Faire place à la diversité
Dans l’enseignement de l’histoire, de l’éthique et de la culture religieuse
En se basant sur les recherches de plusieurs historiens qui s’intéressent aux communautés culturelles, les auteures souhaitent fournir aux enseignants des balises pédagogiques et des repères historiques. C’est dans cette perspective qu’elles proposent de nouveaux guides de soutien à l’enseignement des programmes d’Histoire et éducation à la citoyenneté et d’Éthique et culture religieuse.
Le programme de formation de l’école québécoise intègre une approche pluraliste à la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle (MEQ, 1998). Depuis son renouvellement en 2001, il accorde une place croissante à la diversité ethnique, culturelle et religieuse, tant dans les contenus à enseigner que dans l’approche à adopter pour les aborder en classe. Les programmes disciplinaires d’Histoire et éducation à la citoyenneté et d’Éthique et culture religieuse sont particulièrement concernés. On insiste entre autres sur la pluralité de la société québécoise, sur la contribution de ce pluralisme à sa richesse et sur les enjeux qu’elle soulève.
Histoire et éducation à la citoyenneté
Cet enseignement représente un défi important pour le personnel enseignant. La prise en compte de la pluralité des expériences demande un effort particulièrement important de décentration afin d’accueillir des perspectives sur le passé qui diffèrent de celle de la culture dominante. Cette dernière est d’ailleurs encore au cœur des programmes d’histoire du Québec et du Canada du primaire et, encore plus, du secondaire. D’ailleurs, l’enseignement de l’histoire du Québec et du Canada est centré sur une trame narrative construite autour d’événements majeurs de l’histoire politique. Ainsi, les groupes minoritaires ayant moins accès aux leviers d’action politique sont ainsi quasi absents des prescriptions officielles1. Les enseignants qui souhaitent aborder ces trajectoires sont donc dépourvus de matériel.
Éthique et culture religieuse
En Éthique et culture religieuse, le défi est d’une autre nature. Le programme se construit autour d’une reconnaissance de la pluralité de la société québécoise et propose de partir de l’environnement des élèves pour en parler. Or, tous les milieux scolaires ne représentent pas la même diversité. De plus, parler de diversité mène parfois à dresser des traits généraux qui peuvent tomber dans les pièges du folklorisme, de l’essentialisme et de l’exotisme. Par exemple en parlant des Juifs de Montréal, on a tendance à parler plutôt des Hassidim, ces communautés très visibles parce qu’elles vivent en plein centre-ville et se démarquent par leur habillement. Pourtant, celles-ci sont très minoritaires parmi les Juifs du Québec. De la même manière, on a tendance à penser aux femmes voilées lorsqu’on parle de l’islam, mais elles seraient, elles aussi, minoritaires parmi les femmes musulmanes au Québec.
En nous basant sur les recherches de plusieurs historiens qui s’intéressent aux communautés culturelles du Québec – sur les Juifs (Anctil, Ringuette, Robinson, etc.), les Noirs (Bessière, Gay, Williams, Winks, etc.), les divers groupes anglophones (Grace, Little, Rudin, etc.), pour ne nommer que ceux-là – nous proposons d’enseigner l’histoire du Québec en se penchant différemment sur les enjeux contemporains de la société québécoise et en prenant le point de vue de ceux qui jusqu’à maintenant ont été relégués au second plan. Ces Québécois juifs, noirs, chinois, grecs, irlandais ont vécu le passé collectif d’une manière particulière, parfois simplement en raison de leur différence culturelle.
