Cet article contient des pronoms inclusifs.
Dans une perspective écologique inspirée de la théorie du développement humain de Bronfenbrenner, la résilience est un processus engagé par des systèmes lorsqu’ils se trouvent en contexte d’adversité (Ungar, 2018). Dans le cadre de cet article, il est question de la résilience d’élèves pendant la pandémie de la COVID-19, et plus particulièrement de la résilience langagière en contexte minoritaire francophone.
Selon le modèle de Ungar (2018), chaque être humain est un système en soi, tout en étant un constituant d’autres systèmes. Ainsi, l’élève est un système en interaction avec d’autres – son école, sa ou ses communautés, sa famille, par exemple. C’est en interaction avec ces systèmes que l’élève se construit, construit son sens du monde et participe à la (re)production des autres systèmes.
La résilience est un processus ayant pour fin le retour du système individuel1 au bienêtre ou encore au mieux-être. La pandémie de la COVID-19 a placé des nations toutes entières en contexte d’adversité sanitaire. Nous avons vu comment elles ont su mobiliser diverses ressources internes (moyens financiers, savoirs, attitudes, capacités) et externes (vaccins, connaissances, alliéEs) au sein d’un réseau de systèmes internationaux.
Dans ce grand branlebas, familles, parents, enfants, élèves, personnel enseignant et directions d’écoles ont pour leur part mobilisé des ressources internes et externes dans un processus de résilience enclenché par la fermeture des établissements scolaires et la création ad hoc d’un espace scolaire virtuel. Nous avons donc été en mesure de confirmer à quel point l’école est non seulement un espace d’apprentissage, mais également un système concomitant des systèmes familiaux et sociaux pour ce qui est de l’encadrement des enfants. Par ailleurs, la place de l’école dans la réduction des inégalités sociales s’est confirmée lors de la plus grande prise en charge de la scolarisation des enfants par les systèmes familiaux. Pensons, d’une part, à la plus faible disponibilité du réseau Internet et d’équipement informatique performants dans les foyers à faible revenu ou situés loin des centres urbains du pays. D’autre part, des familles ayant les ressources internes nécessaires ont créé des « cellules scolaires » et recruté une personne qualifiée en enseignement pour assurer la scolarisation continue de leurs enfants, cela alors que le système scolaire peinait à combler ses besoins en personnel enseignant et que d’autres enfants faisaient un minimum d’heures de classe virtuelle, avec ou sans la supervision ou l’appui d’un adulte à la maison. Cela rappelle la création de groupes de jeux par certains parents afin d’assurer la disponibilité d’un espace de langue française pour leurs enfants d’âge préscolaire en contexte anglodominé, ainsi que la tendance notée par la recherche dans le domaine du choix scolaire : seules certaines familles font un choix actif de l’école de leurs enfants. Ainsi, la mobilisation par un système, ici familial, de ressources internes et externes dépend en grande partie de leurs disponibilités, de leurs accessibilités et de leurs pertinences.
En contexte minoritaire francophone, il importe également de tenir compte de l’accessibilité à la langue française pendant la pandémie, et après. Nous savons déjà que dans les communautés francophones et acadiennes les plus anglodominées, l’école est le seul espace public où la langue française jouit d’un statut officiel plus important que celui de la langue anglaise, bien que cette dernière profite d’un statut social très élevé dans les interactions entre élèves. Cela est le cas par exemple à Halifax (Liboy et Patouma, 2021), à Toronto (Heller, 1994; Heller, 2006) et en Ontario de manière plus générale (Gérin-Lajoie, 2004), au Manitoba (Cormier, 2020) et à Vancouver (Levasseur, 2020). La mise de l’avant du concept de l’école communautaire citoyenne par la FNCSF (Fédération nationale des conseils scolaires francophones) en 2011 et l’identification du rôle sociolinguistique du système d’éducation à titre d’enjeu de taille par l’AEFO (Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens) en 2022 confirment la centralité de l’école pour la résilience langagière communautaire en contexte anglodominé. Au sein de l’école, les élèves trouvent des espaces d’interaction sociale propices à une production et reproduction langagière contextualisée. La fermeture des écoles et des centres communautaires place donc les jeunes en contexte d’adversité langagière.
La pandémie a eu des conséquences importantes pour la santé mentale des adolescentEs (Vaillancourt et al., 2021), notamment en raison de l’isolement social qui a réduit de manière significative les contacts entre pairs. Même lorsque les mesures sanitaires ont été assouplies pour permettre la fréquentation en distanciation sociale, les jeunes en contexte minoritaire peuvent avoir rencontré des difficultés à créer des moments de rencontre avec leurs amiEs francophones, disperséEs sur un territoire dépassant les limites de leur quartier. En effet, bien que certaines communautés francophones ou acadiennes historiques occupent un espace géographique bien défini (la population brayonne de la ville d’Edmundston, acadienne de Pubnico ou franco-ontarienne de Hearst, par exemple), elles sont pour la plupart imbriquées dans une municipalité à majorité anglophone, diminuant ainsi les occasions de se voisiner en français. Dans de telles conditions, il devient nécessaire de faire le choix de mobiliser des ressources internes et externes qui peuvent soutenir la résilience langagière en français.
Des données récoltées en Ontario et à l’Île-du-Prince-Édouard en marge de communications à différents groupes du système scolaire, au Nouveau-Brunswick dans le cadre du volet recherche du Réseau canadien des écoles ludiques et d’une thèse de maitrise en Nouvelle-Écosse permettent de constater que la fermeture des écoles pendant la pandémie de la COVID-19 a eu un effet marquant sur la disponibilité et l’accessibilité de ressources externes et internes pertinentes à la résilience langagière de certains jeunes locuteurices de la langue française. Dans nos conversations le personnel enseignant et des parents en Ontario et à l’Île-du-Prince-Édouard ont dit avoir remarqué une diminution des capacités chez certains enfants et de la motivation chez d’autres à parler français au cours de la pandémie. À l’élémentaire, le personnel enseignant de certains milieux a noté qu’un nombre plus important d’élèves qui n’ont pas fait la garderie en raison de la pandémie est entré à l’école avec peu ou aucune connaissance de la langue française. Le personnel enseignant d’une école, rencontré dans le cadre du colloque annuel de l’ACELF, estime que 70 % des élèves ne parlaient pas français à leur arrivée à l’école en septembre 2022.
Au secondaire, là où les élèves passaient de l’anglais au français lorsqu’un membre du personnel enseignant était à proximité dans les couloirs de l’école, après deux ans de bris dans la coprésence, cet automatisme semblait avoir généralement disparu au retour à l’école en présentiel. Par ailleurs, des enseignantEs ont rapporté que certains élèves refusaient tout bonnement de parler français en salle de classe, même avec le personnel. Une étude de maitrise menée auprès de trois jeunes du secondaire en Nouvelle-Écosse nous informe sur les facteurs qui peuvent avoir contribué à de tels changements et en quoi l’école en présentiel agit à titre de système concomitant en appui au processus de résilience langagière des élèves (Sutherland, 2022).
Trois jeunes en fin d’études secondaire dans des écoles dispersées sur le territoire de la Nouvelle-Écosse ont participé à des conversations narratives individuelles en ligne au cours de la deuxième année de la pandémie de la COVID-19. Malgré des profils socio-langagiers distincts, chacunE2 a témoigné de l’importance de l’école pour leur résilience langagière (Sutherland, 2022). Les ressources qu’iels mobilisent au sein de l’école sont l’accès au français scolaire dans les cours de français, la légitimation de la variété locale du français (l’acadjonne) par certains membres du personnel et les activités parascolaires. L’école de langue française met donc à disposition de ces élèves trois espaces dans lesquels circulent différentes ressources langagières (l’interaction en français scolaire, en acadjonne et le parler des jeunes) et normes de communication en français. Bien que l’acadjonne soit disponible pour deux de ces élèves à la maison – la dernière parlait un français plus près de la norme scolaire avec ses parents –, la pandémie a fortement réduit l’accès quotidien de ces jeunes au français scolaire et aux interactions avec leurs pairs en français.
Lors de la fermeture de leurs écoles, les élèves des écoles de langue française ont eu accès à un nombre réduit de cours. Les cours de français ont été maintenus, mais l’accessibilité au français scolaire s’est néanmoins trouvée réduite, la tendance s’étant déplacée vers un enseignement plus magistral que participatif. Les personnes rencontrées par Sutherland ont relevé la pertinence de l’interaction en classe de français en particulier pour leur accès à la langue scolaire. Considérant que cette variété linguistique était, pour deux d’entre iels, illégitime en milieu familial et communautaire, mais nécessaire à leur légitimité à titre de francophones à l’extérieur de ces milieux, l’interaction en français scolaire s’est avérée une ressource nécessaire à la résilience langagière postsecondaire pour ces élèves.
Par ailleurs, les élèves ont témoigné de l’importance d’un espace où le français est de mise, puisque leur propension à utiliser la langue dominante avec leurs pairs a fait qu’en l’absence d’activités parascolaires organisées par l’école, iels se sont tournées vers les médias sociaux pour communiquer avec leurs amiEs. Or, iels utilisent majoritairement, si non uniquement, l’anglais dans l’espace de socialisation numérique. Pour ces personnes, la fermeture de l’école pendant la pandémie s’est traduite en retrait d’espaces d’interaction sociale pertinents à la production et reproduction langagière contextualisée du/des français.
Or, contrairement à un nombre grandissant de jeunes évoluant en contexte minoritaire, celles rencontrées par Sutherland avaient accès à des ressources en langue française dans leurs familles et dans leurs communautés respectives. Iels comptent également parmi les jeunes qui mobilisent les activités parascolaires de l’école comme ressource pour leur résilience en général et pour leur résilience langagière en particulier. En Ontario, des parents de milieux davantage minorisés, mais qui utilisent le français à la maison et mobilisent des ressources de langue française dans leurs interactions avec leurs enfants, ont remarqué pour leur part que leurs enfants ont parlé et fait la lecture plus fréquemment en français. Cela aurait eu pour conséquence une amélioration de leur vocabulaire en langue française et une capacité améliorée à passer d’une situation de communication translangagière (la mobilisation créative par des plurilingues de l’ensemble de leurs ressources linguistiques pour créer du sens et communiquer un message) à une situation unilingue. La fermeture de l’école aurait-elle éloigné leurs enfants d’un espace de socialisation entre jeunes où le français est peu mobilisé (les couloirs de l’école, par exemple) et ainsi contribué à leur résilience langagière en français?
En contexte minoritaire, la société environnante ne peut assurer aux élèves et à leurs familles un accès soutenu aux ressources langagières et linguistiques distribuées par l’école de langue française. De ce fait, le potentiel de cette dernière à titre de ressource externe pour la résilience langagière des élèves est grand. Dans les conditions actuelles, elle ne peut jouer pleinement ce rôle en contexte de pandémie ou d’apprentissage en ligne. Par ailleurs, certaines données anecdotiques suggèrent qu’elle contribue négativement à la résilience langagière de certains élèves. Il y a donc encore beaucoup à apprendre au sujet de l’interaction entre l’école et les autres systèmes de l’écologie langagière des élèves ainsi que sur l’apport de cette interaction sur la résilience langagière à court et à long terme.
Bronfenbrenner, U. (1979). The Ecology of Human Development: Experiments by Nature and Design. Harvard University Press, Cambridge.
Cormier, G. (2020). Perspectives et définitions scolaires de l’identité linguistique en milieu minoritaire : comment les établissements scolaires de langue française répondent-ils aux besoins des élèves du 21e siècle face aux nombreuses transformations sociales, culturelles et démographiques en cours? Éducation et francophonie, 48(1), 53–72. https://doi.org/10.7202/1070100ar
Gérin-Lajoie, D. (2004). La problématique identitaire et l’école de langue française en Ontario. Francophonies d’Amérique, (18), 171–179. doi.org/10.7202/1005360ar
Heller, M. (1994). Crosswords: Language, education, and ethnicity in French Ontario. Mouton de Gruyter.
Heller, M. (2006). Linguistic minorities and modernity: A sociolinguistic ethnography (2e éd.). Continuum.
Levasseur, C. (2020). Être plurilingues et francophones : représentations et positionnements identitaires d’élèves de francisation à Vancouver. Éducation et francophonie, 48(1), 93–121. doi.org/10.7202/1070102ar
Liboy, M.-G., et Patouma, J. (2021). L’école francophone en milieu minoritaire est-elle apte à intégrer les élèves immigrants et refugies récemment arrives au pays? Canadian Ethnic Studies Journal, 53(2), 23-40.
Sutherland, H. (2022). De l’insécurité linguistique à la résilience linguistique : le rôle de l’école de langue française dans la formation de la résilience linguistique des adolescents [thèse de maîtrise, Université d’Ottawa]. RechercheuO. https://ruor.uottawa.ca/handle/10393/43860
Vaillancourt, T., Beauchamp, M., Brown, C., Buffone, P., Comeau, J., Davies, S., igueiredo, M., Finn, C., Hargreaves, A., McDougall, P., McNamara, L., Szatmari, P., Waddell, C., Westheimer, J. et Whitley, J. (2021). Les enfants et les écoles pendant la COVID-19 et au-delà : interactions et connexion en saisissant les opportunités. Société royale du Canada. https://rsc-src.ca/sites/default/files/C%26S%20PB_FR.pdf
Ungar, M. (2018). Systemic resilience: Principles and processes for a science of change in contexts of adversity. Ecology and Society, 23(4). doi.org/10.5751/ES-10385-230434
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Première publication dans Éducation Canada, avril 2023
1 Gauvin -Lepage et Lefebvre (2010) font leurs recherches au niveau de la résilience familiale. Dans ce contexte, les ressources internes appartiennent à la famille et les ressources externes sont situées dans les systèmes qui les entourent.
