identité de genre et éducation sexuelle

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10 questions-réponses

1. Comment devrait-on encourager une culture scolaire qui respecte également l’identité de genre et l’orientation sexuelle de tous les élèves en mettant l’accent sur l

Audrey-Maude :

Je ne pense pas que l’équité soit le terme approprié au besoin de notre communauté. Pour moi, l’équité, c’est offrir le même service à tous, pourtant je ne crois pas que ce soit exactement une lacune dans notre système scolaire. Bien évidemment, il est primordial pour les élèves ayant des difficultés d’avoir de l’aide d’intervenants. Par contre, j’ai l’impression qu’encadrer ces individus en particulier automatiquement serait de considérer leurs identités comme un problème qu’il faut résoudre. Je crois que notre besoin n’est pas nécessairement d’être aidés, mais bien d’être une normalité.

Frédérik :

La présence d’intervenants dans chaque école serait un bon moyen de subvenir aux besoins de tous les élèves dans leurs différents cheminements et questionnements. Appuyer les jeunes sans agir comme si ça brimerait les autres élèves serait également une approche très facilitante.

Danis :

Depuis l’année dernière, j’accompagne un élève dans sa démarche de changement de sexe. Accompagner est un bien grand mot; en réalité, j’ai tout d’abord recherché des ressources afin de mieux pouvoir l’appuyer, car les écoles primaires ne sont pas très outillées pour ce genre de situation. Ce que j’ai bien vite compris, c’est qu’en fait, ce sont les adultes qui ne sont pas bien préparés à faire face à ces circonstances.

Le jeune élève concerné a 14 ans et il est en 8e année cette année. Après avoir informé ses parents, rencontré la direction, les psychologues, les intervenants/tes scolaires, certaines dispositions ont été prises afin de faire les changements requis à l’école. Cet élève a d’abord changé de nom puisque son nom de naissance était Julie, et qu’il s’appelle maintenant Julien. (NDLR : le nom de l’élève a été modifié afin de conserver son anonymat.) Tous les documents officiels au niveau de la province ont été changés. Sur le plan physique à l’école, deux salles de bain sont devenues unisexes, afin que Julien puisse se sentir à l’aise.

Je crois que ce qui m’a le plus impressionnée, c’est comment les élèves et ses amis ont réagi à son changement d’identité de genre. En fait, il n’y a vraiment pas eu de réactions de leur part. Du jour au lendemain, il a changé de nom et les élèves l’ont immédiatement accepté comme il est. À quelques reprises, moi je me trompe encore et je l’appelle Julie; je m’excuse toujours, mais Julien comprend très bien la situation. Il accepte avec tolérance que les adultes fassent encore, à l’occasion, des erreurs.

À l’école, ceux qui ont le plus de difficultés avec cette situation, ce sont certains enseignants; ceux qui, en réalité, ne le côtoient pas nécessairement. Ils craignent la réaction de leurs élèves. Mais ces craintes ne sont pas fondées, car les élèves acceptent très bien Julien. Parfois, nous, les adultes, nous cassons la tête pour rien. Les jeunes ont une ouverture d’esprit beaucoup plus réceptive que la nôtre; ils sont en réalité beaucoup plus tolérants.

J’ai mentionné plus tôt que j’accompagne Julien. Je devrais plutôt dire : « J’accepte Julien dans sa démarche, dans son vouloir de changer de sexe. » Qui sait, peut-être que dans cinq ans, Julien redeviendra une fille? Mais je le répète : ce sont les adultes qui ont des problèmes avec cette situation-là, pas les enfants. Je crois qu’il est très important d’en parler et d’aider les jeunes élèves transgenres à éprouver un sentiment d’appartenance. Je crois que Julien s’est senti assez à l’aise de communiquer avec les adultes qui lui offrent leur confiance et avec qui il sent qu’il peut partager ce qu’il vit. Je crois sincèrement que si un élève transgenre peut retrouver un adulte dans une école avec qui il peut créer un lien d’acceptation et de confiance, c’est à peu près la chose la plus importante pour cet élève.

 

2. Pouvez-vous expliquer, selon votre expérience, les trois meilleures pratiques que l’on devrait retrouver dans les écoles afin de mieux vous appuyer?

