Questions de genre
« Et surtout, la plus grande bienveillance »
Annie Côté nous amène à réfléchir dans cet article au sujet de notre questionnement concernant l’approche que doit prendre les enseignants afin d’appuyer les jeunes LGBTQ2+. Elle considère que la seule réponse possible à ce questionnement se retrouve dans une pédagogie ancrée dans la normalité, le respect, l’attention, l’écoute, l’appui, et surtout, la plus grande bienveillance.
Il y a quelque temps, on m’a posé des questions d’entrevue pour cette édition portant sur l’identité de genre. Je les lis et les relis et n’arrive pas à y répondre. Je ne me sens d’ailleurs aucune légitimité pour y répondre. Bien sûr, je connais Jay, Audrey-Maude, Fred, et bien d’autres, mais rien de ma formation, ni initiale ni continue, ne m’a donné de pistes pour les accompagner.
En considérant ces questions, un seul mot me vient en tête : « l’humain ». Étant enseignante, je ne suis qu’une humaine devant des humains. Je n’arrive pas à répondre à ces questions parce que je ne vois pas mes élèves en matière de genre, d’orientation sexuelle ou de pratiques enseignantes. La sexualité appartient à la sphère privée. Point. Il y a cependant des jeunes qui souffrent, qui se questionnent et qui ont besoin de discuter autour de moi. Comme nous tous.
J’ai passé plusieurs jours à lire et relire les questions qui me sont posées et à me demander pourquoi je n’arrive pas à y répondre. Je pense que c’est parce que j’ai l’impression que nous faisons fausse route; enseignons-nous différemment aux jeunes selon leur origine? Selon leur langue? Évidemment non. Nous adaptons parfois les objets d’enseignement, la lecture par exemple, en français du moins, pour que les jeunes s’y retrouvent et s’intéressent davantage aux lectures proposées. Mais enseigner différemment? Non, je ne le fais pas. J’ai de jeunes humains devant moi : mon futur mécanicien, mon futur avocat, mon futur député et l’écrivain qui me feront rêver plus tard, grâce à la magie de ses mots. De jeunes humains qui ont besoin de se découvrir, d’apprendre à se connaitre et à s’aimer et surtout de rêver leur vie pour réaliser ce rêve.
J’ai discuté cette semaine avec Camille, 15 ans, Béatrice, 14 ans et Alice 13 ans : elles trouvent que les adultes sont bien compliqués de se poser des questions sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle des élèves. Elles disent également que ce sont des questions qui importent peu, car peu importe qu’une personne soit transgenre ou queer, cette personne demeure un être humain et c’est la seule chose qui doit compter. Cette discussion m’amène à penser au contretransfert, ce concept de la psychanalyse (. Appliqué à l’éducation, je pourrais écrire que nous voyons les jeunes à travers nos propres expériences, notre propre vision du monde. Si je ne connais pas, ne comprends pas l’homosexualité ou les questions relatives à l’identité de genre ou si ma culture ou ma religion sont catégoriques et négatives à ce sujet, il est possible que je me sente mal à l’aise face aux jeunes qui se posent des questions à ce sujet. Mal à l’aise, réfractaire, en déni ou même en colère. Un humain devant des humains.
Et les cours d’éducation sexuelle? Ils sont évidemment essentiels, et non pas seulement pour arriver à comprendre son corps, mais surtout pour apprendre qu’est-ce qu’une relation amoureuse saine et le respect de soi-même et des autres. Au fond, il est peut-être mal nommé ce cours!
« In locco parentis » : à la place d’un parent. Comme enseignant, intervenant scolaire, directeur, nous agissons à la place des parents; c’est une lourde charge et aussi la plus belle des responsabilités. Pour moi, il s’agit de la plus importante des règles de conduite en éducation : agir avec les élèves comme je voudrais qu’on agisse avec mes enfants. Si une de mes filles était transgenre, est-ce que je l’aimerais moins? Est-ce que je refuserais de l’appeler par le nouveau nom qu’elle souhaite utiliser? Est-ce que je refuserais de l’écouter? Évidemment non. Connaissant l’intolérance du monde en ce qui concerne la différence, j’aurais probablement au départ beaucoup d’inquiétudes pour elle, en sachant que ce n’est pas un choix pour elle, mais bien un état. Mais je ne pourrais jamais l’aimer moins. Ainsi va mon attitude dans la classe : peu importe l’origine, le genre ou la sexualité de mes élèves, tous méritent mon respect, mon attention, mon écoute et mon aide. Et surtout, la plus grande bienveillance.
Première publication dans Éducation Canada, mai 2019