2 Ces personnes étaient de sexe féminin, mais leur identité de genre n’ayant pas été dévoilée ou discutée lors des conversations narratives, nous privilégions l’écriture neutre avec des accords au féminin lorsqu’il est question d’iels.
En 2021, un directeur BLANC d’une école secondaire catholique de langue française de l’Ontario a été retiré de son école deux ans après avoir porté les cheveux rasés d’un élève noir comme perruque lors d’une collecte de fonds pour une élève atteinte du cancer; quelques mois plus tard, à l’Halloween, il les a portés à nouveau comme déguisement (Canadian Broadcast Company; Radio-Canada, 2021). Il n’a été démis de ses fonctions que deux ans plus tard après que #BlacklivesLondon ait signalé ces incidents sur le microblogue Twitter (Radio-Canada, 2021). Étant donné que l’amélioration de la réussite de l’ensemble des élèves de l’école est peu probable sans un leadership éducatif efficace (Rodgers, Hauserman et Skytt, 2016), tout leader devrait remettre en question son comportement envers les individus et les groupes marginalisés, tels que les Noir.e.s., Plus précisément, chaque leader devrait se questionner sur les indignités qu’il leur fait subir, telle que les microagressions raciales. Dans cet article, une microagression raciale est définie comme étant une brève indignité quotidienne (re)produisant des commentaires racistes ou des insultes racistes envers les élèves, les directions d’école ou les enseignants et les enseignantes noir.e.s (Brown, 2019; Frank et coll., 2021; Sue et coll., 2007.)
Que connaissons-nous au sujet du racisme systémique envers les Noir.e.s en contextes francophones minorisés au Canada? Un nombre limité d’études ont exploré le racisme systémique envers les Noir.e.s en contextes francophones minorisés au Canada (Ibrahim, 2014; Jean-Pierre, 2020; Villella, 2021). Ces études donnent un aperçu de la façon dont le racisme systémique envers les Noir.e.s se manifeste dans ce contexte. Schroeter et James (2015) constatent que les élèves immigrant.e.s noir.e.s et francophones perçoivent que le personnel scolaire blanc, y compris la direction d’école blanche, accorde plus d’appui aux élèves blanc.he.s immigrant.e.s qu’aux élèves noir.e.s immigrant.e.s vis-à-vis de l’atteinte de leurs objectifs de carrière. Pour sa part, Madibbo (2021) présente trois conditions favorisant la (re)production du racisme systémique envers les Noir.e.s au sein du Canada français, y compris au Québec :
Examinons quelques incidents critiques
Ma thèse doctorale (2021) décrit des incidents critiques de racisme systémique anti-Noir.e.s, tels qu’ils se présentent dans le contexte du leadership éducatif en Ontario français afin de comprendre les incidents que subissent les élèves, le personnel enseignant, les familles et les partenaires communautaires noir.e.s et francophones.
Cette étude de cas narrative a exploré la compétence interculturelle et antiraciste imbriquée de leaders éducatifs et systémiques à travers des incidents critiques. Un leader éducatif et systémique, comme une direction d’école, est un citoyen privé, mais aussi un représentant d’une institution qui développe ou met en œuvre des politiques, des procédures et des règlements, voire des normes et des idéologies d’une société (Villella, 2021). Un incident critique constitue une expérience ou une activité positive ou négative ayant eu une influence sur un leader en confirmant, en modifiant ou en fragmentant son leadership (Sider et coll., 2017; Yamamoto et coll., 2014).
Neuf leaders éducatifs et systémiques, dont la plupart sont ou récemment ont été directions d’école, ont participé à trois entrevues semi-dirigées et à un sondage. L’analyse des données a révélé que presque tous les incidents critiques mentionnés par les neuf participant.e.s comme étant de nature « interculturelle » concernaient la communauté noire, et surtout des garçons et des hommes noirs, y compris un prêtre catholique. Bien que les réponses des participant.e.s au sondage indiquent qu’ils et elles perçoivent leurs compétences interculturelles comme élevées, la façon dont elles et ils abordent les incidents critiques impliquant les élèves, le personnel, les familles et les membres de la collectivité noir.e.s indiquent qu’ils doivent améliorer leur compétence antiraciste. En ce qui concerne le développement de leurs compétences interculturelles et antiracistes, les participant.e.s ont suivi très peu de cours universitaires ou d’ateliers; elles et ils se sont surtout autoformé.e.s grâce au bénévolat international, à la lecture et à la transmission de leurs apprentissages personnels. Par conséquent, les particpant.e.s ont surtout fait de la formation informelle au lieu de la formation formelle ou de la formation non formelle (Villella, 2021). Il ne faut donc pas s’étonner que des incidents critiques révélant un racisme systémique anti-Noir.e.s et des microagressions raciales se soient manifestés dans le discours des participant.e.s concerné.e.s.
Microagressions raciales multiples : ce que les données révèlent
Dans la section qui suit, je présente et j’analyse cinq incidents critiques de racisme systémique anti-Noir.e.s à travers le cadre conceptuel de microagressions raciales de Brown (2019), soit la pathologisation, l’insensibilité culturelle, la dévalorisation persistante des compétences des enseignants noirs, la citoyenneté de seconde classe dans les écoles et le mythe de la méritocratie. Brown indique que ces microagressions sont non seulement ancrées dans l’idéologie anti-Noir.e.s, mais qu’elles constituent aussi des raisons ayant émergé dans la recherche pour lesquelles les enseignant.e.s noir.e.s2 quittent la profession enseignante.
« J’avais une réunion avec la direction. Donc, je me dis qu’il y a d’anciens collègues à moi, je vais aller les voir. [Un ami], quand j’arrive : « Hé ! Salut [Hassan] ! Ça va bien ? » Donc, je m’assois avec lui, pis lui, il dit : « [Hassan], tu es au salon du personnel des blancs avec moi là ». J’ai dit : « Comment ça ? » Il dit : « Tu n’as pas vu ? La table des immigrants est là-bas ». Donc, pour te dire que même à l’époque où j’étais, il y avait deux salons du personnel.
Dans cette école, les enseignant.e.s noir.e.s (et en particulier les enseignant.e.s immigrant.e.s et noir.e.s) constituent le point de mire du racisme systémique anti-Noir.e.s dans le salon du personnel qui se manifeste sous forme d’un statut de citoyenneté de deuxième classe (Brown, 2019; Frank et coll., 2021).
« [Les élèves] l’envoyaient chier… en plus il parlait avec un accent assez prononcé. C’était probablement un des premiers Noirs qu’ils voyaient en personne ces enfants-là… Et pour lui, c’était une des premières classes qu’il avait au Canada, parce qu’il avait juste fait de la suppléance, si j’ai bien compris, à Montréal, quelques années d’avant… Dans le coin dans le fond de la classe… Quatre jeunes hommes qui se sont amusés à l’abaisser là. « Monsieur, je comprends rien, je comprends pas quand tu parles. Ça fait pas de sens »
Dans cet exemple de microagressions raciales envers un enseignant noir, on perçoit une dévalorisation persistante de ses capacités d’enseignement (Brown, 2019; Frank et coll., 2021) par les élèves et la participante, mais il existe aussi un linguicisme racialisé (Madibbo, 2021), soit une discrimination linguistique et raciale combinée envers une personne noire, qui est également une immigrante récente.
« elles sont incapables de s’intégrer…pis ça, c’est malgré qu’on a essayé de les coacher. On a essayé… c’est juste trop ancré ou le traditionalisme est trop ancré dans leurs pratiques… on arrive à un conflit, pis c’est là où on fait des mises à pied, où on fait des évaluations insatisfaisantes. »
Nous pouvons observer ci-dessus une autre microagression raciale, puisqu’un directeur blanc pathologise les personnes noires qui enseignent dans son école à travers sa vision fixe de la compétence à enseigner fondée sur la conformité aux politiques et aux pratiques éducatives historiques et normalisées de l’éducation de langue française.
« J’ai passé des entrevues… et les questions qu’on posait, nous, on avait déjà une idée de qu’est-ce qu’on voulait comme réponses… à quelques reprises, je me suis aperçue qu’on parlait pu de la compétence de la personne. On parlait de la culture de la personne [noire]. On disait : « Ben là, la personne a répondu de telle ou telle façon… ils vont peut-être taper l’enfant. »
Dans cet exemple, les microagressions raciales se manifestent comme une forme de pathologie (Brown, 2019; Frank et coll., 2021).
« Je suis en train de faire une évaluation de suivi avec… un ado qui vient du continent africain… qui avait eu de très grands bris de scolarisation… puis j’avais des préoccupations par rapport à hum le niveau de travail qu’on donne. Parce que des fois… si un élève ne sait pas lire, on a tendance à aller chercher du matériel pour apprendre à lire chez les plus jeunes… mais ça l’a pas la stimulation cognitive… parce que là, j’ai un ado qui a peut-être 15-16 ans qui euh… qui est en train de faire des affaires de bo-bo baba… Mais c’est un jeune qui est en train d’être traité comme un… un élève qui avait une déficience. »
Ici, on peut affirmer que cet élève noir subit des micro-agressions, plus précisément des micro-invalidations concernant ses besoins en matière de lecture étant fondés non seulement sur la perception d’un statut de citoyenneté de seconde classe, mais aussi de l’insensibilité culturelle et de la dévalorisation persistante de ses compétences (Brown, 2019 ; Frank et coll., 2021; Sue et coll., 2007).
Bien qu’il ne s’agisse que de quelques-uns des incidents critiques en matière de racisme systémique anti-Noir.e.s en matière de leadership éducatif ayant ressorti de mon étude, il s’agit de vignettes donnant un aperçu tout de même informatif au sujet de la façon dont le racisme systémique anti-Noir.e.s se (re)produit auprès de membres noirs de la communauté scolaire dans le contexte de l’éducation de langue française en Ontario.
Comment l’étude des incidents critiques peut-elle nous aider à désapprendre le racisme systémique anti-Noir.e.s?
Yamamoto et coll. (2014) expliquent que les histoires que : a) nous nous racontons; b) que nous transmettons; c) que nous racontons aux autres, et d) encore une fois que nous nous racontons à nouveau au sujet d’un incident critique, constituent un moyen puissant selon lequel les leaders peuvent évaluer s’ils maintiendront les mêmes pratiques, les adapteront ou s’ils changeront complètement leurs pratiques. Par conséquent, ces incidents critiques ne sont pas seulement formatifs (Sider et coll., 2017), ils sont aussi informatifs (Villella, 2021), puisqu’ils révèlent des éléments de désapprentissage professionnel nécessaire pour lutter contre le racisme systémique anti-Noir.e.s. La question qui se pose maintenant est la suivante : qu’est-ce que les leaders éducatifs et systémiques de langue française, comme les directions d’école, ainsi que leurs formatrices et formateurs, peuvent apprendre en examinant de tels incidents critiques? Une liste de ressources destinées aux leaders en éducation sur le désapprentissage du racisme systémique suit l’article.
D’abord, il faut se souvenir que le racisme systémique envers les Noir.e.s n’est pas seulement un problème anglo-canadien. Il est omniprésent en éducation, quelle que soit la langue d’enseignement ou le contexte.
L’analyse des incidents critiques en matière de leadership dans le domaine de l’éducation de langue française en contexte francophone minorisé peut aider les directions générales, les formatrices et les formateurs, les associations des directions d’école et les surintendances, ainsi que les organismes communautaires de langue française à comprendre comment certaines pratiques contribuent à marginaliser les enfants et les adultes noir.e.s qu’elles et ils desservent. Les façons dont les leaders interagissent avec les enseignant.e.s noir.e.s peuvent contribuer à la reproduction, donc à la persistance, du racisme systémique envers les Noir.e.s, au lieu de contribuer à l’établissement d’un milieu éducatif inclusif et d’une société inclusive qui atténuent le racisme afin d’y mettre fin. Quoi qu’il en soit, les leaders éducatifs et systémiques envoient un message clair aux élèves, aux parents et au personnel noir.e.s en ce qui concerne leur valeur dans la société, lorsqu’ils agissent, ou non, sur le racisme systémique anti-Noir.e.s.
L’étude des incidents critiques en tant que moyen de (dés)apprentissage professionnel par rapport au racisme systémique envers les Noir.e.s offre aux leaders éducatifs et systémiques la possibilité de changer la façon dont ils réagissent lors de futures situations, de devenir proactifs et de réduire les microagressions faites aux membres de la communauté noire. Ainsi, c’est en ce sens que les études de cas narratives peuvent aider les leaders à décortiquer le racisme systémique anti-Noir.e.s par l’entremise d’un moyen de (dés)apprentissage professionnel.
Que faire maintenant ? Quelques recommandations :
Les leaders éducatifs et systémiques, telles que les directions générales, les surintendances/directions générales adjointes, doivent appuyer tous les membres du personnel souhaitant élaborer des stratégies préventives pour réduire les incidences de racisme systémique envers les Noir.e.s qui se (re)produisent par l’entremise des microagressions raciales. Les gouvernements provinciaux, les conseils scolaires/commissions scolaires/Centres de services et les conseils/districts scolaires doivent exiger la mise en place de moyens spécifiques aux incidents de racisme systémique envers les Noir.e.s, les respecter et en faire le suivi. Ils doivent aussi être tenus d’en faire un rapport aux communautés noires de manière transparente. À ce titre, il est important d’élaborer une approche de collecte de données qualitatives et quantitatives pour mieux comprendre les défis et enjeux y étant sous-jacents; ces défis et ces enjeux ne devraient pas être réduits à une question liée au statut d’immigration d’un individu ni à sa langue maternelle comme des facteurs identitaires principaux.
