Pensée critique à l'ère du numérique

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Design technopédagogique, Enseignement

Se construire une pensée critique à l’ère numérique

Compétences requises en ce qui concerne les informations : second regard, validité et pertinence

Cet article présente des stratégies efficaces afin d’appuyer la mission des programmes scolaires concernant le développement de la citoyenneté ainsi que l’apprentissage d’une pensée critique essentielle pour tous les élèves à l’époque numérique. On y retrouve les stratégies suivantes, concernant les informations reçues ou recherchées, soit : prendre du recul par rapport aux informations; vérifier la « validité/fiabilité » des informations; vérifier la « pertinence » des informations par rapport au sujet.

Lors de la dernière élection présidentielle de 2017 en France, le taux d’absentéisme au second tour n’a jamais été aussi élevé depuis 1969. La population française s’est abstenue d’aller choisir son futur président de la République à un pourcentage de 25,44 %.1 Ce chiffre semble bien être le reflet d’un désengagement politique de la part de la population française et le symptôme d’une citoyenneté en crise. Pourtant, l’école est particulièrement sensible au fait de développer la citoyenneté chez les élèves. En France, la section trois du premier chapitre de la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école république2 est relative à « l’éducation à la santé et à la citoyenneté ». Il est précisé qu’« au titre de sa mission d’éducation à la citoyenneté, le service public de l’éducation prépare les élèves à vivre en société et à devenir des citoyens responsables et libres, conscients des principes et des règles qui fondent la démocratie ». De plus, les nouveaux programmes au collège3 mettent eux aussi en avant l’importance de la citoyenneté à travers, entre autres, le programme de l’éducation physique et sportive (EPS) qui « a pour finalité de former un citoyen lucide, autonome, physiquement et socialement éduqué, dans le souci du vivre ensemble ». Pour aller plus loin, un document public3 relatif au « parcours citoyen » a été publié en 2016 et ce parcours « est inscrit dans le projet global de formation de l’élève… Adossé à l’ensemble des enseignements, en particulier l’enseignement moral et civique, l’éducation aux médias et à l’information, et participant du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, le parcours citoyen concourt à la transmission des valeurs et principes de la République et de la vie dans les sociétés démocratiques » 5. Ce parcours citoyen met en exergue une éducation aux médias et à l’information qui nous parait importante et qui prend tout son sens dans la société actuelle.

En effet, avec l’intégration massive d’Internet dans le quotidien des Français, ces dernières années, les élèves ont accès à une quantité considérable d’informations qui deviennent alors très facilement disponibles. Cette grande diversité d’informations entraine rapidement une surcharge informationnelle appelée aussi « nuage informationnel » par Edgar Morin6, ce qui provoque inévitablement chez les élèves des difficultés à traiter l’ensemble des informations reçues sur un même sujet dans le dessein qu’ils puissent se faire une idée précise sur celui-ci. Par conséquent, il nous semble que les élèves ont tendance, soit à choisir spontanément la première information qu’ils trouvent et qui traite du sujet donné, soit à garder l’information qui a le plus de sens pour eux.

Selon nous, deux raisons expliquent ce choix rapide de l’information. La première relève des moyens modernes et notamment technologiques tels que la télévision, les ordinateurs et les téléphones intelligents, qu’ils ont à leur disposition. Les élèves peuvent très facilement aller chercher une information et trouver des réponses ou des éléments de réponse à une question qu’ils se posent en regardant simplement les chaines de télévision ou en effectuant une recherche Internet sur des moteurs de recherche tels que Google, sur leur ordinateur ou leur téléphone intelligent, par exemple. La deuxième est relative au rythme de vie contemporain de la société actuelle. Si « les rapports de l’Homme et du Temps apparaissent, depuis toujours, complexes, insaisissables, et tumultueux » comme l’affirme Aubert7 dans son ouvrage Le culte de l’urgence : la société malade du temps, l’auteure tente de « comprendre comment notre époque est en train de vivre une mutation radicale dans son rapport au temps ». D’ailleurs, elle précise que nous sommes passés « d’un mode de fonctionnement à “temps long”… à un mode “à temps court”, société du zapping, du “fast”, des clips et des spots dans laquelle il s’agit de vivre l’intensité sans la durée et d’obtenir des résultats à efficacité immédiate ». Cette recherche spontanée et rapide d’informations vient à l’encontre d’une démarche réflexive et active d’appropriation de l’information. Dans ce cas-là, nous pourrions parler d’élève « consommateur d’informations » et non d’élève « acteur d’informations ».

