En se basant sur les recherches de plusieurs historiens qui s’intéressent aux communautés culturelles, les auteures souhaitent fournir aux enseignants des balises pédagogiques et des repères historiques. C’est dans cette perspective qu’elles proposent de nouveaux guides de soutien à l’enseignement des programmes d’Histoire et éducation à la citoyenneté et d’Éthique et culture religieuse.
Le programme de formation de l’école québécoise intègre une approche pluraliste à la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle (MEQ, 1998). Depuis son renouvellement en 2001, il accorde une place croissante à la diversité ethnique, culturelle et religieuse, tant dans les contenus à enseigner que dans l’approche à adopter pour les aborder en classe. Les programmes disciplinaires d’Histoire et éducation à la citoyenneté et d’Éthique et culture religieuse sont particulièrement concernés. On insiste entre autres sur la pluralité de la société québécoise, sur la contribution de ce pluralisme à sa richesse et sur les enjeux qu’elle soulève.
Cet enseignement représente un défi important pour le personnel enseignant. La prise en compte de la pluralité des expériences demande un effort particulièrement important de décentration afin d’accueillir des perspectives sur le passé qui diffèrent de celle de la culture dominante. Cette dernière est d’ailleurs encore au cœur des programmes d’histoire du Québec et du Canada du primaire et, encore plus, du secondaire. D’ailleurs, l’enseignement de l’histoire du Québec et du Canada est centré sur une trame narrative construite autour d’événements majeurs de l’histoire politique. Ainsi, les groupes minoritaires ayant moins accès aux leviers d’action politique sont ainsi quasi absents des prescriptions officielles1. Les enseignants qui souhaitent aborder ces trajectoires sont donc dépourvus de matériel.
En Éthique et culture religieuse, le défi est d’une autre nature. Le programme se construit autour d’une reconnaissance de la pluralité de la société québécoise et propose de partir de l’environnement des élèves pour en parler. Or, tous les milieux scolaires ne représentent pas la même diversité. De plus, parler de diversité mène parfois à dresser des traits généraux qui peuvent tomber dans les pièges du folklorisme, de l’essentialisme et de l’exotisme. Par exemple en parlant des Juifs de Montréal, on a tendance à parler plutôt des Hassidim, ces communautés très visibles parce qu’elles vivent en plein centre-ville et se démarquent par leur habillement. Pourtant, celles-ci sont très minoritaires parmi les Juifs du Québec. De la même manière, on a tendance à penser aux femmes voilées lorsqu’on parle de l’islam, mais elles seraient, elles aussi, minoritaires parmi les femmes musulmanes au Québec.
En nous basant sur les recherches de plusieurs historiens qui s’intéressent aux communautés culturelles du Québec – sur les Juifs (Anctil, Ringuette, Robinson, etc.), les Noirs (Bessière, Gay, Williams, Winks, etc.), les divers groupes anglophones (Grace, Little, Rudin, etc.), pour ne nommer que ceux-là – nous proposons d’enseigner l’histoire du Québec en se penchant différemment sur les enjeux contemporains de la société québécoise et en prenant le point de vue de ceux qui jusqu’à maintenant ont été relégués au second plan. Ces Québécois juifs, noirs, chinois, grecs, irlandais ont vécu le passé collectif d’une manière particulière, parfois simplement en raison de leur différence culturelle.
Les guides de soutien à l’enseignement de l’histoire des Noirs2, de la communauté juive3 et des communautés arabes et musulmanes du Québec4 visent tous à fournir aux enseignants des balises pédagogiques et des repères historiques, afin de faciliter l’intégration de ces contenus. Ils peuvent être utilisés tant pour l’enseignement au primaire qu’au secondaire et au collégial par des enseignants qui ont à aborder des questions entourant la présence de minorités ethniques, culturelles et religieuses au Québec. Ils leur fournissent des outils et des références qui les aideront à traiter de ces « histoires » du Québec dans leurs cours et à emprunter une démarche délibérative avec leurs élèves. Ils proposent en même temps aux élèves de découvrir la pluralité des points de vue, des mémoires et des expériences de l’ensemble des groupes sociaux ayant contribué à bâtir la société québécoise. Ils pourront ainsi discuter de diverses interprétations possibles des événements historiques composant le passé québécois et de mieux comprendre le pluralisme au sein de cette société. Cet enseignement propose ainsi de faire place à la diversité au sein de la société québécoise et de rendre visible la diversité qui existe au sein même de ces communautés minoritaires, trop souvent considérées comme uniques et unifiées, occultant ainsi leur richesse interne.
Les guides donnent aussi une voix à ces communautés et aux acteurs qui racontent leur expérience au sein de celles-ci. En effet, comme les élèves dans différents milieux scolaires n’ont souvent que très peu de contacts directs avec certaines communautés minoritaires qui sont encore concentrées dans la métropole et les autres centres urbains, ils connaissent peu de modèles issus de ces communautés. Ces guides tentent ainsi de dépasser le défi important de l’enseignement interculturel et inclusif qui, trop souvent, se limite à un enseignement sur la diversité5.
Faire place aux expériences des minorités dans l’enseignement permet de développer des compétences visées par les programmes scolaires. Cet enseignement est l’occasion parfaite pour comparer l’histoire du Québec et du Canada et l’histoire mondiale, de voir les liens qui unissent le Québec, le Canada et l’histoire d’autres pays, en faisant l’histoire de ces pays d’où sont venus ces femmes et ces hommes en quête d’une vie meilleure. Il est aussi l’occasion de discuter de questions difficiles liées au racisme et à la discrimination dont a fait preuve la société québécoise, mais aussi de donner la chance aux élèves de s’outiller pour réfléchir à ces questions difficiles.
Enfin, prendre en compte les expériences et les perspectives historiques des minorités permet de faire exister ces communautés dans l’imaginaire collectif en montrant les points de contact, les rapports de pouvoirs en jeu, les débats et les luttes qu’ont eu à mener ces différents acteurs pour améliorer leurs conditions de vie. Cette prise de conscience, en plus d’encourager l’empathie entre les citoyens, contribue à élargir le spectre des idées et des solutions à l’égard d’enjeux du présent et de l’avenir. C’est une contribution à la consolidation du vivre-ensemble dans une société pluraliste.
Illustration : Guides conçus et rédigés par Sabrina Moisan (Université de Sherbrooke) en collaboration avec Silvane Hirsch (UQTR), avec le soutien de la Direction des services d’accueil et d’éducation interculturelle, ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019
Notes
1 Éthier, M.-A., & Lefrançois, D. (2017). Quel sens de l’histoire ? Analyse critique du nouveau programme d’Histoire du Québec et du Canada. Montréal: Éditions M.
Moisan, S., & Hirsch, S. (2016). Enseigner l’histoire des Noirs au Québec. Montréal: Direction des services d’accueil et d’éducation interculturelle. Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
2 Tous les guides peuvent être consultés et téléchargés gratuitement ici : https://bit.ly/2YKKoCT
3 Hirsch, S., & Moisan, S. (2018). Enseigner l’histoire de la communauté juive du Québec. Guide de soutien pédagogique. Montréal: Direction des services d’accueil et d’éducation interculturelle. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
4 Moisan, S., & Hirsch, S. (à paraitre). Histoire des communautés arabes et musulmanes au Québec. Guide de soutien pédagogique. Montréal: Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
5 Borri-Anadon, C., Boisvert, M., & Gonçalves, G. (2018). Conclusion. In C. Borri-Anadon, G. Gonçalves, S. Hirsch, & J. d. P. Queiroz (Eds.), La formation des éducateurs en contexte de diversité : une perspective comparative Québec-Brésil (pp. 244-250). Blue Mounds, Wisconsin: Deep University press.
Cet article offre des pistes pédagogiques pratiques permettant aux enseignants, tout comme à leurs élèves, d’apprendre à utiliser l’évaluation pour prendre conscience et exercer un meilleur contrôle de leurs activités d’apprentissage, et ce à toutes les étapes. Le but visé est d’améliorer l’aptitude des élèves à s’autoévaluer et à s’autoréguler de manière efficace.
L’autoévaluation vient naturellement à l’élève, un peu comme le personnage de Molière, M. de Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir. Avant d’entreprendre une tâche, pendant ou après, l’élève en a déjà évalué plusieurs aspects et estimé ses chances de réussir : est-ce que la tâche l’intéresse, est-ce qu’il croit pouvoir réussir, est-il sur la bonne piste, est-il certain de ses réponses, etc. ? L’élève, cependant, ne se pose pas toujours les questions qu’il faudrait et le résultat de son questionnement ne le conduit pas toujours à prendre les bonnes décisions. Par exemple, une partie importante de la réussite à un examen dépend de la capacité à anticiper correctement les questions et à s’y préparer en conséquence. L’élève qui réussit ne connait pas seulement les réponses, mais il sait aussi quelles questions sont les plus susceptibles de lui être posées. Même en connaissant ce qu’il lui faudrait savoir, l’élève peut surestimer ses connaissances et négliger de se préparer. Pendant l’examen, il peut sous-estimer la difficulté des questions et négliger de réviser son travail. Bref, une grande partie de la capacité de l’élève à démontrer ses apprentissages dépend de sa compétence à évaluer ce qu’il lui faut savoir et son degré de préparation.
L’enjeu n’est donc pas de savoir si l’élève s’autoévalue et s’il en est capable. La question est de déterminer si cette capacité à s’autoévaluer peut être développée afin de le soutenir dans la réussite de ses apprentissages. Comme le dit si bien Mark Twain, « ce n’est pas ce que nous ignorons qui nous nuit, c’est ce que nous savons et qui est faux. »
Un enseignant en photographie me mit au jour au défi de « faire l’évaluation formative de la créativité ». Selon lui, ce n’était pas possible. Pour que je comprenne comment se manifestait la créativité, je lui ai demandé à quoi il reconnaissait une photo « créative » en lui posant cette question : « Dans un portfolio de dix photos, pourriez-vous identifier celle qui se démarque sur le plan de la créativité ? » L’enseignant répondit par l’affirmative. Alors je lui demandai : « Ne croyez-vous pas qu’il serait important que vous et vos élèves soyez en mesure d’identifier à l’avance quelles photos sont les plus créatives et pourquoi elles le sont afin que tout soit clair dès le départ ? »
De ce bref échange est ressortie l’importance d’entamer un dialogue avec les élèves sur les attentes et les exigences. Pour développer la créativité, il fallait tout d’abord s’assurer que professeur et élèves aient une représentation commune de ce qui était attendu. Il s’ensuit une activité d’évaluation où les élèves, individuellement, puis en équipes, devaient déterminer les photos les plus créatives d’un portfolio, confronter leur point de vue avec l’enseignant et s’entendre ensemble sur quels critères devrait se fonder leur jugement. Ces photos sont alors devenues autant de « copies types » de différents niveaux de créativité permettant de guider les élèves vers les cibles d’apprentissage à atteindre. Comment, en effet, peut-on connaitrela créativité, sans d’abord savoir la reconnaitre ?
Il est illusoire de croire que l’élève va apprendre à s’autoévaluer uniquement en remplissant des listes de vérification et des grilles d’appréciation ou en s’attribuant lui-même une note. Pour leur apprendre à bien s’autoévaluer et les aider à prendre conscience de leur démarche métacognitive, il faut impliquer les élèves à toutes les étapes de l’évaluation, que ce soit le choix des objectifs et de la cible à atteindre, l’identification des critères qui serviront à juger de leur performance, le choix du type de feedback et comment mettre celui-ci à profit. Bref, il ne suffit pas de fournir des instruments développés d’avance, aussi bons soient-ils. L’élève doit pouvoir s’impliquer dans les différentes étapes de l’évaluation, que ce soit pour bien apprécier les efforts requis pour atteindre par lui-même la cible à atteindre, que pour s’autocorriger. L’objectif de l’évaluation en tant qu’apprentissage n’est pas seulement d’améliorer l’évaluation, mais d’améliorer les évaluateurs. Pour Earl, il ne suffit pas de faire de l’élève un collaborateur du processus d’évaluation, mais un acteur critique qui fait le lien entre évaluation et apprentissage1.
L’impact de l’autoévaluation n’est pas le même chez tous les élèves. Sauf pour ceux qui ont le plus de succès académique, la tendance est généralement à la surestimation et ceux qui ont tendance à se surestimer le plus sont ceux-là mêmes qui réussissent le moins bien. Lorsque le rendement n’est pas au rendez-vous, il est plus facile pour l’élève d’attribuer la faute à des circonstances extérieures hors de son contrôle que de se mobiliser et de s’engager cognitivement dans son apprentissage. C’est ce qu’illustre la fable de Lafontaine suivante :
Le Renard et les Raisins
Certain Renard Gascon, d’autres disent Normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d’une treille
Des Raisins mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
Le galand en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n’y pouvait atteindre :
« Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. »
Fit-il pas mieux que de se plaindre ?
Cette fable décrit une situation de décrochage fréquente en milieu scolaire. À la suite d’une série de tentatives infructueuses, le renard préfère dévaloriser la cible et préserver son estime personnelle. Tout comme le renard, l’expérience répétée de l’échec peut amener l’élève à dévaloriser le but à atteindre. On peut presque entendre l’élève décrocheur dire : « L’école, c’est pas cool, c’est juste bon pour les losers. » L’autoévaluation, en situation de difficultés répétées, déclenche chez l’élève des mécanismes similaires de protection de l’égo.
L’autoévaluation doit prendre en considération non seulement les aspects cognitifs de la tâche, mais aussi ses aspects affectifs et motivationnels. Nous savons que l’élève motivé augmente graduellement son seuil de réussite, se fixe des buts plus élevés et dépasse ses limites. Mais l’élève qui ne se croit pas en mesure de venir à bout d’une tâche voit diminuer sa motivation et ses efforts pour répondre aux exigences requises. L’autoévaluation doit donc servir non seulement à permettre de revenir en arrière sur les résultats d’apprentissage, mais aussi de projeter son regard devant soi afin de se fixer des cibles réalistes de dépassement de soi.
L’implantation de pratiques d’évaluation pour soutenir l’apprentissage soulève de nombreux défis2. L’enseignant n’est pas en présence d’un seul renard, mais de toute une meute et qui plus est, tous ces renards ne sautent pas tous à la même hauteur dès le départ. À quelle hauteur doit-on situer la cible pour que la meute entière puisse l’atteindre ? La tentation est forte de fixer une hauteur cible « moyenne » qu’une majorité de renards serait en mesure d’atteindre au prix d’efforts ou d’apprentissages suffisants. Par contre, en agissant de la sorte, la cible restera trop difficile pour certains renards qui ne parviendront jamais à l’atteindre et se décourageront. Pour d’autres cependant, la cible deviendra trop facile, générant peu d’intérêt.
Si les attentes des programmes d’étude sont les mêmes pour tous les élèves, la hauteur de la cible — le niveau d’exigence — doit être ajustée en fonction de la progression de chaque élève. On ne peut parler de différenciation sans avoir recours à des stratégies d’évaluation adaptées qui permettent de fixer à l’élève des cibles individuelles et réalistes. De là l’importance d’impliquer l’élève dans le choix de cibles d’apprentissage à sa hauteur.
Un meilleur apprentissage de la compétence à évaluer et à s’autoévaluer entraine des avantages non seulement pour l’élève, mais également pour l’enseignant. Par un effet de feedback inversé, l’évaluation des apprentissages des élèves peut également devenir un instrument de dialogue avec l’élève et de développement professionnel pour guider l’enseignant dans sa pratique. Il n’est pas surprenant alors que l’évaluation formative soit la variable reliée à l’enseignement qui possède le plus grand impact sur l’apprentissage des élèves3.
Nombreuses sont les professions qui reconnaissent à l’autoévaluation un rôle important. Pour être à la hauteur des défis de sa profession, l’enseignant doit être en mesure de développer tant les capacités d’autoévaluation de l’élève que les siennes. C’est ce dont témoignent Eva & Regehr dans ce passage paru dans une revue médicale : « Cette capacité in situ de reconnaitre quand les choses vont bien, quand on doit ralentir, quand s’arrêter et regarder, c’est en partie ce phénomène qui fait naitre l’intuition que nous sommes capables d’autoévaluer nos forces et nos faiblesses plus largement définies4. »
C’est à un tel exercice d’autoévaluation que, sous forme de questionnaire, l’activité de discussion L’évaluation en tant qu’apprentissage. Est-ce que j’en tiens compte ? qui accompagne cet article, convie les enseignants. Disponible en ligne avec cet article, cette activité complémentaire vous permettra de réfléchir aux pratiques d’enseignement et d’évaluation, qui, œuvrant séparément ou de concert, contribuent à soutenir l’apprentissage chez l’élève et à guider la pratique enseignante. Autoévaluation bien ordonnée commence par soi-même !
Télécharger la séance 1.3 – L’autoévaluation : repenser nos connaissances
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
1 Earl, L. (2003). Assessment as Learning: Using classroom assessment to maximize student learning. Thousand Oaks, CA: Corwin Press.
2 Laveault, D. & Allal, L. (éds.) (2017). Assesment for Learning: Meeting the Challenge of Implementation. Cham, CH: Springer, 393 pages.
3 Hattie, J. (2009). Visible learning: A synthesis of over 800 meta-analyses relating to achievement. Oxon: Routledge.
4 Eva, K.W. & Regehr, G. (2007). Knowing when to look it up: A new conception of self-assessment ability. Academic Medicine, 82(10), 581-584.
Cet article pose une question fondamentale en ce qui concerne les évaluations à grande échelle (ou externes), soit, si elles ont pour but d’évaluer les compétences des élèves ou d’appuyer les pratiques d’évaluation des enseignants. L’auteur propose que ces évaluations doivent assurer une boucle de régulation basée sur le but, le contrôle, la rétroaction et l’action.
Avec l’avènement des nouveaux modes de gouvernance des systèmes éducatifs, l’évaluation des apprentissages des élèves n’est aujourd’hui plus uniquement l’affaire de l’enseignant dans sa classe (évaluation interne), elle est devenue également celle de la politique (évaluation externe). Les évaluations externes des acquis des élèves ne sont pas nouvelles dans le paysage éducatif, servant depuis longtemps à garantir une évaluation plus objective ou égale à des moments charnières du cursus des élèves. Mais aujourd’hui, on leur confère également, voire surtout, le devoir de « réguler » les pratiques des enseignants, sur le terrain.
La littérature scientifique1 montre que les épreuves externes ont des effets importants sur la vie éducative des établissements et sur la profession enseignante. Dans mes recherches2, j’ai notamment eu l’occasion d’interroger l’expérience d’une cinquantaine d’enseignants du primaire issus de différents contextes francophones (au Québec, en Ontario, en Suisse et en Belgique). Des politiques différentes ont été développées dans ces contextes, néanmoins les constats observés sont très semblables3.
Bien que l’évaluation externe ait un impact sur l’ensemble du métier des enseignants, mes recherches ont démontré qu’elle touche particulièrement leurs pratiques d’évaluation des apprentissages des élèves. Elles sont pour eux des indications opérationnelles sur les contenus à évaluer et sur la manière de les évaluer. Pourtant, s’ils souhaitent s’inspirer des contenus et des méthodes des épreuves, les enseignants ne mobilisent généralement que très peu les résultats produits pour faire leur autoévaluation. Aussi, les changements de pratiques opérés sont très souvent instrumentaux, surtout lorsque les résultats des évaluations ont des conséquences importantes pour les élèves, les écoles ou les enseignants. Ils servent alors à faire réussir les élèves aux tests et consistent donc en un enseignement en fonction des tests. Enfin, les tests ne sont pas toujours reconnus comme de bons exemples par les enseignants.
Même si j’ai pu constater les nombreux effets négatifs des évaluations externes dans différents contextes, je reste persuadé que ce genre de dispositif représente une formidable occasion de « faire dialoguer » la classe et le système. Elle peut servir, parmi d’autres moyens, à soutenir les pratiques évaluatives des enseignants. Néanmoins, certaines conditions doivent être réunies. Selon mes différents travaux, il parait nécessaire de travailler sur deux points : faire baisser la pression pour les acteurs de la vie éducative et optimiser les opportunités de formation. Dans cet article, je centre mon propos sur le second point4.
« Bien que l’évaluation externe ait un impact sur l’ensemble du métier des enseignants, mes recherches ont démontré qu’elle touche particulièrement leurs pratiques d’évaluation des apprentissages des élèves. »
Si l’on attend qu’elle soutienne les pratiques des enseignants, l’évaluation externe — comme toute évaluation ! – devrait assurer une « boucle de régulation » (but, contrôle, rétroaction, action) 5.
L’objectif de l’évaluation et les critères de réussite doivent être clairs. Les finalités de l’évaluation externe doivent être communiquées régulièrement aux différents acteurs (directions, enseignants, élèves, parents). J’ai pu constater que les finalités ne sont souvent pas claires pour les enseignants (Qui est évalué ? Pourquoi ?). Souvent, elles ne sont pas communiquées de manière explicite ou pas assez régulièrement. Pour une meilleure appropriation de l’outil, il est également nécessaire que les enseignants soient initiés au processus évaluatif (conception, passation, correction, traitement des données), voire y être impliqués.
L’évaluation doit permettre de constater l’atteinte ou non des objectifs (fournir une mesure fiable et valide). Comme exposé plus haut, les enseignants accordent souvent peu de valeur aux résultats produits à large échelle. Afin d’éviter cette situation, l’évaluation externe doit être exemplaire au niveau méthodologique et scientifique, en lien avec les théories de l’apprentissage, de l’enseignement et de l’évaluation. Elle doit être alignée avec les plans d’études et les moyens d’enseignement, mais aussi avec les pratiques du terrain. Aussi, les résultats devraient permettre aux enseignants d’observer l’évolution des performances de manière longitudinale (comparaison sur plusieurs années), pour éviter, par exemple, d’attribuer les résultats aux caractéristiques d’une seule cohorte d’élèves.
L’évaluation doit fournir de l’information afin de rendre compte de l’écart entre le but et la mesure initiale. Les enseignants devraient avoir accès aux différents résultats de leur classe, de manière détaillée. Une interprétation critériée (par rapport à des critères et non à une norme) et détaillée permet d’observer plus spécifiquement les réussites et les difficultés des élèves. Malheureusement, dans certains cas, les enseignants n’ont accès qu’à un résultat global (une note, un pourcentage de réussite) ou doivent eux-mêmes en faire le détail. Ils devraient être soutenus dans la compréhension et l’analyse des résultats des épreuves externes, par leurs pairs et par des experts (p. ex. des conseillers pédagogiques).