Enfin, les leaders éducatifs et systémiques de langue française à tous les niveaux doivent avoir recours à des possibilités de formation initiale et continue s’ils souhaitent se former ou former leurs équipes au sujet du racisme et de l’antiracisme. La pédagogie, le leadership culturellement sensible, l’analyse des données fondées sur la race et la remise en question des politiques pédagogiques et disciplinaires du conseil/de la commission ou du Centre de services scolaire concernant les élèves noir.e.s et les pratiques d’embauche liées au personnel noir constituent des domaines incontournables en matière de formation pour tous les employé.e.s. De telles formations exigent que des ressources soient non seulement développées en français, mais aussi que les incidents critiques de racisme systémique anti-Noir.e.s soient fondés sur des exemples recueillis au sein des systèmes d’éducation en langue française.
Bien que certains leaders de l’éducation de langue française soient plus conscients que d’autres des incidents de racisme systémique anti-Noir.e.s concernant leur leadership, de tels incidents critiques persistent par l’entremise de micro-agressions raciales. Ces incidents devraient amener les leaders éducatifs et systémiques de langue française à réévaluer la façon dont ils peuvent mieux établir des relations avec chaque élève, famille, membre du personnel et partenaire communautaire noir.e.s., et à trouver des moyens de déconstruire leur pensée déficitaire et les stéréotypes sous-tendant les microagressions raciales. Un tel processus commence et se poursuit par l’entremise d’une pleine participation et d’un engagement profond à la décolonisation de l’apprentissage professionnel. On doit ensuite mettre en application ces connaissances au sein des communautés scolaires desservant des individus et des groupes noirs afin de créer des espaces d’appartenance plus équitables et inclusifs pour les élèves et le personnel noirs, ainsi que pour d’autres groupes méritant l’équité au sein même de la francophonie minorisée.
Non seulement les élèves noir.e.s et francophones ont besoin du personnel enseignant noir et francophone, mais le reste de la société canadienne en a besoin aussi. L’inclusion s’applique, après tout, à tout un chacun.
La liste de ressources suivante a comme objectif d’outiller les leaders éducatifs et systémiques, tels que les directions d’école, à développer leurs connaissances liées à la lutte contre le racisme systémique anti-noir pour pouvoir ensuite agir concrètement. L’espoir étant de les amener à exercer un leadership transformatif qui est inclusif de la construction sociale de la race.
Il est suggéré de lire les ressources selon l’ordre des thèmes présentés, et selon l’ordre des ressources indiquées.
DONNÉES STATISTIQUES CANADIENNES
Fondation canadienne des relations raciales. (2021). Les relations raciales au Canada 2021. Un sondage canadien sur l’opinion publique fondée sur l’expérience. Rapport final. https:// environicsinstitute.org/docs/default-source/project-documents/race-relations-in-canada-2021/race-relations-in-canada-2021-survey—final-report-fre.pdf?sfvrsn=dae22b9e_2
Statistique Canada. (2019). Diversité de la population noire au Canada… un aperçu. https:// 150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-657-x/89-657-x2019002-fra.htm
Statistique Canada. (2022). Mois de l’histoire des Noirs… en chiffres. https://.statcan.gc.ca/fr/dai/smr08/2020/smr08_248-1
Ces données nous apprennent non seulement que les communautés noires parlent plus souvent français à la maison que le reste de la population canadienne, mais aussi que les communautés noires vivent plus souvent du racisme que les autres minorités visibles, toutes langues officielles confondues.
NOIRCITÉ (BLACKNESS)
Ibrahim, A. (2014). The rhizome of Blackness. A critical ethnography of hip-hop culture, language, identity and the politics of becoming. Peter Lang Publishing.
Madibbo, A. (2021). Blackness and la Francophonie. Anti-Black Racism, Linguicism and the Construction and Negotiation of Multiple Minority Identities. Les Presses de l’Université Laval.
Sall, L. (2021). L’Acadie du Nouveau-Brunswick et “ces” immigrants francophones : entre complétude institutionnelle et accueil symbolique. Les Presses de l’Université Laval. Google Scholar
Les trois ressources ci-dessus abordent la noircité, aussi appelée le blackness en Ontario, en Alberta ou en Acadie. Il est possible d’en tirer certains constats communs au sujet des manifestations du racisme anti-noir en milieux francophones minorisés.
MICRO-AGRESSIONS RACIALES
Sue, D. W. Capodilupo, C. M., Torino, G.C., Bucceri, J. M., Holder, A.M.B. Nadal, K. L. & Esquilin, M. (2007). Racial Microaggressions in Everday life. American Psychologist, Mai-Juin. https://gim.uw.edu/sites/gim.uw.edu/files/fdp/Microagressions%20File.pdf
Brown, E. (2019). African American teachers’ experiences with racial micro-aggressions. Educational Studies, 55(2), 180–196. https://doi.org/10.1080/00131946.2018.1500914
Frank, T. J., Powell, M. G., et View, J. L. (2021). Exploring racialized factors to understand why Black mathematics teachers consider leaving the profession. Educational Researcher. doi.org/10.3102/0013189X21994498
Bien que ces trois articles soient écrits en anglais, il s’agit de ressources précieuses concernant le racisme anti-noir, et plus particulièrement, la manifestation de micro-agressions et comment mieux les comprendre. L’analyse de l’article du réseau d’Éducation Canada de Villella (2022) se fonde sur les cadres théoriques de ces articles.
RACISME ANTI-NOIR À L’ÉCOLE DE LANGUE FRANÇAISE
Jean-Pierre, J. (2022). Les composantes de l’espoir critique dans les récits de parents Afro-Canadiens de la Nouvelle-Écosse. Canadian Review of Sociology/Revue canadienne de sociologie, 59(4), 427-562. https://doi.org/10.1111/cars.12409
Villella, M. (2021). Le racisme à l’école franco-ontarienne. Education Journal – Revue de l’éducation (EJRÉ), Faculté d’éducation, Université d’Ottawa. 7(1), 25-34. https://egsa-aede.ca/wp-content/uploads/2022/01/Version-finale_2021-EJRE_October-Number-Website-Version.pdf
Schroeter, S. & James, C. (2015). « We’re here because we’re black » : The schooling experiences of French-speaking African-Canadian students with refugee backgrounds. Race, ethnicity and education, 18(1), 20-39. https://doi.org/10.1080/13613324.2014.885419
Stanley, T. (2018). Décortiquer les racismes et les antiracismes à l’école. Réseau de savoir sur l’équité. https://rsekn.ca/wp-content/uploads/2019/08/D%c3%a9cortiquer-les-racismes-et-les-antiracismes-%c3%a0-l%e2%80%99%c3%a9cole.pdf
Howard, P. S. S. & James, C. E. (2019). When dreams take flight: How teachers imagine and implement an environment that nurtures Blackness at an Africentric school in Toronto, Ontario. Curriculum inquiry, 49(3), 313-337. https://doi.org/10.1080/03626784.2019.1614879
L’article de Jean-Pierre (2022) aborde l’espoir critique des parents noirs en Nouvelle-Écosse. Les articles de Villella (2021), ainsi que de Schroeter et James (2015), décrivent le sujet du racisme anti-noir à l’école de langue en contexte francophone minorisé. Les articles de Stanley et de Howard et James proposent des actions concrètes en matière d’antiracisme.
NOIR·E·S FRANCOPHONES
Jabouin, S. (2018). Trajectoires d’insertion professionnelle des nouveaux enseignants originaires des Caraïbes et d’Afrique subsaharienne (NEOCAS) dans les écoles francophones de l’est de l’Ontario [thèse de doctorat non publiée, Université d’Ottawa]. Recherche Uo. https://ruor.uottawa.ca/handle/10393/11105
Jean-Pierre, J. (2020). L’appartenance entrecroisée à l’héritage historique et au pluralisme contemporain chez des étudiants franco-ontariens. Minorités linguistiques et société/Linguistic Minorities and Society (13), 3–25. doi.org/10.7202/1070388ar
Pierre-René, M. C. (2019). Hey “GI” An Examination of how Black English Language and Learning High School Students Experience the Intersection of Race and Second Language Education [thèse de doctorat, Université d’Ottawa]. Recherches uO. https://ruor.uottawa.ca/bitstream/10393/39108/1/Pierre_Rene_MarieCarene_2019_thesis.pdf
Ces lectures permettent de mieux comprendre que les identités et les expériences des élèves et des enseignant·e·s noir.e·s ne se limitent pas à une question de statut d’immigration récente, mais concernent le racisme systémique anti-noir.
THÉORIE CRITIQUE DE LA RACE
Bentouhami, H. et Möschel, M. (2017). Critical Race Theory. Une introduction aux grands textes fondateurs. Éditions Dalloz.
Thésée, G. et Carr, P. R. (2016a). Triple whammy and a fragile minority within a fragile majority: School, family and Society, and the Education of Black, Francophone Youth in Montréal. African Canadian youth, postcoloniality, and the symbolic violence of language in a French language high school in Ontario. Dans A.A. Abdi et A. Ibrahim, (dir.), The education of African-Canadian children (pp.131-144). McGill-Queens University Press.
Thésée, G. et Carr, P. R. (2016b). Les mots pour le dire : acculturation ou racialisation? Les théories antiracistes critiques (TARC) dans l’expérience scolaire des jeunes NoirEs du Canada en contextes francophones. Comparative and International Education/Éducation Comparée et internationale, 45(1), article 5. https://ir.lib.uwo.ca/cgi/viewcontent.cgi?article=1376&context=cie-eci
Le premier texte sert à faire comprendre au lectorat les fondements de la théorie critique de la race, ainsi que les grandes décisions juridiques les ayant influencés. Par la suite, le lectorat sera mieux en mesure de comprendre les deux autres articles abordant le sujet.
COLONISATION ET DÉCOLONISATION
Trudel, M. (2004). Deux siècles d’esclavage au Québec. Éditions Hurbutise.
Cooper, M. (2007). La Pendaison d’Angélique. Traduit par André Couture. Les Éditions de L’Homme.
Ba, Amadou. (2019). L’histoire oubliée de la contribution des esclaves et soldats noirs à l’édification du Canada (1604-1945). Éditions Afrikana.
Deltombe, Domergue, M. et Tatsitsa, J. (2016). Kameroun! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique. La Découverte.
Le premier ouvrage permet au lectorat de comprendre que les Blancs francophones avaient des esclaves et que l’Église catholique y a joué un rôle important. Le deuxième renseigne sur la contribution des Noir·e·s à l’édification du Canada depuis plus de 400 ans. Le troisième ouvrage montre l’omniprésence encore à ce jour des effets de la colonisation au sein de la vie de certaines personnes noires venant de l’Afrique et le rôle clé qu’y joue la France.
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Première publication dans Éducation Canada, janvier 2023
1 Ce texte a été traduit et adapté par l’auteure de l’article de langue anglaise intitulé Critical Incidents in Educational Leadership: An opportunity for professional (un)learning.
2 Alors que l’étude de Brown (2019) portait sur les enseignant·e·s noir.e.s, celle de Frank et coll. (2021) portait spécifiquement sur les enseignant.e.s noir.e.s de mathématiques.
Brown, E. (2019). African American teachers’ experiences with racial micro-aggressions. Educational Studies, 55(2), 180–196. https:// doi.org/10.1080/00131946.2018.1500914
Canadian Broadcast Corporation (29 mai 2021). Ontario principal removed after twice wearing hair of Black student like a wig. https:// cbc.ca/news/canada/london/luc-chartrand-black-student-wig-apology-1.6047068
Ibrahim, A. (2014). The rhizome of Blackness. A critical ethnography of hip-hop culture, language, identity and the politics of becoming. Peter Lang Publishing.
Jean-Pierre, J. (2020). L’appartenance entrecroisée à l’héritage historique et au pluralisme contemporain chez des étudiants franco-ontariens. Minorités linguistiques et société/Linguistic Minorities and Society (13), 3–25. doi.org/10.7202/1070388ar
Frank, T. J., Powell, M. G., et View, J. L. (2021). Exploring racialized factors to understand why Black mathematics teachers consider leaving the profession. Educational Researcher. doi.org/10.3102/0013189X21994498
Madibbo, A. (2021). Blackness and la Francophonie: Anti-Black racism, linguicism and the construction and negotiation of multiple minority identities. Les Presses de l’Université Laval.
Radio-Canada (31 mai 2021). Accusations de racisme : le directeur démis de ses fonctions dit avoir « honte » https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1797641/racisme-chartrand-london-honte-excuses
Rodgers, W. T., Hauserman, C. P, et Skytt, J. (2016). Using cognitive coaching to build school leadership capacity: A case study in Alberta. Canadian Journal of Education/Revue canadienne de l’éducation, 39(3). www.jstor.org/stable/canajeducrevucan.39.3.03
Schroeter, S. & James, C. (2015). «We’re here because we’re black»: The schooling experiences of French-speaking African-Canadian students with refugee backgrounds. Race, ethnicity and education, 18(1), 20–39. doi.org/10.1080/13613324.2014.885419
Sider, S., Maich, K., & Morvan, J. (2017). School principals and students with special education needs: Leading inclusive schools. Canadian Journal of Education, 40(2). http://journals.sfu.ca/cje/index.php/cje-rce/article/view/2417
Sue, D. W. Capodilupo, C. M., Torino, G.C., Bucceri, J. M., Holder, A.M.B. Nadal, K. L. et Esquilin, M. (2007). Racial Microaggressions in Everday life. American Psychologist, Mai-Juin. https://gim.uw.edu/sites/gim.uw.edu/files/fdp/Microagressions%20File.pdf
Villella, M. (2021). Piti, piti, zwazo fè niche li (Petit à petit, l’oiseau fait son nid) : le développement d’une compétence interculturelle et antiraciste de neuf leaders éducatifs et systémiques d’expression française de l’Ontario, formateurs bénévoles en Ayiti. Unpublished thesis. University of Ottawa. https://ruor.uottawa.ca/handle/10393/42728
Yamamoto, J. K., Gardiner, M. E., et Tenuto, P. L. (2014). Emotion in leadership: Secondary school administrators’ perceptions of critical incidents. Educational Management Administration & Leadership, 42(2), 165–183.
