefois, me sentais faiblir juste à penser au moment où j’aurais à avouer mon intérêt pour les filles, j’avais maintenant envie de le crier sur tous les toits. J’étais celle que j’avais toujours été aux yeux des autres.
J’étais sur mon nuage, tellement qu’un soir j’ai eu le courage de le dire à ma maman. Les autres ayant tous eu une réaction positive, je m’attendais à ce qu’elle le prenne comme ça aussi, c’était plutôt banal qui j’aimais, non? J’ai frappé un mur, tête première. Elle ne s’en est d’ailleurs pas totalement remise, ma tête. Décevoir ses parents parce qu’on ne respecte pas le couvre-feu, c’est une chose, mais les décevoir pour ce que tu es, c’est irréversible. C’est là que j’ai réalisé que la perception de chacun était basée en majeure partie sur leur génération. C’est quelque chose sur quoi j’ai dû travailler, parce que je ne comprenais pas la frustration de ma mère, le malaise de ma tante ou les pleurs de ma grand-mère. Je pense qu’en avouant son orientation sexuelle, il faut être prêt à ces genres de réactions. Elles ne sont pas justifiées, mais elles arrivent. Malgré tout cela, ça s’arrange, l’amour l’emporte toujours.
Au début de l’hiver, j’ai rencontré une jolie fille, très jolie. Jolie de l’extérieur, oui, mais surtout tellement belle de l’intérieur. On se parlait souvent, et un soir, après avoir passé la soirée avec elle, je me suis rendu compte des petits papillons que j’avais dans la poitrine. C’était donc ça, être amoureuse. Elle et moi, on avait quelque chose de particulier, un lien que je ne pouvais pas décrire. Les choses se passent à leur propre vitesse, et un jour, je me suis promenée avec elle dans les corridors de l’école, main dans la main. Je ne pensais pas que c’était un grand geste ni que des gens le remarqueraient. J’ai vite compris que j’avais eu tort en entrant dans mon cours suivant cet évènement anodin. Tous les regards se sont figés sur moi, puis tout le monde s’est mis à chuchoter. Je me suis assise au côté de mon amie, en la questionnant du regard. « Tout le monde nous a vus, ils parlent tous de toi » qu’elle me dit. Panique générale, de la tête aux pieds, littéralement. « Qu’est qu’ils disent, pourquoi jugent-ils, est-ce que devrais-je me justifier? » Ma tête pensait trop fort, j’avais chaud, j’avais la nausée, je regrettais. Je suis allée à la salle de bain me rafraichir le visage, et c’est en voyant mon reflet dans le miroir que tous mes regrets, mes angoisses et ma honte se sont envolés. Je l’aimais cette fille-là, et j’allais le montrer à tout le monde, parce que les couples d’amis hétérosexuels avaient le droit, eux. À la pause de l’après-midi, un gars a ri quand je suis passée devant lui. Je me suis retournée vers lui et j’ai dit ces paroles qui sont aujourd’hui légendaires parmi mes proches : « Toi, ta vie amoureuse? Je te le demande parce que même si on ne s’est pratiquement jamais parlé, la mienne a l’air de beaucoup t’intéresser! » Le gars en question est resté sans le mot, et je suis partie sous les applaudissements de ses amis. Girl Power, je dirais.
Le lendemain midi, je me suis encore promenée main dans la main avec elle, et personne ne nous a même jeté un coup d’œil. C’est probablement parce qu’un autre évènement encore plus croustillant s’était produit dans la vie sociale étudiante, mais j’aime me dire que c’est parce qu’ils avaient compris. Oui, compris qu’une fille et un garçon amoureux d’une personne du même sexe, ça devrait juste être normal. J’entends encore des commentaires subtils de mes proches, et ma famille a encore parfois de la difficulté à accepter mon amoureuse, mais on n’en meurt pas, je vous le promets. Si vous êtes dans la même situation, petits ou grands, n’ayez pas honte de qui vous êtes. Je sais bien que je n’ai que 16 ans et que je ne suis pas une professionnelle en la matière, mais effectivement, il y a des cas où c’est plus difficile. Mais je crois fermement que peu importe ce qu’on est, hommes, femmes, non binaires, transsexuelles, queer, pansexuelles, etc., personne ne peut juger notre identité. C’est un énorme travail, accepter qui on est, je le sais. Mais il le faut, parce que si je ne m’accepte pas moi-même, alors qui le fera, dites-moi?
En discutant avec quelques-uns de mes enseignants, j’ai pu constater que la plupart d’entre eux avaient une grande indifférence au sujet de l’identité sexuelle de leurs élèves. Ils m’expliquaient qu’ils n’avaient jamais vu les performances académiques ou sportives de leurs élèves être influencées par leurs préférences en matière de genre. Par contre, chacun à leurs façons, ils portent une attention particulière aux termes et aux exemples qu’ils donnent devant les classes où il y a des membres de la communauté LGBTQ+. C’est déjà un bon début d’ouverture, mais je crois qu’on devrait modifier nos discours, peu importe les gens à qui on s’adresse. Parce qu’il y a plus de jeunes qui s’interrogent sur leur sexualité qu’on ne le croit et, comme adolescente qui a dû passer par ce chemin, le fait de rendre la chose normale nous donne le sentiment d’avoir le droit d’être qui nous sommes. Donc, si j’avais à m’adresser au personnel des écoles secondaires, je leur demanderais d’ouvrir leurs horizons et d’intégrer les jeunes qui ne se sentent pas à leur place dans la catégorie hétérosexuelle dans la vie étudiante et, qu’il ne suffit plus de seulement les défendre dans les cas d’homophobie.
En outre, faire son comingout au secondaire en 2019, ce n’est pas facile. Plus simple qu’il y a 10 ans, mais difficile tout de même. Il faut simplement normaliser la chose, parce que je vous jure qu’un élève hétérosexuel et un élève homosexuel ont exactement le même potentiel!
Première publication dans Éducation Canada, mai 2019
Cette édition du Magazine Éducation Canada semble instituer une tradition à la suite de la publication au printemps 2018 de notre numéro portant sur la Vérité et la réconciliation. Il appert que l’appel printanier et la conclusion d’une autre année scolaire appellent non seulement au renouvèlement, mais nous offrent aussi l’occasion d’inviter notre lectorat à porter un regard plus approfondi sur l’importante mission pédagogique de répondre au besoin de communautés d’apprenants qui souvent ne se reconnaissent pas dans les curriculums et les cultures académiques.
Voilà pourquoi ce dossier a été créé, afin que se fasse entendre la voix de jeunes membres de la communauté LGBTQ2+ ainsi celle de leurs parents qui sortent enfin de leur intimité pour que l’on comprenne mieux leurs défis, leurs aspirations et leurs réalités. Tout aussi essentielles, dans cet appel à une nécessaire réflexion pédagogique, sont les voix d’enseignantes et d’un jeune avocat qui se donnent pour mission d’appuyer « avec la plus grande bienveillance » ces jeunes élèves qui ne demandent rien d’autre que d’appartenir à la normalité.
Vous retrouverez donc dans ce dossier la voix de deux jeunes canadien(ne)s, Audrey-Maude et Frédérik qui offrent le plus intègrement possible, et cela dans leurs propres mots, un portrait de l’évolution de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. L’émouvant et généreux témoignage de Marie-Christine, la maman de Frede, une jeune personne courageusement non binaire et homosexuel(le), offrira l’occasion à tous les pédagogues de percevoir la complicité qu’ils partagent avec les parents lorsqu’ils appuient inconditionnellement tous leurs élèves.