Nous pensons que ce choix rapide des informations implique un vrai risque de traitement superficiel de celles traitées. Les élèves s’appuieraient ainsi sur des informations incomplètes, voire fausses, pour se construire une opinion qui serait plutôt issue de croyances que de vraies informations. Par conséquent, il nous semble important que cette difficulté qui consiste à sélectionner des informations pertinentes soit appréhendée dès le plus jeune âge. Mais comment, concrètement, permettre aux élèves d’éviter de tenir pour acquises les informations auxquelles ils sont confrontés dans leur quotidien? Quelle méthode donner aux élèves pour qu’ils puissent traiter les informations qu’ils reçoivent d’une manière éclairée? Les spécificités du cycle de consolidation des nouveaux programmes au collège précisent que « les élèves se familiarisent avec différentes sources documentaires, apprenant à chercher des informations et à interroger l’origine et la pertinence de ces informations dans l’univers du numérique. Le traitement et l’appropriation de ces informations font l’objet d’un apprentissage spécifique, en lien avec le développement des compétences de lecture et d’écriture ». Ainsi, la proposition d’une « démarche » d’appropriation des informations pourrait faire l’objet de cet apprentissage spécifique recherché par les nouveaux programmes et tenter de donner des éléments de réponse aux questions qui ont été soulevées. Celle-ci permettrait aux élèves de se saisir avec clairvoyance des informations qu’ils reçoivent et ainsi, ils pourraient davantage être lucides en exerçant une citoyenneté participative.

 La démarche que nous allons présenter s’envisage dans deux contextes différents. Dans un premier temps, celle-ci pourrait être utilisée, dans le cas des deux premières étapes, pour accueillir, traiter les informations qui viennent aux élèves; on parlera à ce propos d’informations « descendantes ». Elles sont celles que les élèves reçoivent sans le vouloir par exemple, les informations médiatiques diffusées à la télévision. Dans un second temps, cette démarche peut être employée intégralement pour effectuer une recherche d’informations pour servir un travail tel qu’un exposé écrit ou oral, qui est de ce fait, volontaire; on parlera à cet effet d’informations « ascendantes ». Elles correspondent aux informations qui seront mobilisées pour servir un propos par exemple, pour réaliser un « travail pratique encadré » (TPE) au lycée ou un « enseignement pratique interdisciplinaire » (EPI) au collège.

Nous envisageons dès lors, cette démarche en trois étapes.

  1. Prendre du recul par rapport aux informations (reçues ou recherchées) : il s’agit ici pour l’élève de se détacher de la première information à laquelle il est confronté, qu’il conçoit comme une information parmi un ensemble d’informations et non comme une vérité absolue. À partir de ce moment-là, il peut commencer à sélectionner les informations qu’il a à sa disposition.
  2. Vérifier la « validité » et « fiabilité » des informations (reçues ou recherchées) : à cette étape, l’élève analyse le contexte dans lequel apparaissent les informations qu’il a en sa possession. Il s’interroge en premier lieu sur la « nature » de la référence en répondant aux questions suivantes : est-ce que ce site, cette chaine de télévision, ce journal… est institutionnel, personnel, associatif? Quels sont ses intentions, ses objectifs? Est-ce qu’il y a un engagement qui serait susceptible de « fausser », de « manipuler » l’information qui est donnée, comme ce peut être le cas lors de la transmission d’une information à caractère politique? Pour répondre à ces interrogations, plusieurs possibilités sont offertes. Il s’agit, dans le cas d’un site Internet, de se préoccuper de la rubrique « à propos » du site ou dans le cas d’un journal, de « l’ours » de celui-ci. Cette première analyse de la source d’information apporte déjà des éléments quant à l’objectivité des informations diffusées et permet un premier tri de celles-ci.

Ensuite, l’élève se préoccupe de « l’auteur ». Il est essentiel de vérifier si la personne ou l’organisme qui a transmis l’information que l’on traite est sérieux et légitime, ceci dans le dessein d’utiliser des informations qui soient les plus fiables possible. Ainsi, il est important de se poser certaines questions telles que « peut-on facilement identifier l’auteur? », « a-t-il une reconnaissance scientifique? », « est-il cité à plusieurs reprises par d’autres sources travaillant sur le sujet (ce qui lui donnerait un statut d’expert)? ». Les réponses à ces questions permettent de continuer le tri des informations disponibles par les élèves en sélectionnant celles qui semblent les plus sérieuses.