L’auteure souligne que cet article est écrit selon ses interprétations non autochtones, avec l’appui des aînés avec lesquels elle travaille. Au Nouveau-Brunswick, plusieurs aînés et experts autochtones en éducation considèrent Mme Devarennes comme une alliée. Selon les chercheurs (Brown et Ostrove, 2013; Smith, Simon et Puckett, 2016), seules des personnes autochtones peuvent qualifier une personne non autochtone d’alliée. Pour être une alliée, il faut participer activement à la décolonisation. Il faut aussi développer et maintenir les relations avec des peuples autochtones et leurs communautés, reconnaître que ce sont eux qui mènent leurs propres initiatives, et participer à la suppression des avantages qui ne servent qu’au groupe majoritaire.
Depuis 2020, la pandémie a ébranlé les systèmes d’éducation et les apprenants de la planète entière. Pour les jeunes autochtones, à l’instabilité et des questionnements suscités par cette crise sanitaire s’ajoutent les séquelles léguées par les pensionnats qui ont toujours un impact négatif sur leur éducation (Commission de Vérité et réconciliation du Canada, 2015). Par ailleurs, il est difficile pour les parents, familles et ainé.e.s autochtones d’accorder leur confiance à l’école telle qu’elle est organisée maintenant, que ce soit une école publique ou une école en milieu autochtone qui adhèrent aux programmes d’études de la province ou du territoire. Pour plusieurs parents autochtones, pédagogues autochtones et aîné.e.s, les systèmes scolaires formels sont des lieux d’assimilation à la culture majoritaire (Battiste, 2017; Devarennes, 2018). Les familles autochtones vivent souvent une tension constante : celle de vouloir une éducation formelle de grande qualité pour leurs enfants, tout en se méfiant du système qui néglige leur culture, comme si elle n’avait pas sa place dans un modèle d’éducation formelle. Peut-être la période post-pandémique, au cours de laquelle les systèmes d’éducation doivent s’ajuster à de nouvelles réalités, devrait également ouvrir grande la porte aux besoins des familles autochtones et de leurs enfants.
La réussite de l’élève autochtone est favorisée quand ce dernier sent que sa culture a une place à l’école, que l’école n’est pas encadrée seulement par la culture majoritaire (Taylor et Cummins, 2011), que ce soit dans une école en communauté autochtone (où presque toujours, les programmes d’études de la province ou du territoire encadrent l’enseignement) ou dans une école publique. Pour la grande majorité des élèves autochtones, l’enseignement est fondé surtout sur des pratiques et connaissances eurocentriques, pouvant ainsi leur donner l’impression que leurs façons d’être et d’apprendre sont secondaires par rapport aux façons d’être et d’apprendre du groupe majoritaire. Est-ce que le moment de réflexion imposé à l’école par le bouleversement des réalités et des valeurs sociales en cours pourrait s’élargir jusqu’à tenir compte des besoins des apprenants autochtones? En même temps, les élèves du groupe majoritaire pourraient profiter également de cette nouvelle posture du système scolaire. En privilégiant l’eurocentrisme, comme c’est le cas présentement, les iniquités et injustices sociales relativement aux peuples autochtones sont perpétuées par le groupe majoritaire, par ces élèves devenus adultes, souvent sans qu’ils s’en rendent compte. Ils ont appris à l’école que les seules façons, perspectives, connaissances et valeurs qui comptent sont les leurs, soit celles du groupe majoritaire.
En contexte francophone minoritaire, l’importance de la culture est pourtant reconnue et elle se retrouve au centre de plusieurs propositions pédagogiques (Cavanagh et al., 2016; Cormier, 2005). Cependant, Fourot (2016) indique que « (si) les communautés francophones se sont battues pour renverser les rapports de pouvoir majoritaires/dominés, elles peuvent reproduire des relations inégalitaires en leur sein » (p. 28), agissant trop souvent comme si la francophonie était homogène et non pas composée de différents groupes culturels. L’école francophone en milieu minoritaire peut profiter de la réflexion sur l’école post-pandémique pour inclure des connaissances, des valeurs et des approches pédagogiques autochtones dans sa programmation obligatoire, au-delà des activités culturelles. Le système éducatif francophone en milieu minoritaire possède les outils pour intégrer des pédagogies propres à une culture.
La reconnaissance de la nécessité de créer un système scolaire post-pandémique où l’épanouissement et l’équité sont prioritaires ouvre la porte à l’écoute des experts pédagogiques autochtones et des ainé.e.s par la voie de l’humilité culturelle. L’humilité culturelle exige une véritable écoute susceptible d’établir la collaboration nécessaire à la création d’un milieu d’apprentissage sûr et inclusif pour chacun, donc un milieu où chaque élève sent que son héritage culturel est respecté, où il peut être lui-même sans conséquences négatives, et où les iniquités sont discutées pour être éliminées.
La crise mondiale provoquée par la COVID-19 semble avoir ébranlé profondément les croyances et les attitudes des gens. L’humilité, par exemple, a repris de la noblesse dans de nombreuses situations où les professionnels de l’éducation ont dû travailler hors de leur zone de confort et faire appel aux autres. Tervalon et Murray-Garcia (1998) ont développé le concept d’humilité culturelle afin d’éliminer les iniquités culturelles. Waters et Asbill, (2013) décrivent l’humilité culturelle comme une façon efficace de développer des compétences interculturelles puisque l’humilité culturelle invite à participer à un processus continu de transformation à la fois individuelle et professionnelle. Voici quelques exemples d’action en ce sens :
L’humilité culturelle implique que le personnel enseignant ainsi que les décideurs et décideuses sachent lâcher prise quant à leur rôle d’experte ou d’expert pour écouter de façon authentique les perceptions et les savoirs des différentes communautés autochtones, lesquels pourraient inclure ceux des personnes racisées ou nouvellement arrivées. L’humilité culturelle accorde la permission au personnel enseignant de ne pas tout savoir, et de dire aux élèves que s’ils ne connaissent pas l’histoire des pensionnats ou les contributions contemporaines des Autochtones par exemple, ils peuvent les découvrir ensemble.
L’humilité culturelle est l’attitude qui permet de développer des relations authentiques avec les personnes autochtones, de changer ses perceptions et ses suppositions pour inclure celles des peuples autochtones, de reconnaître la dimension autochtone du territoire et de s’engager activement dans le processus de transformation du système d’éducation et de la société dans laquelle on vit. Bref, l’humilité culturelle est la porte d’entrée vers la décolonisation, puisque les actions énumérées ci-dessus sont celles associées à la décolonisation.
Cette humilité culturelle doit être présente à l’école, même quand cette école n’est pas fréquentée par des élèves autochtones. Les élèves vont devenir policiers, avocats, médecins, serveurs de restaurant, enseignants, commis, travailleurs sociaux, réalisateurs, journalistes, politiciens, etc. Tous les acteurs et actrices de la société doivent dorénavant participer à la création d’une société juste et équitable relativement aux Autochtones. Qui plus est, depuis juin 2021, le Canada a adopté la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), Déclaration qui existe depuis 2007. En résumé, la DNUDPA affirme qu’il faut intégrer des droits des personnes des peuples autochtones dans les décisions et les actions politiques, éducatives, économiques, et autres sphères de la société. Entre la mise en œuvre de la DNUDPA et l’actualisation des appels à l’action du rapport Vérité et réconciliation, tous les citoyennes et citoyens doivent contribuer à une société plus juste et équitable. C’est à l’école que les citoyennes et citoyens sont formés et leur formation doit inclure des éléments qui feront d’eux, peu importe leur métier ou leur culture, des personnes aptes « … à envisager [leur] propre culture d’un œil critique tout en cherchant à comprendre les autres avec respect, à reconnaître et à corriger le déséquilibre des forces, et à contribuer à des partenariats qui sont mutuellement avantageux et non paternalistes » (Cleaver et coll., 2016, p. 2).
Dans une étude en milieu micmac et wolastoqey, (Devarennes, 2018), nous avons recueilli plusieurs stratégies proposées par des professionnels autochtones de l’éducation, des familles autochtones et des ainé.e.s. Ces stratégies s’adressent parfois au personnel enseignant, parfois aux décideurs et décideuses, et permettent de collaborer en toute humilité culturelle, afin de créer un milieu d’apprentissage culturellement sûr et inclusif.
Le mot pour éducation dans la langue du peuple Wolastoqiyik est wolokehkitimok. Il signifie que l’enseignement et l’apprentissage s’entremêlent. L’enseignant doit enseigner à l’esprit, à l’intelligence et au cœur de l’enfant, sans négliger son développement physique. De son côté, l’adulte doit apprendre au contact de l’esprit, de l’intelligence, du cœur et du développement physique de l’enfant. Wolokehkitimok est une forme d’éducation où le développement, les intérêts, les capacités, la curiosité de l’enfant sont au cœur des actions de la personne qui enseigne. N’est-ce pas ce qui est souhaitable pour tous les enfants? En général, les parents et les familles veulent que leurs enfants réussissent à l’école et le personnel enseignant désire le succès des élèves. En tissant des relations authentiques avec les communautés autochtones, en pratiquant l’humilité culturelle, on peut non seulement enrichir l’expérience éducative des jeunes autochtones, mais aussi intégrer des pratiques autochtones aptes à enrichir la vie des enfants non autochtones. Nous partageons le territoire. Il est temps de partager les connaissances et les façons de faire. Si l’éducation par le biais des pensionnats a généré un génocide culturel (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015), il y a possibilité, aujourd’hui dans un système scolaire qui tente de redéfinir ses buts, de faire de l’école un lieu d’apprentissage culturellement sûr et inclusif. La pratique de l’humilité culturelle peut ainsi être un de piliers de l’école post-pandémique.
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1 Culture majoritaire : la culture de la société blanche de classe moyenne et supérieure, dont les attributs culturels, les valeurs, les connaissances et les attitudes modulent le fonctionnement et les règlements des institutions sociales telles que les écoles.
2 L’eurocentrisme : les connaissances, les façons de faire, les valeurs et les attitudes de l’Europe et des habitants de descendance européenne des pays colonisés par l’Europe (donc le Canada), sont valorisés, et souvent aux dépends des connaissances, des façons de faire, des valeurs et des attitudes des autres cultures.
3 Tel qu’expliqué par Opolahsomuwehs (Imelda Perley), aînée wolastoqey de la Première Nation de Tobique.
Battiste, M. (2017). Decolonizing education : Nourishing the learning spirit, 2e éd. (epub), préface de Rita Bouvier, Vancouver, UBC Press, Purich Publishing.
Brown, K. T., et Ostrove, J. M. (2013). What does it mean to be an ally? The perception allies from the perspective of people of color. Journal of Applied Social Psychology, 43(11), 2211-2222.
Cavanagh, M., Cammarata, L., et Blain, S. (2016). Enseigner en milieu francophone minoritaire canadien : synthèse des connaissances sur les défis et leurs implications pour la formation des enseignants. Canadian Journal of Education/Revue canadienne de l’éducation, 39(4), 1-32.
Cleaver, S. R., Carvajal, J. K., et Sheppard, P. S. (2016). L’humilité culturelle : Une façon de penser pour orienter la pratique à l’échelle mondiale.
Commission de Vérité et Réconciliation du Canada (2015). Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Montréal-Kingston: McGill-Queen’s University Press.
Cormier, M. (2005). La pédagogie en milieu minoritaire francophone : une recension des écrits. Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques.
Devarennes, H. (2018). Understanding educator, parent, and community expectations in a First Nations school context. Thèse de doctorat. Frédéricton : Université du Nouveau-Brunswick.
Fourot, A. C. (2016). Redessiner les espaces francophones au présent : la prise en compte de l’immigration dans la recherche sur les francophonies minoritaires au Canada. Politique et sociétés, 35(1), 25-48.
Opolahsomuwehs. (2016). Conversation avec l’Ainée Opolahsomuwehs (Imelda Perley) sur les perspectives de l’éducation pour le peuple Wolastoqey, un peuple Wabanaki.
Smith, J., Wendy Simon, W. et Puckett, C. (2016). Indigenous allyship : An overview, Waterloo: Bureau des initiatives autochtones. Université Wilfrid-Laurier.
Taylor, S. K., et Cummins, J. (2011). Second language writing practices, identity, and the academic achievement of children from marginalized social groups: A comprehensive view. Writing & Pedagogy, 3(2), 181-188.
Tervalon, M., et Murray-Garcia, J. (1998). Cultural humility versus cultural competence: A critical distinction in defining physician training outcomes in multicultural education. Journal of health care for the poor and underserved, 9(2), 117-125.
Waters, A., et Asbill, L. (2013). Reflections on cultural humility. CYF News. American Psychological Association : www. apa. org/pi/families/resources/newsletter/2013/08/cultural-humility. aspx.
Le dévoilement des inégalités vécues par les élèves marginalisés durant la pandémie de coronavirus peut-il servir de pierre angulaire pour repenser notre système éducatif?
Selon Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, les perturbations provoquées par la crise sanitaire dans le monde de l’éducation seraient d’une ampleur jamais vue. D’une part, les adaptations apportées aux établissements d’enseignement ont secoué les principes d’égalité des chances en mettant au jour les privilèges de certains élèves et la défavorisation d’autres. Les personnes socioéconomiquement désavantagées, les personnes racisées, allophones, autochtones ou membres des communautés LGBTQ2+ ont été proportionnellement plus touchées par les effets du
confinement et de l’enseignement à distance. D’autre part, une prise de conscience grandissante à propos de la responsabilité individuelle et institutionnelle de garantir un plein accès à l’enseignement pour tous semble gagner du terrain chez les personnes enseignantes et les directions d’établissement. Devant ces constats, il importe de se demander : que peut-il être fait, dans les établissements d’enseignement, que ce soit d’un point de vue individuel ou institutionnel, pour faciliter l’accès et le parcours des élèves s’identifiant à la diversité? Est-ce que les expériences vécues durant la pandémie pourraient devenir le moteur de changements institutionnels durables en matière d’équité, de diversité et d’inclusion?