À la suite de ces témoignages suivront les réponses de ces courageux contributeurs, ainsi que celles de Danis, une enseignante profondément dévouée à l’appui des jeunes élèves LGBTQ2+, en plus de celles de Frede, à un questionnaire qui avait pour but de leur donner l’occasion de répondre au questionnement de bien des enseignants concernant l’approche pédagogique requise afin d’appuyer ces élèves.
Finalement, ce dossier se conclura par un article d’Annie Côté, une enseignante chevronnée dont la contribution a été primordiale à la publication de ces précieux documents et celui de Jeremy, un jeune avocat qui partagera sobrement l’engagement et la mission qu’il s’est donnés avec ardeur de défendre les droits des jeunes personnes transgenres dans des systèmes judiciaires qui ne leur rendent décidément pas la vie facile.
À la suite de la lecture de ce dossier, aucun pédagogue ne portera plus le même regard sur ses/ces élèves, qui, après tout, ne sont pas des apprenants différents des autres, mais qui, en tenant compte de la nature de leurs défis, requièrent peut-être une certaine forme d’acceptation et d’appui qui tendent vers l’empathie, la solidarité et la bienveillance.
Première publication dans Éducation Canada, mai 2019
Photo: iStock
Marie-Christine décrit avec beaucoup d’émotion l’accompagnement et l’appui qu’elle a offerts à sa fille lors des différentes étapes de son cheminement vers sa présente identité de personne non binaire. Elle décrit généreusement comment un parent inquiet doit appuyer inconditionnellement son enfant, quelle que soit la situation.
Je me souviens encore du jour où, étant chez mes parents à la campagne par un beau dimanche matin, ma fille me demanda d’aller la rejoindre au sous-sol pour parler seule avec elle.
Je n’avais rien vu venir. Je m’étais questionnée à quelques reprises au sujet de ma fille, mais je me ressaisissais en me disant que je devais être normale et que tous les parents de la terre devaient se poser les mêmes questions au sujet de leur enfant à un moment ou un autre durant leur adolescence.
À 14 ans, Lara se vêtait de jeans, de t-shirts, d’une casquette et d’espadrilles. Les autres jeunes filles de son âge commençaient déjà à se vêtir de façon, disons, un peu plus provocante. L’une de ses amies, entre autres, venait chez moi, vêtue de shorts si courts, qu’on pouvait deviner le début de ses fesses. Et son t-shirt, pour sa part, laissait montrer amplement son ventre plat. Voyez le contraste avec ma fille…
Malgré tout, je ne m’en faisais pas trop. Ayant revu des photos de mon adolescence, j’ai repris connaissance avec une jeune fille qui n’était pas tellement féminine non plus à cette époque. Les talons hauts, le maquillage et les minijupes sont arrivés un peu plus tard. Telle mère telle fille que je me disais…
Il y a bien quelques jeunes hommes qui sont venus chez moi. Par contre, je me souviens que ma fille s’émoustillait beaucoup plus à la présence d’une de ses jolies copines. « Bah, Lara est TDAH, le contact avec les autres la stimule. » C’est le constat qui avait été fait par ses professeurs et les médecins qui la suivaient.
« Maman, j’aime mieux les filles, » me dit-elle en pleurant, avec la frousse mortelle dans ses yeux que je la rejette au plus vite. « Hein? Qu’est-ce que tu me dis-là, toi? » Le reste de ses propos ne sont plus très clairs pour moi. Il y a de cela quelques années, tout de même. Par contre, je me souviens du sentiment de culpabilité que j’ai connu à ce moment. « Comment ça se fait que je n’aie rien vu venir? C’est ma fille, et je n’ai rien vu venir! »
Quelques années plus tard, mon frère m’a confié s’être posé la même question lorsque son garçon lui a annoncé sa préférence pour les garçons. On a été fabriqué dans le même moule, c’est probablement ce qui explique cette même question…
Tout ça pour dire que je ne me suis jamais remise en question. Je veux dire que je ne me suis jamais questionnée à propos de son éducation, de ma façon d’être avec elle, ni même de ma propre identité, de mes gênes. Je me suis simplement sentie bête de ne pas avoir vu venir cette nouvelle…
Je me souviens encore de ce vendredi de novembre où, ma fille ayant alors 17 ans, me signifiait de venir la rejoindre, dans mon salon cette fois, parce qu’elle avait quelque chose d’important à me dire.
– Maman, je vais avoir besoin de ton appui.
– Bien sûr, ma chérie, pourquoi?
– Parce que je vais aussi avoir besoin d’un psy.
– Hein? Pourquoi un psy?
– Parce que je pense que je suis transgenre.
– Hein? Peux-tu me traduire ce mot?
Au cours de cette même année, la tuerie à la discothèque gaie à Orlando est advenue en Floride, et à l’acronyme LGBT, on voyait s’ajouter une nouvelle lettre chaque jour sur les réseaux sociaux à la suite de ces évènements. J’avais donc besoin d’éclaircissements…
« Je pense que je ne suis pas dans le bon corps, maman. Je pense que j’aimerais mieux être un garçon. J’ai regardé des vidéos sur YouTube, et je pourrais me faire transformer en garçon grâce à des interventions chirurgicales. »
Mon cœur a cessé de battre, j’en suis certaine. J’ai aussi cessé de respirer quelques secondes après avoir entendu ces mots sortir de la bouche de ma fille.
– Et comment sais-tu que c’est peut-être le cas?
– Eh ben, je regarde des transgenres sur YouTube, et ce qu’ils décrivent, ce qu’ils vivent, me rejoint. Je me reconnais dans leurs propos.
Lara en profite pour me dire qu’elle a même pensé à son prénom de garçon : Frédérick. Avant que je tombe enceinte, son père et moi avions décidé de nommer notre futur bébé Frédérique, si jamais il s’agissait d’une fille. L’idée fut oubliée rapidement, lorsque j’avais entendu une mère s’adresser à sa jeune fille en la nommant Fred. « Les gens vont nommer notre fille Fred », que je me suis dit. « C’est trop masculin. Oublions ça. » On l’a donc nommée Lara, en hommage à la belle Lara Fabian.
Ma fille connaissait bien cette histoire. Je crois qu’elle a voulu me prendre par les sentiments en choisissant Frédérick comme prénom.
Ai-je besoin de préciser que j’ai fondu en larmes? Je l’imaginais en train de se faire mutiler le corps à plusieurs reprises, sous les scalpels. Je l’imaginais en train de se transformer sous l’effet des hormones, je l’imaginais hésiter, souffrir psychologiquement. Je m’imaginais partager sa douleur, et l’accompagner, dans toutes les étapes.
Ma fille semblait sous être le charme du projet à venir. Elle ne voyait que le bon côté des choses. Son attitude m’inquiétait, je la trouvais naïve. Qui allait lui faire comprendre les enjeux? Et les risques?
Camille est la sexologue spécialisée en identités de genre que Lara rencontre virtuellement sur Skype depuis un certain temps. Elle m’informe que d’éclairer la décision de ma fille fait bien sûr partie de sa mission. Lors de notre première rencontre en personne, dans ses bureaux de Laval, elle en profite pour me féliciter de si bien appuyer ma fille.
