numérique dans les écoles

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Engagement, Enseignement, Équité, Évaluation

Composer avec la réalité numérique dans nos écoles : un défi de tous les jours

L’outil numérique au service de stratégies pédagogiques efficaces

Cet article présente le point de vue d’enseignant expérimenté sur l’usage de divers outils numériques. On y présente diverses stratégies pédagogiques touchant la recherche, la littératie, le travail collaboratif et l’évaluation.

Enseignant de français depuis 15 ans, Sylvain Bérubé a aussi enseigné de nombreuses autres matières. Très impliqué dans l’intégration du numérique aux apprentissages, il a développé une expertise en ce domaine et fait, entre autres, partie du comité organisateur du colloque Clair, au Nouveau-Brunswick, depuis ses débuts en 2010. Sylvain est également musicien professionnel depuis toujours, blogueur depuis 2006, et rédacteur pigiste pour diverses organisations en lien avec l’éducation.

S’il est un sujet qui me turlupine depuis un bon moment déjà, c’est l’éducation au numérique dans les écoles. Depuis plus de dix ans, je constate que l’identité numérique est un concept bien réel avec lequel chacun doit, chaque jour, de plus en plus composer. Je crois sincèrement qu’il faut en parler et développer des savoirs concernant ce sujet. Évidemment, je suis loin d’être le seul à réfléchir à la question, et c’est tant mieux, car cette facette de notre identité est de plus en plus présente, puisqu’on se définit partiellement par elle : le numérique fait partie de notre vie et de notre identité.

Avec le temps, nous sommes à même de faire quelques constats à propos du numérique et de l’abondance d’informations de toutes sortes qu’il suscite. L’information et l’opinion se confondent comme jamais auparavant. Il pleut des chroniqueurs de tous acabits, certains établissant des liens pertinents avec de vraies informations, d’autres créant des liens douteux avec diverses rumeurs ou autres fausses nouvelles. Plusieurs se retrouvent aussi entre les deux camps, peinant parfois, ou même souvent, à distinguer le vrai du faux. Tout ceci est sans compter chaque personne qui peut désormais s’exprimer haut et fort, avec ou sans discernement, sur cette place publique que sont devenus les réseaux sociaux, en partageant toutes sortes d’éléments d’information, certains étant des faits vérifiables et d’autres, de prétendues nouvelles… On retrouve aussi les vidéos qui font rire et d’autres qui font réfléchir, et cela, selon nos habitudes et ce que les algorithmes nous donnent à « consommer » par la suite.

En considérant tous ces changements, diverses initiatives naissent à gauche et à droite, afin de sensibiliser nos élèves à ces diverses réalités. J’écris « réalités », car tout cela est bien réel, même si cela se produit souvent dans un monde dit virtuel. Ce sont des gens bien réels qui tapent sur leur clavier, et les répercussions de leurs propos sont bien réelles, elles aussi.

Quelques pistes et témoignages pédagogiques

Voici quelques exemples d’initiatives que j’ai prises ou dont j’ai été témoin, tout près de moi ou sur les réseaux sociaux.

Pour aider les élèves à prendre conscience de la réalité du monde numérique, j’ai vu des intervenants, policiers-éducateurs ou autres, présenter des conférences afin de sensibiliser les jeunes aux dangers d’Internet. Ils y partagent beaucoup d’informations pertinentes et utiles, mais souvent présentées sous un angle n’offrant que très rarement les aspects positifs que peuvent offrir les réseaux sociaux.

Afin d’outiller nos élèves, une équipe de l’Université Laval propose des méthodes de recherche, s’adressant d’abord aux élèves du primaire, puis, plus récemment, à ceux dusecondaire. On y aborde la formulation d’une question de recherche, la validation des sources, l’évaluation de leur crédibilité, etc. On y retrouve beaucoup d’informations, des capsules vidéos, et autres ressources. De bons outils à mettre entre les mains des enseignants… et des élèves ! (Pour plus de resources)

Chaque année, de nouvelles ressources pédagogiques apparaissent, permettant aux élèves de s’approprier les réseaux sociaux et d’en faire un usage intelligent. Je pense ici à des activités de grammaire en utilisant Instagram, aux concours de twittérature (littérature en 140, et maintenant 280 caractères, sur Twitter), et à bien d’autres.

Certains enseignants, dont je suis, invitent leurs élèves à réaliser un blogue qui, en y incorporant divers textes, comptes rendus et autres réflexions, constitue, alors, un portfolio numérique. On leur apprend ce qu’on appelle le savoir-publier, tout en leur permettant de pratiquer leur écriture.

Parallèlement, d’autres outils sont parfois utilisés en milieu scolaire sur un réseau en circuit fermé et sécurisé. Certains sont purement une transposition numérique de cahiers d’exercices papier. On n’y retrouve, à mon humble avis, aucune valeur ajoutée. D’autres offrent un environnement imitant certains réseaux sociaux, mais se retrouvant sur une plateforme sécurisée, afin d’offrir une meilleure sécurité pour un jeune public. Cela représente une bonne occasion, surtout pour les plus jeunes, de s’entrainer afin de mieux naviguer dans le monde numérique. Sans compter les laboratoires créatifs qui commencent à apparaitre ici et là…