Avant d’explorer les pistes d’actions individuelles et collectives permettant de mettre de l’avant la mission d’égalisation des chances dans les établissements d’enseignement, revenons sur les principes qui la guident : l’équité, la diversité et l’inclusion.
L’équité, dans sa recherche de justice, vise à pallier les inégalités et la discrimination. Elle implique un traitement différencié qui tient compte des particularités de chacun, donc qui ne s’applique pas de la même façon pour tous. Ce traitement différencié doit avantager les plus vulnérables sans pour autant accentuer l’écart entre les plus faibles et les plus forts (Rawls, 1987). En éducation et formation, l’équité est la résultante de pratiques pédagogiques et structurelles qui tiennent compte des différentes caractéristiques des groupes sociaux dans la perspective d’offrir des chances équivalentes aux membres de chacun de ces groupes (Solar, 2007).
La diversité, quant à elle, consiste en l’éventail des conditions de vie, de modes d’expressions et de vécus de différentes populations en fonction de facteurs tels que l’âge, la culture, la race, la scolarité, le genre, le handicap, l’orientation sexuelle, le statut d’immigration, le lieu de résidence, la langue et la religion, etc. (Condition féminine Canada, 2020). En éducation et formation, il est souhaité que la diversité soit reconnue au sein des établissements. Pour réfléchir à la diversité, il importe de cerner les différences entre les individus. La tendance des dernières années dans les établissements d’enseignement était plutôt d’essayer d’invisibiliser les différences, sans doute dans un souci d’égalité, ou encore par respect pour les élèves. Ce faisant, les inégalités prenaient encore plus d’ampleur. On sait maintenant que les différences bien inventoriées nous informent des inégalités de privilèges entre les groupes. Il serait futile de parler de diversité sans parler d’injustice. Reconnaitre la diversité permet donc d’appliquer les principes d’équité pour permettre aux populations désavantagées au plan des privilèges de vivre une expérience similaire à celles de leurs confrères et consœurs.
Finalement, le nouvel acronyme EDI ajoute à son arc la dimension de l’inclusion. Elle implique la valorisation des forces uniques des personnes et des groupes. Lorsqu’elle se sent incluse, une personne se sent à l’aise d’exprimer son être authentique (idées, perceptions, antécédents, etc.). Elle se sent accueillie, respectée, valorisée, interreliée, épanouie et en sécurité.
Bien que plusieurs instances aient mis à jour leurs politiques en lien avec l’inclusion, il demeure pertinent de rappeler les éléments clés qui distinguent les établissements scolaires inclusifs. Ces derniers :
En éducation, le trio équité, diversité et inclusion vise fondamentalement à cerner, puis à corriger des situations injustes afin de permettre une plus grande égalité des chances, pour les élèves tout comme pour les membres du personnel.
Plusieurs auteurs affirment que l’implantation des principes d’EDI doit être amorcée par des directives institutionnelles (nous y reviendrons). Malgré cela, nous croyons que le geste individuel des pédagogues demeure essentiel.
Pour mettre en place les principes d’équité, de diversité et d’inclusion en salle de classe, nous suggérons l’emploi de la pédagogie de l’équité (Solar, 2007). Les racines féministes de cette pédagogie invitent à donner aux femmes une meilleure représentativité dans la pensée éducative. Ses origines antiracistes rappellent de considérer la problématique de la race dans les interventions ; tandis que ses fondements de libération préconisent une analyse critique du rôle de l’éducation afin de permettre l’émancipation sociale des classes dominées. La pédagogie de l’équité souhaite valider les différences et contester les a priori des normes établies par la société, permettant alors à tout un chacun de se sentir valorisé dans sa diversité et son potentiel. En outre, les personnes enseignantes qui espèrent améliorer l’expérience éducative de leurs élèves en mettant l’accent sur la division sociale des ressources, du pouvoir et du savoir sont invitées à positionner leur pratique sur quatre axes : parole/silence, omission/reconnaissance, passivité/participation active et impuissance/partage du pouvoir. Voici comment cela peut se concrétiser :
Donner la parole aux groupes marginalisés, souvent murés dans leur silence, les aide à sortir de l’invisibilité et à se sentir considérés. Pour favoriser la parole, il importe d’inclure des stratégies misant sur la prise de parole, tant orale qu’écrite, dans le but d’encourager les échanges en petits groupes et de stimuler le partage d’expériences.
Cet axe concerne l’omission de certains groupes dominés ou marginalisés dans les discours et dans le matériel pédagogique, en visant une reconnaissance de leur apport, de leurs savoirs, de leurs expériences. Pour favoriser la reconnaissance, la personne enseignante offre un espace pédagogique pour légitimer le vécu et pour critiquer les savoirs non inclusifs ou non représentatifs de la diversité.
La participation active mise sur l’établissement d’un climat propice à l’apprentissage dans lequel chaque membre du groupe se sent respecté. Cela suppose d’abord de porter une attention particulière à la relation pédagogique et aux interactions entre les élèves. L’instauration de structures coopératives permet aux élèves issus de groupes dominés d’occuper des rôles différents de ceux dans lesquels ils sont habituellement confinés.
Finalement, le partage du pouvoir met l’accent sur le changement social. Par conséquent, en plus de donner une plus grande place aux apprenants en salle de classe, la personne enseignante tente de démystifier les savoirs enseignés en expliquant leurs construits, leurs forces et limites et, par le fait même, favorise le développement d’une pensée critique.
Appliquer les principes d’égalité des chances et d’EDI demeure cependant surtout la responsabilité des établissements d’enseignement. L’UNESCO (1998) est claire à ce sujet. Elle rend explicite, à l’intérieur de sa Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le xxie siècle, la responsabilité des établissements scolaires dans la mise en œuvre de la mission et de la fonction de l’enseignement supérieur en matière d’accès à l’équité :
L’accès à l’enseignement supérieur de membres de certains groupes cibles spéciaux, comme les populations autochtones, les minorités culturelles et linguistiques, les groupes défavorisés, les peuples subissant une occupation et les personnes souffrant de handicaps, doit être activement facilité (…). Une aide matérielle spéciale et des solutions éducatives peuvent contribuer à surmonter les obstacles auxquels se heurtent ces groupes pour accéder à l’enseignement supérieur et poursuivre leurs études. (UNESCO, 1998, p. 5 et 6)
Dans la même veine, le ministère de l’Éducation du Québec (1998), dans sa Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle, souligne à son tour la responsabilité des institutions au regard de l’égalité des chances et ajoute qu’il devrait s’agir d’un objectif fondamental pour le milieu de l’éducation.
Pour assumer cette responsabilité institutionnelle eut égard à l’égalité des chances, Riehl (2000) affirme que les chefs d’établissement doivent utiliser leur leadership afin de mobiliser la communauté autour d’enjeux liés à la mise en place de pratiques d’EDI en milieu scolaire. Le leadership de type transformatif convient particulièrement à la situation qui nous intéresse puisqu’il dépasse la portée de l’organisation et propose des changements sociaux. Ce type de leadership remet carrément en question les façons d’utiliser le pouvoir et les privilèges créant ou perpétuant l’iniquité et l’injustice : il souhaite déconstruire la reproduction des inégalités par la transformation de la structure scolaire et sociale. Les leaders de type transformatifs proposent des changements favorisant l’équité. À titre d’exemple, ces changements pourraient amener l’institution à prendre conscience du pouvoir et des privilèges détenus par certains membres du personnel (par exemple, des cadres vis-à-vis des employés de soutien, des hommes par rapport aux femmes, des personnes s’identifiant à la majorité par rapport à celles racisées, etc. (Magnan et coll. 2018).
Concrètement, c’est le rôle de l’organisation de mettre en place un plan d’action en matière d’EDI, soit une ligne directrice institutionnelle en matière d’EDI sur laquelle s’appuieraient des actions concrètes pour provoquer des changements plus profonds et durables. Mais si un établissement souhaite mettre sur pied un tel plan, par où doit-il commencer ?
La création d’un plan d’EDI a habituellement pour étape préalable la formation d’un comité institutionnel qui se penchera sur les questions d’équité, de diversité et d’inclusion. Ce comité, en plus de compter des apprenants et apprenantes et des membres de tous les corps d’emploi, doit impérativement être formé de personnes issues d’un ou de plusieurs groupes marginalisés. « Devant un problème à résoudre, les groupes diversifiés arrivent souvent à de meilleures solutions que les groupes peu diversifiés, puisqu’ils risquent moins d’adopter un parti pris et qu’ils abordent souvent un plus grand éventail de possibilités. » (Fines-Neushield, 2020).
Une fois ce comité formé, une première mission sera de recenser les différentes enquêtes sur l’état de la situation au sein de l’établissement pour dresser un portrait clair des obstacles à l’EDI. Tel que proposé dans l’énoncé de vision en matière d’EDI de l’Université de Montréal (2020), un plan en matière d’EDI devrait contenir minimalement :
Des axes d’interventions ou des secteurs d’activités pourraient également être définis afin d’appliquer les principes de l’EDI. En voici quelques-uns :
Outre ces différents axes d’intervention, un leadership fort, la collaboration entre les différentes instances de l’institution ainsi que la transparence sont essentielles à la mise en place et à la réussite d’un tel plan (Gouvernement du Canada, 2019).
À l’heure actuelle, s’intéresser aux questions d’EDI n’est plus un choix, il s’agit d’une nécessité, d’une obligation morale. Les expériences et constats réalisés durant la pandémie de coronavirus donnent un second souffle à l’instauration de l’égalité des chances par les principes d’EDI. Pour le bien commun, la majorité dominante doit impérativement réaliser qu’elle détient des privilèges qui s’inscrivent dans des mécanismes de discrimination systémique historique. Changer nos méthodes pédagogiques est un premier pas dans cette direction, mais mobiliser l’institution dans un processus de révision de ses politiques, procédures et pratiques, en collaboration avec les personnes concernées, représente une fin en soi. En faisant une rétrospective de l’année 2020 d’un point de vue social, force est de constater que nous sommes à une époque où des changements profonds et durables peuvent et doivent être instaurés.
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Première publication dans Éducation Canada, juin 2021
Conseil supérieur de l’éducation. (2010). Conjuguer équité et performance en éducation, un défi de société 2008-2010. Québec, Canada : Conseil supérieur de l’éducation.
Conseil supérieur de l’éducation. (2017). Pour une école riche de tous ses élèves : S’adapter à la diversité des élèves, de la maternelle à la 5e année du secondaire. Québec, Canada : Conseil supérieur de l’éducation.
Fines-Neushild, Mirjam. (2020). L’ABC de l’EDI dans les universités. https://acfas.ca/publications/magazine/2020/10/abc-edi-universites
Gouvernement du Canada. (2020). Qu’est- ce que L’ACS+? Ottawa, Canada : Condition féminine Canada. https://cfc-swc.gc.ca/gba-acs/index-fr.html
Gouvernement du Québec. (1998). Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle. Québec, Canada : Ministère de l’Éducation.
Magnan, M.-O., Gosselin-Gagné, J., Pereira Braga, L. et Armand, F. (2018). Le leadership « inclusif » en contexte pluriethnique montréalais. Dans F. Kanouté et J. Charette (dir.), La diversité ethnoculturelle dans le contexte scolaire québécois : pratiquer le vivre-ensemble (p. 91-111). Montréal, Canada : Les Presses de l’Université de Montréal.
Organisation des Nations Unies. (1998). Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le XXIe siècle : Vision et actions. Paris, France : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture.
Rawls, J. (1987). Théorie de la Justice. Paris : Seuil.
Riehl, C. T. (2000). The Principal’s Role in Creating Inclusive Schools for Diverse Students: A Review of Normative, Empirical, and Critical Litterature on the Practice of Educational Administration. Review of Educational Reserche, 70(1), 55-81.
Solar, C. (2007). Les quatre clés de l’équité. Dans C. Solar et F. Kanouté (dir.), Question d’équité en éducation et formation (p. 13-22). Montréal, Canada : Éditions Nouvelles.
Université de Montréal. (2020). Énoncé de vision. https://umontreal.ca/diversite
Les élèves et le personnel du primaire et du secondaire qui font partie de la communauté BIPOC (Noirs, Autochtones et personnes de couleur) ont un niveau inférieur de bien-être. Pourtant, l’intérêt grandissant à l’égard des démarches de mieux-être comme la pleine conscience, l’apprentissage socio-émotionnel, les pratiques tenant compte des traumatismes et l’autorégulation peuvent causer du tort aux élèves et aux éducateurs racisés et mener à une appropriation culturelle (c.-à-d., adoption de certains aspects d’une culture qui ne font pas partie de la nôtre). Ces démarches de mieux-être négligent souvent les expériences et points de vue uniques des élèves et du personnel de la communauté BIPOC.
Le bien-être est systémique. Quand on aborde le bien-être comme une expérience individuelle, on ne tient pas compte des effets néfastes du racisme systémique, de la suprématie blanche et du colonialisme, qui créent des milieux peu accueillants, discriminatoires et risqués pour les élèves de la communauté BIPOC. Cette approche ne tient pas les différents systèmes responsables d’avoir créé et perpétué des préjudices qui pourraient prendre les formes suivantes :
1) Il n’y a pas d’approche universelle. L’identité – comme la race, le genre, la sexualité, les habiletés, la classe sociale et la foi – doit être au cœur même des démarches de mieux-être.
2) Évitez d’adopter une approche qui attribue à l’individu la source et la solution à son bien-être et adoptez plutôt une approche systémique. Cela signifie d’identifier et d’ébranler les structures et les politiques qui ont des effets disproportionnés sur l’accès à des ressources, les possibilités et les résultats des élèves et du personnel racisés.
3) Tissez des liens significatifs avec les élèves, employés, familles et communautés pour comprendre leur expérience des préjudices institutionnels (p. ex., placement dans un pensionnat indien).