« Vous savez Marie-Christine, il y a une loi au Québec qui donne le droit à un jeune de 14 ans de consulter un professionnel de la santé sans même que ses parents soient au courant. » Je le savais. Je m’en souvenais. « Et même si Lara a 17 ans, bientôt 18, nous faisons participer les parents comme vous, lorsqu’ils appuient leur enfant. Dans la communauté LGBT, le taux de suicide est 4 fois plus élevé que dans la communauté hétérosexuelle. Dans la majorité des cas, les causes de suicide sont liées au rejet des enfants par leurs parents. Alors, je tiens à vous féliciter d’être ici à Laval, en ce samedi matin avec votre fille. »
« Ben voyons, Camille, c’est mon enfant… C’est moi qui l’ai faite! Je fais “ma job de parent”, c’est tout! » Ce sur quoi elle me répond : « Vous seriez surprise de voir combien de parents refusent de se présenter dans mes bureaux pour accompagner leur jeune… » Incompréhension totale de ma part, à la suite de cette affirmation de la sexologue de ma fille… L’amour d’un parent pour son enfant, c’est inconditionnel, non? Du moins, c’est ce que je crois fermement.
Lara a poursuivi ses rencontres avec Camille. Elle a fait adopter doucement son nouveau prénom, Frede, par son entourage, ses amis, ses collègues, son employeur. Ce dernier, à la demande écrite de Camille, a modifié son prénom sur son épinglette au travail, et dans ses documents de paye.
Frede s’est aperçue que finalement, à la suite de ses réflexions, qu’elle n’était pas transgenre. Elle est plutôt non binaire. Selon elle, elle se trouve au centre. Elle est une personne, point! Elle ne s’identifie pas plus au genre féminin qu’au genre masculin. Le Frede avec un « e » à la fin représente les deux sexes pour elle. Fred, étant plutôt masculin, elle ajoute un « e » à la fin; ce prénom devient ainsi un peu plus féminin.
Frede vit encore des moments de questionnements. Elle rencontre virtuellement Camille au besoin. Cependant, il s’agit d’une jeune personne épanouie, qui s’assume et qui est bien dans son corps. Les gens l’adorent pour ça, je crois.
Pour ma part, ça n’a pas toujours été facile de comprendre ma fille. Mon amour et mon attirance pour les hommes furent très clairs, dès mon tout jeune âge. Pas de questionnement à ce sujet, pas de bouleversements.
Cependant, je ne me suis jamais demandé si cette situation dépendait de moi, de son éducation, de la séparation entre son père et moi, ou de quoi que ce soit d’autre. Il s’agit de ma fille, et quoiqu’elle fasse, quoi qu’elle devienne, quelle que soit son orientation, son identité, c’est ma fille, point! Rien ne changera jamais ça. Je suis fière d’elle, fière de ce qu’elle devient, de son assurance, point!
Et je l’aime inconditionnellement, point!
Première publication dans Éducation Canada, mai 2019
Frédérik décrit dans son article la transition difficile qu’il a connue dans son milieu scolaire comme un jeune homme transgenre. Il décrit dans ses propres mots le harcèlement et le peu d’appui qu’il a vécu à l’école et comment le curriculum n’est pas toujours très inclusif. Il lance un appel à l’appui de la part de tout le personnel enseignant pour les élèves LGBTQ2+.
Moi c’est Fred, j’ai 18 ans, je suis une personne dynamique, plutôt artistique et j’ai fait mes études en théâtre au cégep. J’ai commencé à me questionner au sujet de mon identité de genre en 3e secondaire, mais considérant la faible réceptivité au sujet de la chose par mon ancienne copine à l’époque, je n’ai fait mon comingout qu’à la fin de mon 4e secondaire. Je me suis alors tourné vers une enseignante de confiance, qui m’a recommandé de rencontrer l’infirmière de l’école. Celle-ci a répondu à plusieurs de mes questionnements et elle m’a accompagné au début de ma transition pour aller voir des spécialistes afin d’entamer mes démarches. J’ai ensuite vu une psychoéducatrice de l’école, avec qui j’ai discuté de mon désir de demander aux enseignants de m’interpeler par les bons pronoms masculins. Elle semblait assez peu ouverte à cette option et m’a dit qu’elle devait d’abord en discuter avec la directrice. Au début de l’année suivante, en 5e secondaire, j’ai tout de même rencontré chacun de mes enseignants avant les premiers cours pour leur demander s’ils accepteraient d’utiliser le pronom « il » pour me désigner et de m’appeler Fred. Ils ont tous été très réceptifs à cette demande. J’ai toutefois subi de la résistance de certains autres membres du personnel de l’école qui n’acceptaient pas très bien ma nouvelle identité de genre. On s’est parfois opposé à utiliser mon nom et des pronoms masculins, même si ce n’était pas approprié. On m’a même dit qu’on « se donnait le droit de m’appeler ainsi ». On m’a aussi refusé l’accès aux commodités réservées aux garçons, car on craignait la réaction de certains parents.
J’aurais vraiment préféré ne pas être considéré comme un cas problème; c’était bien suffisant d’en être déjà un pour moi-même! Moi qui m’attendais à ce que les adultes réagissent mieux que les élèves… je me trompais. Tout de même, ce n’était pas toujours facile de faire face à la réaction de certains élèves. Je recevais fréquemment des commentaires par la tête. Mais puisque je suis quelqu’un qui prend sa place et qui se fait remarquer, ça n’a été une surprise pour personne que je me présente aux élections du parlement étudiant. Cela a toutefois provoqué un certain montant de harcèlement : je me suis fait insulter pendant les débats et mes pancartes pour les élections ont été vandalisées : on avait remplacé le nom « Frédérik » par mon nom de naissance.
Ma transition a donc été assez difficile à l’école. J’aurais seulement voulu qu’on n’en fasse pas autant de cas et qu’on me laisse vivre en paix, pas qu’on me donne envie de cesser de vivre! J’aurais été heureux d’entendre : « Ah! c’est Fred maintenant? D’accord » au lieu de « Baisse tes pantalons, on va voir ce que tu es vraiment. »
Je crois aussi qu’il y a des lacunes dans les cours d’éducation sexuelle; on parle des ITSS, on parle de comment mettre un condom et ce qu’est une pilule contraceptive, mais pourquoi ne parle-t-on pas aussi au sujet de relations sexuelles sécuritaires pour les hommes gais? Pourquoi ne parle-t-on pas de la possibilité qu’une femme puisse attraper des ITSS avec une autre femme? On ne parle vraiment que de ce qui est hétéronormatif.
Je crois que le personnel scolaire devrait vraiment mettre la priorité sur la sécurité de tous leurs élèves, et non pas seulement se préoccuper de la réaction des parents. Il devrait savoir vers quelles ressources diriger les élèves membres de la communauté LGBTQ2+, puis bien nous appuyer, et non pas nous gérer comme le gros cas lourd de l’année. Apprenons enfin à parler de différences!
Première publication dans Éducation Canada, mai 2019
Photo : Sophie H.-Bienvenue
L’homosexualité et les personnes trans sont parmi les sujets qui génèrent le plus d’appréhensions chez les enseignants canadiens. Et pour cause! Même si le Canada fait relativement bonne figure à l’échelle internationale en matière de droits des personnes LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels et trans), les écoles demeurent l’un des principaux endroits où les jeunes LGBT apprennent leur différence. Bon an mal an, ces élèves rendent compte d’expériences scolaires ternies à différents degrés par un climat scolaire hostile où violences de genre, contenus d’apprentissage limités ou erronés et présomption d’hétérosexualité demeurent monnaie courante. Et au sein de ce climat toxique, les adultes hésitent à intervenir de manière explicite en leur faveur.
Qu’elles aient été menées à l’échelle provinciale ou fédérale, les enquêtes sur le climat scolaire rapportent que les expressions comme « c’est gai » continuent d’être utilisées à grande échelle, et leur impact largement banalisé. Les élèves LGB et trans, comme leurs pairs hétérosexuels et cisgenres1 quoiqu’à des proportions bien plus élevées, rapportent être les cibles de violences verbales, et parfois physiques, au sein de leur établissement scolaire. De plus, ils sont nombreux à dire s’abstenir de rapporter les violences dont ils sont victimes aux adultes responsables, d’une part parce qu’ils doutent de leur capacité à les aider, d’autre part parce qu’ils craignent les impacts d’une telle délation sur leur sécurité.
