évaluations externes

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Engagement, Enseignement, Évaluation

Les évaluations externes peuvent-elles soutenir les pratiques évaluatives des enseignants?

Analyse dans différents contextes canadiens et européens

Cet article pose une question fondamentale en ce qui concerne les évaluations à grande échelle (ou externes), soit, si elles ont pour but d’évaluer les compétences des élèves ou d’appuyer les pratiques d’évaluation des enseignants. L’auteur propose que ces évaluations doivent assurer une boucle de régulation basée sur le but, le contrôle, la rétroaction et l’action.

Avec l’avènement des nouveaux modes de gouvernance des systèmes éducatifs, l’évaluation des apprentissages des élèves n’est aujourd’hui plus uniquement l’affaire de l’enseignant dans sa classe (évaluation interne), elle est devenue également celle de la politique (évaluation externe). Les évaluations externes des acquis des élèves ne sont pas nouvelles dans le paysage éducatif, servant depuis longtemps à garantir une évaluation plus objective ou égale à des moments charnières du cursus des élèves. Mais aujourd’hui, on leur confère également, voire surtout, le devoir de « réguler » les pratiques des enseignants, sur le terrain.

La littérature scientifique1 montre que les épreuves externes ont des effets importants sur la vie éducative des établissements et sur la profession enseignante. Dans mes recherches2, j’ai notamment eu l’occasion d’interroger l’expérience d’une cinquantaine d’enseignants du primaire issus de différents contextes francophones (au Québec, en Ontario, en Suisse et en Belgique). Des politiques différentes ont été développées dans ces contextes, néanmoins les constats observés sont très semblables3.

Bien que l’évaluation externe ait un impact sur l’ensemble du métier des enseignants, mes recherches ont démontré qu’elle touche particulièrement leurs pratiques d’évaluation des apprentissages des élèves. Elles sont pour eux des indications opérationnelles sur les contenus à évaluer et sur la manière de les évaluer. Pourtant, s’ils souhaitent s’inspirer des contenus et des méthodes des épreuves, les enseignants ne mobilisent généralement que très peu les résultats produits pour faire leur autoévaluation. Aussi, les changements de pratiques opérés sont très souvent instrumentaux, surtout lorsque les résultats des évaluations ont des conséquences importantes pour les élèves, les écoles ou les enseignants. Ils servent alors à faire réussir les élèves aux tests et consistent donc en un enseignement en fonction des tests. Enfin, les tests ne sont pas toujours reconnus comme de bons exemples par les enseignants.

Même si j’ai pu constater les nombreux effets négatifs des évaluations externes dans différents contextes, je reste persuadé que ce genre de dispositif représente une formidable occasion de « faire dialoguer » la classe et le système. Elle peut servir, parmi d’autres moyens, à soutenir les pratiques évaluatives des enseignants. Néanmoins, certaines conditions doivent être réunies. Selon mes différents travaux, il parait nécessaire de travailler sur deux points : faire baisser la pression pour les acteurs de la vie éducative et optimiser les opportunités de formation. Dans cet article, je centre mon propos sur le second point4.

« Bien que l’évaluation externe ait un impact sur l’ensemble du métier des enseignants, mes recherches ont démontré qu’elle touche particulièrement leurs pratiques d’évaluation des apprentissages des élèves. »

Si l’on attend qu’elle soutienne les pratiques des enseignants, l’évaluation externe — comme toute évaluation ! – devrait assurer une « boucle de régulation » (but, contrôle, rétroaction, action) 5.

But :

L’objectif de l’évaluation et les critères de réussite doivent être clairs. Les finalités de l’évaluation externe doivent être communiquées régulièrement aux différents acteurs (directions, enseignants, élèves, parents). J’ai pu constater que les finalités ne sont souvent pas claires pour les enseignants (Qui est évalué ? Pourquoi ?). Souvent, elles ne sont pas communiquées de manière explicite ou pas assez régulièrement. Pour une meilleure appropriation de l’outil, il est également nécessaire que les enseignants soient initiés au processus évaluatif (conception, passation, correction, traitement des données), voire y être impliqués.

Contrôle :

L’évaluation doit permettre de constater l’atteinte ou non des objectifs (fournir une mesure fiable et valide). Comme exposé plus haut, les enseignants accordent souvent peu de valeur aux résultats produits à large échelle. Afin d’éviter cette situation, l’évaluation externe doit être exemplaire au niveau méthodologique et scientifique, en lien avec les théories de l’apprentissage, de l’enseignement et de l’évaluation. Elle doit être alignée avec les plans d’études et les moyens d’enseignement, mais aussi avec les pratiques du terrain. Aussi, les résultats devraient permettre aux enseignants d’observer l’évolution des performances de manière longitudinale (comparaison sur plusieurs années), pour éviter, par exemple, d’attribuer les résultats aux caractéristiques d’une seule cohorte d’élèves.

