La formation par les intentions

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Enseignement, Évaluation, Programmes

La formation par les intentions

Conduire l’apprenant vers la connaissance dont il a besoin

Avant même de s’apprêter à une mission de formation des nouveaux enseignants, il est essentiel d’être au clair sur la finalité de l’enseignement, sur l’être que nous avons à former et sur la manière de le faire. Pour cela, il est essentiel de s’arrêter sur le concept « d’intention ». Cet article présente ce concept dans le cadre de la formation d’un enseignant d’éducation physique.

S’interroger sur la question de la formation des enseignants semble intimement lié, voire indissociable d’une réflexion philosophique sur l’éducation. Nous pensons qu’avant même de s’apprêter à une mission de formation, il est essentiel d’être au clair sur la finalité de l’enseignement, sur l’être que nous avons à former et sur la manière de le faire. Pour cela, il nous semble intéressant de nous arrêter sur le concept « d’intention ». Anscombe1 fait le lien entre action et intention pour situer ce concept en disant qu’« en gros, l’intention d’un homme, c’est son action ». Carfantan2 précise que l’intention est comme « une flèche dirigée du sujet vers l’objet ». L’intention d’une personne serait donc personnelle puisqu’elle part du sujet et il serait possible de la repérer par l’analyse des actions de cette même personne. Pour aller plus loin, nous pensons qu’en fonction de l’intention avec laquelle nous nous engageons en tant que formateurs, les méthodes utilisées et les conséquences sur l’apprenant peuvent être diamétralement différentes. Pour prendre un exemple concret dans le domaine de l’éducation physique et sportive (EPS) à l’école, l’enseignant d’une classe, qui se situe en position de formateur, peut avoir comme intention de faire courir vite ou longtemps ses élèves. En fonction de cette intention, les charges d’entraînement, qui sont à associer aux moyens mobilisés, seront différentes. Lors de la course de vitesse, l’enseignant d’EPS insistera beaucoup sur la technique de course, tandis que dans le cas de la course longue, il recherchera davantage le développement de la capacité aérobie par du travail intermittent, en référence aux procédés d’entraînement aérobie présentés par Bosquet3 et des séances où l’apprenant court longtemps. Si dans le cas de la course de vitesse, les contenus appris sont plutôt techniques, dans le cas de la course longue, même s’ils ne sont pas exclusifs, les contenus portent davantage sur un maintien de l’allure de course, sur la capacité à trouver un rythme respiratoire régulier par exemple. Nous voyons ici qu’il semble important de connaître l’intention qui nous motive afin d’en percevoir les conséquences pratiques.

Il nous semble que se préoccuper des intentions de l’apprenant peut être intéressant, car selon nous, elles semblent être le reflet de son système de valeurs et témoigner d’une étape d’un cheminement personnel et professionnel. S’appuyer sur les intentions de l’apprenant, c’est en quelque sorte, prendre en compte son identité profonde, sur ce qu’il est au fond de lui-même. Il nous paraît judicieux de respecter les intentions de l’apprenant, car dans le cas contraire, l’intervention du formateur risque de ne pas faire sens chez lui. Les informations qu’il va lui donner risquent de « rebondir » sur lui, car, formateur et apprenant ayant deux intentions différentes, la communication risque d’être difficile du fait d’une incompréhension de l’un envers l’autre et inversement. Il risque d’apparaître un « formatage » de l’apprenant et moins une « formation » de celui-ci. Si nous pensons que le formatage consiste à « tirer » l’apprenant vers des exigences et à le « recadrer » lorsqu’il s’en éloigne, une formation par les intentions insiste davantage sur la fonction de guidage du formateur qui va accompagner l’apprenant dans son cheminement personnel et professionnel. Dans les deux cas apparaît une volonté de réduire l’écart qu’il y a entre un niveau initial et des exigences professionnelles et institutionnelles. Cependant, l’approche de la formation est bien différente; si dans le cas du formatage, elle est davantage axée sur le savoir, dans le cas d’une formation basée sur les intentions, elle est plutôt basée sur l’apprenant. D’ailleurs, certains auteurs encouragent l’action de former et moins de formater en se préoccupant véritablement de l’apprenant, à l’image des propos de Claparède4 qui affirmait qu’« apprendre ce n’est pas accumuler des connaissances, mais exercer son intelligence et acquérir des méthodes de pensée », de Prost5 qui, en 1985, nous a dit que « les savoirs ne se transmettent pas, ils se construisent et chacun le fait pour son compte, à sa façon, et suivant son propre rythme » et de Meirieu6, qui se positionne au niveau du rôle du formateur en précisant que « le travail de l’enseignant n’est pas d’enseigner, c’est de permettre d’apprendre ».