Audrey-Maude :

Premièrement, malgré que les différentes identités sexuelles soient relativement bien abordées par le personnel enseignant, j’aurais eu besoin que mes professeurs en parlent. J’ai dû faire mes recherches seules, et je n’ai pas pu m’identifier dans mes cours. Ça peut sembler banal, mais lorsqu’on parle de sexualité, on parle d’hétérosexualité. On ne donne pas l’occasion aux élèves de se questionner. On nous met dans une case, on a le droit d’en sortir, mais à ce moment-là, on sera considérés comme « différents ». Deuxièmement, j’aurais aimé que l’école, à la place de miser sur l’acceptation, mise sur la normalité. Parce que, même si le plus important, c’est d’être bien avec l’étiquette qu’on s’appose, si nos pairs ne nous considèrent pas comme un des leurs, notre confiance en soi se cache derrière l’imagine falsifiée de ce qu’ils attendent de nous. Troisièmement, on ressent la pression de s’afficher dès qu’on se questionne. Certains feront leur « comingout » dans la quarantaine parce que c’est seulement à ce moment-là qu’ils seront près, et c’est parfait comme ça. Respecter ses limites et ses choix, c’est la base de l’acceptation.

Frédérik :

Tout d’abord, écouter les jeunes et leurs besoins, ensuite les aider dans leur cheminement personnel si possible, et les appuyer le mieux possible si besoin est.

Frede :

Il devrait y avoir des psychologues ou des travailleurs sociaux dans toutes les écoles.

3. Est-ce que les programmes d’éducation sexuelle suffisent pour appuyer le parcours des élèves qui se retrouvent dans le continuum LGBTQ2+ (ou Mogai)? À quel niveau devrait-on inclure cet apprentissage identitaire?

Audrey-Maude :

Je ne crois pas. Selon ma perception, le programme d’éducation sexuelle n’a pas évolué. Les cours sont axés sur la sexualité hétérosexuelle, pourtant il y a tellement d’avenues différentes. Ces cours devraient donner le droit aux élèves de se questionner, sans toutefois se sentir exclus de la « normalité ».

Frédérik :

Les programmes d’éducation sexuelle n’en parlent pratiquement pas, et c’est justement à ce niveau qu’il serait bien de sensibiliser les jeunes, autant ceux qui se questionnent que les autres qui, au lieu d’humilier ces derniers, les soutiendraient plutôt.

Frede :

Je ne pense pas. Ces programmes visent surtout les relations sexuelles hétérosexuelles. Une jeune personne homosexuelle peut donc ne pas se sentir visé(e) et continuera à avoir de multiples questions, par exemple, en ce qui concerne la protection contre les ITSS. Pour ce qui est du niveau scolaire, je dirais que ce devrait être en deuxième secondaire, au minimum, puisque c’est en plein l’âge de la puberté et au moment où se manifeste intensément la curiosité sexuelle.

Danis :

En ce qui concerne le curriculum, ou les cours de sexualité, je crois que des thèmes tels que les relations amoureuses et les changements physiques à la puberté sont des sujets qui devraient être abordés. Dans mon école, on n’offre pas de cours de sexualité comme c’est le cas au Québec.

4. Comment pourraient-iels mieux se reconnaitre dans le curriculum et les programmes d’études?

Audrey-Maude :

Ça peut paraitre futile, mais les mises en contexte à but éducatif dans différents cours sont, encore une fois, basées sur l’hétérosexualité. Sans avoir un cours complet sur l’homosexualité et le spectre du genre, l’intégrer dans les matières de base pourrait être intéressant, surtout pour diviser l’acceptation et l’abolition de la normalité.

Frede :

Je dirais qu’il serait bien d’avoir plus de clubs LGBTQ2+, sur l’heure de lunch ou après l’école, c’est là que les élèves se sentiraient mieux dans leur peau.

5. Devrait-on plutôt mettre l’accent sur les orientations romantiques, les identités de genres ou les orientations sexuelles? Toutes les trois? Autres choses?

Audrey-Maude :

Toutes les trois, sans exception.

Frédérik :

Expliquer la différence entre les trois serait important selon moi, car c’est en partie ce qui manque dans la compréhension des gens.

Frede :

On devrait mettre l’accent sur les 3; il n’y a pas d’orientation ou d’identité plus importante qu’une autre. Chaque personne est valide.

6. On parle beaucoup des « problèmes» des élèves qui se retrouvent dans le continuum LGBTQ2+ (ou Mogai). Pouvez-vous expliquer quelles émotions vous avez vécues ou vivez-vous afin qu’on cesse enfin de parler de « problèmes », mais plutôt qu’on puisse mieux vous comprendre?

Audrey-Maude :

Personnellement, je n’ai pas tellement eu de problèmes à ce niveau-là, probablement parce que j’ai attendu d’être totalement prête avant d’en parler. Mais selon moi, ce ne sont pas des problèmes, mais des conséquences à s’assumer, à être différents des gens ignorants.