Pour aller plus loin, il semble important de vérifier également, parmi les informations déjà triées, la « date » de leur parution, ce qui renvoie à la question suivante : « quand les informations ont-elles été publiées? » Il parait essentiel de vérifier si les informations que l’on traite sont récentes ou non, car si celles-ci sont anciennes, alors, l’élève risque d’utiliser des données qui sont obsolètes et qui seront par conséquent non pertinentes, dénuées de sens. Pour cela, l’élève peut tout d’abord vérifier la date de mise à jour d’un site Internet par exemple, ou regarder la date à laquelle l’article a été publié.

Enfin, ce sera la dernière étape pour vérifier la fiabilité des informations reçues ou recherchées, l’élève prend le temps de vérifier si les informations qu’il pense être valides sont citées par plusieurs sources sérieuses. Si tel est le cas, alors cette vérification permet de rassurer l’élève quant à l’utilisation de ces données. Toutefois, une nuance est à apporter à cette idée, car il est possible que certains sites reprennent tels quels certains textes copiés sur d’autres sources afin d’alimenter leur propre site.

Ce long travail, qui consiste à vérifier la fiabilité des informations que l’on reçoit ou que l’on cherche, est particulièrement important, car l’élève pourra retenir et utiliser des informations actuelles et reconnues comme sérieuses.

Dans le cas où l’élève recherche des informations pour réaliser un exposé par exemple, ce travail lui permettra d’obtenir davantage de légitimité dans ses propos et donnera une plus-value à son discours. Cependant, afin d’être percutant dans sa présentation, l’élève continue à sélectionner les informations qu’il est en train de trier en se positionnant cette fois-ci par rapport à la pertinence de celles-ci, au regard d’un sujet.

  1. Vérifier la « pertinence » des informations (reçues ou recherchées) par rapport au sujet : une fois que l’élève a devant lui des informations qui sont fiables, il est question de faire un ultime choix des données qu’il a en sa possession. Il s’agit tout d’abord de réaliser un tri des informations disponibles par rapport au sujet traité en répondant à la question suivante : « l’information traite-t-elle vraiment de ce que je recherche? répond-elle aux questions que je me pose? » Ceci signifie que l’élève, au regard de la thématique traitée, va choisir les informations qui sont les plus directement liées à celle-ci. Ensuite, parmi les informations restantes, l’élève élimine certaines informations afin de garder uniquement celles qui sont le plus en lien avec l’argumentation qu’il souhaite mener. Enfin, parmi les informations qui restent à disposition de l’élève, celui-ci fait une dernière sélection en choisissant uniquement les données qu’il a intégrées afin que son argumentation soit réellement maitrisée.

Les enjeux d’une éducation à une citoyenneté numérique sont divers et variés et nous ferons le choix de présenter ceux qui nous paraissent essentiels. Nous distinguons deux types d’enjeux : ceux en direction des élèves et ceux en faveur de la société. Nous avons retenu un enjeu principal pour les élèves qui consiste à être « lucide », et ce, pour maintenir leur libre arbitre, leur liberté de penser. Cette lucidité est possible lorsque les élèves prennent le temps de comprendre l’information qu’ils reçoivent, de l’analyser, de la critiquer et d’en déterminer sa pertinence. Si les élèves prennent l’information telle quelle, ils ne prennent alors pas le temps de se positionner par rapport à celle-ci et ils intègrent donc le point de vue de l’émetteur de cette même information sans prise de recul.

Quant aux enjeux liés à la société, l’école, en éduquant les élèves à une citoyenneté numérique, favorise des élèves plus « éclairés », qui réfléchissent, puisqu’ils traitent les informations qu’ils reçoivent et se les approprient; ils sont donc davantage en mesure de prendre des décisions et des responsabilités et participer ainsi à l’évolution de leur pays. Enfin, pour aller plus loin, en éduquant à la citoyenneté numérique, l’école participe au développement d’un « esprit critique » en étant capable de différencier, par exemple, de vraies informations, de fausses informations et des informations manipulées ou incomplètes. Cet aspect nous semble être un enjeu majeur, car cette capacité à être critique par rapport aux informations tout comme aux demandes que l’on reçoit, semble être une carence à la vue de la différence de résultats qui apparait dans l’expérience de soumission à l’autorité. Si les résultats de la première expérience de Milgram8 montraient que 62,5 % des personnes acceptaient d’envoyer toutes les décharges électriques qu’il était possible d’infliger à leur pair, les résultats plus récents de cette expérience, issus du reportage la « zone extrême » 9 en 2009, sont passés à 80 %, soit un gain considérable de 17,5 %. Cette importante augmentation nous laisse penser que l’enjeu visant à développer un esprit critique par le biais d’une éducation à une citoyenneté numérique peut être un moyen de contrebalancer cet effet de soumission à l’autorité, car la population aurait, dès le plus jeune âge, pris l’habitude de traiter les informations et de se positionner par rapport à celles-ci. Afin de renforcer ces propos, il nous parait essentiel que les élèves aient des outils pour prendre du recul par rapport aux informations qu’ils reçoivent, afin d’éviter de se faire manipuler comme c’est le cas de certains jeunes utilisés comme cible pour déclencher des attentats, dans les cas extrêmes.