Pour expliciter ces propos, nous allons nous situer dans le cadre de la formation d’enseignant stagiaire (ES) au cours de leur première année d’enseignement, puisque le rôle du maître de stage (MS) est important pour les ES, car Brau-Anthony et Mieusset7 précisent que « les recensions de Chaliès, Cartaux, Escalié et al.8 et de Moussay, Étienne et Méard9 sur le tutorat en formation initiale d’enseignants montrent le rôle fondamental joué par les MS dans le développement des compétences pour enseigner ». Pour Brau-Anthony et Mieusset (op cité), « accompagner des ES nécessite d’être capable de faire face à de multiples tâches telles que l’observation du stagiaire quand il fait cours, la conduite de l’entretien post-leçon, l’évaluation… Ces actes professionnels renvoient plus largement à ce que Maubant10 appelle l’accompagnement réflexif ». Selon nous, l’un des actes professionnels dont devrait faire preuve le formateur consisterait à être capable d’identifier les intentions de l’ES afin de les prendre en compte pour les faire évoluer ou les changer.

Nous pensons que ce guidage par les intentions peut s’envisager en plusieurs étapes. La première consiste à mettre en relation l’intention que précise l’ES et les moyens mis en place pour l’opérationnaliser, car s’il y a incohérence entre intention et moyens, alors le formateur veillera à rétablir une certaine cohérence, sans quoi, il sera difficile pour l’ES de percevoir les réelles conséquences de l’intention qu’il suggère. En seconde étape, le formateur identifie si l’intention organisatrice de l’ES est positive pour la classe et correspond à une source d’apprentissages chez les élèves. Si tel est le cas, il s’agit pour le formateur dans un dernier temps, de faire évoluer l’ES quant à cette intention en lui proposant des moyens concrets de sorte que son intervention soit encore plus efficace et ce, jusqu’à qu’il ressente le besoin de changer d’intention, du fait des limites de celle-ci, toujours dans le dessein de faire progresser ses élèves. Si toutefois l’ES maintien son intention, qui montre ses limites, alors le formateur peut proposer à l’ES de s’appuyer sur une autre intention qui entraînerait des conséquences différentes et peut-être plus positives sur les apprentissages des élèves.

Préciser ses objectifs

Tout d’abord, arrêtons-nous sur la relation entre l’intention de l’ES et les moyens qu’il utilise pour l’opérationnaliser. Le formateur pour aider l’ES à formuler son intention, propose de répondre à la question suivante : « qu’attends-tu de la leçon que tu vas animer? » Cette question contraint le futur enseignant à se positionner sur ce qui va l’organiser tout au long de la séance.

Objectif : gestion de classe

En début de carrière, souvent, les ES sont préoccupés par la gestion de la classe. Ainsi, en guise d’un exemple, nous pourrions répondre à ce souci en leur suggérant de « cadrer la classe ». Si telle est l’intention de l’enseignant, alors il devra mettre en place des moyens concrets pour y arriver. Il a la possibilité de cadrer sa classe sur la forme et sur le fond. Au niveau d’une gestion de la classe sur la forme, nous pouvons mettre en lumière la gestion du temps par des périodes d’apprentissage déterminées dans le temps. En ce qui concerne une gestion de la classe sur le fond, nous pouvons mettre en exergue l’idée de proposer des problèmes ou des situations qui captiveraient les élèves au point où ces derniers voudraient vraiment s’impliquer dans celles-ci.