4) Intégrer de nombreuses interprétations et approches du bien-être qui valorisent les besoins physiques, sociaux, affectifs, cognitifs et spirituels des enfants et du personnel.
En omettant de reconnaître la profondeur et l’ampleur du racisme systémique, nous concentrons notre attention sur les symptômes et non sur les causes fondamentales de la réussite et du bien-être. Nous nous attendons à ce que les élèves et les employés surmontent individuellement les nombreux obstacles structurels qui leur barrent la route. Les écoles qui adoptent une approche systémique s’attardent plutôt à cerner et à modifier les façons dont les préjugés contre les Noirs et les Autochtones et d’autres formes de racisme se répercutent sur le bien-être des élèves et du personnel. Chaque élève et chaque éducateur méritent de se sentir en sécurité, appréciés et membres à part entière de leur école.
Dei, G.J.S. (2008). Schooling as community: Race, schooling, and the education of African youth. Journal of Black Studies, 38(3), 346-366.
Dion, S. (2014). The listening stone: Learning from the Ontario Ministry of Education’s First
Nations, Métis and Inuit–focused collaborative inquiry 2013-2014. http://www.ontariodirectors.ca/downloads/Listening_Stone/Dion_LS_Final_Report%20Sept_10-2014-2.pdf
James, C. E. (2012). Students “at risk”: Stereotyping and the schooling of black boys. Urban Education, 47(2), 464-494.
James, C.E. & Turner, T. (2017). Towards race equity in education: The schooling of Black students in the Greater Toronto Area. https://edu.yorku.ca/files/2017/04/Towards-Race-Equity-in-Education-April-2017.pdf?x60002
Thompson, R. (2020, Sept. 29). Addressing trauma in the K-12 workplace: The impact of racial trauma on Black and non-white educators. https://www.edcan.ca/articles/addressing-racism-in-the-k-12-workplace/
Le Canada est connu dans le monde entier comme un pays bilingue. Il y a 12 ans, lorsque je suis venue m’y installer en provenance du Brésil pour poursuivre mes études supérieures, je croyais que la plupart des Canadiens parleraient français et anglais, mais j’ai rapidement réalisé que ce n’était pas le cas. Je vivais à Toronto, en Ontario, et lorsque je rencontrais des gens qui avaient grandi dans cette ville, je voyais qu’ils se considéraient comme anglophones, même si certains d’entre eux parlaient un peu français. D’autres, qui avaient immigré au Canada, étaient plurilingues : ils parlaient deux, trois et même quatre langues à divers degrés de compétence. Bien que je connaisse le portugais, l’espagnol, l’anglais et l’italien, je n’ai jamais été considérée comme une personne bilingue au Canada, car je ne parle toujours pas parfaitement français. Dans le discours populaire, ici, la notion de bilinguisme n’accorde de valeur qu’aux deux langues officielles. Et même si vous parlez les deux, vous devez le faire comme si vous étiez né ici sinon, on vous retirera votre identité de personne bilingue. Ces enjeux engendrent une anxiété et une insécurité linguistiques et mettent à mal la motivation des gens à apprendre d’autres langues. Il est temps de repenser ce que signifie le bilinguisme, de reconnaître que le Canada est un pays multilingue et de se concentrer sur une éducation langagière innovante.
Le Canada n’est plus un pays bilingue. Il est multilingue. En fait, il est multilingue depuis l’époque précoloniale. En plus des deux langues officielles, 60 langues autochtones et plus de 140 langues d’immigrants sont intimement liées au paysage canadien. Récemment, sur une période de cinq ans seulement, on a assisté au Canada à une augmentation de 13,3 pour cent du nombre de personnes parlant une langue immigrante, et près de 20 pour cent des résidents canadiens parlant plus d’une langue à la maison (Statistique Canada, 2016). Depuis que le gouvernement fédéral a annoncé qu’il compte accueillir plus de 1,2 million d’immigrants d’ici la fin de 2023, cette réalité multilinguistique ne fera que s’affirmer (Harris, 2020). En fait, le multilinguisme est un phénomène planétaire, maintenant sous le feu des projecteurs en raison des récentes tendances en matière de mobilité, de voyages, d’internationalisation de l’éducation, d’efforts de revitalisation des langues (UNESCO, 2019) et d’exigences liées au télétravail dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Tous ces facteurs contribuent à faire en sorte que les gens utilisent des langues différentes à la maison, sur le Web et dans leurs diverses communautés.
À l’école, les jeunes Canadiens sont habitués à la diversité linguistique et culturelle, à l’extérieur de leur classe à tout le moins : ils peuvent lire un livre en anglais, écouter de la pop coréenne, mélanger les langues dans le cadre de leurs interactions avec les autres en ligne ou dans des jeux de rôles et écouter leurs grands-parents leur parler dans des langues qui font partie de leur patrimoine familial. Ils sont peut-être loin de maîtriser chacune de ces langues, mais ils y sont quand même exposés. Le multilinguisme est en hausse, au Canada comme ailleurs, et nous devons innover dans notre façon d’enseigner les langues et dans la manière dont les enseignants voient leurs élèves. En fait, il ne suffit pas de préparer les jeunes à apprendre uniquement les deux langues officielles du Canada. Le Canada doit aller au-delà du bilinguisme français-anglais et évoluer vers l’enseignement qui permettra aux jeunes d’acquérir des compétences plurilingues et pluriculturelles; encourager les élèves à être non seulement tolérants à l’égard de la diversité linguistique et culturelle, mais aussi à apprendre d’autres langues, à devenir des agents actifs de changements sociaux et à revendiquer un monde plus inclusif sur les plans linguistique et culturel. L’un des objectifs de développement durable des Nations Unies pour un avenir meilleur consiste à offrir une éducation inclusive, équitable et de qualité pour tous, et en matière d’éducation linguistique, l’un des moyens d’y parvenir est de mettre en place une approche plurilinguistique dans la classe.
Premièrement, quelle est la différence entre le multilinguisme et le plurilinguisme? Une distinction bien utile a été proposée dans des publications de 2020 du Conseil de l’Europe, dans lesquelles on explique que le multilinguisme est la coexistence de plusieurs langues dans une même société, alors que le plurilinguisme est le développement dynamique du répertoire linguistique d’une personne. Au Canada, notre société compte plus de 200 langues (multilinguisme), alors que les personnes peuvent compter plusieurs langues à leur répertoire (plurilinguisme). Une personne peut par exemple parler couramment l’anglais, comprendre diverses formes d’anglais (celui de Terre-Neuve-et-Labrador et celui d’Afrique du Sud, par exemple), parler un peu cri et un peu espagnol, et être en cours d’apprentissage de diverses formes de français (celui de France, du Québec et d’Haïti (créole), par exemple). En éducation, une approche plurilinguistique encourage le développement de ce répertoire et des cultures qui y sont associées. On a longtemps suggéré que les langues et les cultures sont inséparables (Galante, 2020). Cela veut dire que lorsqu’on apprend une langue, on apprend aussi la culture, les traditions, les comportements et les croyances qui s’y rattachent et la façon dont cette langue est utilisée dans les diverses cultures et différents contextes.
Cette approche peut paraître compliquée, mais elle ne l’est pas. En fait, certains enseignants peuvent déjà enseigner, du moins implicitement, à l’aide d’une approche plurilinguistique, sans en explorer le plein potentiel. Il est possible également qu’ils perçoivent leurs élèves comme de simples apprenants d’une langue en particulier (des élèves qui apprennent l’anglais, par exemple), ou comme des jeunes bilingues, et non comme des citoyens plurilingues et pluriculturels. Alors, que doivent faire les enseignants pour se lancer sur cette voie? Voici trois idées de départ :
Figure 1 Portrait linguistique, reproduit de Galante, 2019
Ces trois exemples sont peut-être familiers auprès de certains enseignants alors que pour d’autres, de telles approches peuvent trancher radicalement avec ce qu’ils font habituellement. Alors, pourquoi les enseignants devraient-ils essayer une approche plurilinguistique? Dans la première partie de cet article, j’ai livré des arguments appuyés par l’augmentation du multilinguisme au Canada et dans le monde. Ci-dessous, je propose des arguments appuyés par des recherches récentes.
De nombreuses études menées dans diverses classes d’enseignement linguistique (anglais langue seconde, français langue seconde, immersion, programmes bilingues, etc.) et dans divers pays suggèrent que l’éducation plurilinguistique présente de nombreux avantages, dont le développement du langage, de l’empathie, de l’estime de soi, de la cognition et de la motivation. Dans le cadre de mes propres travaux (2020), je me suis penchée sur les perceptions des enseignants à l’égard de l’approche multilinguistique dans une classe d’anglais comparativement à une approche monolinguistique (anglais seulement). Sept enseignants ont participé à l’étude et ont enseigné à deux classes à l’aide de deux approches distinctes : approche plurilinguistique dans une classe, et anglais seulement dans l’autre, et ce, pendant quatre mois. Le contenu livré était similaire, mais l’approche était différente et les enseignants n’avaient pas à modifier tout le curriculum pour appliquer l’approche multilinguistique. En fait, ceux-ci proposaient chaque semaine une tâche de nature multilinguistique d’une durée de 30 à 40 minutes, alors que dans l’autre classe, on livrait un contenu similaire, avec une tâche proposée en anglais uniquement. Lors des entrevues avec les enseignants à la fin du programme, ceux-ci ont dit préférer, à l’unanimité, l’approche multilinguistique au lieu de l’anglais seulement. Pour ces enseignants, une approche multilinguistique :
Les enseignants ont aussi souligné qu’ils n’avaient pas à être polyglottes pour utiliser une approche plurilinguistique, et que même les enseignants qui estiment ne parler qu’une seule langue peuvent et devraient essayer une telle approche dans leur classe.
Compte tenu des tendances multilingues au Canada et des récents appels à la prestation d’une éducation inclusive pour tous les élèves, des approches pédagogiques novatrices qui les préparent à communiquer dans plusieurs langues, cultures et contextes sont maintenant nécessaires. Les gens continueront de communiquer en personne et en ligne, et d’être en mesure d’utiliser leur répertoire pour comprendre comment la langue et la culture peuvent varier selon les divers contextes. Il importe d’être ouvert à plus d’apprentissages langagiers et culturels et toute société qui se dit inclusive doit militer pour l’inclusivité linguistique et culturelle dans les écoles et dans d’autres espaces. Si nous voulons mieux préparer nos élèves aux réalités du multilinguisme canadien actuel et futur, un changement doit s’opérer rapidement. Le Canada dispose d’une chance unique de demeurer un chef de file de l’éducation langagière, mais il doit voir au-delà du seul bilinguisme et encourager les Canadiens à devenir des citoyens multilingues. Soutenir le plurilinguisme ne mettra pas en péril les langues déjà présentes au Canada, mais marquera une ouverture dans la dichotomie français-anglais et dans le discours populaire voulant que notre pays soit bilingue. Le Canada est bien plus que cela.
Pour plus d’études de recherche et de ressource sur la question, consultez le site Web du Plurilingual Lab de l’Université McGill.
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Lisez les autres articles de ce numéro
Conseil de l’Europe. (2020). Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer – volume complémentaire. Éditions du Conseil de l’Europe.
https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages
Galante, A. (2020). Plurilingual and pluricultural competence (PPC) scale: The inseparability of language and culture. International Journal of Multilingualism.
https://doi.org/10.1080/14790718.2020.1753747
Galante, A. (2019). “The moment I realized I am plurilingual” : Plurilingual tasks for creative representations in EAP at a Canadien university. Applied Linguistics Review, 11(4), 551–580.
Galante, A., Okubo, K., Cole, C., Abd Elkader, N., Wilkinson, C., Carozza, N., Wotton, C., et Vasic, J. (2020). “English-only is not the way to go:” Teachers’ perceptions of plurilingual instruction in an English program at a Canadien university TESOL Quarterly Journal.
https://doi.org/10.1002/tesq.584
Harris, K. (30 octobre 2020). Federal government plans to bring in more than 1.2M immigrants in next 3 years. CBC News.
https://bit.ly/2IsfpJW
Statistique Canada. (2016). Diversité linguistique et plurilinguisme au sein des foyers canadiens.
https://bit.ly/3kAzFpn
UNESCO. (2019). International literacy day 2019: Revisiting literacy and multilinguism, background paper.
https://bit.ly/2IBL23B
United World Schools. (n.d.). UN sustainable development goals: Our role.
https://bit.ly/2IzVFDF
Le Centre de services scolaire Marguerite Bourgeoys (CSSMB) est situé dans l’ouest de la ville de Montréal. Avec plus de 100 écoles et établissements, il s’agit du 2e plus important centre de services scolaire (CSS) au Québec. Notre territoire est divisé en sept réseaux. Chacun de ces regroupements accueille une ou deux écoles secondaires et leurs écoles primaires nourricières. Cette structure assure la cohérence des interventions auprès des clientèles vivant dans des secteurs relativement homogènes. Les cadres et les pédagogues des deux niveaux entretiennent des liens étroits, lesquels facilitent le passage des élèves du primaire au secondaire. Un exemple parmi d’autres dans le cadre de l’activité Amène ton parent au théâtre, des élèves du primaire, accompagnés de leur mère ou de leur père, sont invités à une activité sur la prévention de l’intimidation présentée par des élèves du secondaire.
Le CSSMB compte par ailleurs sur l’éclairage d’une petite équipe de statisticiennes qui suivent de près des centaines d’indicateurs, notamment ceux liés aux 17 cibles inscrites au Plan d’engagement vers la réussite (PEVR). Cette information est précieuse puisqu’elle nous permet d’identifier rapidement les zones de vulnérabilité scolaires et sociales de notre clientèle et d’y réagir.
Les activités réalisées dans les 102 établissements du CSSMB recoupent plusieurs des 17 objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations Unies. Dans le cadre de cet article, nous insistons particulièrement sur le quatrième objectif : Accès à une éducation de qualité.