L’évaluation devrait aboutir à des actions afin de réduire l’écart entre le but et la mesure initiale ou afin de redéfinir le but à atteindre. Sur la base des résultats, des pistes didactiques doivent être fournies aux enseignants ou, idéalement, être élaborées avec eux. Ceci est rendu possible s’ils ont l’occasion de travailler en équipe, avec leurs pairs, mais aussi avec le soutien d’experts (p. ex. conseillers pédagogiques). Différentes formes de « modération sociale » sont possibles6. Toutefois, mes diverses expériences montrent qu’il est nécessaire que ces moments de formation soient menés de manière réflexive et professionnalisante pour les enseignants. Ils doivent engager les enseignants à développer leurs propres outils, et non les maintenir dans un état de dépendance ou leur imposer des pratiques. La mise en réseau des établissements est également une piste à poursuivre (au contraire de les mettre en concurrence). Enfin, il parait important que l’impact des dispositifs d’évaluation externe sur le terrain soit évalué régulièrement par leurs promoteurs. De telles procédures sont, à ma connaissance, très rares, voire inexistantes.
Finalement, si l’on souhaite créer, grâce à l’évaluation externe, un véritable « dialogue » entre la classe et le système, certaines questions importantes restent en suspens. Comment l’évaluation des apprentissages des élèves réalisée par les enseignants peut-elle, dans le sens inverse (dans l’idée d’un dialogue multilatéral), contribuer au pilotage du système ? Il me parait en effet primordial de reconnaitre et de faire confiance au jugement professionnel des enseignants. D’autre part, les évaluations à grande échelle pourront-elles contribuer à soutenir les enseignants dans les grands défis des prochaines décennies en matière d’évaluation : évaluation au service de l’apprentissage (assessment for learning), évaluation des compétences ? En définitive, j’ai traité dans cette contribution de l’impact de l’évaluation externe sur les enseignants. Toutefois, le bienfondé de ce genre de dispositif devrait aussi être remis en question en observant son impact sur le vécu et les apprentissages des élèves. En fin de compte, c’est bien leur réussite que tout le monde souhaite. Encore faut-il savoir quel type de réussite ?
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
1 Au, W. (2007). High-Stakes Testing and Curricular Control: A Qualitative Metasynthesis. Educational Researcher, 36(5), 258–267.
Mons, N. (2009). Effets théoriques et réels des politiques d’évaluation standardisée. Revue française de pédagogie, 16 (9), 99-140.
Rozenwajn, E., et Dumay, X. (2014). Les effets de l’évaluation externe sur les pratiques enseignantes : une revue de la littérature. Revue française de pédagogie, 189 (4), 105-138.
2 Yerly, G. (2014). Les effets de l’évaluation externe des acquis des élèves sur les pratiques des enseignants. Analyse du regard des enseignants du primaire. Thèse de doctorat en Sciences de l’éducation, Université de Fribourg, Fribourg.
Yerly, G. (2017 a). Évaluation des apprentissages en classe et évaluation à large échelle. Quel est l’impact des épreuves externes sur les pratiques évaluatives des enseignants ? Mesure et Évaluation en éducation, 40 (1), 33-60
Yerly, G. (2017 b). Les raisons du faible usage des résultats d’évaluation externe par les enseignants. Étude croisée dans trois contextes éducatifs. Contextes et Didactiques, 9, 60-71
3 Yerly, G., & Maroy, C. (2017). La gouvernance par les résultats est-elle un mode de régulation de l’école légitime aux yeux des enseignants ? Une enquête qualitative dans 4 systèmes scolaires. Revue française de pédagogie, 198, 93-108.
4 Pour ce qui est de faire baisser la pression, voir Yerly (2014).
5 Allal, L. (2007). Régulations des apprentissages : Orientations conceptuelles pour la recherche et la pratique en éducation. In L. Allal & L. Mottier Lopez (Eds.), Régulations des apprentissages en situation scolaire et en formation (pp. 7-23). Bruxelles : De Boeck.
6 Laveault, D. & Yerly, G. (2017). Modération statistique et modération sociale des résultats scolaires. Approches opposées ou complémentaires ? Mesure et évaluation en éducation, 40 (2), 91-123
Dans cet article, l’auteure partage ses multiples expériences comme enseignante dans divers pays en se concentrant particulièrement sur l’aspect de l’évaluation. Elle décrit des approches qui parfois se distinguent l’une de l’autre assez radicalement, mais qui ont le plus souvent des points communs. En se basant sur son parcours pédagogique comme élève et comme enseignante, elle offre des conseils qui ont pour but d’assurer le meilleur succès académique des élèves.
Je me souviens de ce moment d’attente après une évaluation et de cette question posée à l’enseignant concernant nos copies : « Madame est-ce que vous avez corrigé nos examens ? » Et de la déception sur nos visages lorsque ceux-ci n’avaient pas fait l’objet de l’évaluation tant attendue de tous. Cependant, le stress montait lorsque l’enseignant nous disait : « Oui, ils sont dans mon sac, je vous les donnerai à la fin du cours. » Le suspense restait complet. Avions-nous réussi ? La note allait-elle être à la hauteur de nos attentes ? Quelle allait-être la réaction de nos parents face à cette fameuse note ? Qui se souvient de ces enseignants qui plaçaient les copies par ordre croissant ? Si bien que plus l’attente était longue, plus la note était élevée. Ou encore des enseignants qui mettaient un point pour l’encre utilisée lors de l’écriture du travail pour ne pas mettre zéro. Il s’agissait bien entendu d’une boutade, d’un point totalement fictif et qui n’avait aucune valeur sinon celle de l’usure du crayon. Cette note, symbole de réussite pour certains et d’humiliation pour d’autres. Cette note tant redoutée, mais, en même temps, tant attendue. Alors, en 2019, la note fait encore débat. Doit-on noter nos élèves ? Que noter ? Quand noter ? Pourquoi noter ? Tant de questions qui restent en suspens. Alors des notes… Pour qui et pourquoi ?
Je suis le fruit d’une éducation à la française, un système dans lequel la note est le symbole de la réussite ou de l’échec. Il n’y a pas de seconde mesure ; tout est quantifié, évalué. Les élèves travaillent pour avoir des notes et l’enseignant se sent récompensé lorsque ses élèves réussissent. Un système de compétition se construit dans les salles de classe entre les élèves. Chacun veut « battre » la note de l’autre. Les enfants et les parents ont besoin de savoir ce qu’ils « valent ». D’ailleurs, lors des réunions parents/enseignants, il n’est pas rare que le parent demande que l’enseignant inscrive sur toutes les copies la note la plus haute, la note la plus basse et la moyenne du groupe dans le but de situer leur enfant dans une certaine moyenne et mesurer le niveau de la classe.
A contrario, certaines sociétés telles que le Québec ou la Finlande choisissent d’enlever ce système de notation qu’elles jugent trop compétitif. Les enfants progressent à leur rythme et se mesurent à eux-mêmes. Lors de la réforme de l’Éducation au Québec en 2001, puisque le ministère de l’Éducation du Québec n’avait alors donné que de grandes lignes de ce qui devait être évalué et n’avait pas publié de politique d’évaluation, les parents ont vu apparaitre dans plusieurs écoles un nouveau type de bulletin sur lequel étaient inscrites des émoticônes, sourire rouge, jaune ou vert, à la place de la fameuse note. Les parents avaient perdu tous leurs repères… Que voulaient dire ces couleurs. Il était important de lire la légende et là on pouvait lire : « en difficulté », « réussi bien », ou « réussi au-delà des attentes ». Certains parents ne voulaient même plus lire le bulletin et même les enseignants avaient beaucoup de mal à se retrouver dans ce nouveau système…
Cependant, quelle que soit la façon de noter, une des responsabilités de l’enseignant reste d’évaluer. Alors, si l’enfant est doué, la note devient un motivateur. Il cherchera toujours à obtenir le point qu’il lui manque et regardera attentivement sa copie pour voir où se trouvait sa fameuse erreur et il ne la refera pas deux fois.
L’évaluation fera toujours débat dans nos sociétés si semblables et si différentes, car la réussite c’est aussi une question de culture.
Cependant, la note rend certains enfants en état de stress intense. Le fait d’être noté réduit leurs performances. En Corée du Sud, les étudiants sont tellement stressés par leurs études qu’ils commettent parfois l’irréparable en se suicidant. Lorsque j’enseignais au Népal, je voyais des enfants ne plus dormir pour étudier et réussir à tout prix malgré les coupures d’électricité et le manque de ressources matérielles. Les notes des enfants représentaient des sacrifices financiers pour les parents. L’échec n’était donc pas une option. Certaines sociétés sont donc intransigeantes concernant la réussite.
Quand l’enfant échoue et qu’il voit sa copie barbouillée de rouge, la note devient le symbole de la démotivation. Au cours de ma carrière d’enseignante, j’ai souvent vu des enfants ne pas vouloir regarder leurs copies, car ils savaient pertinemment qu’ils avaient échoué. Alors, à quoi bon regarder chaque erreur une par une lorsqu’il y a en a des dizaines. L’échec est écrit dans le regard de ces enfants qui ne réussissent pas dans le système purement académique. Je me rappelle un élève de quatrième année qui échouait constamment à ses évaluations. Cependant, un jour, j’ai donné à ma classe le défi de fabriquer un instrument météorologique. Pour une fois, cet élève a réussi avec brio cet exercice qui n’était pourtant pas facile. Il avait enfin trouvé sa voie, il n’était peut-être pas doué pour les exercices purement académiques, mais il excellait dans les travaux manuels. Cette fierté dans son regard restera à jamais gravée dans ma mémoire. Et c’est à cet instant que j’ai réalisé que le métier d’enseignant n’était pas seulement d’évaluer, mais aussi, et surtout, de révéler les forces de nos élèves. Il est important de voir l’enfant de manière holistique. L’élève n’est pas seulement une note, mais une personne qui est forcément compétente.
Alors, comment trouver le juste milieu, lorsqu’on a vécu, comme moi, les deux extrêmes concernant la note ? En allemand, je voulais toujours avoir la meilleure note et nous étions deux dans la classe à se battre pour l’obtenir. Cela devenait un jeu. Cependant, mes résultats en mathématiques laissaient à désirer et, cette fois, ce même jeu se transformait à celui qui aurait la note la plus basse. Nous nous tirions vers le bas et cela nous faisait rire. Cette note redoutée devenait une blague, elle n’avait plus aucune importance à mes yeux ni à ceux de mes camarades, d’ailleurs… Alors, vous me direz, que faire ?
Certaines sociétés choisissent le contrôle continu comme mode d’évaluation. Il s’agit de mesurer l’évolution des apprentissages en tenant compte de tous les travaux réalisés sans vraiment faire de contrôle sommatif. Ce système convient particulièrement aux élèves toujours présents et dont l’évaluation sommative amène des contreperformances.
Lorsque j’enseignais en maternelle, j’avais la liberté d’évaluer les apprentissages de mes élèves en construisant un bulletin personnalisé. Les enfants prenaient en charge leur évaluation et les défis qu’ils avaient à relever. Cela permettait de motiver les élèves et de les rendre responsables de leurs apprentissages. L’autonomie était développée et ils prenaient conscience de leurs forces et de leurs lacunes sans pour autant être découragés. Ils avaient compris que chacun était différent et que chacun devait avancer à son propre rythme. En ce qui me concerne, je préfère que l’enfant soit présent lors des rencontres avec les parents au sujet du bulletin, car on parle alors de lui et il doit être au courant de ce que l’on dit de lui. Ainsi, il peut poser des questions au même titre que le parent. Il devient un membre actif de ses apprentissages et de son évaluation.
Le portfolio, qu’il soit en version papier ou électronique, est un bon moyen de voir l’évolution des apprentissages des élèves, car il brosse le portrait de l’enfant en colligeant des travaux signifiants. Cette méthode est très pratique et permet à l’enfant de s’exprimer au sujet de ses apprentissages. Il est intéressant d’inviter les parents à regarder le portfolio avec son enfant pour qu’il l’écoute et lui pose des questions. Le parent n’étant pas en classe, il ne peut pas tout comprendre et l’enfant devient un expert face à ses parents.
Pour conclure, je dois admettre que je n’ai pas vraiment de réponse à ma question de départ : des notes pour qui, pour quoi ? Cependant, il est important de tenir compte de l’enfant que l’on a devant soi en créant un bulletin individualisé représentant le fruit d’autoévaluations, de portfolios et de discussions. Il faut surtout arrêter de comparer l’incomparable ; la différenciation se fait aussi en évaluation.
Au fond, quoi que nous fassions, nous passons notre temps à être évalués non seulement dans la salle de classe, mais à l’extérieur. Que voulons-nous pour nos enfants ? Chacun a un désir de réussite. Cependant, la réussite n’aura pas le même sens pour tout le monde. Finalement, je ne pense pas qu’il y ait une solution unique lorsqu’on considère l’évaluation en général, car, en ce qui me concerne, cela dépend des enfants que nous avons devant nous et de la société dans laquelle nous vivons. L’évaluation fera toujours débat dans nos sociétés si semblables et si différentes, car la réussite c’est aussi une question de culture. Chaque pays établit ses propres règles et ce qui est applicable en Finlande, ne le sera pas forcément en France ou au Canada. Je pense que la solution réside dans le fait de reconnaitre ce que nous sommes et ce que nous désirons en tant que société. Cherchons nos valeurs dans le but de savoir ce que nous devons ou non évaluer et noter. Cherchons ensemble à quoi ressemblera notre société de demain et peut-être aurons-nous la solution face à l’évaluation.
Collage : Natacha Roudix
Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
L’auteur de cet article présente en détail une approche ainsi que divers scénarios qu’un enseignant d’éducation physique pourrait utiliser afin de respecter des pratiques d’évaluation qui valorisent les compétences et les projets personnels des élèves.
« Quand on ne sait pas où l’on va, tous les chemins mènent à nulle part ». Cette pensée de Henry Kissinger, diplomate, politologue et scientifique, montre bien toute l’importance d’être guidé pour être sûr de prendre une direction identifiée. Si l’on resitue ce point de vue dans le contexte de l’enseignement, le retour des enseignants sur la pratique de leurs élèves apparait comme essentiel pour que ces derniers prennent le chemin qui les mène vers leur réussite.
Cependant, l’enseignant pourra proposer une rétroaction à ses élèves qu’à partir du moment où il aura observé et évalué leur prestation. Il apparait alors la question relative au « quoi évaluer ». Selon nous, ce sont les compétences des élèves qui devraient faire l’objet d’évaluation de la part des enseignants. Les compétences sont appréhendées par Perrenoud1 comme « une capacité d’action efficace face à une famille de situations, qu’on arrive à maitriser parce qu’on dispose à la fois des connaissances nécessaires et de la capacité de les mobiliser à bon escient, en temps opportun, pour identifier et résoudre de vrais problèmes ». Pour aller plus loin, il affirme qu’il s’agit de « faire face à une situation complexe, de construire une réponse adaptée sans la puiser dans un répertoire de réponses préprogrammées1 ». Pour faire suite à ce point de vue, on s’aperçoit effectivement qu’en développant des compétences, les élèves sont mieux en mesure de s’adapter à une situation complexe, alors que le simple fait d’avoir simplement acquis des savoirs serait insuffisant pour répondre à divers problèmes rencontrés.
Cette capacité d’adaptation que doivent acquérir les élèves semble essentielle pour leur vie professionnelle et personnelle future. En effet, au niveau professionnel, M’Barek2 met en évidence l’importance de cette capacité en affirmant que « l’organisation de l’ère des compétences cherche à donner à l’acteur toute sa capacité d’agir sans retard et au bon moment aux différentes situations rencontrées dans le contexte du travail. C’est un nouveau paradigme qui s’invente aujourd’hui comme déjà le phénomène de la qualité, basé sur la réactivité du moment, l’adaptabilité à toute éventualité et le dépassement de la gestion selon le poste du travail à une gestion dynamique des compétences ». En ce qui concerne le niveau personnel de l’apprenant, Howatt3 fait le lien entre la capacité d’adaptation et la santé. Il précise que « les personnes ayant de faibles capacités d’adaptation courent plus de risques de souffrir de problèmes de santé mentale et de maladies mentales de celles qui en ont des bonnes. Des capacités d’adaptation insuffisantes inhibent l’aptitude à résoudre les problèmes et à prendre des décisions saines et efficaces. » Ces raisons renforcent notre idée selon laquelle il est judicieux que les enseignants évaluent une variété de compétences chez leurs élèves.
D’ailleurs, en France, les plus récents programmes au niveau du collège4 encouragent définitivement l’utilisation de l’évaluation par compétence. En effet, ceux-ci mettent en lumière pour tous les enseignants quelles compétences doivent être développées. Par exemple, au cycle 3 du collège, les enseignants de français doivent permettre à leurs élèves de « comprendre et s’exprimer à l’oral ». En Éducation physique et sportive (EPS), les enseignants sont responsables de faire valider la compétence qui vise à « développer sa motricité et construire un langage du corps » ou celle qui incite à « partager des règles, [à] assumer des rôles et des responsabilités ». Une question émerge alors : Comment les enseignants peuvent-ils évaluer les compétences des élèves, tout en respectant les caractéristiques de ces dernières ?
Afin de concevoir une évaluation qui soit en cohérence avec la logique de compétence, il nous semble essentiel de nous interroger sur les écueils à éviter. Selon nous, l’évaluation des compétences serait dénuée de sens si celles-ci sont observées dans une « situation fermée » pour deux raisons.
Premièrement, nous pensons que si la compétence est exclue du contexte dans lequel elle est susceptible d’apparaitre, l’élève est alors potentiellement en mesure de valider cette compétence, mais cela ne témoigne en rien de sa capacité de l’utiliser en situation réelle. Plus concrètement, en EPS, si l’enseignant, en badminton, place ses élèves dans une situation de partenariat avec un adversaire de même niveau pour évaluer la compétence d’« être capable de varier le placement du volant », alors il manquerait selon nous les deux aspects de la situation réelle suivants, soit « l’adversité » et « l’enjeu » qui contribuent à l’objectif de gagner le match. Lorsque présente, l’adversité peut être porteuse d’émotions, mais si elle est absente, il est alors possible que le stress engendré par l’enjeu, soit de gagner le match, empêche l’élève d’exprimer sa compétence.
Deuxièmement, nous émettons l’hypothèse selon laquelle si l’évaluation de la compétence s’effectue dans le même contexte dans lequel elle a été apprise (même environnement, même horaire, même adversaire), alors les élèves développent des repères liés à ce contexte, ce qui « facilite » alors la validation de la compétence démontrée.
De ce fait, nous suggérons, pour évaluer les compétences des élèves, de les placer dans un contexte d’évaluation réellement différent de celui de l’apprentissage tout en préservant toutefois la complexité de la situation à laquelle l’enseignant confronte l’élève. Plus concrètement en EPS, l’enseignant, au moment d’évaluer ses élèves, pourrait tout d’abord, les convoquer à un horaire différent ; si la leçon d’EPS se déroulait habituellement entre 15 h 30 et 17 h 30, l’évaluation pourrait être réalisée le matin suivant entre 10 h 10 et 11 h 55 par exemple. De plus, il serait intéressant d’évaluer les élèves dans un autre gymnase que celui de l’établissement dans lequel ont été apprises les compétences. Enfin, l’enseignant d’EPS pourrait confronter ses élèves à des élèves d’un autre établissement de même niveau scolaire contre qui ils ne se sont encore jamais confrontés. En réunissant toutes ces conditions d’évaluation, l’enseignant d’EPS efface les repères « de surface » de ses élèves qui sont contraints alors, de s’appuyer uniquement sur leurs compétences pour réussir. C’est en ce sens-là que nous pensons que la proposition que nous faisons pour évaluer les élèves serait davantage révélatrice d’une réelle évaluation des compétences de ces derniers.
Cependant, la contrainte d’emploi du temps permet très difficilement la mise en œuvre de cette proposition. Il s’avère complexe de modifier l’emploi du temps de deux établissements scolaires pour réaliser ce type d’évaluation. Tout d’abord, il serait nécessaire d’intervertir des leçons entre deux disciplines d’enseignement au sein d’un même établissement. Ensuite, il faudrait que le gymnase de l’autre établissement soit disponible. Enfin, il serait nécessaire qu’une classe d’un même niveau scolaire dans cet établissement doive elle aussi avoir vécu un type d’apprentissage similaire.
Malgré ces difficultés, nous pouvons tout de même apporter certaines solutions pour effectuer une évaluation par compétence, sans que celle-ci soit dénuée de sens. Nous allons encore une fois nous appuyer sur l’EPS pour illustrer nos propos et nous envisagerons des solutions relativement à son enseignement au niveau de l’équipe pédagogique EPS.
Les enseignants de l’équipe pédagogique EPS peuvent intégrer une évaluation commune au sein de leur projet pédagogique disciplinaire. En effet, il serait intéressant de prévoir, dans la programmation EPS, que les enseignants proposent les mêmes Activités physiques, sportives et artistiques (APSA) pour un niveau de classe au cours d’un trimestre.
Le niveau de la 6e année nous parait être le plus intéressant parce que les élèves pratiquent généralement deux différentes APSA hebdomadairement par trimestre, sauf dans le cas d’une organisation particulière au sein de l’établissement. Les enseignants pourraient éventuellement enseigner parallèlement des APSA relevant du deuxième et du quatrième « champ d’apprentissage » issus des programmes au niveau du collège, soit respectivement, « s’exprimer devant les autres par une prestation artistique et/ou acrobatique » avec des APSA comme la gymnastique, la danse ou l’acrosport par exemple, et « conduire et maitriser un affrontement collectif ou interindividuel », avec des activités telles que la lutte, le badminton ou le basketball, entre autres. Selon nous, le fait que les élèves réalisent un enchainement d’exercices de gymnastique devant des élèves différents de ceux de leur classe amène une « pression » supplémentaire, qui peut être dépassée si les élèves maitrisent bien leur enchainement en démontrant les compétences qu’ils ont développées au cours de leur séquence d’enseignement.