Objectif : Gestion du temps

Dans le cas où l’ES serait en difficulté pour gérer le temps du fait, par exemple, qu’il soit occupé par l’intervention au sein d’un groupe d’élèves, ou encore, que ses propositions de situations d’apprentissage ne soient pas suffisamment attrayantes pour les élèves, il y aurait un écart entre ce qu’il organise (ou son intention) et ce qu’il fait.

Le rôle du formateur est donc de rétablir une certaine cohérence entre ce qui anime l’ES et les moyens qu’il met en place. Ensemble, formateur et ES reviennent sur les difficultés qui sont apparues au cours de la leçon, relatives à l’intention initiale, et le formateur apporte des possibilités de remédiations. Par exemple, dans le cas d’un cadrage de la classe sur la forme, l’ES voulant bien gérer son temps s’est vu « dépassé » et pris par le temps du fait d’une intervention trop longue auprès de certains élèves en difficulté. L’intervention de l’ES était en incohérence avec son intention initiale. Le formateur peut ainsi, lors du retour sur la leçon avec l’ES, lui proposer comme solution éventuelle, de ne plus donner de conseils peu de temps avant la fin du temps alloué à l’exercice et de placer les élèves en autonomie à ce moment-là; ceci pour faire l’objet d’une règle qui serait transmise aux élèves. Ainsi, l’ES pourra respecter les temps d’apprentissage prévu initialement et être en cohérence avec son intention.

« S’appuyer sur les intentions de l’apprenant, c’est en quelque sorte, prendre en compte son identité profonde, sur ce qu’il est au fond de lui-même. »

Objectif : Appréciation de l’apprentissage

Une fois une cohérence mise en place entre l’intention de l’ES et les façons de la faire vivre, le formateur identifie ensuite si cette intention est positive pour les élèves, c’est-à-dire, si celle-ci est porteuse d’investissement et de progrès chez ces derniers. Si tel est le cas, alors le formateur accompagne l’ES en lui proposant d’autres moyens qui viennent accentuer son intention afin d’encourager celle-ci, qui semble source de progrès chez les élèves. Par exemple, au sein d’une leçon d’EPS, l’ES, organisé par son intention de cadrer sa classe, peut animer une leçon de demi-fond en proposant une alternance des rôles de coureur et d’observateur. Un élève court, un élève l’observe pendant cinq minutes, puis cinq minutes de pause sont laissées et les élèves inversent les rôles jusqu’à que chacun d’eux court quinze minutes, soit trois courses de cinq minutes. Les élèves sachant exactement ce qu’ils ont à faire et n’étant pas dans le flou du fait d’une organisation rigoureuse de la séance, entrent bien dans l’activité. Pour aller plus loin dans l’intention de cadrer la classe de l’ES, le formateur peut lui proposer de demander aux futurs observateurs de prévenir les futurs coureurs trente secondes avant le début de la course afin d’être sûr de commencer au signal de départ. Cependant, il est possible que les élèves, du fait d’un temps limité de course, ne soient pas en mesure d’exprimer tout leur potentiel, ce qui peut freiner la progression des élèves. Ainsi, une démotivation à plus ou moins long terme peut apparaître et freiner voire empêcher des apprentissages chez les élèves.