Rétroaction :

L’évaluation doit fournir de l’information afin de rendre compte de l’écart entre le but et la mesure initiale. Les enseignants devraient avoir accès aux différents résultats de leur classe, de manière détaillée. Une interprétation critériée (par rapport à des critères et non à une norme) et détaillée permet d’observer plus spécifiquement les réussites et les difficultés des élèves. Malheureusement, dans certains cas, les enseignants n’ont accès qu’à un résultat global (une note, un pourcentage de réussite) ou doivent eux-mêmes en faire le détail. Ils devraient être soutenus dans la compréhension et l’analyse des résultats des épreuves externes, par leurs pairs et par des experts (p. ex. des conseillers pédagogiques).

Action :

L’évaluation devrait aboutir à des actions afin de réduire l’écart entre le but et la mesure initiale ou afin de redéfinir le but à atteindre. Sur la base des résultats, des pistes didactiques doivent être fournies aux enseignants ou, idéalement, être élaborées avec eux. Ceci est rendu possible s’ils ont l’occasion de travailler en équipe, avec leurs pairs, mais aussi avec le soutien d’experts (p. ex. conseillers pédagogiques). Différentes formes de « modération sociale » sont possibles6. Toutefois, mes diverses expériences montrent qu’il est nécessaire que ces moments de formation soient menés de manière réflexive et professionnalisante pour les enseignants. Ils doivent engager les enseignants à développer leurs propres outils, et non les maintenir dans un état de dépendance ou leur imposer des pratiques. La mise en réseau des établissements est également une piste à poursuivre (au contraire de les mettre en concurrence). Enfin, il parait important que l’impact des dispositifs d’évaluation externe sur le terrain soit évalué régulièrement par leurs promoteurs. De telles procédures sont, à ma connaissance, très rares, voire inexistantes.

Finalement, si l’on souhaite créer, grâce à l’évaluation externe, un véritable « dialogue » entre la classe et le système, certaines questions importantes restent en suspens. Comment l’évaluation des apprentissages des élèves réalisée par les enseignants peut-elle, dans le sens inverse (dans l’idée d’un dialogue multilatéral), contribuer au pilotage du système ? Il me parait en effet primordial de reconnaitre et de faire confiance au jugement professionnel des enseignants. D’autre part, les évaluations à grande échelle pourront-elles contribuer à soutenir les enseignants dans les grands défis des prochaines décennies en matière d’évaluation : évaluation au service de l’apprentissage (assessment for learning), évaluation des compétences ? En définitive, j’ai traité dans cette contribution de l’impact de l’évaluation externe sur les enseignants. Toutefois, le bienfondé de ce genre de dispositif devrait aussi être remis en question en observant son impact sur le vécu et les apprentissages des élèves. En fin de compte, c’est bien leur réussite que tout le monde souhaite. Encore faut-il savoir quel type de réussite ?

Photo : iStock

Première publication dans Éducation Canada, mars 2019


1 Au, W. (2007). High-Stakes Testing and Curricular Control: A Qualitative Metasynthesis. Educational Researcher, 36(5), 258–267.

Mons, N. (2009). Effets théoriques et réels des politiques d’évaluation standardisée. Revue française de pédagogie, 16 (9), 99-140.

Rozenwajn, E., et Dumay, X. (2014). Les effets de l’évaluation externe sur les pratiques enseignantes : une revue de la littérature. Revue française de pédagogie, 189 (4), 105-138.

2 Yerly, G. (2014). Les effets de l’évaluation externe des acquis des élèves sur les pratiques des enseignants. Analyse du regard des enseignants du primaire. Thèse de doctorat en Sciences de l’éducation, Université de Fribourg, Fribourg.

Yerly, G. (2017 a). Évaluation des apprentissages en classe et évaluation à large échelle. Quel est l’impact des épreuves externes sur les pratiques évaluatives des enseignants ? Mesure et Évaluation en éducation, 40 (1), 33-60

Yerly, G. (2017 b). Les raisons du faible usage des résultats d’évaluation externe par les enseignants. Étude croisée dans trois contextes éducatifs. Contextes et Didactiques, 9, 60-71

3 Yerly, G., & Maroy, C. (2017). La gouvernance par les résultats est-elle un mode de régulation de l’école légitime aux yeux des enseignants ? Une enquête qualitative dans 4 systèmes scolaires. Revue française de pédagogie, 198, 93-108.

4 Pour ce qui est de faire baisser la pression, voir Yerly (2014).

5 Allal, L. (2007). Régulations des apprentissages : Orientations conceptuelles pour la recherche et la pratique en éducation. In L. Allal & L. Mottier Lopez (Eds.), Régulations des apprentissages en situation scolaire et en formation (pp. 7-23). Bruxelles : De Boeck.

6 Laveault, D. & Yerly, G. (2017). Modération statistique et modération sociale des résultats scolaires. Approches opposées ou complémentaires ? Mesure et évaluation en éducation, 40 (2), 91-123

Apprenez-en plus sur

Gonzague Yerly

Formateur-chercheur, Université et Haute Ecole pédagogique de Fribourg (Suisse)

Gonzague Yerly a enseigné dans des classes du primaire durant près de dix ans. Il forme aujourd’hui des enseignants du primaire et du secondaire en Suisse.

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