« Les contenus scolaires inscrits dans les programmes formels et déployés dans les manuels scolaires passent sous silence, sauf exception, les réalités des personnes LGBT, si ce n’est pour mentionner qu’elles existent et qu’elles possèdent des droits sous la juridiction canadienne. »
Il n’y a toutefois pas que par les violences qui s’y déploient que le milieu scolaire transmet des normes strictes relatives au genre et à l’orientation sexuelle. Les contenus scolaires inscrits dans les programmes formels et déployés dans les manuels scolaires passent sous silence, sauf exception, les réalités des personnes LGBT, si ce n’est pour mentionner qu’elles existent et qu’elles possèdent des droits sous la juridiction canadienne. Souvent implicitement, parfois explicitement, ces manuels réitèrent une normalité qui mettrait en scène des couples hétérosexuels, des familles avec un papa et une maman, et des personnes cisgenres. L’absence d’inclusion dans les représentations (sur le plan de l’ethnicité, des symboles religieux, des personnes dans des rôles de genre atypiques, des handicaps, etc.) qu’offrent les manuels scolaires canadiens a été décriée par plusieurs associations au cours des dernières décennies, mais il semble que les personnes LGBT en pâtissent davantage, dans la mesure où l’homosexualité, le lesbianisme, la bisexualité et le transgenrisme sont des caractéristiques d’emblée non visibles.
On pourrait penser que les cours d’éducation à la sexualité constituent une porte de sortie. Ils offrent, après tout, un contexte qui peut sembler propice à parler d’orientation sexuelle ou d’identité de genre. Loin de là, si l’on pose la question aux élèves LGBT. Si on parle effectivement de sexualité, c’est de la sexualité hétérosexuelle dont il est le plus souvent question, notamment à travers la reproduction. Surtout, la puberté et le développement identitaire à l’adolescence sont quant à eux évoqués, mais reconduisent plus souvent qu’autrement l’idée qu’il y a deux et seulement deux types de corps (féminin et masculin), et qu’on s’attend à ce que les personnes se développent en suivant des modèles de genre prédéfinis. Il va sans dire que ces savoirs sont désuets au regard du monde d’aujourd’hui, au sein duquel un nombre croissant de jeunes s’identifient autrement que comme hétérosexuels et remettent en question l’existence de deux seuls genres.
Les activités parascolaires, permettant aux élèves de socialiser entre eux dans un contexte qui n’est pas immédiatement scolaire, peuvent s’avérer plus ou moins inclusives pour les élèves LGBT ou issus de familles homoparentales, lesboparentales ou transparentales2. En effet, les bals, les activités visant à souligner la Saint-Valentin, la fête des Mères ou la fête des Pères, sont autant d’opportunités de souligner explicitement les différents types de couples et de familles. De même, l’existence de certaines structures comme les comités pour la diversité sexuelle ou gay-straight alliances, d’équipes féminines pour des sports « de contact » comme la lutte, ou d’équipes masculines pour des sports nécessitant grâce et discipline comme le ballet, « parle » aux élèves LGBT et favorise un questionnement concernant l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Elle leur envoie le message selon lequel ils importent aux yeux de leur institution scolaire. Tout comme peuvent le faire les formulaires administratifs offrant tantôt les options nécessaires, tantôt la neutralité désirée permettant aux élèves de rapporter adéquatement leur situation familiale, leur genre ou leur prénom et pronom désirés.
Avec les gains juridiques réalisés dans les dernières décennies pour les personnes gaies, lesbiennes et bisexuelles canadiennes – et malgré les avancées qui tardent pour les droits des personnes trans et LGBT réfugiées, notamment – on aurait pu croire que les écoles canadiennes s’adapteraient de manière à fournir des environnements d’apprentissage où il ferait bon apprendre, y compris pour les élèves LGBT. Or, près de quinze ans après le mariage entre conjoints de même sexe, les écoles ont bien peu changé. Qu’est-ce qui fait que si peu de choses bougent?
Les appréhensions des adultes travaillant en milieu scolaire qui souhaitent s’impliquer de près ou de loin dans la question sont d’au moins deux ordres.
Dans ce contexte, comment aller de l’avant? Plus de deux décennies de recherche en sciences sociales nous ont dressé un chemin relativement clair des initiatives à mettre en place pour favoriser un climat et une culture scolaire inclusive sur le plan de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre.
Parmi les pistes d’action ayant fait leur preuve, notons :
Aussi, et surtout, il faut travailler activement au relâchement des représentations de genre strictes qui veulent qu’il y ait de bonnes et de mauvaises façons d’être une fille et un garçon, et que cela inclut une nécessaire hétérosexualité. Finalement, ce sont les rapports de pouvoir qu’il faudrait mettre au centre des questionnements qui sont présentés aux élèves, afin qu’ils soient véritablement éduqués à vivre dans une société démocratique. L’école a un pouvoir de changement exponentiel; il est temps qu’elle l’utilise à bon escient pour mieux desservir ses élèves LGBT.
Télécharger la séance 2.3 : Vers un climat et une culture scolaire inclusive pour les élèves LGBT : pistes de réflexion pour les équipes-écoles
Première publication dans Éducation Canada, mai 2019
Notes
1 On définit comme cisgenre une personne dont l’identité de genre correspond au sexe qui lui a été assigné à la naissance; en d’autres termes, une personne non-trans.
2 Respectivement avec deux papas, deux mamans, ou avec un parent trans.
L’ouvrage de Michel Dorais et de Mathieu-Joël Gervais aborde le sujet de la diversité de genre sous l’angle délicat de la révélation d’agressions sexuelles subies par des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles ou transgenres (LGBT). La perspective des auteurs est celle des vulnérabilités vécues par ces personnes qui sortent du silence pour exposer ces agressions subies en lien avec leur identité sexuelle. L’importance de se pencher sur ce thème dans nos écoles semble fondamentale afin de le démystifier auprès des jeunes et de briser des barrières accentuées par des stéréotypes sexuels souvent issus d’incompréhensions.
Cette recherche permet de distinguer les orientations et les identités sexuelles des personnes LGBT sur le plan sémantique et de sensibiliser le lecteur aux différences de genre. Aussi, les auteurs proposent de regarder cette réalité de l’intérieur en focalisant sur la façon dont des personnes LGBT vivent après avoir levé le voile sur des abus, la façon dont elles composent avec la réaction des intervenants et des membres de leur communauté à la suite de leurs confidences et la façon dont les réactions des intervenants sont perçues.
Ce qui rend l’ouvrage d’autant plus intéressant, c’est qu’il rapporte des témoignages d’intervenants des organismes d’aide publics, parapublics ou communautaires qui reçoivent des personnes qui décident de rompre avec le silence. On y découvre non seulement les manières dont réagissent et collaborent ces intervenants, mais également des pistes d’intervention inspirantes et novatrices.
Un regard croisé entre les acteurs apporte des solutions à des questions très légitimes sur l’efficacité des interventions à répondre adéquatement à la souffrance des victimes et à leur différence.
Enfin, encore tabou et très sensible, ce sujet comporte de nombreuses dimensions qu’il est difficile d’aborder dans la société en général. Cet ouvrage permet d’ouvrir sur le cas des personnes LGBT et constitue un autre pas vers la démystification des questions y étant liées et des représentations que s’en font des intervenants impliqués.