De la même façon, lorsque les élèves en lutte ou en badminton vont se confronter à des adversaires qu’ils n’ont jamais rencontrés, les enseignants d’EPS contraignent les élèves à s’adapter à de nouveaux comportements de la part de ces adversaires. Concrètement, les enseignants d’EPS pourraient fixer une demi-journée dans l’emploi du temps des élèves, pour les évaluer en EPS. Ainsi, lors de cette évaluation en fin de séquence, c’est en plaçant les élèves dans ce nouveau contexte que les enseignants d’EPS présentent réellement à leurs élèves une situation d’adaptation, selon la définition de compétence.
Toutefois, un aménagement horaire de cet ordre, même ponctuel, n’est pas toujours envisageable au sein de l’établissement. Il sera alors question de trouver des solutions pour que l’évaluation par compétences réalisée par l’enseignant d’EPS au sein de sa classe puisse néanmoins respecter les caractéristiques d’une compétence. Pour cela, rappelons-le, il apparait nécessaire que l’évaluation des compétences des élèves soit effectuée dans des situations complexes où toutes les contraintes de la situation d’évaluation sont préservées, ce qui nécessite alors, une grande adaptation de la part des élèves. Alors, lors d’un cycle de demi-fond (course de moyenne distance) pour une classe de 6e, nous faisons la proposition d’accompagner les élèves tout au long de la séquence en leur permettant de s’autoévaluer au regard des compétences demandées par l’enseignant d’EPS en leur donnant des repères concrets et faciles à manipuler.
Concrètement, l’enseignant d’EPS propose à ses élèves de courir, en groupe, la distance d’un marathon, équivalente donc à 42,195 kilomètres, ou une autre distance type ultrasentier (course à pied en milieu naturel, soit forêt, plaine ou montagne sur très longue distance), qu’il définit préférablement avec ses élèves. Dès le début de ce travail, il choisit le nombre d’élèves dans le groupe, le temps de course et le nombre de séances, en fonction du niveau de pratique et du niveau de classe de ses élèves. Lors des leçons d’EPS, chaque élève du groupe inscrit dans un tableau récapitulatif « leur nombre d’arrêts » et « le temps au tour » réalisés. Le nombre d’arrêts est le critère utilisé pour témoigner de la compétence des élèves à « courir de manière continue » ; quant au critère relatif au temps au tour, il permet aux élèves de juger de leur capacité à « courir à allure régulière ». La relève de ces informations est possible par des élèves observateurs qui regardent leurs pairs et prennent des notes basées sur ces deux critères durant leur course.
Cette organisation de la séquence permet aux élèves d’évaluer de manière systématique leurs compétences. Si les élèves observateurs ne notent pas d’arrêts pendant la course, alors cela signifie que les coureurs sont capables de courir en continu et s’ils mettent le même temps pour réaliser chacun de leur tour, alors cela veut dire qu’ils sont capables de courir à vitesse régulière. Toutefois, les élèves devront tout de même exprimer leurs compétences lors de l’évaluation de fin de séquence.
L’enseignant d’EPS a le souci de « modifier » les repères de ses élèves de sorte qu’ils s’adaptent, afin de respecter le principe de compétence, aux contraintes prévues par la situation d’évaluation et qu’ils démontrent les compétences qu’ils ont acquises au cours de la séquence d’apprentissage. Pour cela, il peut, par exemple, amener sa classe courir sur une autre installation, ou si cette option est impossible, rester sur l’installation initiale, mais demander aux élèves de courir dans le sens inverse de celui qu’ils ont l’habitude de courir. Ainsi, avec une telle organisation pendant et en fin de séquence, l’enseignant d’EPS confronte ses élèves à une situation qui se rapproche le plus possible d’une situation complexe, car celle-ci est globale, c’est-à-dire, que la seule contrainte qui est imposée aux élèves est de courir en respectant le temps imparti. Toutefois, même si cette proposition tente de respecter le principe de compétence, nous pensons qu’évaluer les compétences dans le même contexte que celui de l’apprentissage de celles-ci limite la pertinence de leur évaluation.
En conclusion, nous pouvons dire que placer les compétences et leur évaluation au cœur des préoccupations des enseignants nous semble être essentiel afin que les élèves sachent ce qu’ils sont capables de réaliser ; cela leur permettra de bénéficier d’une meilleure connaissance d’eux-mêmes, ce qui est nécessaire, voire indispensable, afin de construire leur identité.
Cependant, il appert que les compétences acquises n’ont réellement de sens pour les élèves que si elles permettent de répondre à un projet, qui de plus, leur est personnel. Les élèves doivent pouvoir reconnaitre une utilité à leurs compétences, puisqu’elles seront mises au service de l’évolution de leur projet. Ainsi, les enseignants ne pourraient-ils pas mettre leurs propres compétences « au service » des interrogations et des aspirations des élèves dans le cadre de projets proposés par les élèves ou, à défaut, suggérés par les enseignants responsables de les accompagner, de les aider, mais aussi de les guider dans leur cheminement personnel ? Nous souhaitons émettre l’idée de créer une école qui permettrait aux élèves de choisir les compétences à développer par le biais de projets où les disciplines seraient éclatées. Les enseignants seraient ainsi considérés comme des personnes-ressources favorisant l’évolution cumulative des projets de leurs élèves. Dans un tel contexte, nous pouvons nous interroger sur la pertinence d’évaluer des compétences, qui seraient, finalement, validées automatiquement dès lors où le projet de l’élève évolue.
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
1 Perrenoud, P. (1997). Construire des compétences dès l’école. Pratiques et enjeux pédagogiques. Paris : ESF éditeur.
2 M’barek, E. le développement des compétences et la mobilité professionnelle. Une, 32(138), 170.
3 Howatt, W. (2017). Développement des capacités d’adaptation et de la résilience des employés : Une bonne affaire pour les organisations.
4 Programmes d’enseignement du collège, BO spécial n° 11 du 26 novembre 2015
Cet article offre une réflexion profonde sur le rôle renouvelé de l’évaluation de chaque élève. Selon les auteurs, les pratiques exemplaires mettent l’accent sur les aspects qualitatifs, différenciés, collaboratifs et ils encouragent une conscientisation quotidienne de la part des enseignants et de leurs élèves en ce qui concerne leur apprentissage personnalisé menant à un succès académique significatif.
C’est dans un esprit de mentalité de croissance que doivent être abordées toutes les questions relatives à l’évaluation. La notion même du mot réussite doit être redéfinie dans une perspective plus large et davantage axée sur la progression globale de l’enfant en considérant chaque individu dans son développement global. Cette conception fait appel à une autre compréhension de la dynamique d’apprentissage. D’ailleurs, les limites de l’évaluation sont bien présentes et connues.
Puisque les attentes envers l’école comme institution sociale sont en transformation, comment pouvons-nous ajuster nos pratiques et les rendre plus cohérentes ?
L’évaluation réfère évidemment à plusieurs conceptions, fort différentes les unes des autres, en fonction de l’expérience de chacun, mais est également solidement reliée à la conception du rôle de l’enseignant. L’évaluation normalisée ou sommative a encore une place importante à certains moments spécifiques du cheminement scolaire individuel des élèves puisqu’elle permet d’établir des standards d’apprentissage en fonction des programmes d’études. Elle donne des renseignements en lien avec les finalités des programmes scolaires. Toutefois, le fait d’utiliser les évaluations pour sanctionner ou classer les élèves en cours de cycle d’apprentissage devient de plus en plus aberrant. De plus en plus souvent, de nombreux enseignants reconnaissent une incohérence entre le mode d’évaluation actuel et l’apprentissage des élèves. La notion de différenciation, de rythme et de sens fait plus que jamais partie des discours pédagogiques. Mais puisque nous observons des changements marqués dans la façon dont l’enseignant perçoit son rôle et l’actualise pour favoriser les apprentissages de tous, quel impact cela doit-il avoir sur l’évaluation ?
Plusieurs croyances sont associées aux pratiques évaluatives et, au fil des ans, l’évaluation était devenue une étape qui servait à « boucler la boucle » d’une période d’apprentissage. Mais quel en était son sens ? Nous notons actuellement une mutation de l’évaluation au sein des équipes de nos organisations. Plus que jamais, le rôle de l’enseignant se transforme. L’enseignement différencié et explicite, par lequel l’enseignant modélise et guide par étayage, invite à une transformation de la posture de l’enseignant qui guide et accompagne l’apprentissage des élèves au fur et à mesure que sa compréhension des contenus se précise. Lorsqu’il est dans cette posture, l’enseignant se rapproche du progrès de chacun de ses élèves en lien avec l’apprentissage, et sa lunette change. Il considère ainsi mieux comment les changements s’opèrent et comment évolue le niveau d’apprentissage de chacun.
Lorsque la réflexion émerge de discussions concernant l’évaluation entre les membres d’une équipe pédagogique, on remarque que l’enseignant tend à adopter une posture d’observateur et d’analyste du progrès de l’élève plutôt que juge d’une performance. Il observe donc les changements qui s’opèrent, au fur et à mesure, chez les élèves. En se rapprochant d’eux, il peut donc suivre leur développement de manière plus fine et ainsi percevoir les limites, mais aussi l’étendue de leur compréhension. L’évaluation est donc, de plus en plus, en symbiose avec l’enseignement et sert de moteur à l’apprentissage. Elle fait partie de l’apprentissage et devient un outil qui le sert.
Ce type de changement incite à une remise en question des pratiques d’évaluation qui sont issues des anciens modèles d’enseignement en classe.
Ainsi, la finalité de l’évaluation est remise en question par plusieurs enseignants qui eux seuls connaissent bien les progrès, les limites et les défis de chacun de leurs élèves. Parallèlement, on voit le développement d’une culture de données au sein de nos écoles.
Nous assistons donc à un passage de l’évaluation « en bout de ligne », à une évaluation continue du progrès des élèves. Le sens de l’évaluation se précise également. Dans un esprit de mentalité de croissance, le résultat des observations et des microdonnées sert à dépister les besoins spécifiques de chaque enfant et à mettre en place les conditions de son progrès à venir. L’évaluation tend à devenir un outil au service de l’apprentissage. Il sert à planifier l’intervention, à prioriser les actions à venir, à encourager le travail d’intervention en équipe pour mieux cibler les meilleures stratégies à mettre en place afin d’assurer un progrès continu des enfants.
Les évaluations servent à la classe, à l’enseignant, aux équipes des écoles qui cheminent ensemble et collaborent à l’amélioration de l’apprentissage. La mise en place des pratiques collaboratives et des communautés d’apprentissages professionnelles dans les écoles est un moyen de plus en plus reconnu pour soutenir l’adaptation des moyens au niveau de l’élève.
Il est de plus en plus habituel d’entendre les enseignants qui ressentent une certaine pression lorsqu’arrive l’étape de l’évaluation formelle ou du bilan de fin d’étape. Les temps d’évaluation formelle n’ont plus la même utilité dans ce contexte où l’enseignant accompagne le changement quotidien et soutient la construction du savoir en tenant compte du rythme de chaque élève.
Mais l’évaluation doit tout de même y trouver sa place. Elle offre des balises qui peuvent être comparées ensemble. À la fin du cycle, elle permet de statuer sur la capacité d’un élève à entreprendre les apprentissages à un autre niveau de complexité. Les notions de progrès, d’apprentissage et de pistage des améliorations favorisent le développement du sentiment d’efficacité de l’élève et de l’enseignant, mais aussi de toute l’équipe académique d’une école.
Dans cet esprit de mentalité de croissance, on apprend dans une dynamique évolutive, on apprend ensemble, en équipe collaborative. L’élève progresse parce qu’il est à même de voir son propre progrès. Il comprend que les stratégies qu’il utilise ont un impact sur ses apprentissages et il reconnait ses vulnérabilités. On doit prioriser une forme de rétroaction qui sert à l’élève et qui lui permet de prendre les moyens nécessaires à sa réussite.
L’évaluation utilisée pour fin de mesure et de création de données ne doit pas être extraite de la classe, mais, puisqu’elle ne sert pas au développement de nos élèves ni à la planification de l’enseignement quotidien, elle ne doit donc pas être présente dans le cycle d’apprentissage. Elle sert au système, à la mise en œuvre de nos programmes et au processus de normalisation. Elle est utile à nos organisations, en matière d’outil d’analyse, mais elle ne sert pas nécessairement l’enfant et l’équipe qui l’accompagne au quotidien.
Notre monde éducatif est en mutation. Plus que jamais les intervenants ne désirent donner plus de place aux données qualitatives et de progrès de leurs élèves. Ce type d’information est présent dans les discussions, il prend cette place puisqu’il est utilisé pour favoriser la croissance des élèves, des équipes et des structures mises en place.
Mais quel est l’impact réel de ces nouvelles perspectives de la relation entre l’apprentissage et l’évaluation ?
Pour ceux et celles qui désirent approfondir la réflexion portant sur l’évaluation, voici quelques pistes :
Si tous peuvent apprendre, à un rythme adéquat, nous verrons une émergence de l’intérêt pour l’apprentissage et un plus grand engagement de nos élèves. Ils pourront mieux comprendre qu’apprendre c’est possible, c’est accessible, et qu’en réalité ils sont maitres du jeu !
Anne Julien (directrice adjointe aux Services éducatifs)
Vincent Lemieux (coordonnateur aux Services éducatifs)
Karina Roy (directrice des Services éducatifs)
Pierre-Olivier Boivin (conseiller pédagogique)
Shirley Vir (enseignante libérée en accompagnement pédagogique)
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
Les éducateurs utilisent de plus en plus le terme « multilingue » pour décrire un élève issu de l’immigration qui apprend la langue d’enseignement de l’école. Il s’agit là d’une affirmation positive qui considère les élèves multilingues comme des « plus » (locuteurs de plusieurs langues) plutôt que comme des « moins » (qui ne maitrisent pas la langue parlée à l’école). Des chercheurs ont découvert qu’en encourageant les élèves multilingues à utiliser leur langue d’origine en plus de celle parlée en classe, ces derniers en viennent à se considérer comme des locuteurs talentueux et accomplis de plusieurs langues. Ces élèves sont alors plus susceptibles de s’intéresser aux études, plutôt que de se sentir limités par leurs capacités actuelles dans la langue d’enseignement. Au cours des dernières années, des enseignants canadiens ont exploré une grande variété de stratégies et de programmes d’apprentissage inclusifs qui considèrent les langues parlées par certains élèves comme autant d’occasions d’enrichissement pour tous les élèves.
La grande majorité des enseignants canadiens conviennent que nous devrions relier l’enseignement à la vie des élèves, mettre à profit leurs antécédents et maximiser leurs talents intellectuels et artistiques dans un environnement d’apprentissage émotionnellement sûr. Lorsque nous reconnaissons le rôle de la langue maternelle des élèves dans leur vie et explorons des options qui tirent parti de leurs compétences multilingues, c’est l’ensemble des élèves qui apprennent à concilier leurs différences et à mieux apprécier la variété des langues et des cultures, ce qui constitue une compétence précieuse dans notre monde de plus en plus multiculturel et interconnecté.
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MERCI À NOS GÉNÉREUX PARTENAIRES :
À noter : Cette fiche est conforme à la nouvelle orthographe. Le générique masculin est utilisé sans discrimination et uniquement dans le but d’alléger le texte.
Cet article précise avant tout les défis que représente ce que signifie vraiment l’évolution du concept de citoyenneté à l’ère numérique. L’auteur explique comment les enseignants doivent respecter l’autonomie de l’ensemble de leurs élèves tout en les appuyant à des développer un agir responsable, une éthique appropriée, leur esprit critique ainsi que les connaissances et compétences requises en faisant progresser leurs stratégies pédagogiques réflexives liées à une nouvelle littératie numérique et même médiatique multimodale.
Parler de citoyenneté numérique laisse entendre qu’il y aurait deux citoyennetés, l’une numérique, l’autre pas. Or, chaque individu n’est toujours qu’une seule et même personne. Être citoyen, en 2018, c’est nécessairement exercer ce rôle en prenant en compte le numérique, qu’on y soit acteur ou non. L’école n’a donc d’autre choix que de former des hommes et des femmes qui sauront relever les défis de cette ère numérique.
Au cours des 10 dernières années, le concept de citoyenneté numérique a connu un gain de popularité. Dans le milieu scolaire, de plus en plus d’acteurs se sont mobilisés en vue d’éduquer les élèves à un agir responsable spécifiquement dans les environnements numériques. Plusieurs travaux ont été menés pour tenter de cerner les aspects de la vie numérique à traiter afin de proposer des pistes d’action pour former de bons citoyens numériques. On cherche à développer un agir responsable en fonction de ce qui semble souhaitable ou acceptable aux yeux de la société ou d’un groupe en particulier. On parle aussi de bons gestes, d’agir positif, de bien se comporter, de civisme, de respect, de sens critique, etc. HabiloMédias la définit ainsi :
« La citoyenneté numérique s’inspire largement du civisme au sens traditionnel du terme, tout en insistant sur l’importance de comprendre et d’utiliser intelligemment les médias numériques afin de pouvoir participer activement à la vie de notre société moderne1. »
Cependant, l’adoption de bons comportements ne semble pas suffisante pour faire face à de nouvelles réalités. Même si l’on est soi-même inactif dans l’espace numérique, l’omniprésence de ces technologies nécessite qu’on ait une compréhension minimale de leur fonctionnement et de leurs impacts sur nos vies. Le traçage, le profilage et les algorithmes, par exemple, sont des termes que tout le monde a entendus, mais peu seraient capables d’expliquer leurs mécanismes, leur fonctionnement et leurs retombées au quotidien. Le récent scandale Facebook avec la firme Cambrige Analytica2 a clairement fait la démonstration que le simple fait de bien se comporter dans les médias sociaux fût insuffisant pour prévenir ou empêcher ce qui a mené à ce scandale. Bon nombre de personnes peineraient à expliquer simplement la nature de ce problème. Cela met en évidence la nécessité d’aller au-delà de la recherche de comportements dits bons.
Quelques-uns de ces constats ont amené le chercheur Normand Landry de la TELUQ, l’université à distance affiliée à l’Université du Québec, à faire évoluer le discours vers le concept de citoyenneté à l’ère du numérique3.
Le développement de la citoyenneté ramène à des savoirs plus globaux. Il s’agit de se demander de quoi a besoin le citoyen d’aujourd’hui et celui de demain. Dans cette ère numérique, quelles sont les compétences incontournables? Avant toute chose, il serait utile de mieux circonscrire le concept de citoyenneté lui-même. À l’ère numérique, il semble nécessaire de même le redéfinir.
Le concept trouve son origine dans la Grèce antique. Bien que l’on souhaitât alors redonner le pouvoir au peuple, dans les faits, ce n’est que 10 % de la population qui jouissait du droit de parole et de la participation aux décisions collectives. À l’époque des révolutions française et anglaise, il a évolué pour se rapprocher du sens de nationalité. Ce n’est toutefois qu’au 20esiècle que ce droit a aussi été reconnu aux femmes. Plus récemment, l’UNESCO a fait l’exercice de définir le concept de citoyenneté mondiale4 qu’elle décrivait ainsi en 2015 :
« La citoyenneté mondiale fait référence à un sentiment d’appartenance à une grande communauté et à une humanité commune. Elle met l’accent sur l’interdépendance politique, économique, sociale et culturelle, et sur l’interconnexion entre le local, le national et le mondial5. »
Développer une citoyenneté à l’ère numérique pourrait certainement trouver davantage de points d’ancrage dans ce concept.
Bien qu’elle semble offrir de plus grandes possibilités, l’expression de cette citoyenneté est aussi confrontée à de nombreux défis. L’espace numérique fournit une quantité titanesque d’information. Les capacités du cerveau humain sont nettement insuffisantes pour traiter une telle masse de données, aussi appelées mégadonnées. C’est pourquoi nous faisons appel à des algorithmes pour faciliter ce traitement. Notre rapport à la connaissance est donc largement conditionné par des algorithmes qui font office de filtres, permettant à l’humain de trier et d’accéder au contenu pertinent pour lui. Cette pertinence est de plus en plus mise en cause. Comment est-elle définie? Qui en a le contrôle? Qui d’entre nous est capable de savoir comment fonctionnent ces algorithmes? Quel pouvoir avons-nous sur eux? De quelle façon nos sociétés encadrent-elles leur développement? La formation offerte dans nos établissements scolaires développe-t-elle de futurs citoyens en mesure de relever de tels défis?
À l’heure actuelle, l’élaboration des algorithmes, le recoupement des mégadonnées et l’établissement des règles qui les régissent sont largement initiés et encadrés par des entreprises privées6. Plus encore, les grands joueurs du Web développent des algorithmes qui ont plusieurs effets régulateurs sur nos vies. Plusieurs entreprises se servent de ces ressources pour, à leur tour, développer des algorithmes régulateurs. Prenons l’exemple des assureurs automobiles qui promettent des réductions de primes sur la base de données recueillies à l’aide d’applications qui observent le comportement routier de leurs utilisateurs. Cela opère une forme de régulation des comportements.
Bref, de plus en plus, nos comportements sont directement ou indirectement influencés par des algorithmes. On pourrait presque conclure que ce sont davantage des intérêts privés qui régissent la société que la société qui régit ces intérêts privés. Une question se pose alors, avons-nous collectivement les compétences pour renverser cette vapeur? Une fois de plus, des questions entourant la formation de base refont surface. Cette fois-ci, ce sont aussi des questions d’ordre éthique.
Lorsqu’il est question de baliser les comportements humains, ce sont davantage des capacités à réfléchir, à prendre de la distance face à ces problématiques, à prendre en compte les normes, les valeurs et les points de vue qui sont utiles. Face à de nouvelles situations, il est possible que les réponses habituelles ne soient pas les meilleures solutions, c’est pourquoi l’apprentissage de comportements souhaitables a besoin d’être contextualisé et relativisé. Cela développe la capacité de l’apprenant à mettre en œuvre une démarche de réflexion éthique plutôt que de simplement donner une réponse automatisée. Au Québec, les programmes d’Éthique et culture religieuse (ECR) et de Monde contemporain du Programme de formation de l’école québécoise (PFÉQ) proposent le développement de compétences en ce sens. Il serait donc utile de mobiliser ces compétences et de les contextualiser au regard des défis de l’ère du numérique.