Au Québec, la clientèle scolaire a beaucoup changé au cours des dernières décennies, particulièrement à Montréal. Dans les écoles primaires et secondaires du CSSMB, plus de 80 % des élèves sont issus de l’immigration de première ou de deuxième génération. Cette diversité génère différents défis au regard de l’organisation des services éducatifs. Par exemple, en ce qui a trait aux nouveaux arrivants, bon nombre ne maîtrisent pas le français à leur arrivée, leur nouvelle langue de scolarisation et de socialisation. À titre d’exemple, au cours de l’année scolaire 2019-2020, 4 500 élèves fréquentaient des classes d’accueil, une structure dont l’objectif est de soutenir l’apprentissage du français en plus de l’intégration scolaire et sociale des jeunes non francophones.
Dans l’espoir d’offrir une éducation de qualité à tous (ODD 4), notamment à des jeunes aux bagages culturels et aux parcours de vie diversifiés, il faut repenser la façon de donner accès aux services éducatifs. La démarche demande une réflexion de fond, des outils adaptés et, ultimement, une révision des pratiques. Nous avons relevé le défi puisque nous avons atteint le meilleur taux de diplomation et de qualification des CSS québécois. Pas mal pour un Centre où les élèves parlent plus de 150 langues maternelles différentes !
Afin de bien orchestrer les actions de tous les experts qui interviennent auprès des élèves, nous nous sommes dotés de référentiels et de cadres de référence qui définissent le rôle de chacun. Ceux-ci sont inspirés de la recherche dans différents domaines afin d’intégrer et d’appliquer les meilleures pratiques. En 2015, nous avons publié le référentiel Vivre-ensemble en français. Celui-ci « présente les principes directeurs qui s’inscrivent dans l’apprentissage du vivre-ensemble en français, il clarifie certains concepts importants et fournit des outils pour mieux orienter les actions » (CSMB, 2015, p.9) en lien avec la prise en compte de la diversité à l’école, un aspect indissociable de l’accès à une éducation de qualité pour tous.
La somme de nos référentiels et cadres de référence permet de mettre en œuvre une vision commune de ce que doit être une organisation qui soutient le parcours scolaire de l’ensemble de ses élèves, soit notre objectif principal. Ces outils instaurent une culture de responsabilisation et de collaboration entre les intervenants qui travaillent à soutenir la réussite de tous. Ainsi, l’enseignement et le suivi des apprenants ne reposent pas sur les épaules d’une seule personne.
Par ailleurs, certains de nos référentiels s’inspirent du modèle d’intervention en paliers. Cette approche, aussi connue sous l’appellation « Réponse à l’intervention » (RAI), s’organise autour de la prévention des difficultés et d’un système d’identification et de soutien à la réussite pour tous les élèves (Bissonnette et al., 2020).
La réussite éducative englobe la réussite scolaire. Elle va ainsi au-delà de la diplomation et de la qualification en tenant compte de l’atteinte du plein potentiel de la personne dans ses dimensions intellectuelles, affectives, sociales et physiques. Elle vise l’apprentissage de valeurs, d’attitudes et de responsabilités qui formeront des citoyens responsables, prêts à jouer un rôle actif dans la société (Gouvernement du Québec, 2017).
Comme il a été souligné plus haut, la diversité ethnoculturelle et linguistique est omniprésente chez nos élèves ; notre personnel reflète également cette diversité de plus en plus. Assurément enrichissante, cette réalité soulève différents enjeux au quotidien. C’est pourquoi le Centre d’intervention pédagogique en contexte de diversité (cipcd.ca) a été créé en 2012, s’inscrivant d’abord dans l’orientation « Vivre ensemble en français » de notre Plan stratégique 2014-2018, puis dans l’orientation « Assurer un milieu de vie inclusif et accueillant, ouvert sur le monde et l’avenir » du PEVR 2018-2022. La création du CIPCD constitue une initiative novatrice puisque nous sommes le seul CSS à avoir notre propre centre de recherche appliquée affilié à différents partenaires.
Le CIPCD est composé de six groupes de travail ayant un champ d’action respectif s’intéressant aux enjeux de la diversité ethnoculturelle et linguistique en contexte scolaire. Un chercheur universitaire et un conseiller pédagogique ou un cadre du CSSMB sont assignés à chacun de ces groupes qui poursuivent trois mandats principaux : la recherche, le transfert de connaissances scientifiques ainsi que la formation.
Champ d’action 1 : L’enseignement du français en milieu pluriethnique et plurilingue
Depuis 2012, différents projets ont été conduits afin de répondre aux enjeux du CSSMB en matière de diversité. Le groupe 1 a été créé en raison de la grande diversité linguistique parmi nos effectifs scolaires. En effet, pour plus de 60 % des élèves inscrits au primaire et au secondaire, le français n’est pas la langue maternelle. Ce groupe de travail oriente ses activités autour de la problématique générale de l’adaptation des pratiques pédagogiques dans le champ de l’enseignement du français à des apprenants bilingues et plurilingues pour qui le français est la langue seconde, voire la langue tierce.
En 2015, le chantier VII de formation continue Intervenir en milieu pluriethnique et plurilingue auprès de jeunes enfants du préscolaire et des services de garde a été amorcé. Cette initiative a permis, entre autres, de sensibiliser et de former des membres de notre personnel scolaire à l’importance de tenir compte des différentes langues parlées par les élèves (ex. : Festival « Pluri-Pluri »). Ce chantier a modifié nos perceptions en matière de prise en compte des langues d’origine et de pratiques inclusives à cet égard.
Champ d’action 2 : La réussite scolaire et les relations école-famille-communauté
Comme nous l’avons souligné plus haut, plus de 80 % de nos élèves sont issus de l’immigration de 1re ou de 2e génération. Pour différentes raisons liées à leur parcours migratoire ou à celui de leurs parents, ces derniers peuvent vivre un cumul de vulnérabilités sociales ou scolaires. Le groupe de travail 2 concentre ses activités autour d’une double problématique : la réussite scolaire d’une part et les relations école-famille-communauté de l’autre.
Au cours des dernières années, le groupe a conduit différentes activités. Plusieurs chercheurs associés au CIPCD ont mené une étude intitulée L’impact du climat interculturel des établissements sur la réussite éducative des élèves issus de l’immigration. Cette étude visait notamment à évaluer l’état du climat interculturel dans plusieurs écoles multiethniques québécoises (dont deux au CSSMB) ainsi que l’exploration de l’impact de ce climat sur la réussite éducative des élèves issus de l’immigration. Ultimement, il s’agira d’élaborer un outil diagnostique permettant aux directions d’évaluer le climat interculturel de leur établissement, un aspect indispensable à considérer pour soutenir la réussite éducative des élèves issus de l’immigration.
Champ d’action 3 : Les populations immigrantes vulnérables et l’intervention psychosociale en milieu scolaire
À leur arrivée dans le système scolaire québécois, les élèves immigrants récents amènent avec eux un bagage parfois constitué de deuils et de traumatismes. Le groupe de travail 3 s’intéresse à leur bien-être psychologique et à la réussite scolaire, plus particulièrement à ceux qui sont en souffrance psychologique.
Au cours de l’année scolaire 2016-2017, un projet de recherche-action a permis de mieux comprendre les parcours d’intégration sociale et scolaire de jeunes réfugiés syriens. Des groupes de parole ont été formés dans des classes d’accueil afin de soutenir le développement du bien-être et du sentiment d’appartenance chez ces élèves. À l’issue du projet, un guide qui s’adresse à l’ensemble des praticiens scolaires, Mener des groupes de parole en contexte scolaire (2017), a été publié. À l’heure actuelle, des professionnels de plusieurs de nos écoles le déploient et soutiennent la tenue de tels groupes afin que des élèves puissent s’exprimer sur différents thèmes tels que la mort ou la violence. Ils visent à soutenir le bien-être psychologique des jeunes à l’école et, conséquemment, leur réussite éducative.
Champ d’action 4 : l’éducation inclusive et le rapprochement interculturel
Le groupe 4 a été créé parce que la diversité qui caractérise notre CSS suscite des enjeux au niveau des relations interpersonnelles. Ses travaux se concentrent sur l’actualisation du vivre-ensemble en milieu scolaire, notamment en explicitant les fondements de la perspective inclusive. Il s’intéresse également aux activités dites de rapprochement interculturel et se propose de documenter leur impact.
En 2015, ce groupe de travail a élaboré un guide pédagogique qui offre des pistes au personnel scolaire qui souhaite Aborder les sujets sensibles avec les élèves. Cet outil pratique peut être employé au quotidien pour discuter de thèmes, en lien ou non avec la diversité, qui suscitent des malaises ou des débats parfois houleux en contexte scolaire.
Champ d’action 5 : L’intégration socioprofessionnelle du personnel issu de l’immigration récente et les relations de travail en milieu pluriethnique
De plus en plus de membres du personnel du CSSMB ont été formés ailleurs qu’au Québec, une réalité qui soulève des enjeux à l’égard de l’intégration socioprofessionnelle et du climat scolaire. Au cours des dernières années, des enseignants ont suivi une formation de « pairs mentors » pour soutenir l’accueil de collègues formés hors Québec, puis des directions d’école ont été invitées à une séance de sensibilisation sur cette thématique. Des enseignants formés à l’étranger ont également participé à des entretiens de groupe pour comprendre davantage leur parcours (défis, leviers). Enfin, les travaux ont favorisé la publication d’un guide à l’intention des directions d’établissement pour Faciliter l’intégration socioprofessionnelle du personnel enseignant formé à l’étranger (2019).
Groupe d’action 6 : Les jeunes et les adultes issus de l’immigration en formation professionnelle
La diversité ethnoculturelle et linguistique est aussi de plus en plus présente en formation professionnelle (FP) et soulève différents enjeux propres à ce secteur d’enseignement. Outre l’étude des trajectoires d’élèves issus de minorités ethnoculturelles en FP, les membres de ce groupe s’intéressent aux difficultés vécues par ces élèves dans l’acquisition de compétence et dans l’intégration au marché du travail. Au cours des dernières années, ce groupe a encadré la réalisation de projets qui ont permis de mieux comprendre la réalité que vivent des jeunes issus de l’immigration et de revoir leurs pratiques d’accompagnement au niveau de l’intégration, par exemple dans les milieux de stage.
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En quelques décennies, la composition de nos salles de classe s’est métamorphosée. Les Bertrand, Roberge et Lauzon côtoient maintenant les Traoré, Chang et Hernandez, notamment en raison de la Charte de la langue française en vertu de laquelle la majorité des élèves nouveaux arrivants sont tenus de s’inscrire dans les écoles francophones. Ces derniers viennent de partout dans le monde. À leur arrivée, bon nombre passent une ou deux années dans une classe d’accueil où ils découvrent la langue de Félix Leclerc, avant de se joindre à une classe ordinaire où ils connaîtront le succès.
Nous nous sommes donné les moyens d’y arriver, notamment en multipliant les alliances avec des milieux universitaires qui trouvent chez nous un vaste champ d’expérimentation et qui, en retour, partagent leur savoir. Les résultats sont éloquents : au terme de l’année scolaire 2019-2020, le taux de réussite et de qualification de nos élèves dépasse par 10 points celui de l’ensemble des CSS francophones du Québec. Il semble raisonnable de penser que nous fassions bien les choses !
Photo : Adobe Stock
Lisez les autres articles de ce numéro
Bissonnette, S., Bouchard, C., St-Georges, N., Gauthier, C. et Bocquillon, M. (2020). Un modèle de réponse à l’intervention (RàI) comportementale : le soutien au comportement positif (SCP). Enfance en difficulté, 7, 129–150.
Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (2015). Référentiel d’accompagnement Vivre-ensemble en français. Montréal (Québec) : Service des ressources éducatives.
https://www.csmb.qc.ca/~/media/Files/PDF/CSMB/veef/Referentiel_Vivre-ensemble.ashx
Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (2018). Plan d’engagement vers la réussite 2018-2022. Montréal (Québec) : https://www.csmb.qc.ca/fr-CA/csmb/pevr.aspx
Festival « Pluri-Pluri » à l’école Terre-des-jeunes :
https://www.elodil.umontreal.ca/videos/presentation/video/eveil-aux-langues-et-aux-cultures-a-lecole-ter/
Gouvernement du Québec. (2017). Politique de la réussite éducative : Le plaisir d’apprendre, la chance de réussir. Québec (Québec) : ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/PSG/politiques_orientations/politique_reussite_educative_10juillet_F_1.pdf
Hirsch, S., Audet, G., et Turcotte, M. (2015). Aborder les sujets sensibles avec les élèves — Guide pédagogique. Montréal (Québec) : Centre d’intervention pédagogique en contexte de diversité de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys. https://cipcd.ca/wp-content/uploads/2014/04/CSMB_-Guide_sujets-sensibles_final.-1.pdf
Amène ton parent au théâtre :
https://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/intimidation/prix/Pages/Ecoles-secondaires-Saint-Georges-Saint-Laurent-2018.aspx
Morrissette, J. (2019). Faciliter l’intégration socioprofessionnelle du personnel enseignant formé à l’étranger. Guide à l’intention des directions d’établissement. Montréal (Québec) : Centre d’intervention pédagogique en contexte de diversité de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys.
https://cipcd.ca/wp-content/uploads/2014/04/GuideFaciliterInte%CC%81gration_VF_HauteRe%CC%81so_190708_pagesSimples.pdf
Papazian-Zohrabian, G., Lemire, V., Mamprin, C., Turpin-Samson, A. et Aoun, R. (2017). Mener des groupes de parole en contexte scolaire. Guide pour les enseignants et les professionnels. Montréal (Québec) : Centre d’intervention pédagogique en contexte de diversité de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys et Université de Montréal.
https://cipcd.ca/wp-content/uploads/2014/04/Mener-des-groupes-de-parole-en-contexte-scolaire-Guide-pour-les-enseignants-et-les-professionnels.pdf
Depuis plusieurs années, les écoles canadiennes se sont dotées de politiques inclusives pour accueillir la diversité de leurs élèves; elles guident le personnel enseignant vers des pratiques respectueuses de l’Autre ou de l’élève qui diffère de la norme. En principe, l’école est passé d’une culture d’intégration scolaire où l’élève marginalisé est soumis aux mêmes normes que les autres à une culture inclusive dont les pratiques sont respectueuses de l’Autre.