Photo : Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, juin 2019
Presses de l’Université Laval, 2019 ISBN : 978-2-7637-4335-6
La Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais1 a comme première mission de lutter contre l’intimidation, la violence et la discrimination faites aux enfants en milieu scolaire au primaire et au secondaire. Le but de la Fondation est de favoriser la création de milieux bienveillants pour les élèves en soutenant et en organisant diverses initiatives qui visent une meilleure intervention auprès des victimes, des agresseurs et des témoins.
La réalité LGBT en milieu scolaire est donc très préoccupante pour notre Fondation. En effet, selon un sondage pancanadien de la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais, « Réalités LGBT », mené par la firme de sondage CROP en 20172, 13 % de la population canadienne appartiendrait aux communautés LGBT. 60 % des répondants LGBT ont admis avoir été victimes d’intimidation en milieu scolaire en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. 81 % des répondants ont dit avoir eu des sentiments dépressifs liés à leur orientation sexuelle ou à leur identité de genre dans leur vie.
Les recherches portant sur la violence en milieux éducatifs démontrent que plus de 80 % des violences sont des violences verbales. Parmi celles-ci, les insultes homophobes font encore partie, en 2019, des insultes les plus entendues à l’école. Pourtant, les lois sont claires au Canada : on ne peut pas discriminer quelqu’un en raison de son orientation sexuelle, de son identité de genre et de son expression de genre. 81 % des Canadiens se disent prêts à faire des efforts pour intégrer les personnes LGBT. Alors pourquoi les milieux éducatifs tardent-ils à assainir l’intimidation, les insultes et les violences homophobes et transphobes à l’école?
Pour prévenir et traiter la violence, il faut une volonté ferme et une mobilisation constante de tous. Dans le respect des rôles et des responsabilités de chacun, nous devons nous engager à agir concrètement pour assurer un climat scolaire positif, bienveillant et sécuritaire. La violence et l’intimidation homophobe et transphobe sont, entre autres, caractéristiques des problèmes relationnels auxquels il faut apporter des réponses relationnelles, notamment au moyen d’interventions éducatives visant le développement des compétences prosociales. Miser sur le développement d’un climat scolaire positif implique de choisir les interventions qui permettront à l’ensemble des jeunes d’apprendre à mieux vivre ensemble, aux auteurs de gestes de violence ou d’intimidation à mieux combler leurs besoins, aux élèves ciblés par ces gestes à mieux s’affirmer et aux jeunes témoins à développer leur sentiment de compassion envers l’autre. C’est ainsi que l’on construit une communauté bienveillante. Toutes ces compétences peuvent être acquises dans le cadre des apprentissages sociaux et émotionnels.
De plus en plus de recherches révèlent que les compétences sociales et émotionnelles jouent un rôle essentiel dans le fait d’être un bon élève, de devenir un citoyen responsable et de se faire une place dans le monde du travail. Ces études révèlent aussi que de nombreux comportements à risque (par exemple, l’usage de drogues, la violence, l’intimidation et le décrochage) peuvent être évités ou que les risques peuvent être réduits lorsqu’on vise le développement des compétences sociales et affectives des élèves de manière globale et à long terme3. Les apprentissages sociaux et émotionnels, développés au cours des dernières années dans le domaine de l’éducation, visent l’acquisition d’habiletés et de compétences qui prennent toute leur importance à l’école.
Pour changer la culture d’une école et être plus inclusifs, nous devons avant tout intégrer dans le curriculum des mesures éducatives et une éthique sociale correspondant à l’année d’enseignement.
En milieux éducatifs, nous devons cesser de parler de « LA » communauté LGBT et aborder le sujet en mettant plutôt l’accent sur « LES » communautés LGBT, car il s’agit de plusieurs communautés aux besoins spécifiques qui sont réunies sous un même acronyme. Ces réalités doivent faire partie de l’ensemble des diversités valorisées à l’école et ces valeurs doivent être intégrées dans le curriculum de l’école. On doit aborder la diversité sexuelle et de genre dans son ensemble et éviter les approches qui subdivisent et dans lesquelles on axe l’apprentissage avec des notions de « minorités sexuelles et de genres ». En appliquant ce principe de base, on comprend que tout le monde en fait partie. Il en est de même pour la diversité culturelle.
Un des grands constats d’échec dans la lutte contre l’homophobie et la transphobie à l’école est que les milieux éducatifs font appel massivement à des interventions spontanées (conférences, journées thématiques, etc.). La recherche a démontré que ces actions, pratiquées seules, ne font pas partie des bonnes pratiques. Pour changer la culture d’une école et être plus inclusifs, nous devons avant tout intégrer dans le curriculum des mesures éducatives et une éthique sociale correspondant à l’année d’enseignement.
Selon Robert Waldinger, psychiatre de l’université Harvard et quatrième directeur d’une étude longitudinale sur la santé et le bonheur chez l’être humain, qui a duré 75 ans, c’est la qualité des relations sociales qui nous rendrait heureux et pourrait même contribuer à nous garder en bonne santé. Être proche de sa famille, de ses amis et de sa communauté serait bon pour nous; ces connexions sociales contribueraient à une vie plus longue et saine. La solitude, quant à elle, tue. Être seul, isolé et ostracisé accélèrerait le vieillissement du cerveau; il dépérirait plus rapidement. Cette étude explique d’elle-même pourquoi 81 % des répondants du sondage « Réalités LGBT » ont admis avoir eu des sentiments dépressifs liés à leur orientation sexuelle ou à leur identité de genre.
En plus d’assurer des milieux sains, positifs et bienveillants pour les communautés LGBT, les milieux éducatifs doivent assurer un soutien psychologique aux jeunes issus de ces communautés, car l’expérience de l’exclusion sociale peut nuire au développement du cerveau et à la persévérance scolaire. Nous devons donc intégrer la notion de saines habitudes de vie émotionnelles et relationnelles à l’école. Les éducateurs doivent aussi pouvoir accompagner les jeunes et leurs parents vers les bonnes ressources lorsqu’ils en font la demande.
Une approche bien ancrée dans le curriculum de l’école qui intègre l’égalité entre les genres dès la petite enfance permettra aux écoles d’atteindre plus aisément leurs objectifs. Les jeunes issus des communautés LGBT sont souvent ostracisés, car leur expression de genre n’entre pas dans le cadre des normes sociales correspondant aux genres binaires (homme-femme). Les approches inclusives doivent intégrer des mesures éducatives pour briser les stéréotypes de genres et ainsi faire comprendre aux jeunes qu’une panoplie de choix s’offre à tous.
C’est en recueillant des témoignages très convaincants de jeunes victimes de violence et d’intimidation à l’école, en réalisant des ateliers d’animation pour les écoles, en produisant des sondages validés scientifiquement et en proposant des approches constructives et inclusives que l’équipe de la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais peut proposer des solutions efficaces et durables et faire des recommandations pertinentes pour une réelle inclusion de tous les élèves LGBT en milieu scolaire.
Illustration : iStock
Première publication dans Éducation Canada, juin 2019
En 2004, à la suite de son 37e Congrès, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) convoquait plusieurs acteurs des réseaux de l’éducation afin de faire le point sur le dossier de l’homophobie. Moins de deux ans plus tard, deux tables nationales de lutte contre l’homophobie étaient mises sur pied, une pour le réseau scolaire et une pour le réseau collégial.
Au fil des années, constatant que les enjeux concernant les jeunes LGBTQ+ étaient très semblables peu importe l’ordre d’enseignement, l’idée de fusionner les deux tables en une seule et même entité fait son chemin.
C’est ainsi qu’est née, en 2014, la Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation.