Objectif : Réajustement de l’intention

Ainsi, dans un dernier temps, il s’agira donc, pour le formateur, d’aider l’ES à changer d’intention pour maintenir une dynamique au sein de la classe, soit une source d’implication et de progrès, grâce à l’identification des limites du choix d’une intention. Nous pensons que chaque intention a des effets différents. Ainsi, dans le cas de la leçon de demi-fond, le formateur peut inviter l’ES à passer d’une intention plutôt « fermée » qui se manifeste par une organisation rigoureuse de la séance à une intention plutôt « ouverte » où les élèves auraient, dans le fonctionnement mis en place par l’ES, plus de marge de liberté et où ils seraient davantage en mesure d’exprimer leur potentiel. Pour cela, il peut proposer, par exemple, de placer les élèves par équipe de trois et de les laisser courir durant quinze minutes. Seul un des trois élèves a la possibilité de s’arrêter le temps qu’il veut dans une zone nommée « gare » délimitée à l’extérieur de la piste de course. Les élèves d’une équipe ayant un maillot de la même couleur, il est très facile de savoir si l’un de ses coéquipiers est dans la gare ou non. Le formateur, en proposant une intention différente, favorise des comportements différents chez les élèves et participe de ce fait, à faire évoluer l’expérience de l’ES. Toutefois, il est difficile de changer d’intention, car celle-ci renvoie à notre fonctionnement et à nos repères. Pour l’ES, il s’agira d’effectuer un réel travail sur soi pour accepter de changer ses habitudes et d’adopter un regard différent sur le déroulement de sa leçon, sur les élèves, sur sa pratique.

Pour résumer notre position, nous pensons que la formation des enseignants, et notamment celle des ES, peut être appréhendée sous l’angle des intentions. En prenant appui sur celles-ci, nous suggérons le fait que l’enseignement est davantage teinté d’humanisme puisque les formateurs se préoccupent en premier lieu des apprenants, via l’analyse de leur(s) intention(s), avant de se poser la question du/des savoir(s) qu’il serait judicieux de permettre d’apprendre à ces derniers. La démarche d’enseignement présentée se différencie, d’une part, d’une démarche axée sur une transmission descendante du/des savoir(s), en suivant, par exemple, les cours magistraux et, d’autre part, d’une démarche où le formateur se préoccupe prioritairement du contenu à apprendre. Dans cette approche par les intentions, plutôt que s’efforcer de rapprocher l’apprenant des exigences, le formateur tente de conduire l’apprenant vers la connaissance dont il a besoin en partant de ce qui l’organise, de ses intentions.


Photo : iStock

Première publication dans Éducation Canada, septembre 2018

1 Anscombe, G. L’intention. Paris : Gallimard, Collection Bibliothèque de Philosophie, 2002.

2 Carfantan, S. Cinq leçons sur la perception. Philosophie et spiritualité. CreateSpace Independent Publishing Platform. 2014.

3 Assadi, H. Réponses physiologiques au cours d’exercices intermittents en course à pied. (Université de Bourgogne : Dissertation doctorale). 2012.

4 Claparède, E. Psychologie de l’enfant et pédagogie expérimentale (1905). Paris : Éditions L’Harmattan. 2017.

5 Prost, A. Éloge des pédagogues. Paris : Éditions du Seuil. 1985.

6 Meirieu, Philippe et col. Le plaisir d’apprendre. Paris : Éditions Autrement, 2014.

7 Brau-Antony, S., & Mieusset, C. « Accompagner les enseignants stagiaires : une activité sans véritables repères professionnels ». Recherche et formation, 72, 27-40 (2013)

8 Chaliès, S., Cartaut, S., Escalié, G., & Durand, M. « L’utilité du tutorat pour de jeunes enseignants : la preuve par 20 ans d’expérience ». Recherche et formation, 61, 85-129. (2009)

9 Moussay, S., Étienne, R., & Méard, J. « Le tutorat en formation initiale des enseignants : orientations récentes et perspectives méthodologiques ». Revue française de pédagogie, 1, 59-69. (2009)

10 Maubant, P. « Sens et usages de l’analyse des pratiques d’enseignement : entre conseil et accompagnement réflexif des enseignants en formation ». L’évaluation-conseil en éducation et formation, 18. (2007)

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Julien Contu

Julien Contu

Enseignant d'EPS

Julien Contu est enseignant d’éducation physique et sportive. Il a déjà dispensé des formations dans le cadre de la formation professionnelle continue et est impliqué aujourd’hui dans un processus de recherche.

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