À propos de la réflexion éthique. Le programme d’ECR propose cette définition :
L’éthique consiste en une réflexion critique sur la signification des conduites ainsi que sur les valeurs et les normes que se donnent les membres d’une société ou d’un groupe pour guider et réguler leurs actions. Cette réflexion éthique, qui permet le développement du sens moral de la personne, est indispensable pour faire des choix judicieux7.
On note ici une distanciation par rapport à une approche normalisante ou moralisante. Ce choix délibéré effectué dans l’élaboration de ce programme vise donc le développement de la pensée critique comme gage à la capacité d’effectuer des choix responsables tout au long de la vie.
La démarche proposée aux élèves en ECR pourrait être illustrée par le schéma suivant :
Pour permettre une telle réflexion sur ces enjeux, il est aussi nécessaire de développer une certaine compréhension du numérique, de ses connaissances de base, de son fonctionnement, de sa culture, de ses codes et de ses modalités.
Une piste que plusieurs chercheurs empruntent est celle du développement d’une littératie au sens large. On en trouve différentes déclinaisons telles la littératie numérique et la littératie médiatique multimodale.
Capacité d’une personne, d’un milieu et d’une communauté à comprendre et à communiquer de l’information par le langage sur différents supports pour participer activement à la société dans différents contextes8.
Ensemble de compétences indispensables à tout citoyen désireux de participer pleinement à la vie en société, à l’ère du numérique. Les compétences en littératie numérique sont réparties en trois grandes catégories ou concepts majeurs, soit : utiliser, comprendre et créer9.
La littératie est la capacité d’une personne à mobiliser adéquatement, en contexte communicationnel synchrone ou asynchrone, les ressources et les compétences sémiotiques modales (ex : mode linguistique seul) et multimodales (ex : combinaison des modes linguistique, visuel et sonore) les plus appropriées à la situation et au support de communication (traditionnel et/ou numérique), à l’occasion de la réception (décryptage, compréhension, interprétation et évaluation) et/ou de la production (élaboration, création, diffusion) de tout type de message10.
La littératie relève donc du domaine du langage, et promeut le développement de capacités à communiquer, à s’exprimer, à interpréter, à comprendre, à maîtriser, à utiliser ces différents codes et modalités en fonction du contexte et des intentions pour exercer pleinement son rôle de citoyen. Plusieurs habiletés ou capacités qu’on y décrit trouvent leurs échos dans le PFEQ au travers des compétences disciplinaires et transversales et des domaines généraux de formation. Il y aurait peut-être lieu de les revaloriser à la lumière de ces constats et de les actualiser au regard des défis qu’amène l’ère numérique.
Toutes ces connaissances ont toutefois aussi besoin d’être jumelées à des aptitudes humaines nécessaires à la vie en commun. Bien connaître le fonctionnement du numérique, saisir ses codes et son langage, savoir utiliser les ressources numériques de manière efficace, être en mesure d’imaginer des règles permettant un meilleur encadrement sont des aptitudes certes fort utiles. Toutefois, elles prennent une tout autre perspective lorsqu’elles sont empreintes d’écoute, mobilisées avec empathie, préoccupées par le bien commun, engagées à répondre aux besoins des plus vulnérables, aptes à prendre en compte une diversité de points de vue et exprimées avec clarté et respect.
Parlant des plus vulnérables, le développement d’une citoyenneté à l’ère numérique implique également d’aborder avec les apprenants des principes d’équité, de justice et d’égalité des chances. Une société inclusive cherche à prévoir une place et une participation active des personnes ayant des limitations ou des difficultés de tous ordres. En contexte scolaire, s’intéresser aux élèves les plus vulnérables qu’on désigne comme HDAA pourrait offrir un tel contexte. Amener les élèves à prendre conscience que le numérique peut, selon son usage ou la difficulté d’accès à son usage, devenir un facteur d’inclusion ou d’exclusion. Contextualiser l’accès aux technologies et aux aides technologiques pour les élèves ayant de faibles capacités en lecture et en écriture facilite leur intégration. Développer avec les élèves des approches qui réduisent la vulnérabilité de certains à l’égard de la réflexion critique et des pratiques à risque leur fournit des occasions de vivre une participation active et autonome11.
Pour trouver des solutions à des défis émergents, les approches pédagogiques gagneraient à stimuler la créativité et l’innovation des apprenants.
Développer des compétences visant une réelle autonomisation (empowerment, capacitation) des apprenants exige une posture professionnelle le permettant. Si l’on souhaite développer cette autonomie, il est utile de se garder d’inculquer ses propres valeurs, ses normes et ses repères aux élèves en adoptant une posture la plus neutre possible au plan moral. Utiliser une approche réflexive par le questionnement, par la compréhension des mécanismes impliqués, par le partage des perceptions et des points de vue, par l’identification des enjeux ou par la recherche de solutions sont des stratégies qui le permettent. L’enseignant a la nécessité d’être au clair avec deux de ses rôles qui peuvent parfois entrer en contradiction soit celui de figure d’autorité et de gardien des valeurs communes d’une part et celui de pédagogue de l’autre. La chercheuse Stéphanie Gravel12 propose le concept de distance critique qui vise à nuancer le concept d’impartialité qui pourrait s’avérer illusoire dans une certaine mesure. De son côté, en parlant de la posture à adopter au regard du phénomène des fausses nouvelles, le sociologue français Louis Quéré propose de passer d’une culture de la suspicion à « une culture de l’enquête et qu’elle contribue à former à l’attitude et aux dispositions qu’elle implique13. » Il serait utile de s’inspirer de ces deux approches pour élaborer des ressources permettant le développement d’une citoyenneté à l’ère numérique.
Par ailleurs, pour développer la capacité à trouver ou imaginer des solutions nouvelles à des défis émergents, les approches pédagogiques gagneraient à stimuler la créativité et l’innovation des apprenants. Cela peut se faire en les plaçant face à des problèmes complexes, en favorisant la collaboration, la libre circulation des idées et des points de vue ou toutes autres stratégies pédagogiques qui les amèneraient à innover.
Pour développer une citoyenneté pleine et entière à l’ère numérique, il y a nécessité de mobiliser un ensemble d’acteurs. On ne peut confier cette responsabilité qu’aux enthousiastes du numérique; la tâche serait trop colossale et pourrait donner à croire qu’elle est affaire de spécialistes ou de passionnés de la chose. Toutefois, comme le dit le dicton, ce qui est l’affaire de tous, n’est l’affaire de personne. En confiant aux dirigeants de nos établissements le leadership de cette responsabilité, cela permettrait de contourner cette problématique. Pour assurer le succès d’une telle démarche, ceux-ci ont toutefois besoin d’être accompagnés, formés et outillés.
Pour aller plus loin, consultez le rapport Développer la citoyenneté à l’ère du numérique — Portrait de la situation au Québec et recommandations.
Photo collage : iStock
Première publication dans Éducation Canada, décembre 2018
1 HabiloMédias, Centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique, Les fondements de la littératie numérique, consulté le 27 avril 2018.
2 Tout ce que vous devez savoir sur le scandale Facebook-Cambridge Analytica, article publié sur le site de Radio-Canada le 19 mars 2018, consulté le 29 avril 2018.
3 Réflexion issue d’un comité de travail sur l’identité numérique à la Commission scolaire de Laval à l’hiver 2017. Lire aussi : Landry, Normand et Letellier Anne-Sophie et coll. L’éducation aux médias à l’ère numérique, Les Presses de l’Université de Montréal, 2016.
4 Éducation à la citoyenneté mondiale – Préparer les apprenants aux défis du XXIe siècle, UNESCO, 2015, consulté le 19 avril 2018.
5 Éducation à la citoyenneté mondiale – Thèmes et objectifs d’apprentissage, UNESCO, 2015, consulté le 19 avril 2018.
6 Isabelle Paré, La main invisible des algorithmes, premier article du dossier Le pouvoir du code sur le développement des algorithmes paru dans Le Devoir le 18 février 2018, consulté le 29 avril 2018.
7 Éthique et culture religieuse, Programme du premier et du deuxième cycle du secondaire, Ministère de l’Éducation du Québec, 2008, p.1.
8 Lacelle, N.(UQAM), Lafontaine, L. (UQO), Moreau, A.C, (UQO). Un réseau propose une définition de la littératie. Réseau québecois de recherche et de transfert en littératie. Repéré le 27 avril 2018 à www.ctreq.qc.ca/un-reseau-propose-une-definition-de-la-litteratie/
9 Habilo Médias, Les fondements de la littératie numérique, consulté le 29 avril 2018.
10 Lacelle, Lebrun et Boutin, 2015, consulté sur le site du groupe de recherche en Littératie Médiatique Multimodale le 27 avril 2018.
11 Merci à Jean Chouinard du service national du RÉCIT en adaptation scolaire pour son apport à ce paragraphe.
12 L’impartialité et le programme d’Éthique et culture religieuse. La mise en pratique de l’impartialité professionnelle d’enseignants du secondaire et ses défis pédagogiques, Stéphanie Gravel, 2017.
13 Quéré, Louis, Conférence Confiance et vérité prononcée à l’UQÀM le 28 juin 2018 dans le cadre de l’école d’été S’informer dans un monde de fausses informations : produire et interpréter des contenus dans le nouvel écosystème informationnel.
Relativement aux villes qui ne se cessent de s’accroitre, et qui se conçoivent dorénavant à l’aune de nouvelles conceptions architecturales, urbaines et technologiques, il est important de réinjecter dans cette vision, parfois exaltée, un questionnement sur la place et la forme de l’éducation.
Après ses études en Allemagne, les Pays-Bas et la République tchèque, Melanie Brockmann vit et travaille en tant que professeur d’allemand et professeur de danse à Paris. Ses deux enfants fréquentent tous les deux des écoles publiques. Elle s’engage auprès des parents d’élèves, aussi pour mieux comprendre le système scolaire français. Elle s’intéresse particulièrement à des concepts d’apprentissage innovants et créatifs. Sur ce sujet elle a publié plusieurs articles dans des magazines spécialisés en Allemagne et a également conçu du matériel didactique (ALE – Allemand langue étrangère). Depuis 2017, elle est responsable d’un cours magistral en langue allemande à l’Institut Catholique de Paris sur la « La ville du futur ».
Poussés par l’espoir d’un meilleur travail et d’un style de vie urbain, toujours plus de gens sont attirés par les grandes villes, et on pense désormais qu’en 2050, 70 % de la population mondial e vivra en ville1. Pourtant les ville s ne représentent que 2 % de la surface de la Terre, et déjà 50 % de la population mondiale y vit. Les urbanistes et les architectes ont cette mission complexe de garder l’équilibre entre, d’une part, l’organisation des espaces de vie d’une population grandissante dans un périmètre contraint, et d’autre part, la préservation d’une bonne qualité de vie des habitants. Les urbanistes doivent alors faire face à cette nécessité de concevoir des espaces urbains et de les ajuster, de les concilier en un juste équilibre quelque part entre espaces fonctionnels et espaces agréable s.
Dans l’urbanisme classique, la ville est pensée principalement selon quatre grands axes : le travail, l’habitat, le loisir et le transport. De nos jours, l’urbanisme se nourrit d’autres disciplines et opère des mutations inédites. Les neuro-urbanistes se questionnent sur les relations entre agitation urbaine, espace vert, maladies psychiques et santé mentale. Comment définir concrètement « la bonne qualité de vie », quels sont ses dénominateurs communs? Comment les identifier? Et comment garantir qu’une ville offrira un environnement dans lequel les individus se sentiront bien et pourront s’épanouir?
Ces nouvelles disciplines urbaines, pétries de sociologie, d’anthropologie, de psychologie, d’architecture ou encore de philosophie, sont attentives aux avancées technologiques du monde numérique. Toute recherche empirique, expérimentation de laboratoire et technologie de pointe trouvent une source d’inspiration inépuisable dans l’anticipation de ce que sera la ville du futur. Elles y rencontrent les problématiques les plus contemporaines.
Ainsi, la ville du futur pourrait résoudre les bouleversements environnementaux à venir : les villes sur l’eau répondent à la montée inexorable des eaux, la ville contenue tout entière dans une seule tour peut résoudre la complexité énergétique des réseaux de transport, et il en va ainsi pour la Smartcity, l’Ecocity… Autant de réponses concrètes, argumentées, aux défis auxquels il nous faut faire face aujourd’hui avec urgence.
Ces réflexions transversales s’attachent à penser aussi bien le chemin quotidien à son bureau, l’espace du travail, le loisir, l’habitat, les matériaux, l’économie d’énergie, la circulation, les relations sociales, pourtant, jamais la question de l’espace pour l’éducation n’est frontalement abordée.
Voici des promesses saisissantes, des conceptions nouvelles, des solutions concrètes et un futur dans lequel les conséquences pour l’école, l’apprentissage, l’éducation sont à peine esquissées. Dans ce demi-silence, quelques applications sur les boutiques d’applications (App Store) nous proposent une autre manière d’apprendre sur son téléphone intelligent, pendant que le don d’ubiquité promis par les réseaux numériques du futur nous invite à enseignerautrement sur des écrans connectés.
Pourquoi l’éducation et sa science séculaire ne prennent-elles pas une part plus affirmée à cetenthousiasme général pour la ville à venir? La marche en avant « numérique » perturbe les relations traditionnelles entre transmission, valeurs et pratiques éducatives. En premier lieu, ce nouvel agencement numérique s’interroge sur les incarnations. Le corps de l’enseignant, présent dans sa salle de classe, doit se confronter à sa propre dématérialisation; son savoir se heurte aux moteurs de recherche et autres « wiki » collaboratifs, ainsi que sa capacité à le transmettre en considérant les « e-learning » ludiques et autres modules de « MOOC 2 » honorables. Son champ de compétences est démultiplié à l’infini dans un nouvel agencement de duplication numérique des savoirs traditionnels aux récits, expériences individuelles ou collaboratives; sa salle de classe doit rivaliser avec des applications et des réseaux spécialisés en libre accès. À cela s’ajoute la crainte que « notre regard critique » sur la science, le progrès, et les promesses qui les accompagnent ne soit littéralement engloutit, dépassé par ce changement à grande vitesse qui s’opère sous nos yeux.
Pour l’éducation, le numérique n’est pas neutre. Occasionnellement, les sciences qui participent à l’avènement du tout numérique semblent reproduire les craintes des précédentes révolutions industrielles, et de leurs marches forcées vers le progrès. Et ce progrès, à l’origine de l’école telle que nous l’avons conçue, est pris à son propre piège en mettant à l’écart de son chemin, l’éducation qui le garantissait en retour.
La science de l’éducation est encore jeune, elle doit penser le monde qui vient au-devant d’elle, tout engourdie et parfois embarrassée des responsabilités humanistes dont elle hérite. Face à la créativité immature et parfois arrogante du monde numérique conquérant, elle peine à entretenir le dialogue.
Comment penser l’éducation, ses espaces, son ambition, ses objectifs dans la Smartcity par exemple? Comment la concevoir à l’ère de la dématérialisation du savoir et de la transmission?
Avec la Smartcity et les villes intelligentes, la question devient plus urgente, le risque politique est conséquent. L’expression des inquiétudes et des réticences ne peut suffire à répondre à la force de frappe des nouvelles technologies qui transforment à toute vitesse notre quotidien.
Le réaménagement des villes déjà existantes coute cher et provoque souvent des processus d’embourgeoisement, c’est-à-dire des changements de la population d’un quartier ou d’une ville. D’ailleurs, qui vivrait dans des projets réalisés de nouvelles villes spectaculaires, des projets de villes-nations ou de villes sous-marines (p. ex., l’architecte belge Vincent Callebaut, l’Ocean Spiral de Shimizumais, aussi les projets urbains de Apple et Google)?
Pour des villes intelligentes, connectées, un aménagement approprié des infrastructures est indispensable. D’autant plus, lorsque ces villes sont conçues selon un processus descendant : des villes livrées clés en main, construites d’un bloc, créées en dehors de tout enchainement historique. La question des espaces de l’éducation est délaissée au profit des problématiques du transport, de l’habitat, du loisir, et du travail.
Or, l’espace de l’éducation, s’il doit être préservé quelque part dans la Smartcity doit se penser, avant qu’aucun mur ne soit élevé, et que le béton ne soit coulé dans les terrassements.
Très bientôt, des villes entières seront vendues, et achetées (Anil Menon, +Connected Communities CISCO Arte 1/3, Songdo City Corée du Sud). Le service après-vente et les prestations contractuelles feront partie de l’investissement financier. La ville et son organisation resteront entre les mains du concepteur/vendeur, car lui seul maitrisera le fonctionnement de la ville et de ses parties.
On peut se poser la question de ce que sera l’espace public, physique et partagé concrètement. Les espaces publics ont structuré la cité de manière organique en permettant une proximité, voire une complicité dans la diversité des activités des habitants et des pratiques citoyennes. La cité coconstruite rendait indistincte la part des impulsions programmatiques, politiques, ou intuitives (Wem gehören unsere Städte? ARTE, La démocratie urbaine en danger, Le Monde, Le Times Square Business Improvement District de Stephane Tonnelat).
D’ailleurs dans la ville intelligente, qui sera la personne responsable quant aux questions relatives à l’éducation? Les entrelacs entre enjeux privés et publics dessinent des contours incertains, ouverts à des arbitrages et à des intérêts peu recommandables.
Les villes du futur, en fonctionnant sur la base d’algorithmes, de centrales de serveurs dédiés au « big data », pourront garantir à l’habitant des Ecocitys une maitrise complète de ses propres dépenses énergétiques, de son empreinte carbone, de sa consommation d’électricité, de gaz…
Pour les Smartcitys, les différents systèmes qui approvisionnent la ville, ses veines et ses artères, comme le transport et les réseaux énergétiques, seront unifiés et attribués à un management des données (Die vernetzte Stadt, Kristina Pezzei, FAZ). Grâce à cette bonne gestion, les habitants de ces futures villes économiseront jusqu’à 30 % d’énergie. Si l’on considère que des experts entrevoient la fin de la deuxième (ou troisième selon certains) révolution industrielle, à cause de la hausse du prix des combustibles, et de l’épuisement des énergies fossiles, alors les maisons passives et optimisées de l’Ecocity sont les bienvenues pour nous sortir de cette ère industrielle qui s’éteint.
Mais la planification des villes ne pourrait se contenter d’optimiser la gestion de l’énergie. Pour beaucoup d’habitants, la vie urbaine signifie aussi un certain désordre, de la complication, un projet en devenir, une diversité culturelle. Pour plusieurs, la ville reste simplement le symbole de systèmes dynamiques, vivants, complexes, qui ne se satisfont pas de structures lisses aux géométries achevées.
Même si les aspects environnementaux, la meilleure gestion du temps, le calme et la sécurité entrent pleinement dans ces projets urbains à venir, il semble que l’être humain soit toujours plus qu’un organisme vivant qui travaille, achète et habite dans un endroit énergétiquementoptimisé.
Lorsque chacun pourra gérer, surveiller, telle une centrale miniature connectée, sa propre consommation d’énergie (selon le sociologue et économe américain Jeremy Rifkin), quelles formes auront les espaces d’éducation dans ces nouveaux environnements connectés?
Dans ces espaces communs qui se privatisent, dans ces espaces privés ouverts aux réseaux dématérialisés, dans ces espaces collectifs pris discrètement d’assaut par des partenariats public-privé indistincts (les BDD — Business Improvement District), comment inscrire durablement et préserver les savoirs en devenir, les manifestations expérimentales et dynamiques dont devraient jouir les espaces d’éducation?
Quelles que soient les formes de ces villes du futur dans les décennies à venir, elles devront gérer encore la croissance de leur population, la maitrise de leurs espaces, et, aux côtés des problématiques d’optimisation énergétique, elles ne pourront manquer de travailler la représentation problématique des espaces d’éducation dans ces nouveaux contextes. L’apprentissage durable serait-il un enjeu écologique?
Les états et les communes doivent se montrer attentifs et réactifs aux initiatives citoyennes qui engagent dans le tissu urbain des processus d’approche ascendante du développement de la cité.
Les villes resteront toujours des laboratoires où expérimentations et innovations naissent d’initiatives hybrides, indiscernables entre actions et réaction, habitants et institutions.
Les espaces d’éducation pourraient être identifiés comme ces environnements précieux qui ventilent, par l’action quotidienne des acteurs des systèmes éducatifs traditionnels, toutes les problématiques de la transmission des cultures, de la transmission générationnelle, de l’expérience de l’échange, de l’autre, de l’altérité. Également, ils sont ces lieux propices à aérer les réseaux fermés et objectivés des espaces d’usage.
Même s’il est difficile de savoir exactement ce qu’un élève d’aujourd’hui devra maitriser dans dix ans, il reste que les espaces d’éducation constituent le terreau des comités d’experts à venir. Ils rendent possible un retour critique, projectif, actif sur leurs propres environnements. Ils initient les individus, les habitants, les générations à venir aux débats citoyens sur la vie commune. Ils éprouvent par le contact, la perméabilité des espaces privés et publics, individuels et collectifs.
Ils doivent se penser également comme un espace capable d’accueillir l’expression des rêves de ceux, et de celles qui y vivent ensemble. Ils sont en mesure d’être un moteur aussi bien qu’un champ d’expérimentation.
Évoquer, construire la ville du futur ne peut s’envisager sans ceux-là mêmes qui y vivront. Comme le souligne le neurobiologiste et écrivain Gerald Hüter, recréer une conscience active et dynamique de/pour son environnement, cela signifie aussi déjà de créer de l’espace vivable.
Photo : David Peralbo
Première publication dans Éducation Canada, décembre 2018
1 www.lesechos.fr/19/05/2018/lesechos.fr/0301693908841_en-2050–plus-de-deux-tiers-de-l-humanite-vivra-en-ville.htm
2 Un MOOC (pour massive open online course, d’après l’anglais) ou formation en ligne ouverte à tous (FLOT), aussi appelée cours en ligne ouvert et massif (CLOM), est un type ouvert de formation à distance capable d’accueillir un grand nombre de participants. L’appellation MOOC est passée dans le langage courant en France; elle est désormais reconnue par les principaux dictionnaires.
Cet article présente le point de vue d’enseignant expérimenté sur l’usage de divers outils numériques. On y présente diverses stratégies pédagogiques touchant la recherche, la littératie, le travail collaboratif et l’évaluation.