La Table nationale regroupe maintenant plus d’une trentaine d’organismes et d’acteurs issus des milieux de l’éducation : ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, organisations syndicales représentant le personnel enseignant, professionnel et de soutien, organisations patronales, associations de directions et de cadres, comités de parents et associations étudiantes des réseaux collégial et universitaire. On compte aussi le ministère de la Justice du Québec au sein de la Table.
La Table nationale s’est donné pour mission de favoriser la concertation entre les différents partenaires des réseaux de l’éducation. Elle voit à favoriser une meilleure compréhension des réalités des jeunes et des personnes issues de la diversité sexuelle (personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, etc.), de la pluralité des genres (personnes trans et non binaires) et de l’intersexuation (personnes intersexes1 et de la bispiritualité2). Elle tend à promouvoir des valeurs de respect, d’inclusion et d’acceptation.
De plus, elle fait la promotion de comportements contribuant à prévenir et à contrer les phénomènes d’intimidation, de violence, d’hétérosexisme3, de cissexisme4, de cyberintimidation, d’homophobie et de transphobie vécus par les jeunes et par le personnel en milieux scolaire, collégial et universitaire.
La Table nationale cible plusieurs objectifs, dont celui de sensibiliser l’ensemble des personnes du milieu de l’éducation à la présence et à l’accueil de la diversité sexuelle, de la pluralité des genres et de l’intersexuation, afin de lutter contre l’homophobie et la transphobie, puis contre leurs effets négatifs sur les jeunes et sur les membres du personnel.
Pour ce faire, elle invite tous les acteurs des milieux de l’éducation à poser des actions concrètes, notamment en incluant les réalités de la diversité sexuelle, de la pluralité des genres et de l’intersexuation ainsi que la problématique de l’homophobie et de la transphobie dans les préoccupations éducatives, tout au long du cheminement scolaire, collégial et universitaire des jeunes et des étudiants.
Elle agit aussi à titre consultatif auprès des autorités compétentes de différents ministères5 et du Bureau de lutte contre l’homophobie, par exemple.
Finalement, la Table veut faire connaitre les ressources disponibles en lien avec les différentes réalités vécues par les personnes de la diversité sexuelle, de la pluralité des genres et de l’intersexuation, notamment les recherches, les outils de promotion des bonnes pratiques, de prévention et d’intervention, les guides pédagogiques, les organismes communautaires d’aide aux personnes issues de ces différentes communautés, etc.
La Table a identifié divers moyens d’action afin de remplir sa mission. Elle invite les établissements d’enseignement des commissions scolaires, les établissements d’enseignement privés, les cégeps et les universités à tout mettre en œuvre pour créer et maintenir un environnement sûr et sécuritaire pour tous dans le but de lutter contre les préjugés, l’intimidation, la violence, l’homophobie et la transphobie.
Afin d’appuyer les établissements, elle leur fournit du matériel (affiches, dépliants, autocollants, etc.) pour l’organisation d’activités de sensibilisation sur les réalités des personnes issues des communautés LGBTQ+.
Elle souhaite aussi amener les établissements scolaires, collégiaux et universitaires à organiser des activités pour souligner la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie, qui se tient le 17 mai de chaque année.
Elle invite également les organismes membres de la Table nationale à planifier des formations qui sont offertes par diverses organisations comme l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), la Coalition des familles LGBT ou Enfants transgenres Canada.
La Table collabore enfin à des projets de recherche en permettant aux chercheurs de consulter le personnel et les jeunes des établissements d’enseignement de tous les ordres. À titre d’exemple, elle est partenaire du projet de recherche partenariale Savoirs sur l’inclusion et l’exclusion des personnes LGBTQ (SAVIE-LGBTQ) de la Chaire de recherche sur l’homophobie de l’UQAM.
La Table6 a organisé quatre colloques depuis sa création et elle produit de nombreux documents tels que des guides pour outiller le personnel. Le guide Mesures d’ouverture et de soutien envers les jeunes trans et les jeunes non binaires, destiné aux établissements d’enseignement, en est un bon exemple. D’ailleurs, un tout nouveau guide de soutien et d’inclusion des personnes trans et des personnes non binaires en milieu de travail, destiné aux employeurs et aux syndicats, sera disponible sous peu.
L’existence même de la Table et les actions entreprises par celle-ci sont la preuve indéniable que la concertation et le travail d’équipe constituent la clé du succès en matière de lutte à l’homophobie et la transphobie.
Illustration : Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation
Première publication dans Éducation Canada, juin 2019
1 Les personnes intersexes ont une somme de caractéristiques liées au sexe (chromosomiques, gonadiques, hormonales ou génitales), et ce, souvent dès la naissance, qui ne correspondent pas aux définitions médicales binaires des corps masculins ou féminins. Ces personnes sont pathologisées par la médecine et sont souvent soumises dès le plus jeune âge à des interventions non consenties, irréversibles et non cruciales au maintien de leur santé, visant à conformer leur corps aux modèles féminin ou masculin typiques. On les appelait autrefois hermaphrodites. Ce terme est maintenant souvent considéré comme péjoratif par les personnes concernées.
2 Terme englobant les identités gaies, lesbiennes, bisexuelles, trans et non binaires. Le terme a été adopté par les autochtones lors d’un rassemblement au début des années 1990.
3 Hétérosexisme : présomption que chaque personne est hétérosexuelle. L’hétérosexisme contribue à occulter les orientations sexuelles différentes de l’hétérosexualité et à affirmer qu’elle est la seule orientation qui soit valable.
4 Cissexisme : présomption que chaque personne est cisgenre. Le cissexisme contribue à occulter les autres identités de genre et à affirmer la seule binarité des genres comme étant valable.
5 Ministère de la Justice (2009). Politique québécoise de lutte contre l’homophobie. Gouvernement du Québec. Repéré le 10 avril 2019 à www.justice.gouv.qc.ca/fileadmin/user_upload/contenu/documents/Fr__francais_/centredoc/publications/ministere/politiques/homophobie.pdf. Ministère de la Famille (2015). Ensemble contre l’intimidation, une responsabilité partagée. Gouvernement du Québec. Repéré à mfa.gouv.qc.ca/fr/publication/documents/plan-action-intimidation-2015.pdf.
6 Pour en savoir davantage sur la Table nationale, nous vous invitons à parcourir son site Web.
Cette article présente une étude analysant le processus de transfert de connaissances autour des enjeux reliés au passage à la vie adulte des jeunes en difficulté, en particulier ceux qui ont connu une mesure de protection ou de réadaptation au cours de leur jeunesse, dont la construction identitaire des jeunes LGBTQ2+ et le vécu des adolescents des Premières Nations.
Rédigé sous la direction de Julie Marcotte, France Nadeau, Mathilde Turcotte et Annie Vaillancourt, l’ouvrage « Les paradoxes de la transition à la vie adulte. Perspectives croisées », publié aux Presses de l’Université Laval, réunit les actes de l’évènement « Paradoxes – Colloque sur la transition à la vie adulte » qui s’est tenu à Québec en novembre 2015. Lancé récemment à l’occasion de la 3e édition de l’évènement, cet ouvrage collectif, qui croise les points de vue de jeunes, de chercheurs et d’intervenants, s’inscrit dans une large démarche de production et de transfert de connaissances autour des enjeux reliés au passage à la vie adulte des jeunes en difficulté, en particulier ceux qui ont connu une mesure de protection ou de réadaptation au cours de leur jeunesse.