Des guides de soutien à l’enseignement à découvrir
Les guides de soutien à l’enseignement de l’histoire des Noirs2, de la communauté juive3 et des communautés arabes et musulmanes du Québec4 visent tous à fournir aux enseignants des balises pédagogiques et des repères historiques, afin de faciliter l’intégration de ces contenus. Ils peuvent être utilisés tant pour l’enseignement au primaire qu’au secondaire et au collégial par des enseignants qui ont à aborder des questions entourant la présence de minorités ethniques, culturelles et religieuses au Québec. Ils leur fournissent des outils et des références qui les aideront à traiter de ces « histoires » du Québec dans leurs cours et à emprunter une démarche délibérative avec leurs élèves. Ils proposent en même temps aux élèves de découvrir la pluralité des points de vue, des mémoires et des expériences de l’ensemble des groupes sociaux ayant contribué à bâtir la société québécoise. Ils pourront ainsi discuter de diverses interprétations possibles des événements historiques composant le passé québécois et de mieux comprendre le pluralisme au sein de cette société. Cet enseignement propose ainsi de faire place à la diversité au sein de la société québécoise et de rendre visible la diversité qui existe au sein même de ces communautés minoritaires, trop souvent considérées comme uniques et unifiées, occultant ainsi leur richesse interne.
Les guides donnent aussi une voix à ces communautés et aux acteurs qui racontent leur expérience au sein de celles-ci. En effet, comme les élèves dans différents milieux scolaires n’ont souvent que très peu de contacts directs avec certaines communautés minoritaires qui sont encore concentrées dans la métropole et les autres centres urbains, ils connaissent peu de modèles issus de ces communautés. Ces guides tentent ainsi de dépasser le défi important de l’enseignement interculturel et inclusif qui, trop souvent, se limite à un enseignement sur la diversité5.
Conclusion
Faire place aux expériences des minorités dans l’enseignement permet de développer des compétences visées par les programmes scolaires. Cet enseignement est l’occasion parfaite pour comparer l’histoire du Québec et du Canada et l’histoire mondiale, de voir les liens qui unissent le Québec, le Canada et l’histoire d’autres pays, en faisant l’histoire de ces pays d’où sont venus ces femmes et ces hommes en quête d’une vie meilleure. Il est aussi l’occasion de discuter de questions difficiles liées au racisme et à la discrimination dont a fait preuve la société québécoise, mais aussi de donner la chance aux élèves de s’outiller pour réfléchir à ces questions difficiles.
Enfin, prendre en compte les expériences et les perspectives historiques des minorités permet de faire exister ces communautés dans l’imaginaire collectif en montrant les points de contact, les rapports de pouvoirs en jeu, les débats et les luttes qu’ont eu à mener ces différents acteurs pour améliorer leurs conditions de vie. Cette prise de conscience, en plus d’encourager l’empathie entre les citoyens, contribue à élargir le spectre des idées et des solutions à l’égard d’enjeux du présent et de l’avenir. C’est une contribution à la consolidation du vivre-ensemble dans une société pluraliste.
Illustration : Guides conçus et rédigés par Sabrina Moisan (Université de Sherbrooke) en collaboration avec Silvane Hirsch (UQTR), avec le soutien de la Direction des services d’accueil et d’éducation interculturelle, ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019
Notes
1 Éthier, M.-A., & Lefrançois, D. (2017). Quel sens de l’histoire ? Analyse critique du nouveau programme d’Histoire du Québec et du Canada. Montréal: Éditions M.
Moisan, S., & Hirsch, S. (2016). Enseigner l’histoire des Noirs au Québec. Montréal: Direction des services d’accueil et d’éducation interculturelle. Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
2 Tous les guides peuvent être consultés et téléchargés gratuitement ici : https://bit.ly/2YKKoCT
3 Hirsch, S., & Moisan, S. (2018). Enseigner l’histoire de la communauté juive du Québec. Guide de soutien pédagogique. Montréal: Direction des services d’accueil et d’éducation interculturelle. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
4 Moisan, S., & Hirsch, S. (à paraitre). Histoire des communautés arabes et musulmanes au Québec. Guide de soutien pédagogique. Montréal: Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
5 Borri-Anadon, C., Boisvert, M., & Gonçalves, G. (2018). Conclusion. In C. Borri-Anadon, G. Gonçalves, S. Hirsch, & J. d. P. Queiroz (Eds.), La formation des éducateurs en contexte de diversité : une perspective comparative Québec-Brésil (pp. 244-250). Blue Mounds, Wisconsin: Deep University press.