Frédérik :

J’ai vécu beaucoup de répression. Les gens ne devraient pas nous traiter comme si on était une catégorie à part, comme si on était des cas difficiles à comprendre. Nous nous faisons insulter et invalider à tour de bras.

Frede :

En effet, on entend souvent dire que si vous avez des problèmes avec votre identité ou votre orientation, il faut en parler avec quelqu’un. Je crois que c’est difficile de trouver de l’appui, surtout à l’adolescence. Ce devrait être le rôle des enseignants de proposer des centres LGBTQ2+, des lignes téléphoniques d’appui, ou des associations comme GRIS.

7. Comment ces élèves veulent-iels être identifié(e)s?

Audrey-Maude :

Cela dépend de chaque personne. Mais il ne faut pas être intimidé de le demander, au contraire, ça démontre une grande ouverture d’esprit.

Frédérik :

Par les pronoms qu’iels préfèrent, tout simplement.

Frede :

Être identifié comme ils se sentent mentalement et non ce qu’ils présentent physiquement. Un homme trans* est un homme avec un corps de femme, mais il va s’identifier comme un homme, et c’est la même chose pour une femme trans*.

8. Pouvez-vous donner un exemple d’un bon allié que vous avez connu dans votre parcours identitaire, à la maison, dans la communauté et à l’école? Comment cette personne vous a-t-elle appuyé(e)?

Audrey-Maude :

Dans ce processus-là, ma meilleure alliée aura été ma propre personne. Quand j’en ai parlé, j’étais tellement convaincue de qui j’étais que plus rien ne pouvait me faire douter. Ça crée une carapace contre les commentaires intolérants. J’ai été capable de me soutenir seule, parce que j’avais réalisé bien avant de le dire que ce n’était rien de grave, qu’il ne s’agissait que de mon identité.

Frede :

À l’école, mes professeurs étaient là pour moi, ils étaient très compréhensifs. À la maison, ma mère est très présente et je souhaite cette présence parentale à tous les jeunes qui vivent une période de recherche de leur orientation ou de leur identité de genre. Ma mère m’a accompagné dans mes premières rencontres avec ma psychothérapeute, il y a deux ans. Je la vois encore aujourd’hui et ma mère me demande toujours comment vont les choses avec elle.

9. Quels ont été les plus grands obstacles à votre évolution identitaire?

Audrey-Maude :

Le processus avant « comingout », parce que la personne la plus difficile à convaincre, celle avec qui il y a le plus de déni et d’incompréhension, c’est nous-mêmes.

Frédérik :

« La lourdeur émotionnelle que représente la transition rend le tout assez difficile à gérer pour un jeune », je dirais.

Frede :

Je pense que c’est la peur du jugement par les autres. La peur du rejet et de perdre les gens que j’aime.

10. Dans vos propres mots, quel message aimeriez-vous faire passer à tous les enseignants canadiens?

Audrey-Maude :

Durant vos cours, tenez pour acquis qu’au moins un élève dans votre classe à une identité qui diffère de la normalité imposée par la société. Ça vous encouragera à diversifier vos discussions, à ouvrir la discussion et à éviter les commentaires involontaires qui peuvent souvent blesser.

Frédérik :

Écoutez-nous, ne nous invalidez pas. Ne nous banalisez pas. Mais laissez-nous vivre sans nous faire ressentir que nous sommes une tâche lourde à porter sur VOS épaules.

Frede :

Peu importe comment se sent un élève, ou quelle est son orientation ou son identité, ça ne change pas qui est cette personne. L’être humain cherche juste à être bien avec lui-même et il devrait avoir de l’appui, surtout provenant d’un autre être humain avec qui il passe de nombreuses heures par semaine.

Danis :

La chose la plus importante en ce qui concerne l’attitude des enseignants, c’est d’avoir une ouverture d’esprit, et de ne pas craindre de chercher de l’appui. Même si on ne comprend pas très bien la situation, que ça heurte nos valeurs ou que ça nous trouble un peu, ces élèves méritent que nous, comme pédagogues, nous les accompagnions. Il vaut vraiment la peine d’être à leur écoute. Ce qui compte avant tout pour nous, c’est de contribuer à les rendre à l’aise et heureux dans leur choix de vie.

 

Première publication dans Éducation Canada, mai 2019

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Audrey-maude Jalbert

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« Je m’appelle Frédérik Belley et j’ai 18 ans. J’ai grandi à Sainte-Brigitte-de-Laval au Québec. Je suis un passionné d’arts de tous genres; le cinéma, la musique, le ...

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