La première partie s’intéresse au regard des jeunes par le biais de témoignages et du compte rendu de démarches de recherche-action, de recherche qualitative ou d’interventions de groupe ayant misé sur divers médiums artistiques pour soutenir leur prise de parole. La deuxième partie expose divers points de vue sur les stratégies d’intervention déployées auprès des jeunes en difficulté, dont les jeunes parents et les jeunes suivis par la protection judiciaire. La troisième partie relate les résultats de recherches ayant porté sur la violence dans les relations amoureuses, la place du soutien social dans la vie de jeunes femmes placées, les facteurs associés au désistement de la délinquance, la construction identitaire des jeunes LGB (lesbiennes, gais ou bisexuels) et le vécu des adolescents des Premières Nations.
Bien que le propos ne concerne pas directement le milieu scolaire, la plupart des expériences et des recherches rapportées se sont déroulées au sein d’institutions académiques ou documentent des enjeux qui impactent de manière considérable l’expérience et le parcours scolaires des jeunes. En outre, plusieurs des projets d’intervention décrits et des pistes d’action évoquées dans ces actes de colloque pourront constituer des sources d’inspiration intéressantes pour les acteurs du milieu scolaire en vue de mieux accompagner les jeunes qui font face à différents défis au cours de leur adolescence et de leur passage à la vie adulte, entre autres sur des questions reliées à l’identité et aux rapports de genre.
Première publication dans Éducation Canada, mai 2019
ISBN : 978-2-7637-4014-0
L’auteur de cet article dresse un sombre tableau en ce qui concerne les lois portant sur la reconnaissance officielle de l’identité de genre des jeunes personnes trans. Il présente les limites, si ce n’est les préjudices et l’intimidation, ainsi que l’impact que ces situations ont sur les personnes trans. Il lance un appel pour le soutien honnête de la justice, des parents et du milieu scolaire afin qu’ils soutiennent ces jeunes dans leur développement, sans quoi leur santé physique et mentale peuvent littéralement être mises en péril.
Les personnes trans, y compris les jeunes, vivent de nombreuses difficultés au quotidien qui découlent entre autres de la divergence entre leur identité de genre et leurs documents officiels. Il suffit de penser à un jeune qui se présente socialement comme un garçon, mais qui, lors de la première journée de cours, se fait désigner par son nom légal féminin par l’enseignant qui se réfère à sa liste de classe officielle. Une partie fondamentalement privée de la vie de cet élève est alors révélée à sa classe, avec toutes les railleries et l’intimidation qui peuvent en découler. Cette révélation n’est du reste pas limitée à l’école : elle survient sans cesse dans le réseau de la santé, dans les activités parascolaires, au service de garde, bref dans toutes les sphères sociales où le jeune évolue.
Il n’est donc pas surprenant que plusieurs personnes trans tentent de changer le nom et la mention de sexe inscrits sur leurs documents officiels, et à priori, leur certificat de naissance. Or, pour certains groupes de personnes trans, dont les non-citoyens, ces changements sont tout simplement interdits par le Code civil du Québec. Pour d’autres groupes, le Code civilimpose des exigences qui sont tellement restrictives qu’elles rendent ces changements illusoires. C’est le cas pour de nombreux jeunes trans de 14 à 17 ans.
En effet, si depuis 2016 ces jeunes trans ont le droit d’obtenir un changement de nom et de mention de sexe auprès du Directeur de l’État civil, le Code civil assujettit l’exercice de ce droit à certaines conditions : le changement de nom est entre autres conditionnel à l’obtention par le jeune du consentement de ses parents, à moins d’un « motif impérieux », et le changement de mention de sexe est conditionnel à l’obtention d’une lettre d’un médecin, d’un psychologue, d’un psychiatre, d’un sexologue ou d’un travailleur social qui atteste que ce changement est « approprié ».
Ces conditions et plusieurs autres sont contestées dans le cadre d’un recours qui a été entendu en janvier et février 2019 par la Cour supérieure du Québec, dont le jugement devrait être rendu d’ici la fin 2019. Le motif principal de cette contestation est que les conditions visées imposent des barrières injustifiées et inconstitutionnelles au changement de nom et de mention de sexe, lesquelles prolongent et perpétuent le préjudice vécu au quotidien par les personnes trans, y compris les jeunes.
Au cours du procès, plus d’une dizaine de personnes trans et presque autant d’experts sont venus témoigner sur ce préjudice, dont plusieurs sur la situation des jeunes trans. Une conclusion unanime s’en dégage : le soutien des parents et de l’entourage des jeunes transest l’aspect le plus crucial de leur développement.
Les statistiques sont troublantes : selon les experts entendus au procès, les jeunes trans qui n’ont pas de soutien parental présentent un risque d’idéations suicidaires, de tentatives de suicide et de suicide de quatre à quatorze fois plus élevé que leurs pairs. À l’inverse, les jeunes trans qui bénéficient d’un soutien non-équivoque présentent généralement un développement similaire à leurs pairs cisgenres. Malheureusement, ce sont près de 70 % des jeunes LGBTQ2+ qui sont rejetés par leur famille en raison de leur identité de genre.
L’école, qui est un milieu crucial dans le développement des jeunes, est malheureusement trop souvent le théâtre d’un manque de soutien flagrant. Selon les experts entendus au procès, près de 90 % des jeunes trans entendent régulièrement des propos transphobes à l’école, dont 23 % de la part du personnel scolaire. 78 % des jeunes trans ne s’y sentent pas en sécurité et 37 % y ont été la cible de menaces ou d’agressions physiques. Dans 15 % des cas, les jeunes trans ont dû quitter leur établissement scolaire pour ces motifs.
Ces constats mettent en lumière l’effet préjudiciable des conditions imposées aux jeunes transpour changer de nom et de mention de sexe sur leur certificat de naissance. Par exemple, demander à un jeune qui ne bénéficie pas du soutien de ses parents d’obtenir leur consentement pour changer de prénom revient à rendre illusoire ce changement, puisque le consentement sera rarement obtenu dans une telle situation. Or, sans ce changement, le jeune continue d’être exposé à la même transphobie au quotidien.
Mais au-delà de leur impact juridique, ces constats sont aussi pertinents pour les acteurs du milieu de l’éducation, dont le soutien peut véritablement faire la différence dans la vie des jeunes trans. D’ailleurs, certains établissements et commissions scolaires ont adopté des politiques qui vont en ce sens. Par exemple, les Lignes directrices relatives aux élèves transgenres de la Commission scolaire de Montréal, lorsqu’elles sont appliquées, permettent de respecter autant que possible l’affirmation de l’identité de genre des jeunes trans.
Il convient aussi de noter que le soutien à accorder au jeune trans ne devrait pas varier selon son âge. Contrairement à l’idée répandue selon laquelle l’affirmation d’un jeune trans n’est souvent qu’une « phase », tous les experts s’entendaient au procès pour dire que le développement de l’identité de genre des jeunes trans est identique à celui de leurs pairs, c’est-à-dire que leur identité se développe dès deux ou trois ans, puis se stabilise dès cinq ou six ans et au plus tard à la puberté.
En définitive, malgré les préjugés et les stéréotypes reliés à l’affirmation de l’identité de genre d’un jeune trans, la posture logique à adopter est toujours de soutenir ce jeune dans son développement, sans quoi sa santé physique et mentale peuvent littéralement être mises en péril.
Collage : Sophie H.-Bienvenue
Première publication dans Éducation Canada, mai 2019
Bien que la société canadienne soit de plus en plus diversifiée et inclusive, une certaine résistance subsiste lorsqu’il s’agit de soutenir les jeunes lesbiennes, gais, bisexuels, trans, queer et bispirituels (LGBTQ2) dans les écoles. Alors que des recherches récentes indiquent que la grande majorité des enseignants canadiens (85 %) souhaitent sensibiliser leurs élèves à la réalité LGBTQ2, bon nombre d’entre eux ne croient pas encore posséder les connaissances ou la formation nécessaires pour faire de l’école un endroit plus sûr et plus inclusif pour les jeunes LGBTQ2.