Enseignant de français depuis 15 ans, Sylvain Bérubé a aussi enseigné de nombreuses autres matières. Très impliqué dans l’intégration du numérique aux apprentissages, il a développé une expertise en ce domaine et fait, entre autres, partie du comité organisateur du colloque Clair, au Nouveau-Brunswick, depuis ses débuts en 2010. Sylvain est également musicien professionnel depuis toujours, blogueur depuis 2006, et rédacteur pigiste pour diverses organisations en lien avec l’éducation.
S’il est un sujet qui me turlupine depuis un bon moment déjà, c’est l’éducation au numérique dans les écoles. Depuis plus de dix ans, je constate que l’identité numérique est un concept bien réel avec lequel chacun doit, chaque jour, de plus en plus composer. Je crois sincèrement qu’il faut en parler et développer des savoirs concernant ce sujet. Évidemment, je suis loin d’être le seul à réfléchir à la question, et c’est tant mieux, car cette facette de notre identité est de plus en plus présente, puisqu’on se définit partiellement par elle : le numérique fait partie de notre vie et de notre identité.
Avec le temps, nous sommes à même de faire quelques constats à propos du numérique et de l’abondance d’informations de toutes sortes qu’il suscite. L’information et l’opinion se confondent comme jamais auparavant. Il pleut des chroniqueurs de tous acabits, certains établissant des liens pertinents avec de vraies informations, d’autres créant des liens douteux avec diverses rumeurs ou autres fausses nouvelles. Plusieurs se retrouvent aussi entre les deux camps, peinant parfois, ou même souvent, à distinguer le vrai du faux. Tout ceci est sans compter chaque personne qui peut désormais s’exprimer haut et fort, avec ou sans discernement, sur cette place publique que sont devenus les réseaux sociaux, en partageant toutes sortes d’éléments d’information, certains étant des faits vérifiables et d’autres, de prétendues nouvelles… On retrouve aussi les vidéos qui font rire et d’autres qui font réfléchir, et cela, selon nos habitudes et ce que les algorithmes nous donnent à « consommer » par la suite.
En considérant tous ces changements, diverses initiatives naissent à gauche et à droite, afin de sensibiliser nos élèves à ces diverses réalités. J’écris « réalités », car tout cela est bien réel, même si cela se produit souvent dans un monde dit virtuel. Ce sont des gens bien réels qui tapent sur leur clavier, et les répercussions de leurs propos sont bien réelles, elles aussi.
Pour aider les élèves à prendre conscience de la réalité du monde numérique, j’ai vu des intervenants, policiers-éducateurs ou autres, présenter des conférences afin de sensibiliser les jeunes aux dangers d’Internet. Ils y partagent beaucoup d’informations pertinentes et utiles, mais souvent présentées sous un angle n’offrant que très rarement les aspects positifs que peuvent offrir les réseaux sociaux.
Afin d’outiller nos élèves, une équipe de l’Université Laval propose des méthodes de recherche, s’adressant d’abord aux élèves du primaire, puis, plus récemment, à ceux dusecondaire. On y aborde la formulation d’une question de recherche, la validation des sources, l’évaluation de leur crédibilité, etc. On y retrouve beaucoup d’informations, des capsules vidéos, et autres ressources. De bons outils à mettre entre les mains des enseignants… et des élèves ! (Pour plus de resources)
Chaque année, de nouvelles ressources pédagogiques apparaissent, permettant aux élèves de s’approprier les réseaux sociaux et d’en faire un usage intelligent. Je pense ici à des activités de grammaire en utilisant Instagram, aux concours de twittérature (littérature en 140, et maintenant 280 caractères, sur Twitter), et à bien d’autres.
Certains enseignants, dont je suis, invitent leurs élèves à réaliser un blogue qui, en y incorporant divers textes, comptes rendus et autres réflexions, constitue, alors, un portfolio numérique. On leur apprend ce qu’on appelle le savoir-publier, tout en leur permettant de pratiquer leur écriture.
Parallèlement, d’autres outils sont parfois utilisés en milieu scolaire sur un réseau en circuit fermé et sécurisé. Certains sont purement une transposition numérique de cahiers d’exercices papier. On n’y retrouve, à mon humble avis, aucune valeur ajoutée. D’autres offrent un environnement imitant certains réseaux sociaux, mais se retrouvant sur une plateforme sécurisée, afin d’offrir une meilleure sécurité pour un jeune public. Cela représente une bonne occasion, surtout pour les plus jeunes, de s’entrainer afin de mieux naviguer dans le monde numérique. Sans compter les laboratoires créatifs qui commencent à apparaitre ici et là…
Relativement à tout cela, il est important de se questionner au sujet de la meilleure façon d’assurer une cohérence parmi une multitude d’outils fort différents. Nous devons aussi faire en sorte que tous ces changements ne soient pas perçus par les enseignants comme une corvée supplémentaire et du surplus à ajouter à leurs tâches d’enseignement déjà considérables. Il s’agit plutôt pour eux de développer eux-mêmes, ainsi que chez leurs élèves, l’état d’esprit pertinent requis et la juste disposition à adopter. Il est alors évident qu’il devient nécessaire d’aider nos élèves à développer les compétences indispensables afin de s’adapter sainement au numérique. En effet, nos élèves doivent apprendre à naviguer dans une mer d’informations qui comprennent des faits, des opinions, de vraies et fausses nouvelles, les avis de tout un chacun, des rumeurs, ainsi que des manipulations, volontaires ou non, de certaines personnes influentes. On pourrait ajouter ici la publicité ciblée que l’on reçoit à partir des traces qu’on « veut » bien laisser lors de nos pérégrinations sur Internet.
Comme enseignant de français, la mission que je perçois, c’est primordialement d’aider mes élèves à développer les compétences requises en lecture, car seule la lecture intelligente, attentive et consciente, qui fait appel à diverses compétences informationnelles de discernement et d’analyse, permettra à nos élèves d’éviter de tomber dans divers pièges et de profiter pleinement de cette manne d’informations qui est désormais devenue beaucoup plus accessible qu’autrefois, situation dont certains profitent malheureusement pour polluer l’atmosphère numérique.
Cette connectivité, qui engendre la collaboration, il faut arriver à mieux l’intégrer à l’évaluation, mais en la remaniant afin de la rendre vraiment pertinente.
Comme enseignant dans le sens global, il devient pour moi de plus en plus évident que le carcan actuel dans lequel évolue tout ce que je considère comme « évaluation des apprentissages » devra être fortement remanié. Je ne propose pas ici une transposition numérique de la façon traditionnelle d’évaluer en ne faisant que changer l’outil utilisé. Actuellement, certaines expériences tentent de faire cela dans un environnement sécurisé, en débranchant l’outil numérique bien que, depuis son apparition, l’outil numérique ne fonctionne à son plein potentiel que lorsque les participants travaillent en collaboration sur des tâches quand ils sont connectés. C’est justement cette connectivité, qui engendre la collaboration qu’il faudra arriver à mieux intégrer à l’évaluation, mais en la remaniant de fond en comble afin de la rendre vraiment pertinente. Mais ça, c’est un tout autre dossier, fort gigantesque, qu’il faudra avoir le courage d’aborder plus tôt que tard.
Qui plus est, tout ce qui concerne les équipements numériques devra aussi être rapidement reconsidéré, et cela avec discernement et un « gros bon sens ». Les écoles privées peuvent demander aux parents d’acheter un outil technologique pour leur enfant. Toutefois, les écoles publiques n’ont, en principe, pas le droit d’exiger ce genre de contribution. On a qu’à penser à la saga du recours collectif survenue récemment au Québec, recours mené par un groupe de parents, et d’avocats, à propos du « petit » matériel scolaire, et à tout ce que cela a impliqué comme questionnements et réajustements dans les commissions scolaires et écoles du Québec pour la rentrée 2018. (Voir à ce sujet les sites suivant : Économies et cie et ministère de l’Éducation). Alors, que faire pour la majorité des élèves qui fréquentent l’école publique ? Le BYOD (Bring your own device) ou AVAN (apportez votre appareil numérique) ? Il y aura forcément des élèves qui n’auront pas les moyens d’acheter leur propre appareil. Le leur fournir (grâce au PAN, au Québec, le Plan d’action pour le numérique) pourrait être une solution moins onéreuse que de fournir un appareil à l’ensemble des élèves. L’autre bémol que certains voient au BYOD/AVAN est le fait que la flotte d’appareil n’est alors plus uniforme ; mais est-ce que cette uniformité est vraiment nécessaire ? Pour les techniciens en informatique, elle l’est. Pour les enseignants qui veulent conserver une approche traditionnelle centrée sur l’enseignant qui gère tout, elle l’est aussi. Selon moi, le rôle de l’enseignant est avant tout d’exercer ses compétences pédagogiques. L’uniformité du parc d’appareil n’est pas nécessaire si on utilise des outils d’apprentissage multiplateformes. Mais il faut être prêt à composer avec des situations qui ne seront forcément pas linéaires, ni toujours tranquilles ou paisibles. Bref, on n’a pas fini de parler de ce sujet-là non plus.
En conclusion, je dirais que quiconque arrive à vivre dans ce monde complexe aux multiples réalités (et fictions !), et aussi à le comprendre, pourra parvenir à avoir, tout d’abord, du pouvoir sur sa propre vie et il saura de plus comment influencer autrui, au lieu de simplement subir ce qu’on lui dira de penser. Développer un esprit critique et le pouvoir de penser par soi-même est devenu essentiel au 21e siècle, même si cela a toujours été un idéal à atteindre à toutes les époques. C’est tout simplement devenu encore plus primordial aujourd’hui, alors que la démocratie est parfois mise à dure épreuve dans nos sociétés.
Photo : Gracieuseté de l’auteur Sylvain Bérubé
Première publication dans Éducation Canada, décembre 2018
Enseigner en cette ère numérique représente déjà un impétueux défi lorsqu’un écran de paume offre plus d’information, d’intérêt et de divertissement que ce que le cerveau du meilleur artiste pédagogique peut concevoir pour ses élèves. Et voilà que, lorsque l’espèce humaine sombre dans une incontestable carence d’éthique et de sentiment de honte, et cela jusqu’aux plus hauts échelons politiques ou économiques, on affirme que les enseignants doivent maintenant assumer le renouvèlement de leur vocation afin de former des citoyens avertis, solidaires et responsables.
Mission chimérique, semble-t-il, puisqu’un grand pourcentage de cette génération d’apprenants est pour le moins blasé et confus et pour le pire, en désarroi et anxieux, devant cette manne d’informations et de nouvelles, vraies ou fausses, selon les besoins des tyrans. Où doivent-ils puiser leur motivation puisqu’ils sont souvent convaincus que, plus tôt que tard, l’humanité périra d’un inévitable et pandémique désastre écologique, pathologique ou militaire?
En réponse à ce fatalisme éprouvant, le magazine Éducation Canada a lancé un appel à de nombreux spécialistes qui se sont penchés sur la question de l’impact des outils numériques sur l’apprentissage ainsi que sur les approches pédagogiques les plus appropriées afin de mieux conscientiser les apprenants au besoin de se concevoir une citoyenneté nouvelle et à leur image. Vous retrouverez dans ces pages, de multiples stratégies portant, entre autres, sur de nouveaux types de compétences, de littératie, d’esprit critique, de coopération, d’éthique et même des conseils portant sur la citoyenneté dans les villes du futur. Il deviendra évident qu’aucun pédagogue, tout en respectant leur autonomie, ne peut laisser les apprenants totalement à eux-mêmes, lorsque les algorithmes, parfois objectifs, parfois subversifs, compensent pour l’incapacité du cerveau humain à appréhender tout ce que les médias, dont certains sont prédateurs, précipitent sur eux en tentant de les influencer.
Nous devons démontrer une profonde reconnaissance à ces chercheurs et à tous les enseignants qui persistent à explorer cette question, car il ne fait aucun doute que la pédagogie doit tenter d’évoluer au même rythme que progressent les outils numériques. Il est fondamental d’offrir de l’espoir et des outils à toute une génération et de la convaincre que l’intelligence organique exercera toujours son empire sur l’intelligence artificielle. Et pour le bonheur, la santé, l’équité et la qualité de l’environnement de l’ensemble des citoyens des sociétés plurielles et vraiment démocratiques d’un futur prochain, espérons que nos élèves et étudiants voteront, et pas forcément comme leurs parents et leurs grands-parents.
Photo : Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, décembre 2018
Cet article présente des stratégies efficaces afin d’appuyer la mission des programmes scolaires concernant le développement de la citoyenneté ainsi que l’apprentissage d’une pensée critique essentielle pour tous les élèves à l’époque numérique. On y retrouve les stratégies suivantes, concernant les informations reçues ou recherchées, soit : prendre du recul par rapport aux informations; vérifier la « validité/fiabilité » des informations; vérifier la « pertinence » des informations par rapport au sujet.
Lors de la dernière élection présidentielle de 2017 en France, le taux d’absentéisme au second tour n’a jamais été aussi élevé depuis 1969. La population française s’est abstenue d’aller choisir son futur président de la République à un pourcentage de 25,44 %.1 Ce chiffre semble bien être le reflet d’un désengagement politique de la part de la population française et le symptôme d’une citoyenneté en crise. Pourtant, l’école est particulièrement sensible au fait de développer la citoyenneté chez les élèves. En France, la section trois du premier chapitre de la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école république2 est relative à « l’éducation à la santé et à la citoyenneté ». Il est précisé qu’« au titre de sa mission d’éducation à la citoyenneté, le service public de l’éducation prépare les élèves à vivre en société et à devenir des citoyens responsables et libres, conscients des principes et des règles qui fondent la démocratie ». De plus, les nouveaux programmes au collège3 mettent eux aussi en avant l’importance de la citoyenneté à travers, entre autres, le programme de l’éducation physique et sportive (EPS) qui « a pour finalité de former un citoyen lucide, autonome, physiquement et socialement éduqué, dans le souci du vivre ensemble ». Pour aller plus loin, un document public3 relatif au « parcours citoyen » a été publié en 2016 et ce parcours « est inscrit dans le projet global de formation de l’élève… Adossé à l’ensemble des enseignements, en particulier l’enseignement moral et civique, l’éducation aux médias et à l’information, et participant du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, le parcours citoyen concourt à la transmission des valeurs et principes de la République et de la vie dans les sociétés démocratiques » 5. Ce parcours citoyen met en exergue une éducation aux médias et à l’information qui nous parait importante et qui prend tout son sens dans la société actuelle.
En effet, avec l’intégration massive d’Internet dans le quotidien des Français, ces dernières années, les élèves ont accès à une quantité considérable d’informations qui deviennent alors très facilement disponibles. Cette grande diversité d’informations entraine rapidement une surcharge informationnelle appelée aussi « nuage informationnel » par Edgar Morin6, ce qui provoque inévitablement chez les élèves des difficultés à traiter l’ensemble des informations reçues sur un même sujet dans le dessein qu’ils puissent se faire une idée précise sur celui-ci. Par conséquent, il nous semble que les élèves ont tendance, soit à choisir spontanément la première information qu’ils trouvent et qui traite du sujet donné, soit à garder l’information qui a le plus de sens pour eux.
Selon nous, deux raisons expliquent ce choix rapide de l’information. La première relève des moyens modernes et notamment technologiques tels que la télévision, les ordinateurs et les téléphones intelligents, qu’ils ont à leur disposition. Les élèves peuvent très facilement aller chercher une information et trouver des réponses ou des éléments de réponse à une question qu’ils se posent en regardant simplement les chaines de télévision ou en effectuant une recherche Internet sur des moteurs de recherche tels que Google, sur leur ordinateur ou leur téléphone intelligent, par exemple. La deuxième est relative au rythme de vie contemporain de la société actuelle. Si « les rapports de l’Homme et du Temps apparaissent, depuis toujours, complexes, insaisissables, et tumultueux » comme l’affirme Aubert7 dans son ouvrage Le culte de l’urgence : la société malade du temps, l’auteure tente de « comprendre comment notre époque est en train de vivre une mutation radicale dans son rapport au temps ». D’ailleurs, elle précise que nous sommes passés « d’un mode de fonctionnement à “temps long”… à un mode “à temps court”, société du zapping, du “fast”, des clips et des spots dans laquelle il s’agit de vivre l’intensité sans la durée et d’obtenir des résultats à efficacité immédiate ». Cette recherche spontanée et rapide d’informations vient à l’encontre d’une démarche réflexive et active d’appropriation de l’information. Dans ce cas-là, nous pourrions parler d’élève « consommateur d’informations » et non d’élève « acteur d’informations ».
Nous pensons que ce choix rapide des informations implique un vrai risque de traitement superficiel de celles traitées. Les élèves s’appuieraient ainsi sur des informations incomplètes, voire fausses, pour se construire une opinion qui serait plutôt issue de croyances que de vraies informations. Par conséquent, il nous semble important que cette difficulté qui consiste à sélectionner des informations pertinentes soit appréhendée dès le plus jeune âge. Mais comment, concrètement, permettre aux élèves d’éviter de tenir pour acquises les informations auxquelles ils sont confrontés dans leur quotidien? Quelle méthode donner aux élèves pour qu’ils puissent traiter les informations qu’ils reçoivent d’une manière éclairée? Les spécificités du cycle de consolidation des nouveaux programmes au collège précisent que « les élèves se familiarisent avec différentes sources documentaires, apprenant à chercher des informations et à interroger l’origine et la pertinence de ces informations dans l’univers du numérique. Le traitement et l’appropriation de ces informations font l’objet d’un apprentissage spécifique, en lien avec le développement des compétences de lecture et d’écriture ». Ainsi, la proposition d’une « démarche » d’appropriation des informations pourrait faire l’objet de cet apprentissage spécifique recherché par les nouveaux programmes et tenter de donner des éléments de réponse aux questions qui ont été soulevées. Celle-ci permettrait aux élèves de se saisir avec clairvoyance des informations qu’ils reçoivent et ainsi, ils pourraient davantage être lucides en exerçant une citoyenneté participative.
La démarche que nous allons présenter s’envisage dans deux contextes différents. Dans un premier temps, celle-ci pourrait être utilisée, dans le cas des deux premières étapes, pour accueillir, traiter les informations qui viennent aux élèves; on parlera à ce propos d’informations « descendantes ». Elles sont celles que les élèves reçoivent sans le vouloir par exemple, les informations médiatiques diffusées à la télévision. Dans un second temps, cette démarche peut être employée intégralement pour effectuer une recherche d’informations pour servir un travail tel qu’un exposé écrit ou oral, qui est de ce fait, volontaire; on parlera à cet effet d’informations « ascendantes ». Elles correspondent aux informations qui seront mobilisées pour servir un propos par exemple, pour réaliser un « travail pratique encadré » (TPE) au lycée ou un « enseignement pratique interdisciplinaire » (EPI) au collège.
Ensuite, l’élève se préoccupe de « l’auteur ». Il est essentiel de vérifier si la personne ou l’organisme qui a transmis l’information que l’on traite est sérieux et légitime, ceci dans le dessein d’utiliser des informations qui soient les plus fiables possible. Ainsi, il est important de se poser certaines questions telles que « peut-on facilement identifier l’auteur? », « a-t-il une reconnaissance scientifique? », « est-il cité à plusieurs reprises par d’autres sources travaillant sur le sujet (ce qui lui donnerait un statut d’expert)? ». Les réponses à ces questions permettent de continuer le tri des informations disponibles par les élèves en sélectionnant celles qui semblent les plus sérieuses.
Pour aller plus loin, il semble important de vérifier également, parmi les informations déjà triées, la « date » de leur parution, ce qui renvoie à la question suivante : « quand les informations ont-elles été publiées? » Il parait essentiel de vérifier si les informations que l’on traite sont récentes ou non, car si celles-ci sont anciennes, alors, l’élève risque d’utiliser des données qui sont obsolètes et qui seront par conséquent non pertinentes, dénuées de sens. Pour cela, l’élève peut tout d’abord vérifier la date de mise à jour d’un site Internet par exemple, ou regarder la date à laquelle l’article a été publié.
Enfin, ce sera la dernière étape pour vérifier la fiabilité des informations reçues ou recherchées, l’élève prend le temps de vérifier si les informations qu’il pense être valides sont citées par plusieurs sources sérieuses. Si tel est le cas, alors cette vérification permet de rassurer l’élève quant à l’utilisation de ces données. Toutefois, une nuance est à apporter à cette idée, car il est possible que certains sites reprennent tels quels certains textes copiés sur d’autres sources afin d’alimenter leur propre site.
Ce long travail, qui consiste à vérifier la fiabilité des informations que l’on reçoit ou que l’on cherche, est particulièrement important, car l’élève pourra retenir et utiliser des informations actuelles et reconnues comme sérieuses.
Dans le cas où l’élève recherche des informations pour réaliser un exposé par exemple, ce travail lui permettra d’obtenir davantage de légitimité dans ses propos et donnera une plus-value à son discours. Cependant, afin d’être percutant dans sa présentation, l’élève continue à sélectionner les informations qu’il est en train de trier en se positionnant cette fois-ci par rapport à la pertinence de celles-ci, au regard d’un sujet.
Les enjeux d’une éducation à une citoyenneté numérique sont divers et variés et nous ferons le choix de présenter ceux qui nous paraissent essentiels. Nous distinguons deux types d’enjeux : ceux en direction des élèves et ceux en faveur de la société. Nous avons retenu un enjeu principal pour les élèves qui consiste à être « lucide », et ce, pour maintenir leur libre arbitre, leur liberté de penser. Cette lucidité est possible lorsque les élèves prennent le temps de comprendre l’information qu’ils reçoivent, de l’analyser, de la critiquer et d’en déterminer sa pertinence. Si les élèves prennent l’information telle quelle, ils ne prennent alors pas le temps de se positionner par rapport à celle-ci et ils intègrent donc le point de vue de l’émetteur de cette même information sans prise de recul.