En conclusion, l’école souhaite participer fortement à l’éducation des élèves à une citoyenneté numérique puisque le socle commun de connaissances, de compétences et de culture10 met en avant des « démarches de recherche et de traitement de l’information » en précisant que l’élève « apprend à confronter différentes sources et à évaluer la validité des contenus ». « L’élève apprend à utiliser avec discernement les outils numériques de communication et d’information ». Enfin, « il développe une culture numérique ». Il nous parait important que l’école puisse offrir aux élèves les moyens nécessaires pour qu’ils sélectionnent et s’approprient la multitude d’informations auxquelles ils sont confrontés chaque jour. En étant capables de prendre du recul par rapport aux informations qu’ils reçoivent, mais aussi en étant en mesure de les analyser et faire des choix personnels ensuite, il apparait que l’école participe ainsi à rendre les élèves plus lucides, cultivés, mais aussi autonomes. D’ailleurs, la démarche employée de traitement de l’information peut, nous semble-t-il, très bien être réutilisée dans les différentes disciplines, voire la considérer comme une démarche commune et faire, par conséquent, l’objet d’une réflexion collective au sein de l’équipe pédagogique. Plus largement, l’école se détacherait d’un « formatage » puisqu’elle apprendrait aux élèves à être critiques en étant plus responsables de leur formation, ce qui est particulièrement intéressant si l’on reprend l’idée de Rogers11 quand il dit que « le seul apprentissage qui influence réellement le comportement d’un individu est celui qu’il découvre lui-même et qu’il s’approprie ». Ainsi, en prenant le temps de découvrir les informations qu’ils reçoivent et en se les appropriant, les élèves se saisissent pleinement de celles-ci pour se construire une pensée critique, utile dans leur vie future.

 

Première publication dans Éducation Canada, décembre 2018


notes

1 Ministère de l’Intérieur, « Élection présidentielle 2017 », archive, élections. intérieur. gouv.fr http://archive.wikiwix.com/cache/?url=https%3A%2F%2Fwww.interieur.gouv.fr%2FElections%2FLes-resultats%2FPresidentielles%2Felecresult__presidentielle-2017%2F (path) %2Fpresidentielle-2017%2FFE.html

2 Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école république n° 2013-595 du 8 juillet 2013,

3 Programmes collège, Bulletin officiel (BO) spécial n° 11 du 26/11/2015

4 Parcours citoyens circulaire, publié le 23 juin 2016

5 http://eduscol.education.fr/cid107463/le-parcours-citoyen-eleve.html

6 Morin, E. (2016). Pour sortir du XXe siècle. Points.

7 Aubert, N., & Roux-Dufort, C. (2003). Le culte de l’urgence : la société malade du temps (Vol. 2, p. 53). Paris : Flammarion.

8 Milgram, S., & Gudehus, C. (1978). Obedience to authority.

9 Documentaire « Le jeu de la mort », 2009. www.youtube.com/watch?v=6w_nlgekIzw

10 Socle commun de connaissance, de compétences et de culture BO n° 17 du 23 Avril 2015

11 Rogers, C. R., Le Bon, D., Hameline, D., & Hameline, D. (1972). Liberté pour apprendre? (p. 277). Paris : Dunod.

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Julien Contu

Enseignant d'EPS

Julien Contu est enseignant d’éducation physique et sportive. Il a déjà dispensé des formations dans le cadre de la formation professionnelle continue et est impliqué aujourd’hui dans un processus de recherche.

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Catherine Pano

Professeure-documentaliste

Catherine Pano est professeure-documentaliste au collège et lycée depuis maintenant 25 ans ; auparavant, elle exercé le métier de documentaliste dans le milieu de l’entreprise. Elle a aussi t...

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