La visibilité, c’est important. Pour se sentir bienvenus et inclus, les élèves LGBTQ2 ont besoin de se voir représentés dans leurs manuels scolaires, dans les salles de classe et sur les murs de leur école. Si cela est approprié, incluez le sujet de l’orientation sexuelle, de l’identité sexuelle et de l’expression de genre dans les discussions en classe, les plans de leçon, les objectifs pédagogiques et les collections de la bibliothèque.
Les enseignants peuvent s’avérer une bouée de sauvetage pour les jeunes LGBTQ2 en diminuant leur risque de faire l’objet d’intimidation, de discrimination ou de violence, et en les aidant à développer la résilience nécessaire pour surmonter l’adversité. Le personnel peut se porter volontaire pour servir comme personne-ressource à l’école, en offrant un soutien précieux aux élèves et aux familles LGBTQ2.
Les conseils/commissions scolaires qui adoptent des politiques LGBTQ2 donnent des directives claires en plus d’autoriser le personnel à respecter leurs obligations juridiques tout en devenant proactifs dans la création de milieux de travail et d’apprentissage respectueux, accueillants, inclusifs et sûrs. Ces politiques doivent être soutenues par un développement professionnel de haute qualité et des plans de mise en œuvre robustes.
Les alliances gai-hétéro (AGH) aident à briser le silence de l’inaction ou de l’indifférence qui entoure encore les identités LGBTQ2. Au vu des avantages que procurent les AGH pour l’éducation, la santé et la sécurité des élèves, l’Alberta, l’Ontario et le Manitoba ont adopté des lois qui appuient leur présence dans les écoles. Pour montrer qu’ils sont des alliés, les enseignants peuvent devenir mentors des AGH et apposer des autocollants ou des affiches. L’installation de toilettes universelles et la mise à jour de formulaires, de sites Web et de communiqués reflétant une meilleure inclusion des genres témoignent du fait que le genre existe sur un continuum, et non en tant que binarité homme/femme. Les enseignants ont la responsabilité de combattre l’intimidation et les injures homophobes ou transphobes chaque fois qu’ils en sont témoins. Les soirées d’information LGBTQ2 à l’intention des familles permettent également de dissiper les mythes et les stéréotypes négatifs tout en favorisant une prise de conscience.
Ces actions combinées représentent un premier pas important pour les membres de la communauté scolaire, notamment les enseignants, les administrateurs, le personnel, les élèves et les familles, dans l’établissement d’écoles plus sûres et plus inclusives pour tous les élèves, peu importe la façon dont ils s’identifient.
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À noter : Cette fiche est conforme à la nouvelle orthographe. Le générique masculin est utilisé sans discrimination et uniquement dans le but d’alléger le texte.
Il n’existe aucune recette sur l’art d’être parent. Pourtant, il s’agit parfois du rôle le plus important d’une vie : l’influence que nous exerçons auprès de nos enfants dans l’éducation et les valeurs transmises contribue de façon significative à façonner leur personnalité. C’est la raison pour laquelle la voie des parents est fondamentale en éducation. Chaque parent souhaite lancer ce cri du cœur au personnel de l’école : « Aide-moi à t’aider. Je connais mon enfant mieux que quiconque! ».
Le parent constitue le meilleur partenaire de l’école. C’est un allié. Savoir communiquer avec les parents est donc une compétence incontournable en milieu scolaire, comme en témoigne l’enseignante Karine Mackay. Pour sa part, Marie-Andrée Pelletier se questionne sur la préparation des futurs enseignants qui ont à faire face à « un spectre assez large de réactions possibles lorsqu’il communique avec les parents à propos de sujets délicats ». De leur côté, certains parents peuvent parfois trouver intimidant d’être en présence de spécialistes de l’éducation, notamment lors des plans d’intervention d’élèves à besoins particuliers. Comme le précise Jocelyne Chevrier, pour le parent, cette rencontre risque d’être empreinte d’émotion et de questionnement; elle propose donc tant aux enseignants qu’aux parents une façon de bien s’y préparer.
Indiscutablement, la voie des parents doit être prise en compte dans toutes les instances consultatives ou décisionnelles, qu’il s’agisse de l’école ou de la commission scolaire.
Dans une époque où le numérique est de plus en plus présent en contexte éducatif, les parents souhaitent être informés des avancées de la recherche. Je vous invite tous à prendre connaissance de l’article de Thierry Karsenti et Julien Bugmann concernant la présence des robots humanoïdes à l’école. De nombreuses initiatives novatrices se vivent actuellement tant au primaire qu’au secondaire afin de bien préparer les jeunes à ce nouvel univers du numérique qui les fascine tant! Il ne s’agit pas uniquement des élèves du régulier, mais également de ceux qui éprouvent des difficultés d’apprentissage ou ont le spectre de l’autisme. Ces expériences remportent un véritable succès auprès d’eux, car c’est dans ce nouvel univers du numérique qu’ils évolueront au quotidien, dans un avenir pas si lointain… Après tout, on n’arrête pas le progrès!
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Photo : Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, décembre 2017
Le Canada est reconnu comme un terre d’accueil dynamique où il fait bon vivre. Le gouvernement canadien a décidé d’accueillir plus de 40 000 réfugiés syriens[1]. La peur de l’autre, de la différence, de ce qui est étranger, nous semble à première vue moins problématique qu’aux États-Unis ou en Europe. Mais, même si la volonté d’intégrer les nouveaux immigrants est bien présente, tout ne va pas de soi.
Malgré les nombreux efforts et le travail acharné des enseignants de classes d’accueil et de francisation, le problème d’intégration demeure toujours préoccupant. Pour Caroline Proulx-Trottier (p. 38), le défi est de taille : « La classe d’accueil doit quotidiennement relever le défi de franciser et d’intégrer des enfants venant de tous les coins du monde dans des délais très courts et des conditions pas toujours idéales. Il faut aussi prendre en compte que les enfants sont souvent anxieux et déstabilisés d’être scolarisés dans une langue et un pays inconnus ». La formation des enseignants devient alors une priorité car, trop souvent, ceux-ci se sentent démunis pour affronter les difficultés inhérentes à l’arrivée massive et récente de tous ces réfugiés, déjà traumatisés par les guerres et les violences de leur pays d’origine. Leur vécu est si différent de celui des élèves de la société d’accueil! À ce titre, la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (p. 31) constitue une référence intéressante pour l’intégration de ses élèves. En 2016, Éducation Internationale lui a d’ailleurs décerné le Prix d’internationalisation pour son référentiel d’accompagnement du Vivre-ensemble en français.
Je vous invite à lire entre autres deux articles : le témoignage d’Elourdes Pierre (p. 33) , une Haïtienne au parcours de vie édifiant et admirable et l’article de Lilyane Rachédi et Béatrice Halsouet (p. 28) concernant la création d’une bibliothèque vivante avec de jeunes Syriens afin de dégager un espace d’échanges et de dialogue à l’école. Le simple fait de raconter leur histoire familiale de migration est libérateur. Précipités dans un nouveau milieu qu’ils doivent apprivoiser et avec lequel ils ne sont pas familiers, ces élèves immigrants sont confrontés à une nouvelle réalité. Cet espace d’expression contribue ainsi à leur adaptation à un nouvel environnement, à leur construction identitaire, à une meilleure intégration et à la réussite de leurs apprentissages linguistiques et scolaires.
Photo : Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, mars 2017
NOTE
[1] http://www.cic.gc.ca/francais/refugies/bienvenue/
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