Quant aux enjeux liés à la société, l’école, en éduquant les élèves à une citoyenneté numérique, favorise des élèves plus « éclairés », qui réfléchissent, puisqu’ils traitent les informations qu’ils reçoivent et se les approprient; ils sont donc davantage en mesure de prendre des décisions et des responsabilités et participer ainsi à l’évolution de leur pays. Enfin, pour aller plus loin, en éduquant à la citoyenneté numérique, l’école participe au développement d’un « esprit critique » en étant capable de différencier, par exemple, de vraies informations, de fausses informations et des informations manipulées ou incomplètes. Cet aspect nous semble être un enjeu majeur, car cette capacité à être critique par rapport aux informations tout comme aux demandes que l’on reçoit, semble être une carence à la vue de la différence de résultats qui apparait dans l’expérience de soumission à l’autorité. Si les résultats de la première expérience de Milgram8 montraient que 62,5 % des personnes acceptaient d’envoyer toutes les décharges électriques qu’il était possible d’infliger à leur pair, les résultats plus récents de cette expérience, issus du reportage la « zone extrême » 9 en 2009, sont passés à 80 %, soit un gain considérable de 17,5 %. Cette importante augmentation nous laisse penser que l’enjeu visant à développer un esprit critique par le biais d’une éducation à une citoyenneté numérique peut être un moyen de contrebalancer cet effet de soumission à l’autorité, car la population aurait, dès le plus jeune âge, pris l’habitude de traiter les informations et de se positionner par rapport à celles-ci. Afin de renforcer ces propos, il nous parait essentiel que les élèves aient des outils pour prendre du recul par rapport aux informations qu’ils reçoivent, afin d’éviter de se faire manipuler comme c’est le cas de certains jeunes utilisés comme cible pour déclencher des attentats, dans les cas extrêmes.
En conclusion, l’école souhaite participer fortement à l’éducation des élèves à une citoyenneté numérique puisque le socle commun de connaissances, de compétences et de culture10 met en avant des « démarches de recherche et de traitement de l’information » en précisant que l’élève « apprend à confronter différentes sources et à évaluer la validité des contenus ». « L’élève apprend à utiliser avec discernement les outils numériques de communication et d’information ». Enfin, « il développe une culture numérique ». Il nous parait important que l’école puisse offrir aux élèves les moyens nécessaires pour qu’ils sélectionnent et s’approprient la multitude d’informations auxquelles ils sont confrontés chaque jour. En étant capables de prendre du recul par rapport aux informations qu’ils reçoivent, mais aussi en étant en mesure de les analyser et faire des choix personnels ensuite, il apparait que l’école participe ainsi à rendre les élèves plus lucides, cultivés, mais aussi autonomes. D’ailleurs, la démarche employée de traitement de l’information peut, nous semble-t-il, très bien être réutilisée dans les différentes disciplines, voire la considérer comme une démarche commune et faire, par conséquent, l’objet d’une réflexion collective au sein de l’équipe pédagogique. Plus largement, l’école se détacherait d’un « formatage » puisqu’elle apprendrait aux élèves à être critiques en étant plus responsables de leur formation, ce qui est particulièrement intéressant si l’on reprend l’idée de Rogers11 quand il dit que « le seul apprentissage qui influence réellement le comportement d’un individu est celui qu’il découvre lui-même et qu’il s’approprie ». Ainsi, en prenant le temps de découvrir les informations qu’ils reçoivent et en se les appropriant, les élèves se saisissent pleinement de celles-ci pour se construire une pensée critique, utile dans leur vie future.
Première publication dans Éducation Canada, décembre 2018
1 Ministère de l’Intérieur, « Élection présidentielle 2017 », archive, élections. intérieur. gouv.fr http://archive.wikiwix.com/cache/?url=https%3A%2F%2Fwww.interieur.gouv.fr%2FElections%2FLes-resultats%2FPresidentielles%2Felecresult__presidentielle-2017%2F (path) %2Fpresidentielle-2017%2FFE.html
2 Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école république n° 2013-595 du 8 juillet 2013,
3 Programmes collège, Bulletin officiel (BO) spécial n° 11 du 26/11/2015
4 Parcours citoyens circulaire, publié le 23 juin 2016
5 http://eduscol.education.fr/cid107463/le-parcours-citoyen-eleve.html
6 Morin, E. (2016). Pour sortir du XXe siècle. Points.
7 Aubert, N., & Roux-Dufort, C. (2003). Le culte de l’urgence : la société malade du temps (Vol. 2, p. 53). Paris : Flammarion.
8 Milgram, S., & Gudehus, C. (1978). Obedience to authority.
9 Documentaire « Le jeu de la mort », 2009. www.youtube.com/watch?v=6w_nlgekIzw
10 Socle commun de connaissance, de compétences et de culture BO n° 17 du 23 Avril 2015
11 Rogers, C. R., Le Bon, D., Hameline, D., & Hameline, D. (1972). Liberté pour apprendre? (p. 277). Paris : Dunod.
Cet article présente les divers défis que représente l’ère numérique dans le monde de l’éducation, dont l’incroyable quantité d’information disponible aujourd’hui, la nouvelle nature des relations humaines, l’essentiel rôle de l’esprit critique, la bonne étiquette numérique et l’apprentissage d’une conscience éthique en ligne.
Que signifie être un citoyen à l’ère du numérique en 2018? Les enjeux de la citoyenneté diffèrent-ils tant depuis que nous faisons partie de sociétés numériques? Sommes-nous si loin de Socrate, qui a vu naitre cette notion en Grèce antique? Que nous révèle l’étymologie du mot? Jetons-y un coup d’œil pour mieux cerner le cadre de notre réflexion.
Origine du mot citoyen1 :
À la lumière de ces définitions, nous pouvons retenir certains principes incontournables comme celui de liberté, de communauté, de droits et de lois. En quoi ces notions sont-elles encore actuelles? Existe-t-il de nouveaux paramètres en raison du numérique? C’est ce que nous explorerons dans le présent article.
Jamais dans l’histoire de l’humanité n’avons-nous jamais été submergés par autant d’informations. Alors que les siècles passés ont permis aux humains de s’adapter par la relative lenteur de l’apparition de nouveaux savoirs; il en va tout autrement au 21e siècle où nous avons accès à un savoir exponentiel qui dépasse les limites individuelles d’appropriation.
Si l’intelligence artificielle permet un traitement accéléré de l’information, qu’adviendra-t-il de l’humain qui souhaite exercer son rôle de citoyen bien informé et engagé à l’ère du numérique? Faudra-t-il, comme le propose Harari procéder à des modifications génétiques qui provoqueraient une augmentation neuronale de la population, afin qu’elle soit en mesure de suivre l’évolution des machines2? Fort heureusement, les chercheurs s’entendent pour dire que nous sommes encore loin de ce type de greffe.
Les sources d’informations ont explosé avec la multiplication des plateformes et le citoyen moyen peut non seulement trouver l’information en plusieurs lieux, mais il peut aussi la commenter à sa guise. Au-delà de la démocratisation de l’accès au savoir, nous assistons au même moment à une libération, à une démocratisation du « droit de cité » avec toutes les implications qui s’en suivent. Pour cela, il suffit de penser à l’opposition entre ce qui appartient à l’individuel et au collectif ou encore entre la vie privée et la vie publique sur les médias. Avec cette démocratisation apparaissent alors des droits et des responsabilités pour bien vivre ensemble.
Si l’on définit le vivre ensemble comme « la cohabitation harmonieuse entre individus ou entre communautés » 3, il y a fort à parier que cela ne relève pas de ce qui est inné et que la citoyenneté numérique (ou non) est un construit identitaire qui doit être appris. C’est du moins la conclusion à laquelle sont arrivés 1250 jeunes rencontrés par l’Institut du Nouveau Monde (INM) en 2018. Les jeunes se sentent interpelés et demandent à ce que l’école les prépare dès le plus jeune âge à cette société numérique, ils réclament aussi des échanges entre communautés pour favoriser le dialogue, pour contrer la stigmatisation de certains groupes et ainsi favoriser une meilleure cohésion sociale. « De l’avis des jeunes participants, le développement d’un esprit critique est essentiel » 4.
Ces jeunes appellent la naissance d’une écologie numérique où pourrait s’exercer une autorégulation des pratiques et des comportements, et ce, particulièrement sur les réseaux sociaux : ce qui est loin d’être le cas à l’heure actuelle. Cet appel prend appui sur des qualités humaines qui doivent être apprises pour soutenir ce vivre ensemble. Les principales qualités relèvent de l’écoute de l’Autre, des relations interpersonnelles, de l’empathie, de l’intelligence émotionnelle et du jugement critique. Une des missions de l’école n’est-elle pas justement de former les élèves à socialiser avec les membres de leur communauté? Communauté qui n’a d’ailleurs plus de frontière avec le numérique.
L’avènement du numérique à l’école n’a pas fini de bouleverser les pratiques d’enseignement. Au-delà de la désinstitutionnalisation des savoirs qui a donné un grand coup à l’école, force est de constater que le rôle de l’enseignant n’en est plus un de transmetteur de connaissances. Il devient celui qui aide l’élève à apprendre.
L’enseignant à l’ère du numérique devient celui qui guide ses élèves à apprendre à apprendre : ce qui crée tout un changement de paradigme. Pas surprenant que l’apport des neurosciences en éducation soit si bien accueilli. Comment réagit le cerveau au moment de l’apprentissage? Quelles sont les meilleures stratégies d’apprentissage ou d’étude? Voici autant de facteurs métacognitifs que les enseignants utilisent maintenant en classe pour aider les élèves dans leurs apprentissages.
Il en va de même avec la citoyenneté à l’ère du numérique. Les élèves ne demandent pas mieux que d’être instruits des bonnes pratiques à développer. De plus en plus de référentiels voient le jour pour aider autant les enseignants que les élèves à acquérir ces habiletés citoyennes, notamment la pensée critique. D’ailleurs, cette compétence ressort de façon systématique lorsqu’il est question des apprentissages du 21e siècle à l’école. La professeure Desmet (Université de Nice Sophia Antipolis) a défini 5 compétences clés lors de son passage à l’Université d’été de Ludovia#15. Elle faisait mention de la créativité, de la collaboration, de la résolution de problèmes, de la pensée informatique et de la pensée critique « dans sa capacité à développer une réflexion critique indépendante » 5.
La recherche documentaire s’avère une merveilleuse porte d’entrée pour sensibiliser les élèves aux règles du numérique, car les élèves s’y retrouvent d’instinct. « Avec la convivialité des moteurs de recherche et des médias sociaux, il n’est pas étonnant que les élèves cherchent de l’information en priorité sur le Web. Cette habitude les confronte toutefois à la surinformation, à la désinformation et au respect des droits d’auteur quand ils doivent chercher, évaluer et utiliser de l’information en contexte scolaire » 6.
Ainsi, il importe d’amener les élèves à remettre en question les informations qu’ils trouvent, notamment quant à leur pertinence et à leur crédibilité. Toujours selon les mêmes chercheurs, il est important « de semer le doute quant à l’information qu’ils trouvent et de les exposer à la désinformation afin qu’ils reçoivent un vaccin informationnel qui les protègera tout au long de leur vie » 7
L’école a un rôle essentiel à jouer pour « inoculer » les élèves et leur fournir les bonnes stratégies pour contrer, d’une part, les fausses informations et, d’autre part, leur enseigner les principes d’une bonne nétiquette. Quelles sont les traces que je laisse de ma navigation? Quel est l’auditoire auquel je m’adresse? Ai-je validé les droits de publication des informations, des photos et des vidéos que je mets en ligne? Ai-je demandé les autorisations avant de relayer des contenus de mes « nombreux amis » sur Facebook, Twitter, Instagram de ce monde? Ai-je pris un moment de réflexion avant de réagir à une publication sur les réseaux sociaux? Est-ce que j’aimerais recevoir le commentaire que je m’apprête à publier? Est-ce que je connais vraiment l’identité de mon vis-à-vis? Comment m’assurer que je n’ai pas affaire à un troll?
On le voit, toutes ces questions amènent le citoyen de l’ère du numérique dans une posture autoréflexive exigeante, mais combien essentielle. Quiconque a une adresse courriel ou un statut sur les réseaux sociaux laisse derrière lui une foule de traces qui constituent son empreinte numérique. Il est possible, bien sûr, de paramétrer ses différents comptes, mais qui le fait réellement? Un bien faible pourcentage de la population. C’est ainsi que des employeurs retiennent ou rejettent des candidatures pour des emplois potentiels à la suite de quelques clics.
Les traces que nous laissons nous suivent plus longtemps que nous pouvons le croire, d’autant qu’elles ne nous appartiennent plus lorsque nous les publions. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les conditions d’utilisation des différents sites que nous fréquentons. Mais, en réalité, qui les lit? Ainsi, il ne faudrait pas penser que de vieilles photos gênantes que vous avez effacées de vos sites ont disparu à jamais. Elles n’apparaissent effectivement plus dans vos données, mais combien de fois sont-elles diffusées, sans même que vous ne le sachiez, avant que vous ne les retiriez? Effectuez une recherche à votre nom sur un moteur de recherche et vous pourriez être étonné de ce que vous découvrirez.
Être un citoyen à l’ère du numérique appelle un niveau de conscience et d’éthique élevé. Il faut être en mesure d’assumer les propos que nous mettons en ligne : ce « savoir publier » dont fait mention mon ami Jacques Cool, directeur du CADRE21 au Québec. Cela fait appel à l’honnêteté de ses propos, à la conscience et au respect de son auditoire comme des règles de publication. Il en va aussi de la portée de ses propos qui peuvent s’étendre bien au-delà de la salle de classe ou du cercle restreint de ses amis.
Plusieurs s’élèvent pour réclamer l’enseignement de la programmation à l’école et cette demande va bien au-delà de l’apprentissage du code. L’important n’est pas de former des programmeurs à la grandeur du pays, mais bien de rendre conscients les utilisateurs qu’il existe des algorithmes pour penser pour nous. La professeure Ruha Benjamin, de l’Université de Princeton propose même à ses étudiants de « pirater les systèmes pour les rendre meilleurs » 8. François Tadéi abonde dans le même sens quand il s’oppose aux solutions que les géants du Web pourraient nous proposer. « Les transformations de notre environnement sont beaucoup plus rapides que les transformations de notre capacité à comprendre ce qu’il se passe. Si l’on n’invente pas nos propres solutions, on aura des solutions qu’on n’aura pas choisies et qui ne seront pas adaptées à nos valeurs et à ce qu’on peut souhaiter pour les générations futures » 9.
Les défis du citoyen à l’ère numérique ont davantage d’impact qu’autrefois. La chute des frontières provoquée par l’interconnectivité des réseaux appelle une plus grande conscience de ce nouveau citoyen en raison des incidences sociales, éthiques et économiques du partage des données dans le cyberespace. Le citoyen d’Athènes a maintenant un impact planétaire, car les murs de la cité se sont effondrés depuis l’avènement du numérique. Comme l’a si bien dit le philosophe français, Michel Serres « les nouvelles technologies nous ont condamnés à devenir intelligents » 10.
Première publication dans Éducation Canada, décembre 2018
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1 Wiktionniare, Le dictionnaire libre, https://fr.wiktionary.org/wiki/citoyen (site consulté le 24 septembre 2018).
2 HARARI, Yuval. Homo deus : Une brève histoire de l’humanité. (Paris : Albin Michel, 2017). 370.
3 Larousse, dictionnaire du français. www.larousse.fr/dictionnaires/francais/vivre-ensemble/10910799. (site consulté le 24 septembre 2018).
4 BEAUDOIN, Claudia et RIOU, Léa. Le vivre ensemble au Québec vu par les jeunes http://inm.qc.ca/blog/le-vivre-ensemble-au-quebec-vu-par-les-jeunes/ (site consulté le 24 septembre 2018).
5 Nouveaux codes numériques www.ludomag.com/2018/09/nouveaux-codes-numeriques/ (site consulté le 24 septembre 2018).
6 DUMOUCHEL, Gabriel et RAYNAULT, Audrey Les compétences informationnelles in Usages créatifs du numérique pour l’apprentissage au XXIe siècle, (Montréal : PUQ Presses de l’Université du Québec. 2017). Encadré 2.1
7 idem
8 BENJAMIN, Ruha. Incubate a Better World in the Minds & Hearts of Students. Conférence ISTE 2016. Denver (site consulté le 28 septembre 2018).
9 TADEI, François. Il faut plus d’argent sur les manières d’apprendre. https://usbeketrica.com/article/il-faut-plus-d-argent-sur-les-manieres-d-apprendre (site consulté le 12 septembre 2018).
10 SERRES, Michel. « Les nouvelles technologies nous ont condamnés à devenir intelligents! ». nouveauxjeunesmedias (site consulté le 29 septembre 2018).
En cette ère de « post-vérité » où les gens sont de plus en plus influencés par leurs émotions et leurs croyances au détriment de l’information factuelle, la vérité et la fiction peuvent être difficiles à distinguer l’une de l’autre, et de fausses nouvelles peuvent se propager rapidement par les médias traditionnels et les réseaux sociaux. Qui plus est, les fausses nouvelles sont souvent mal intentionnées en nous invitant à croire un mensonge ou en discréditant injustement une personne ou un mouvement politique.
Compte tenu de ces intentions malveillantes, nos élèves doivent apprendre à aborder les nouvelles et l’information d’un œil critique afin de déceler les sources intentionnellement trompeuses (quoique des études récentes confirment que cette lutte sera ardue tant pour les adultes que pour les jeunes). Les enseignants jouent par conséquent un rôle essentiel à cette fin, en veillant à ce que leurs élèves acquièrent les compétences nécessaires pour décrypter les nombreuses sources d’informations dont ils disposent.
Enfin, dans un monde où il est de plus en plus risqué de faire simplement confiance à ce que nous lisons et regardons, il est essentiel que les élèves apprennent à appréhender le monde autour d’eux avec un sain scepticisme afin d’éviter d’être trompés, dupés ou arnaqués.
(anglais seulement)
Définition de « fausses nouvelles » élaborée par l’Office québécois de la langue française
Définition : Publication qui imite la structure d’un article de presse, qui comprend à la fois des renseignements véridiques et des renseignements erronés.
Notes : Les fausses nouvelles sont créées pour diverses raisons : elles peuvent servir à générer du trafic sur les sites Internet qui tirent leurs revenus de la publicité, à favoriser un parti politique au détriment d’un autre ou à entacher la réputation d’une personnalité publique, par exemple. Dans tous les cas, elles sont conçues pour tromper le lectorat.
Mention de source :
Office québécois de la langue française (2017). « Fausse nouvelle ». Fiche terminologique. Gouvernement du Québec.
Repéré à : http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26542775
Définition de « postvérité » élaborée par l’Office québécois de la langue française
Définition : Relatif à des circonstances où l’objectivité et la véracité des faits ont moins d’influence sur l’opinion publique que l’appel à l’émotion et aux convictions personnelles.
Note : L’émergence de postvérité et de postfactuel dans l’usage a été influencée par la progression spectaculaire des réseaux sociaux comme sources d’information et la méfiance grandissante à l’égard des faits présentés par l’élite traditionnelle.
Mention de source :
Office québécois de la langue française (2017). « Postvérité ». Fiche terminologique. Gouvernement du Québec.
Repéré à : http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26542599
Pour la définition du mot « post-truth », consultez : Collins English Dictionary. « Definition of “post-truth” ». HarperCollins Publishers. Accessible sur www.collinsdictionary.com/dictionary/english/post-truth
Wineburg, Sam et McGrew, Sarah et Breakstone, Joel et Ortega, Teresa. (2016). « Evaluating Information: The Cornerstone of Civic Online Reasoning ». Stanford Digital Repository. Accessible sur http://purl.stanford.edu/fv751yt5934
Mitchell, A., Gottfried, J., Barthel, M., Sumida, N. (18 juin 2018). « Distinguishing Between Factual and Opinion Statements in the News ». Pew Research Center. Accessible sur www.journalism.org/2018/06/18/distinguishing-between-factual-and-opinion-statements-in-the-news/
National Council of Teachers of English (février 2013). « NCTE Framework for 21st Century Curriculum and Assessment ». Accessible sur www.ncte.org/governance/21stcenturyframework
Domonoske, C. (19 juin 2018). « It’s Easier To Call A Fact A Fact When It’s One You Like, Study Finds ». National Public Radio. Accessible sur www.npr.org/2018/06/19/621569425/its-easier-to-call-a-fact-a-fact-when-it-s-a-fact-you-like-study-finds
À noter : Cette fiche est conforme à la nouvelle orthographe. Le générique masculin est utilisé sans discrimination et uniquement dans le but d’alléger le texte.
L’expérience du stage d’un nouvel enseignant participe incontestablement à la définition du sentiment d’efficacité personnelle à enseigner, c’est-à-dire au développement, par le stagiaire, d’une croyance plus ou moins forte en sa capacité d’organiser son action et de poser les gestes nécessaires pour obtenir les résultats souhaités.
Pour les futurs enseignants, le stage supervisé constitue une aventure remplie de défis. Il peut s’avérer stressant pour certains, anxiogène pour d’autres, voire devenir un véritable test d’endurance1. Durant cette période plus ou moins intensive et prolongée, le stagiaire tente, tant bien que mal, d’établir des relations significatives avec les élèves, mais aussi avec la personne enseignante associée (PEA) qui l’accompagne quotidiennement, ainsi qu’avec la personne superviseure universitaire (PSU). L’étudiant qu’il est veut vivre du succès, tout en étant amené à recadrer des visions idéalistes de lui-même comme enseignant, confronté à des enjeux qui souvent le dépassent, qui interrogent sa personnalité, ses valeurs, ses savoirs, son identité et ses aspirations professionnelles.
Il convient de rappeler que la transition vers l’université constitue, pour plusieurs étudiants, une période déstabilisante. Habités par le désir de performer sur le plan académique, ils peuvent ressentir du stress, des états dépressifs et vivre diverses difficultés d’ajustements d’ordres personnel et affectif2. Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner que des stagiaires en viennent à mettre en doute leurs capacités d’assumer avec succès leurs responsabilités d’enseignants. En ce sens, l’expérience du stage participe incontestablement à la définition du sentiment d’efficacité personnelle (SEP) à enseigner3, c’est-à-dire au développement, par le stagiaire, d’une croyance plus ou moins forte en sa capacité d’organiser son action et de poser les gestes nécessaires pour obtenir les résultats souhaités4.
Dans ce contexte, le SEP devient pour les accompagnateurs de stage une cible d’intervention à privilégier, un levier puissant pour aider les stagiaires à s’engager pleinement dans leur processus de formation ainsi qu’à se développer professionnellement en enseignement.