Relativement à tout cela, il est important de se questionner au sujet de la meilleure façon d’assurer une cohérence parmi une multitude d’outils fort différents. Nous devons aussi faire en sorte que tous ces changements ne soient pas perçus par les enseignants comme une corvée supplémentaire et du surplus à ajouter à leurs tâches d’enseignement déjà considérables. Il s’agit plutôt pour eux de développer eux-mêmes, ainsi que chez leurs élèves, l’état d’esprit pertinent requis et la juste disposition à adopter. Il est alors évident qu’il devient nécessaire d’aider nos élèves à développer les compétences indispensables afin de s’adapter sainement au numérique. En effet, nos élèves doivent apprendre à naviguer dans une mer d’informations qui comprennent des faits, des opinions, de vraies et fausses nouvelles, les avis de tout un chacun, des rumeurs, ainsi que des manipulations, volontaires ou non, de certaines personnes influentes. On pourrait ajouter ici la publicité ciblée que l’on reçoit à partir des traces qu’on « veut » bien laisser lors de nos pérégrinations sur Internet.

Comme enseignant de français, la mission que je perçois, c’est primordialement d’aider mes élèves à développer les compétences requises en lecture, car seule la lecture intelligente, attentive et consciente, qui fait appel à diverses compétences informationnelles de discernement et d’analyse, permettra à nos élèves d’éviter de tomber dans divers pièges et de profiter pleinement de cette manne d’informations qui est désormais devenue beaucoup plus accessible qu’autrefois, situation dont certains profitent malheureusement pour polluer l’atmosphère numérique.

Cette connectivité, qui engendre la collaboration, il faut arriver à mieux l’intégrer à l’évaluation, mais en la remaniant afin de la rendre vraiment pertinente.

Comme enseignant dans le sens global, il devient pour moi de plus en plus évident que le carcan actuel dans lequel évolue tout ce que je considère comme « évaluation des apprentissages » devra être fortement remanié. Je ne propose pas ici une transposition numérique de la façon traditionnelle d’évaluer en ne faisant que changer l’outil utilisé. Actuellement, certaines expériences tentent de faire cela dans un environnement sécurisé, en débranchant l’outil numérique bien que, depuis son apparition, l’outil numérique ne fonctionne à son plein potentiel que lorsque les participants travaillent en collaboration sur des tâches quand ils sont connectés. C’est justement cette connectivité, qui engendre la collaboration qu’il faudra arriver à mieux intégrer à l’évaluation, mais en la remaniant de fond en comble afin de la rendre vraiment pertinente. Mais ça, c’est un tout autre dossier, fort gigantesque, qu’il faudra avoir le courage d’aborder plus tôt que tard.

Qui plus est, tout ce qui concerne les équipements numériques devra aussi être rapidement reconsidéré, et cela avec discernement et un « gros bon sens ». Les écoles privées peuvent demander aux parents d’acheter un outil technologique pour leur enfant. Toutefois, les écoles publiques n’ont, en principe, pas le droit d’exiger ce genre de contribution. On a qu’à penser à la saga du recours collectif survenue récemment au Québec, recours mené par un groupe de parents, et d’avocats, à propos du « petit » matériel scolaire, et à tout ce que cela a impliqué comme questionnements et réajustements dans les commissions scolaires et écoles du Québec pour la rentrée 2018. (Voir à ce sujet les sites suivant : Économies et cie et ministère de l’Éducation). Alors, que faire pour la majorité des élèves qui fréquentent l’école publique ? Le BYOD (Bring your own device) ou AVAN (apportez votre appareil numérique) ? Il y aura forcément des élèves qui n’auront pas les moyens d’acheter leur propre appareil. Le leur fournir (grâce au PAN, au Québec, le Plan d’action pour le numérique) pourrait être une solution moins onéreuse que de fournir un appareil à l’ensemble des élèves. L’autre bémol que certains voient au BYOD/AVAN est le fait que la flotte d’appareil n’est alors plus uniforme ; mais est-ce que cette uniformité est vraiment nécessaire ? Pour les techniciens en informatique, elle l’est. Pour les enseignants qui veulent conserver une approche traditionnelle centrée sur l’enseignant qui gère tout, elle l’est aussi. Selon moi, le rôle de l’enseignant est avant tout d’exercer ses compétences pédagogiques. L’uniformité du parc d’appareil n’est pas nécessaire si on utilise des outils d’apprentissage multiplateformes. Mais il faut être prêt à composer avec des situations qui ne seront forcément pas linéaires, ni toujours tranquilles ou paisibles. Bref, on n’a pas fini de parler de ce sujet-là non plus.

En conclusion, je dirais que quiconque arrive à vivre dans ce monde complexe aux multiples réalités (et fictions !), et aussi à le comprendre, pourra parvenir à avoir, tout d’abord, du pouvoir sur sa propre vie et il saura de plus comment influencer autrui, au lieu de simplement subir ce qu’on lui dira de penser. Développer un esprit critique et le pouvoir de penser par soi-même est devenu essentiel au 21e siècle, même si cela a toujours été un idéal à atteindre à toutes les époques. C’est tout simplement devenu encore plus primordial aujourd’hui, alors que la démocratie est parfois mise à dure épreuve dans nos sociétés.

Photo : Gracieuseté de l’auteur Sylvain Bérubé

Première publication dans Éducation Canada, décembre 2018

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Sylvain Bérubé

Enseignant au secondaire, École secondaire De Rochebelle, CS des Découvreurs

Enseignant de français depuis 15 ans, Sylvain Bérubé a aussi enseigné de nombreuses autres matières. Très impliqué dans l’intégration du numérique aux apprentissages, il a développé une e...

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