Bien que plusieurs éléments contribuent au développement du SEP des stagiaires au cours de l’expérience de stage, la PEA et la PSU sont reconnues comme étant des acteurs-clefs à cetégard6. Par leurs pratiques d’accompagnement, elles peuvent influencer et réguler le SEP des futurs enseignants en jouant délibérément sur une ou plusieurs des quatre sources de son développement7.
1. Je sonde ses forces et ses défis en puisant dans ses expériences passées (les expériences préprofessionnelles vécues à titre d’élève, de suppléant, de tuteur [aide aux devoirs], d’animateur auprès d’enfants d’âge préscolaire ou scolaire, etc.);
2. Je choisis d’investir à partir de ses forces pour construire son capital de confiance et ses croyances d’efficacité;
3. Je lui propose des défis progressifs, à sa mesure, à son rythme et à sa portée, tout en le poussant vers le dépassement de soi.
Comme accompagnateur de stage, j’ai recours à la persuasion verbale (seconde source du SEP) quand :
4. Je lui donne régulièrement des rétroactions signifiantes, structurantes et équilibrées;
5. Je lui formule des encouragements de manière récurrente;
6. Je lui propose des bilans périodiques afin de lui faire prendre conscience de ses progrès et de ses défis.
Comme formateur de futurs enseignants, je profite d’expériences vicariantes (troisième source du SEP) quand :
7. Je l’incite à m’observer à l’aide d’instruments précis qui nous aideront à réaliser un retour post-séance;
8. Je l’invite à observer des collègues enseignants et des stagiaires, avec leur accord, à l’aide d’instruments précis qui alimenteront nos échanges;
9. Je lui propose de co-enseigner avec moi ou avec un collègue selon différentes formules correspondant à son besoin développemental.
10. Je suis sensible aux manifestations physiques et émotionnelles de stress (somatisation, propos défaitistes, etc.);
11. Je l’aide à trouver des stratégies qui lui permettent notamment de gérer son stress efficacement;
12. Je lui manifeste de la bienveillance, de la considération, de l’acceptation et du soutien;
13. Je le rassure en lui offrant de l’aide de différentes manières, non pas pour faire à sa place, mais pour l’aider à faire sa place.
Ces quatre sources qui viennent d’être évoquées mènent au développement, par les stagiaires, d’une croyance plus ou moins forte en leur efficacité personnelle à l’égard de différentes situations qu’ils rencontreront en contexte de stage. Chacune de ces sources est complémentaire d’une ou de plusieurs autres8. Car il faut savoir que les croyances en matière d’efficacité personnelle sont sensibles aux facteurs contextuels, mais aussi aux facteurs personnels (conceptions, valeurs, expériences antérieures, etc.).
Le SEP s’apprécie également au regard d’une tâche précise dans des circonstances précises. Cette considération suppose une appréciation du SEP par le stagiaire lui-même qui est répétée régulièrement. Par exemple, votre stagiaire peut se sentir capable de planifier une leçon ou une série de leçons sur une matière spécifique (par exemple, le soccer, pour un stagiaire en enseignement de l’éducation physique et à la santé) parce qu’il a de l’expertise dans celle-ci, mais il peut sentir son SEP très faible dans une autre matière (par exemple, la gymnastique), parce qu’il n’y connaît peut-être rien. Votre travail en tant qu’accompagnateur de stage ne sera pas le même dans ces deux cas, et ce, avec la considération que toute intervention est une démarche rationnelle et qu’elle doit donc viser une cible précise.
En conclusion, en tant qu’accompagnateurs de stage, nous avons avantage à contribuer au développement d’un sentiment d’efficacité élevé chez les futurs enseignants, en concentrant nos actions d’accompagnement autour des quatre sources du SEP comme mentionnées précédemment. En effet, à court et à moyen termes, les stagiaires s’engageront non seulement davantage dans leur processus de formation, ce qui aura possiblement un effet sur leurs apprentissages, mais ils auront également tendance, à plus long terme, à vivre du succès dans l’exercice de leur profession, à éprouver de la satisfaction au travail et à s’adapter plus adéquatement aux comportements des élèves. C’est finalement tout le système éducatif qui en sortira gagnant!
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2018
1 Kosnik, C. « It is not just practice: conflicting goals, unclear expectations. » Dans F.-J. Benson & C. Riches (dir.), Engaging in conversations about ideas in teacher education (p. 65–71). New York, Falmer Press. 2009.
2 Flynn, D. & Chow, P. « Self-efficacy, self-worth and stress ». Education, 138, 1, 3–8. (2018).
3 Mukamurera, J., & Gingras, C. « La formation initiale vue par des enseignants du secondaire issus des programmes de formation en cours au Québec depuis 1970. » Dans C. Gervais, & L. Portelance (dir.), Des savoirs au cœur de la profession enseignante. Contextes de construction et modalités de partage (p. 45-63). Sherbrooke, QC : Éditions du CRP. 2005.
4 Bandura (2007, p. 12) parlera de « la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités ».
5 Flynn, D. & Chow, P., op. cit., 3–8
6 Ballinger, D.-A. & Bishop, J.-G. « Mentoring student teachers: Collaboration with physical education teacher education. » Strategies, 24, 4, 30–34. (2011). Peterson, S.-M, Valk, C, Baker, A.-C, Brugger, L & Hightower, A.-D. « Were not just interested in work: Social and emotional aspects of early educator mentor relationships. » Mentoring and Tutoring: Partership in Learning, 18. 2, 155–175. (2010).
7 Bandura, A. « Self-efficacy in health functioning. » Dans Ayers, S., Baum, A., McManus, I.-C., Newman, S., Wallston, K., Weinman, J. & West, R. (dir.), Cambridge handbook of psychology, health and medicine (2e éd.). New York: Cambridge University Press. 2007.
8 Bandura, A. «The anatomy of stages of change. » American journal of health promotion, 12, 8–10. (1997).
Avant même de s’apprêter à une mission de formation des nouveaux enseignants, il est essentiel d’être au clair sur la finalité de l’enseignement, sur l’être que nous avons à former et sur la manière de le faire. Pour cela, il est essentiel de s’arrêter sur le concept « d’intention ». Cet article présente ce concept dans le cadre de la formation d’un enseignant d’éducation physique.
S’interroger sur la question de la formation des enseignants semble intimement lié, voire indissociable d’une réflexion philosophique sur l’éducation. Nous pensons qu’avant même de s’apprêter à une mission de formation, il est essentiel d’être au clair sur la finalité de l’enseignement, sur l’être que nous avons à former et sur la manière de le faire. Pour cela, il nous semble intéressant de nous arrêter sur le concept « d’intention ». Anscombe1 fait le lien entre action et intention pour situer ce concept en disant qu’« en gros, l’intention d’un homme, c’est son action ». Carfantan2 précise que l’intention est comme « une flèche dirigée du sujet vers l’objet ». L’intention d’une personne serait donc personnelle puisqu’elle part du sujet et il serait possible de la repérer par l’analyse des actions de cette même personne. Pour aller plus loin, nous pensons qu’en fonction de l’intention avec laquelle nous nous engageons en tant que formateurs, les méthodes utilisées et les conséquences sur l’apprenant peuvent être diamétralement différentes. Pour prendre un exemple concret dans le domaine de l’éducation physique et sportive (EPS) à l’école, l’enseignant d’une classe, qui se situe en position de formateur, peut avoir comme intention de faire courir vite ou longtemps ses élèves. En fonction de cette intention, les charges d’entraînement, qui sont à associer aux moyens mobilisés, seront différentes. Lors de la course de vitesse, l’enseignant d’EPS insistera beaucoup sur la technique de course, tandis que dans le cas de la course longue, il recherchera davantage le développement de la capacité aérobie par du travail intermittent, en référence aux procédés d’entraînement aérobie présentés par Bosquet3 et des séances où l’apprenant court longtemps. Si dans le cas de la course de vitesse, les contenus appris sont plutôt techniques, dans le cas de la course longue, même s’ils ne sont pas exclusifs, les contenus portent davantage sur un maintien de l’allure de course, sur la capacité à trouver un rythme respiratoire régulier par exemple. Nous voyons ici qu’il semble important de connaître l’intention qui nous motive afin d’en percevoir les conséquences pratiques.
Il nous semble que se préoccuper des intentions de l’apprenant peut être intéressant, car selon nous, elles semblent être le reflet de son système de valeurs et témoigner d’une étape d’un cheminement personnel et professionnel. S’appuyer sur les intentions de l’apprenant, c’est en quelque sorte, prendre en compte son identité profonde, sur ce qu’il est au fond de lui-même. Il nous paraît judicieux de respecter les intentions de l’apprenant, car dans le cas contraire, l’intervention du formateur risque de ne pas faire sens chez lui. Les informations qu’il va lui donner risquent de « rebondir » sur lui, car, formateur et apprenant ayant deux intentions différentes, la communication risque d’être difficile du fait d’une incompréhension de l’un envers l’autre et inversement. Il risque d’apparaître un « formatage » de l’apprenant et moins une « formation » de celui-ci. Si nous pensons que le formatage consiste à « tirer » l’apprenant vers des exigences et à le « recadrer » lorsqu’il s’en éloigne, une formation par les intentions insiste davantage sur la fonction de guidage du formateur qui va accompagner l’apprenant dans son cheminement personnel et professionnel. Dans les deux cas apparaît une volonté de réduire l’écart qu’il y a entre un niveau initial et des exigences professionnelles et institutionnelles. Cependant, l’approche de la formation est bien différente; si dans le cas du formatage, elle est davantage axée sur le savoir, dans le cas d’une formation basée sur les intentions, elle est plutôt basée sur l’apprenant. D’ailleurs, certains auteurs encouragent l’action de former et moins de formater en se préoccupant véritablement de l’apprenant, à l’image des propos de Claparède4 qui affirmait qu’« apprendre ce n’est pas accumuler des connaissances, mais exercer son intelligence et acquérir des méthodes de pensée », de Prost5 qui, en 1985, nous a dit que « les savoirs ne se transmettent pas, ils se construisent et chacun le fait pour son compte, à sa façon, et suivant son propre rythme » et de Meirieu6, qui se positionne au niveau du rôle du formateur en précisant que « le travail de l’enseignant n’est pas d’enseigner, c’est de permettre d’apprendre ».
Pour expliciter ces propos, nous allons nous situer dans le cadre de la formation d’enseignant stagiaire (ES) au cours de leur première année d’enseignement, puisque le rôle du maître de stage (MS) est important pour les ES, car Brau-Anthony et Mieusset7 précisent que « les recensions de Chaliès, Cartaux, Escalié et al.8 et de Moussay, Étienne et Méard9 sur le tutorat en formation initiale d’enseignants montrent le rôle fondamental joué par les MS dans le développement des compétences pour enseigner ». Pour Brau-Anthony et Mieusset (op cité), « accompagner des ES nécessite d’être capable de faire face à de multiples tâches telles que l’observation du stagiaire quand il fait cours, la conduite de l’entretien post-leçon, l’évaluation… Ces actes professionnels renvoient plus largement à ce que Maubant10 appelle l’accompagnement réflexif ». Selon nous, l’un des actes professionnels dont devrait faire preuve le formateur consisterait à être capable d’identifier les intentions de l’ES afin de les prendre en compte pour les faire évoluer ou les changer.
Nous pensons que ce guidage par les intentions peut s’envisager en plusieurs étapes. La première consiste à mettre en relation l’intention que précise l’ES et les moyens mis en place pour l’opérationnaliser, car s’il y a incohérence entre intention et moyens, alors le formateur veillera à rétablir une certaine cohérence, sans quoi, il sera difficile pour l’ES de percevoir les réelles conséquences de l’intention qu’il suggère. En seconde étape, le formateur identifie si l’intention organisatrice de l’ES est positive pour la classe et correspond à une source d’apprentissages chez les élèves. Si tel est le cas, il s’agit pour le formateur dans un dernier temps, de faire évoluer l’ES quant à cette intention en lui proposant des moyens concrets de sorte que son intervention soit encore plus efficace et ce, jusqu’à qu’il ressente le besoin de changer d’intention, du fait des limites de celle-ci, toujours dans le dessein de faire progresser ses élèves. Si toutefois l’ES maintien son intention, qui montre ses limites, alors le formateur peut proposer à l’ES de s’appuyer sur une autre intention qui entraînerait des conséquences différentes et peut-être plus positives sur les apprentissages des élèves.
Tout d’abord, arrêtons-nous sur la relation entre l’intention de l’ES et les moyens qu’il utilise pour l’opérationnaliser. Le formateur pour aider l’ES à formuler son intention, propose de répondre à la question suivante : « qu’attends-tu de la leçon que tu vas animer? » Cette question contraint le futur enseignant à se positionner sur ce qui va l’organiser tout au long de la séance.
En début de carrière, souvent, les ES sont préoccupés par la gestion de la classe. Ainsi, en guise d’un exemple, nous pourrions répondre à ce souci en leur suggérant de « cadrer la classe ». Si telle est l’intention de l’enseignant, alors il devra mettre en place des moyens concrets pour y arriver. Il a la possibilité de cadrer sa classe sur la forme et sur le fond. Au niveau d’une gestion de la classe sur la forme, nous pouvons mettre en lumière la gestion du temps par des périodes d’apprentissage déterminées dans le temps. En ce qui concerne une gestion de la classe sur le fond, nous pouvons mettre en exergue l’idée de proposer des problèmes ou des situations qui captiveraient les élèves au point où ces derniers voudraient vraiment s’impliquer dans celles-ci.
Dans le cas où l’ES serait en difficulté pour gérer le temps du fait, par exemple, qu’il soit occupé par l’intervention au sein d’un groupe d’élèves, ou encore, que ses propositions de situations d’apprentissage ne soient pas suffisamment attrayantes pour les élèves, il y aurait un écart entre ce qu’il organise (ou son intention) et ce qu’il fait.
Le rôle du formateur est donc de rétablir une certaine cohérence entre ce qui anime l’ES et les moyens qu’il met en place. Ensemble, formateur et ES reviennent sur les difficultés qui sont apparues au cours de la leçon, relatives à l’intention initiale, et le formateur apporte des possibilités de remédiations. Par exemple, dans le cas d’un cadrage de la classe sur la forme, l’ES voulant bien gérer son temps s’est vu « dépassé » et pris par le temps du fait d’une intervention trop longue auprès de certains élèves en difficulté. L’intervention de l’ES était en incohérence avec son intention initiale. Le formateur peut ainsi, lors du retour sur la leçon avec l’ES, lui proposer comme solution éventuelle, de ne plus donner de conseils peu de temps avant la fin du temps alloué à l’exercice et de placer les élèves en autonomie à ce moment-là; ceci pour faire l’objet d’une règle qui serait transmise aux élèves. Ainsi, l’ES pourra respecter les temps d’apprentissage prévu initialement et être en cohérence avec son intention.
« S’appuyer sur les intentions de l’apprenant, c’est en quelque sorte, prendre en compte son identité profonde, sur ce qu’il est au fond de lui-même. »
Une fois une cohérence mise en place entre l’intention de l’ES et les façons de la faire vivre, le formateur identifie ensuite si cette intention est positive pour les élèves, c’est-à-dire, si celle-ci est porteuse d’investissement et de progrès chez ces derniers. Si tel est le cas, alors le formateur accompagne l’ES en lui proposant d’autres moyens qui viennent accentuer son intention afin d’encourager celle-ci, qui semble source de progrès chez les élèves. Par exemple, au sein d’une leçon d’EPS, l’ES, organisé par son intention de cadrer sa classe, peut animer une leçon de demi-fond en proposant une alternance des rôles de coureur et d’observateur. Un élève court, un élève l’observe pendant cinq minutes, puis cinq minutes de pause sont laissées et les élèves inversent les rôles jusqu’à que chacun d’eux court quinze minutes, soit trois courses de cinq minutes. Les élèves sachant exactement ce qu’ils ont à faire et n’étant pas dans le flou du fait d’une organisation rigoureuse de la séance, entrent bien dans l’activité. Pour aller plus loin dans l’intention de cadrer la classe de l’ES, le formateur peut lui proposer de demander aux futurs observateurs de prévenir les futurs coureurs trente secondes avant le début de la course afin d’être sûr de commencer au signal de départ. Cependant, il est possible que les élèves, du fait d’un temps limité de course, ne soient pas en mesure d’exprimer tout leur potentiel, ce qui peut freiner la progression des élèves. Ainsi, une démotivation à plus ou moins long terme peut apparaître et freiner voire empêcher des apprentissages chez les élèves.
Ainsi, dans un dernier temps, il s’agira donc, pour le formateur, d’aider l’ES à changer d’intention pour maintenir une dynamique au sein de la classe, soit une source d’implication et de progrès, grâce à l’identification des limites du choix d’une intention. Nous pensons que chaque intention a des effets différents. Ainsi, dans le cas de la leçon de demi-fond, le formateur peut inviter l’ES à passer d’une intention plutôt « fermée » qui se manifeste par une organisation rigoureuse de la séance à une intention plutôt « ouverte » où les élèves auraient, dans le fonctionnement mis en place par l’ES, plus de marge de liberté et où ils seraient davantage en mesure d’exprimer leur potentiel. Pour cela, il peut proposer, par exemple, de placer les élèves par équipe de trois et de les laisser courir durant quinze minutes. Seul un des trois élèves a la possibilité de s’arrêter le temps qu’il veut dans une zone nommée « gare » délimitée à l’extérieur de la piste de course. Les élèves d’une équipe ayant un maillot de la même couleur, il est très facile de savoir si l’un de ses coéquipiers est dans la gare ou non. Le formateur, en proposant une intention différente, favorise des comportements différents chez les élèves et participe de ce fait, à faire évoluer l’expérience de l’ES. Toutefois, il est difficile de changer d’intention, car celle-ci renvoie à notre fonctionnement et à nos repères. Pour l’ES, il s’agira d’effectuer un réel travail sur soi pour accepter de changer ses habitudes et d’adopter un regard différent sur le déroulement de sa leçon, sur les élèves, sur sa pratique.
Pour résumer notre position, nous pensons que la formation des enseignants, et notamment celle des ES, peut être appréhendée sous l’angle des intentions. En prenant appui sur celles-ci, nous suggérons le fait que l’enseignement est davantage teinté d’humanisme puisque les formateurs se préoccupent en premier lieu des apprenants, via l’analyse de leur(s) intention(s), avant de se poser la question du/des savoir(s) qu’il serait judicieux de permettre d’apprendre à ces derniers. La démarche d’enseignement présentée se différencie, d’une part, d’une démarche axée sur une transmission descendante du/des savoir(s), en suivant, par exemple, les cours magistraux et, d’autre part, d’une démarche où le formateur se préoccupe prioritairement du contenu à apprendre. Dans cette approche par les intentions, plutôt que s’efforcer de rapprocher l’apprenant des exigences, le formateur tente de conduire l’apprenant vers la connaissance dont il a besoin en partant de ce qui l’organise, de ses intentions.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2018
1 Anscombe, G. L’intention. Paris : Gallimard, Collection Bibliothèque de Philosophie, 2002.
2 Carfantan, S. Cinq leçons sur la perception. Philosophie et spiritualité. CreateSpace Independent Publishing Platform. 2014.
3 Assadi, H. Réponses physiologiques au cours d’exercices intermittents en course à pied. (Université de Bourgogne : Dissertation doctorale). 2012.
4 Claparède, E. Psychologie de l’enfant et pédagogie expérimentale (1905). Paris : Éditions L’Harmattan. 2017.
5 Prost, A. Éloge des pédagogues. Paris : Éditions du Seuil. 1985.
6 Meirieu, Philippe et col. Le plaisir d’apprendre. Paris : Éditions Autrement, 2014.
7 Brau-Antony, S., & Mieusset, C. « Accompagner les enseignants stagiaires : une activité sans véritables repères professionnels ». Recherche et formation, 72, 27-40 (2013)
8 Chaliès, S., Cartaut, S., Escalié, G., & Durand, M. « L’utilité du tutorat pour de jeunes enseignants : la preuve par 20 ans d’expérience ». Recherche et formation, 61, 85-129. (2009)
9 Moussay, S., Étienne, R., & Méard, J. « Le tutorat en formation initiale des enseignants : orientations récentes et perspectives méthodologiques ». Revue française de pédagogie, 1, 59-69. (2009)
10 Maubant, P. « Sens et usages de l’analyse des pratiques d’enseignement : entre conseil et accompagnement réflexif des enseignants en formation ». L’évaluation-conseil en éducation et formation, 18. (2007)
Tous les enseignants, et particulièrement les nouveaux, se doivent de prioriser le développement de leurs compétences culturelles afin de mieux répondre, et cela avec authenticité, aux attentes de la diversité représentée par leurs élèves.
Cet article poursuit la réflexion amorcée au sujet de l’éducation au service de la réconciliation, thème de l’édition du printemps 2018 de ce magazine. Il offre des pistes fort pertinentes pour la formation des nouveaux enseignants.
Depuis quelques décennies, les théories en gestion de la diversité culturelle sont devenues omniprésentes, et les pratiques, un passe-partout pour les organisations afin de faire bonne figure socialement et politiquement, en plus d’apparaître comme « responsables » et éthiques. Cependant, certaines le font sans que l’individu qui crée cette diversité, qui arrive avec son bagage intellectuel, social, professionnel, avec sa personnalité, ses capacités et ses compétences, soit au centre des préoccupations et des discussions.
L’organisation scolaire, soit l’un des pôles d’entrée principaux des individus d’origines culturelles très diversifiés, veut offrir un enseignement adéquat à ses élèves ou étudiants et doit, avec peu d’outils, composer quotidiennement avec les obstacles liés à cette diversité. Comment entrer positivement en contact avec des jeunes, des adolescents ou de jeunes adultes qui arrivent de loin? Comment adapter sa pédagogie? Comment tirer le meilleur d’eux et s’assurer qu’ils s’accomplissent? Comment en faire un apprentissage pour tous?
Ces préoccupations, peu banales, semblent pouvoir expliquer une partie de ce phénomène récent en éducation : la recherche du développement des compétences culturelles qui permettent de mieux composer avec différentes cultures dans la salle de classe.
La diversité culturelle se construit et évolue en fonction de contextes politique, social, économique, voire intellectuel. Les visions changent et des pratiques variées et novatrices apparaissent. Certaines visent davantage l’adaptation de l’école et de la classe, leur flexibilité et leur capacité de tirer le maximum chez des élèves qui ont un potentiel complexe à définir, compte tenu de la difficulté communicationnelle.
La réalité, pourtant, présente des symptômes d’une maladie courante dans les écoles : l’« incompétence culturelle ». Le savoir-faire requis semble apparemment peu répandu.
Ainsi, en réponse aux questions offertes en titre, de nombreux obstacles au développement de cette compétence chez les enseignants au Québec et au Canada et plusieurs carences ou besoins à satisfaire se présentent. Cependant, ce n’est pas une mission impossible! Ces obstacles sont visibles, identifiables, voire quantifiables : absence de diversité culturelle dans les régions du Québec; concentration dans la grande région de Montréal; carences dans certains programmes de formation initiale des enseignants; l’offre « optionnelle » de cours en développement des compétences culturelles dans les différents programmes en enseignement, en adaptation, en orientation ou en gestion scolaires. Quand commencerait-on à détenir une ou des compétences culturelles? Dans quelle mesure ces compétences seraient-elles universelles? Comment peut-on acquérir des compétences culturelles? Quelles sont-elles? Qu’est-ce que cela implique?
Selon les résultats d’une recherche postdoctorale en management interculturel1, des années d’expérience auprès de diverses cultures et de rencontres avec des individus qui possédaient visiblement ces compétences, je propose aujourd’hui certaines bases sur lesquelles asseoir la définition de la compétence culturelle. Elle reposerait sur la capacité des individus à s’adapter à la culture de l’autre tout en gardant l’équilibre avec la sienne. Elle résiderait aussi dans la capacité de communiquer de façon à comprendre l’autre grâce à différents langages (langue maternelle, langages verbal, gestuel ou autres), permettant ainsi un climat adéquat et sécurisant pour les deux. L’anticipation des comportements de l’autre devient ainsi possible et certainement désirée pour un climat de classe qui favorise l’apprentissage.
« Ce qui vient de l’Autre doit être accepté comme étant tout aussi recevable, satisfaisant, efficace, voire valable, que ce qui vient de soi, de sa propre culture, de sa famille, voire de ses gènes. »
Selon ces recherches2, la compétence culturelle devient alors la capacité d’un individu à s’adapter à un autre individu qui vient d’ailleurs ou à d’autres cultures étrangères et variées, et ce, grâce à différentes aptitudes, capacités ou connaissances. Cette compétence serait souhaitable autant chez celui qui accueille un étranger dans son environnement (l’accueil d’enfants autochtones dans sa classe) que chez celui qui se retrouve dans un environnement qui propose un cadre et des références différents (l’enseignante ou l’enseignant, par exemple, qui travaillent au sein d’une communauté autochtone dans le nord du Québec ou dans le Grand Nord). L’encadré 1 propose quelques exemples développés dans le cadre d’une recherche3 au sein de communautés autochtones éloignées, dans laquelle un des objectifs visait la meilleure compréhension des relations au travail entre Autochtones et Allochtones.
Pour développer la compétence culturelle, le contact avec l’autre est nécessaire. L’apprentissage par la lecture, malgré les bénéfices qui peuvent en être retirés sur le plan théorique, ne correspond peut-être pas aux critères d’enseignement de la compétence culturelle. Les cultures seraient trop « fluides », avec des critères changeants, puisqu’évoluant très rapidement, dans un monde où ces cultures s’effritent et dans lequel la singularité culturelle devient plus rare et la singularité individuelle et sociale, quasi une norme. Dans le cas des cultures autochtones, ce commentaire s’avère particulièrement pertinent, en raison notamment du caractère très évolutif et changeant des caractéristiques des individus et des communautés dans le temps; perpétuelle transformation, d’où proviendrait, en partie, leur instabilité. Nous avons demandé à ces individus — autochtones — de vivre et d’intégrer en quelques dizaines d’années ce qui nous a pris plus d’un centenaire à acquérir par apprentissages lents et par étapes (périodes agricole, industrielle et postindustrielle, organisation en société complexe, bouleversement technologique, mondialisation, etc.). L’intégration de ces changements pour des communautés qui ont vécu en isolation pendant que le monde tournait à une plus grande vitesse est exigeante et complexe. Par ailleurs, cette intégration pourrait rendre perplexes des individus qui rechercheraient leur identité dans un passé « oublié » ou « enseveli » par d’autres (les colonisateurs, notamment) et un présent encore inabordable, puisque comportant des éléments difficiles à intégrer ou à « conscientiser » par la majorité.
La reconnaissance des différences majeures entre les groupes culturels qui se rencontrent constituerait un des premiers pas vers l’acquisition de la compétence culturelle. Il s’agit, malgré le fardeau d’un biais culturel inévitable, d’éliminer de l’esprit les informations non avérées, stéréotypées ou autres, afin d’éviter qu’elles affectent la capacité de jugement.
Moins cette reconnaissance progresse, moins les probabilités d’obtenir des résultats à long terme sont envisageables, c’est-à-dire des relations harmonieuses ou des interactions positives répétées dans le temps qui mènent ultimement à une bonne collaboration entre les intervenants.
Cet apprentissage des différences observées avec l’autre favoriserait la compréhension plus profonde, plus essentielle, de l’autre. L’appréciation de ces différences et le début d’un processus d’acceptation des caractéristiques de l’autre constitueraient l’un des éléments fondateurs de la compétence culturelle4. On doit être conscient de cette petite voix qui s’exprime très discrètement dans l’esprit et qui suggère subtilement que l’autre a tort. Par ailleurs, nos mœurs, habitudes ou façons de vivre ou de travailler seront habituellement perçues comme étant nécessairement les bonnes, les meilleures, et ce, sans hésitation, presque inconsciemment. En effet, elles proviennent de notre « soi » intime, profond et certainement fondamental et elles sont pratiquées depuis toujours. Ce sentiment légitime et sûrement bien documenté par des collègues psychologues est plus fort que soi; toutefois, ce qui vient de l’autre doit être accepté comme étant tout aussi recevable, satisfaisant, efficace, voire valable, que ce qui vient de soi, de sa propre culture, de sa famille, voire de ses gènes. Le conflit personnel qui en résulte doit être géré. Le processus de reconnaissance et d’acceptation de ce phénomène demande du courage et, pour certaines personnes, il ne commencera ou ne se terminera jamais.
Pour terminer, je partage un outil pratique (voir encadré 2) qui peut servir lors de la mise en relation ou la communication professionnelle, personnelle ou avec un représentant d’une autre culture. L’outil a été créé pour un contexte particulier et pour un groupe très hétérogène en matière de cultures. Dans ce cadre, les notes dépassent la compétence culturelle de l’enseignant envers son groupe d’élèves qui proviennent de différentes cultures. D’une part, il s’adresse à l’enseignant ou à tout autre spécialiste, dont le gestionnaire scolaire, afin de les accompagner dans l’établissement de relations saines et véritables avec leurs collègues d’une autre culture. D’autre part, il vise ces mêmes fonctions, mais dans le contexte où la personne vit hors de son milieu habituel, dans une école loin de son vécu et de sa culture, afin, notamment, de l’aider à s’intégrer.
En conclusion, toutes les pratiques, applications de principes ou idées ici proposées afin de développer ses compétences culturelles semblent partager un point commun : l’authenticité. En effet, il apparait judicieux et salutaire d’être soi-même et d’agir de manière cohérente avec ses valeurs et ses choix, comme avec ses décisions professionnelles.
Bon bain culturel!
Photo : Gracieuseté de l’auteure émilie Deschênes
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2018
1 Deschênes, É. (inédit). L’insertion socioprofessionnelle des Autochtones sur le marché de l’emploi au nord du 49e parallèle : une réalité mal comprise. Rapport de recherche de postdoctorat en management interculturel. HEC Montréal.
2 Ces recherches comprennent une recherche postdoctorale (voir note 1) auprès d’Autochtones canadiens et une autre plus récente (et inédite). Cette dernière porte sur des Autochtones du Mali qui considèrent à nouveau la formation professionnelle ou technique, mais pour qui la « distance » culturelle entre eux (provenant de régions éloignées, ne parlant que leurs langues natales, etc.) et leurs enseignants peut sembler trop grande pour commencer ou poursuivre un programme. La difficulté de vivre avec l’incompréhension des messages, de même que l’image de soi que cette difficulté impose à l’individu (incapacité ou incompétence personnelle, notamment, mais pas exclusivement), sont trop peu supportables pour ce faire. En effet, ces enseignants auront probablement suivi une formation postcoloniale héritée du système français, qui privilégie fortement l’enseignement magistral, et, en fin de compte, qui n’auront que peu favorisé l’interaction avec chacun de ces individus.
3 Idem, notes 1.
4 Idem, note 1.
5 Les aptitudes, capacités ou connaissances qui facilitent l’adaptation de l’individu peuvent être différentes d’un lieu à l’autre, d’un contexte à l’autre. Dans cet exemple, la recherche concerne les perceptions de 70 personnes qui travaillent dans une organisation où deux cultures dominent (des Autochtones et des Allochtones, deux groupes très homogènes). Lorsqu’elles se rencontrent, les personnes des deux cultures n’ont d’autres choix que de développer des compétences culturelles reconnues si elles veulent survivre dans l’organisation (en matière d’opérations et de gestion) (voir note 1 pour la référence).
6 Ces exemples sont tirés de données qui proviennent d’un rapport de recherche en management interculturel : Deschênes, É. (inédit). L’insertion socioprofessionnelle des Autochtones sur le marché de l’emploi local. Rapport de recherche de postdoctorat en management interculturel. HEC Montréal.
Quel que soit l’apprenti, qu’il soit stagiaire, élève, artisan, sorcier, maître même, cet être souffrira d’un bien fol entendement en croyant que sa formation a enfin culminé. En effet, l’apprentissage, tout comme la vie, n’offre jamais que des délais probatoires. Le rêve doit persister ; l’enseignant d’aujourd’hui se doit, afin d’assurer un avenir serein et productif à ceux qui n’en ont pas encore conscience, de projeter perpétuellement ses enseignements dans les écoles de demain afin de façonner les citoyens que notre société mérite. Que de talent pédagogique faut-il développer afin d’enrichir l’incontournable métissage, décrié par les tyrans modernes, de la remarquable diversité des origines et des langages culturels ainsi que des modes d’apprentissage individualisés qui s’inscrivent dans les classes d’un monde devenant enfin magnifiquement mosaïqué.
Ce qu’on retrouve dans les articles de cette édition du magazine Éducation Canada, ce sont de sages propos présentés par de généreux témoins de métier qui, selon leur expérience, invitent la nouvelle génération d’enseignants à désapprendre ce qu’ils ont eux-mêmes subi en classe afin de mieux s’approprier ingénieusement ce qu’on leur a prescrit, jusqu’à ce que leur enseignement devienne décidément authentique selon l’identité en évolution de chacun de leurs élèves.
En réalité, quels que soient les objectifs requis dans les programmes d’études ou par les formateurs, la fondamentale priorité d’un enseignant sera toujours d’être conscient et consciencieux de l’impact et des conséquences que ses gestes, paroles et plans de leçons auront sur chacun de ses élèves. Bien sûr, le monde de l’éducation exige une bonne dose d’altruisme, de créativité et d’engagement, mais chaque enseignant doit aussi se respecter et maintenir un équilibre de vie lorsqu’il se donne pour mission de partager son plaisir d’apprendre avec ses élèves, et cela en offrant l’exemple d’un apprenant qui infuse de la bonne humeur et qui refuse de courber l’échine, de s’épuiser et de contempler l’abandon.
Alors, enseignants en constante évolution, galvanisez l’énergie que vous consacrez à vos stages afin de perpétuer vos élans de collaboration, votre enthousiasme, votre professionnalisme et votre questionnement en ce qui concerne l’évaluation légitime du progrès de vos élèves afin de véritablement faire face aux défis du monde de l’éducation, et particulièrement l’appui individualisé aux élèves en difficulté, l’apprentissage cahoteux de trop de garçons ainsi qu’un navrant taux de décrochage. Tout compte fait, poursuivez votre stage de formation tout au long de votre carrière sans jamais laisser s’éteindre votre émerveillement en présence de vos élèves afin de contribuer à leur cheminement jusqu’au fier et heureux jour de la délivrance de leur diplôme !
Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2018
Livre de référence pour les nouveaux enseignants qui font face à des difficultés spécifiques ou cherchent des réponses à leurs questions.
La présentation de cette ressource est issue d’une entrevue qui s’est tenue entre Jean-Claude Bergeron, rédacteur en chef du magazine, et l’auteure, Eryka Desrosiers.
Cette excellente ressource destinée à accompagner le parcours des nouveaux enseignants est indissociable des propres expériences qu’a vécues son auteure. Elle y exprime avec un grand humanisme que son objectif premier en rédigeant cet ouvrage était de faire une projection concernant ce à quoi les nouveaux enseignants peuvent s’attendre afin de les aider à se préparer mentalement. « Je voulais qu’ils se sentent moins seuls et plus “normaux” et non à blâmer pour toutes les difficultés auxquelles ils ont à faire face. » On retrouve d’ailleurs dans ce livre un chapitre adressant l’épuisement professionnel.
« Bien que ce soit un sujet parfois considéré tabou dans notre société, j’ai cru qu’il fallait faire face à la réalité. Je partage donc des outils de bien-être qui sont accessibles à tous et qui m’ont aidé à me remettre sur un droit chemin lors de mes toutes premières années d’enseignement. Entre autres, j’explique comment il ne faut pas seulement se dire que nous ferons de l’exercice quand nous aurons le temps, mais bien se prévoir du temps dans notre horaire pour en faire. De plus, je partage comment la méditation et l’écriture m’ont été indispensable pour m’éclaircir les idées dans des moments d’inconfort et de profonde remise en question. »
L’auteure offre aussi une réflexion au sujet de la formation initiale des enseignants. Elle adresse en particulier un manque flagrant de mise en pratique des théories pédagogiques et déplore les attentes souvent non réalistes visant les nouveaux enseignants. L’auteure présente des pistes de solution telles que l’enseignement en collaboration ou encore une période de résidence payée afin de faciliter la transition envers une pleine tâche d’enseignement. Elle présente aussi de nombreuses suggestions afin de concilier la technologie et les objectifs pédagogiques des programmes d’études. « Nous ne sommes pas obligés d’utiliser un outil dit “technologique” plus qu’un autre, mais j’ajouterais qu’il faut être en mesure de “parler” ce langage et de montrer à nos élèves quel usage pédagogique ils peuvent en faire. Je crois qu’un enseignant doit en faire un usage personnel, en s’abonnant aux réseaux sociaux pour voir comment d’autres enseignants intègrent différents outils afin d’améliorer les possibilités d’apprentissage de leurs élèves. » L’auteure promeut d’ailleurs dans son ouvrage une approche pédagogique totalement centrée sur les élèves en les engageant à contribuer activement à leur propre apprentissage.
« J’ai écrit ce livre afin que les nouveaux enseignants puissent s’y référer à tout moment selon les difficultés spécifiques qu’ils rencontrent ou en réponse à leur questionnement. Pour résumer les points les plus importants de l’ouvrage, je partagerais “les 10 réalisations d’une nouvelle enseignante (p.23)” et “le top 10 des pratiques pour une santé complète d’enfer (p.104)” parce qu’en quelques lignes le lecteur sera en mesure de voir comment on se sent en début de carrière, et également comment améliorer ses pratiques sans s’épuiser. »
On peut se procurer cet ouvrage indépendamment ou bien encore
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2018
Presses de l’Université Laval/Collection Profession PROF, 2018
ISBN : 978-2-7637-3786-7
L’utilisation de l’humour en classe permet de favoriser le développement d’une complicité entre l’enseignant et ses élèves qui procure un état de bien-être et de confiance mutuelle.
Marco (nom fictif) est un ancien collègue de travail avec lequel j’ai enseigné au secteur régulier d’une école secondaire il y a plusieurs années. Comme la majorité des nouveaux enseignants, dont moi-même à l’époque, Marco se retrouvait à enseigner à des groupes très exigeants, composés d’élèves ayant des difficultés d’apprentissage et de comportement. Depuis le début de sa carrière, il éprouvait des difficultés et ne prenait aucun plaisir à enseigner à ce type d’élèves; il préférait plutôt les groupes enrichis nécessitant moins d’encadrement. À l’approche de sa troisième année d’expérience en enseignement, il était à bout de souffle, sans plus de motivation, et me confia qu’il songeait sérieusement à quitter la profession. C’est au bout de sa quatrième année que Marco a finalement abandonné l’enseignement, soit une situation représentant un phénomène qui touche de façon inquiétante la profession enseignante depuis de nombreuses années. Au cœur de cette problématique, on retrouve les enseignants en début de carrière, notamment parce que ces derniers, selon Karsenti et ses collaborateurs1, sont souvent confrontés, sans préparation de gestion de classe adéquate, aux élèves affichant le plus de défis.
En mon sens, l’élément pivot différenciant ma pratique de celle de Marco se situait à l’époque dans l’approche de gestion de classe que nous avions avec les élèves. Tandis que j’utilisais instinctivement l’humour pour désamorcer des situations conflictuelles entre les élèves, améliorer ma relation avec ces derniers ou encore préserver ma propre motivation en tant qu’enseignant, Marco optait plutôt pour la ligne dure, c’est-à-dire une attitude sérieuse offrant peu de place à la flexibilité, à la créativité et à la rigolade en salle de classe.
L’humour le plus efficace en salle de classe est pourtant celui qui, en mon sens, provoque une émotion positive pour l’ensemble de la classe, pour quelques élèves ou pour un seul, dépendamment de la situation dans laquelle l’enseignant se trouve. Cela se ressent puisqu’il y a une complicité qui se développe entre l’enseignant et ses élèves, procurant un état de bien-être et de confiance mutuelle. Cette stratégie de gestion de classe peut se traduire par de multiples formes, comme l’humour absurde (p. ex., se montrer sous un air drôle et ridicule), l’humour non verbal (p. ex., expression faciale ou gestuelle), l’imitation de personnages, les blagues et les jeux de mots, le jeu de rôle, l’humour visant spécifiquement à apaiser les émotions négatives, l’humour relié au contenu du cours, l’autodérision, l’anecdote personnelle à saveur humoristique ou l’utilisation d’images et de vidéos, pour ne nommer que ces exemples.
Le caractère « sérieux » de la formation initiale des maîtres, jumelé aux stages souvent angoissants pour les étudiants, laisse toutefois peu de place à la créativité, à l’innovation et au développement de l’humour comme stratégie de résilience et de gestion de classe. Aussi est-il important de mentionner que les ouvrages généraux sur la gestion de classe examinent souvent cette stratégie en « surface », ce qui ne favorise pas une réflexion en profondeur sur la portée de cette dernière. Compte tenu des éléments précités, une question se pose : comment susciter une véritable prise de conscience quant à la portée de l’humour à la fois comme stratégie de résilience et de gestion de classe chez les étudiants à la formation initiale des maîtres?
D’abord, les professeurs offrant le cours de gestion de classe à l’université devraient, en mon sens, incarner les bienfaits de cette stratégie, notamment par le biais de l’intégration de l’humour dans leur propre enseignement. Ces derniers pourraient faire visionner des capsules vidéo ou créer des mises en situation avec les étudiants afin de susciter une profonde réflexion quant au recours à l’humour dans la résolution des conflits à l’école et des problématiques vécues au quotidien en salle de classe. Qui plus est, les étudiants en sciences de l’éducation pourraient être amenés à utiliser à bon escient l’humour de leurs futurs élèves comme un levier contribuant à favoriser un climat propice aux apprentissages. Ensuite, je suggère de revoir le contenu des programmes à la formation initiale des maîtres en intégrant un cours où l’humour à l’école serait examiné sous la loupe de différentes disciplines (p. ex., sciences de l’éducation, psychologie, santé, philosophie, sociologie, etc.). On pourrait aussi favoriser la formation de petits groupes d’étudiants pour susciter l’appropriation des bases en humour tout en ajoutant une formation obligatoire en arts dramatiques. L’évaluation de l’enseignement à l’université pourrait inclure une composante évaluant le degré d’humour des professeurs dans leur propre cours (ou à tout le moins le plaisir qu’ils ont à être en salle de classe), épaulant ainsi les efforts visant à s’approprier l’humour comme stratégie de résilience et de gestion de classe. Finalement, des activités informelles, c’est-à-dire des tentatives de formation à l’extérieur des cours obligatoires à la formation initiale des maîtres, pourraient inclure des ateliers d’improvisation, des ateliers visant à développer la qualité de la voix ou encore des conférences sur l’appropriation de l’humour comme stratégie éducative.
En conclusion, je pense sincèrement que l’humour procure des conséquences positives sur le plan physique, psychologique, social et communautaire. Je suis aussi convaincu que son utilisation quotidienne en salle de classe permettrait aux nouveaux enseignants de s’émerveiller davantage en présence de leurs élèves et de persévérer dans cette noble profession, à condition d’être bien formés en ce sens. Ces convictions sont fort probablement partagées par les tenants de projets d’envergure dans le milieu de la santé comme celui du Gesundheit! Institute, soit un projet socialement engagé de nature humoristique, humaniste et holistique, fondé par l’activiste et médecin Patch Adams, visant à redéfinir le concept « d’hôpital ». En s’inspirant de ce projet, ne serait-il pas grand temps, à notre tour, d’avoir le courage de modifier en profondeur la formation initiale des maîtres et, par ricochet, de contribuer véritablement à redéfinir et transformer l’École québécoise et canadienne?
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2018
1 Karsenti, T. P., Molina, E. A. C., Desbiens, J.-F., Gauthier, C., Gervais, C., Lepage, M., Lessard, C., Martineau, S., Mukamurera, J., Raby, C., Tardif, M. et Collin, S. (2015). Analyse des facteurs explicatifs et des pistes de solution au phénomène du décrochage chez les nouveaux enseignants, et de son impact sur la réussite scolaire des élèves. (Rapport no 2012 — RP-147333). Montréal (Québec) : Université de Montréal. Repéré à www.frqsc.gouv.qc.ca/documents/11326/552404/PRS_KarsentiT_rapport_decrochage-nouveaux-enseignants.pdf/fb366eb3-f22e-4f08-8413-48b6775fc018