Malgré de nouvelles politiques inclusives, les recherches démontrent que pour plusieurs, l’inclusion scolaire demeure un processus difficile à mettre en pratique. Trop d’élèves se trouvent encore exclus ou marginalisés en raison de leurs différences, entre autres, les élèves ayant une déficience intellectuelle ou une incapacité physique, les nouveaux arrivants qui ne parlent pas la langue d’accueil ainsi que les élèves issus de familles dysfonctionnelles. Si ces iniquités existaient avant la Covid-19, la pandémie risque non seulement de renforcer ces inégalités, mais aussi d’en créer de nouvelles. Pour faire de cette période d’instabilité une occasion de passer des principes inclusifs aux pratiques inclusives, nous proposons dans cet article que le changement doit commencer par notre regard sur la diversité qui est appelé à changer pour devenir plus « dénormalisant », c’est-à-dire, moins fondé sur la norme.
Revenons à la fin des années soixante. Le climat social qui règne à cette époque est à l’origine d’actions collectives et d’engagements politiques qui procurent une lueur d’espoir à ceux et celles qui se trouvent marginalisés par leurs différences. À l’école, les changements sont significatifs. Le mouvement américain des droits civiques devient un fondement important pour l’émancipation des personnes ayant un handicap intellectuel et, par ricochet, pour l’inclusion scolaire. Au fil des ans, on met en œuvre des politiques scolaires qui permettent aux élèves ayant un handicap ou étant en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation de fréquenter la salle de classe pour y recevoir une éducation jugée juste et égale à celles des élèves que l’on perçoit comme faisant partie de la norme.
Plus de cinquante ans plus tard, nous nous retrouvons dans un contexte semblable à celui des années soixante. Le mouvement américain Black Lives Matter et les rassemblements contre la discrimination systémique faite envers les peuples autochtones du Canada nous obligent à franchir une étape de plus vers l’égalité et la démocratisation du peuple nord-américain. Encore une fois, notre vision de la société est appelée à changer et l’école n’y fait pas exception. Mais cette fois-ci, le mécontentement politique et social se déroule au beau milieu d’une pandémie mondiale.
En mars 2020, l’éclosion de la COVID-19 ébranle le monde entier. Au sein des écoles, c’est la consternation. Au mois de septembre, pour respecter les mesures de distanciation physique et le fait que certains élèves travaillent à domicile, le personnel enseignant doit rapidement repenser sa préparation et la livraison des cours. Les questions sont multiples, certaines au sujet de la vulnérabilité des élèves reliée à la COVID-19 méritent une réflexion approfondie. Par exemple :
En espérant contribuer quelques éléments de réponses à ces questions, nous entamons notre réflexion avec ces paroles du Président John F. Kennedy, prononcées en 1957 : « Dans la langue chinoise, le mot “crise” est composé de deux caractères – le premier représente danger, le second, occasion ». Dans cet esprit, en raison de la pandémie, est-il logique de dire qu’il existe un « danger » pour l’inclusion scolaire et que ce danger offrirait des occasions de grandir ?
Inspirées du mouvement des droits civiques aux États-Unis et des critiques grandissantes au sujet des écoles spécialisées (Ramel et Vienneau, 2016), les règles établies dans les années soixante visent l’intégration des élèves ayant une déficience intellectuelle légère en classe avec les autres et reflètent les valeurs et les principes de la normalisation. L’intention était d’offrir aux élèves ayant une incapacité mentale ou physique considérés comme éducables les mêmes conditions scolaires qu’aux autres élèves. Ces décisions politiques mirent fin à une certaine forme de ségrégation telle qu’on la connaissait à cette époque et, dans plusieurs écoles canadiennes, il fut compris que dorénavant, l’élève « exceptionnel » aurait le droit d’être intégré au sein de la classe ordinaire à moins qu’il soit démontré qu’il serait préférable de faire autrement.
Le mouvement de l’intégration scolaire s’appuie d’ailleurs sur deux croyances : le placement des élèves à besoins particuliers dans la classe ordinaire contribue à l’épanouissement et au succès de tous les élèves et l’idée que les enfants en situation de handicap sont davantage semblables aux autres enfants qu’ils en sont différents (Lipsky et Gartner, 1989). Mais, on ne peut le nier, en raison de son handicap et par définition, l’élève « exceptionnel » est différent. Au sein de sa nouvelle classe, il est appelé à entrer dans un moule prédéfini par la normativité sociale. Malgré les dispositifs de soutien qui sont mis en place, cet élève risque constamment d’être exclu pédagogiquement et socialement de son groupe-classe. En 1981, Pekarsky nous a fait prendre conscience que le coût que doit payer l’élève vivant en situation de handicap lorsqu’on lui demande constamment de se conformer aux normes de la salle de classe est trop élevé et que cette pratique ne peut plus être tolérée. En d’autres mots, si la normalisation a permis au mouvement d’intégration de prendre son envol, elle cause problème lorsqu’on désire réellement « inclure » parmi les autres élèves celui ou celle qui se trouve en situation de vulnérabilité. Il y aurait sans doute lieu d’affirmer que l’inclusion scolaire était déjà à risque avant la venue de la pandémie.
Depuis les années 1980, le regard que l’on porte sur les différences a évolué et, par conséquent, les nouvelles politiques en matière d’inclusion le reflètent. Si le mouvement de l’intégration était centré sur les incapacités de l’élève, l’inclusion soutient que « les difficultés scolaires d’un élève sont perçues comme une conséquence de ses interactions avec son environnement et non comme une conséquence de ses incapacités » (Beauregard et Trépanier, 2010). L’école inclusive vise à répondre aux besoins de chaque élève et fait valoir que chaque enfant compte. En plus des élèves ayant une incapacité, on tente également d’inclure les élèves à risque d’être marginalisés et exclus en raison de leur différence, soit, par exemple, ceux et celles jugés différents en raison de leur orientation sexuelle, de leur origine ethnique, de leur sexe, de leur religion ou de leur situation économique. Cette liste est longue. D’après nous, la seule chose qui soit normale, c’est que nous sommes toutes et tous différents. Larochelle-Audet et al. (2018), abondent dans le même sens lorsqu’elles disent que :
[…] la diversité humaine n’est pas un problème, ni même une richesse, c’est un état de fait : elle est là sous toute ses formes. C’est la construction sociale négative des caractéristiques, préférences, expériences ou besoins qui en font des problèmes dans un contexte donné. […] En d’autres mots, le problème n’est pas la diversité humaine, mais ce qu’on en fait dans la société et dans le milieu scolaire (p. 10).
Cela étant dit, nous croyons que la normalisation est à l’intégration scolaire ce que la dénormalisation est appelée à devenir pour l’inclusion (AuCoin et Vienneau, 2015). La dénormalisation est non seulement une façon de faire, mais également un état d’être. Cet état nous permet de voir le monde comme un tout et de réaliser que chaque individu y contribue à sa manière en toute dignité. La dénormalisation signifie l’acceptation, la compassion, l’empathie, la tolérance, l’entraide et le respect de l’Autre. Pour faire le lien avec la salle de classe, la dénormalisation nous invite à penser autrement la composition de son groupe-classe. Au lieu de chercher les défis et les incapacités de chacun des élèves, commençons au contraire par trouver ce que l’élève peut accomplir. Sans cela, le concept d’inclusion scolaire, soit celui de permettre à tous les élèves de participer activement et de contribuer au groupe-classe, est en risque de se fragiliser ou, pire, de ne jamais être développé à son potentiel.
Si chaque élément négatif contient aussi du positif, la pandémie pourrait-elle nous offrir l’occasion de franchir une étape de plus vers l’équité et de faire de la dénormalisation une nouvelle norme au sein du système scolaire? Dans cette évolution, voici deux considérations importantes pour nous assurer de ne pas perdre les gains réalisés depuis les cinquante dernières années en matière d’inclusion.
Étant donné que les fondements associés au mouvement de l’intégration scolaire proviennent surtout du monde médical et, de ce fait, se concentrent davantage sur les déficits à combler, pour que l’inclusion soit réussie voici ce que nous devons faire :
Malgré les gains importants qui ont été réalisés dans le domaine de l’inclusion scolaire au cours des dernières décennies, les défis demeurent encore nombreux (UNESCO, 2020). D’après nous, c’est en adoptant un regard plus dénormalisant que nous allons relever ces défis. Voici quelques pistes à suivre :
Pour conclure, la COVID-19 nous a démontré que personne n’est à l’abri de la vulnérabilité et que nous devons pouvoir compter les uns sur les autres pour survivre. Au lieu de voir les différences comme des obstacles, ne serions-nous pas gagnants de les accueillir ? Comme Albert Jacquard (1978), nous sommes d’accord pour dire que « notre richesse collective est faite de notre diversité. L’« Autre », individu ou société, nous est précieux dans la mesure où il nous est dissemblable ». Comment tirer avantage de cette situation précaire pour repenser notre regard sur la diversité? Si on se fie au proverbe « chaque chose en son temps » … en matière d’inclusion scolaire, la COVID-19 nous laisse entrevoir que ce temps est arrivé!
Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, janvier 2021
AuCoin, A. et Vienneau, R. (2015). L’inclusion scolaire et la dénormalisation : proposition d’un nouveau paradigme. Dans N. Rousseau (dir.), La pédagogie de l’inclusion scolaire (3e éd., p. 65-87). Presses de l’Université du Québec.
Beauregard, F. et Trépanier, N. S. (2010). Le concept d’intégration scolaire… mais où donc se situe l’inclusion ? Dans N. S. Trépanier et M. Paré (dir.), Des modèles de service pour favoriser l’intégration scolaire (p. 31-56). Presses de l’Université du Québec.
Danforth, S. (dir.). (2017). Becoming a great inclusive educator (2e éd.). Peter Lang.
Larochelle-Audet, J., Magnan, M.-O., Potvin, M. et Doré, E. (2018). Les compétences des directions en matière d’équité et de diversité : pistes pour les cadres de référence et la formation. Rapport de recherche : Observatoire sur la formation à la diversité et l’équité. Université du Québec à Montréal.
Lipsky, D.K. et Gartner, A. (1989). Beyond separate education: Quality education for all. Paul Brooks Publishing
Pekarsky, D. (1981). Normalcy, exceptionalty and mainstreaming. Journal of Education. 163,4, 320-334.
Ramel, S. et Vienneau, R. (2016). Des fondements sociologiques de l’inclusion scolaire aux injonctions internationales. Dans L. Prud’homme, H. Duschesne, P. Bonvin et R. Vienneau (dir.), L’inclusion scolaire : ses fondements, ses acteurs et ses pratiques (ch. 1, pp. 25-38). DeBoeck.
UNESCO. (2020). Inclusion and education: ALL means ALL. Global Education Monitoring Report. https://bit.ly/3hVFGga
Malgré les progrès réalisés en faveur d’un enseignement inclusif LGBTQ2+, il demeure difficile d’assurer la sécurité et le sentiment d’appartenance des enseignants et des élèves qui s’identifient comme minorités sexuelles et de genre (MSG) dans leur école et leur collectivité. Un sondage pancanadien mené auprès d’élèves du secondaire a révélé que 64 % de ces élèves disent ne pas se sentir en sécurité à l’école. La recherche montre en outre que les enseignants LGBTQ2+ hésitent à révéler leur identité sexuelle et de genre à leur administration, et que 33 % d’entre eux ont été avertis par des membres de leur famille, leurs amis ou d’autres enseignants de ne pas le faire.
Élaborer et offrir des ressources : aider les élèves, le personnel et les parents à mieux comprendre un élève qui exprime son genre de façon unique ou créative ou les élèves qui veulent former une alliance AGH qui leur offre un espace sûr et inclusif.
Bien que de nombreuses administrations scolaires locales se soient dotées de politiques relatives aux MSG, la recherche souligne la nécessité de financer et de promouvoir une culture scolaire LGBTQ2+ inclusive véritablement accueillante qui soutient et favorise le bien-être de ces enseignants et élèves. Adopter une approche inclusive de l’éducation LGBTQ2+ est une responsabilité partagée et les directions scolaires, enseignants et parents jouent un rôle important dans la façon de soutenir au mieux les enseignants et élèves LGBTQ2+ et d’apprendre à leur contact.
Grace, A. P. (2015). Part II with K. Wells. Growing into resilience: Sexual and gender minority youth in Canada. Toronto: University of Toronto Press.
Grace, A. P., & Wells, K. (2016). Sexual and gender minorities in Canadian education and society (1969-2013): A national handbook for K-12 educators. Ottawa, ON: Canadian Teachers’ Federation. (Published in English & French.)
Taylor, C., & Peter, T., with McMinn, T. L., Elliott, T., Beldom, S., Ferry, A., Gross, Z., Paquin, S., & Schacter, K. (2011). Every class in every school: The first national climate survey on homophobia, biphobia, and transphobia in Canadian schools. Final report. Toronto, ON: Egale Canada Human Rights Trust.
Tompkins, J., Kearns, L., & Mitton-Kükner, J. (2019). Queer educators in schools: The experiences of four beginning teachers. Canadian Journal of Education, 42(2), 385-414. Retrieved from: https://journals.sfu.ca/cje/index.php/cje-rce/article/view/3448/2727
* Dans ce document, le masculin est employé comme genre neutre.
Malgré les progrès réalisés en faveur d’un enseignement inclusif LGBTQ2+, il demeure difficile d’assurer la sécurité et le sentiment d’appartenance des enseignants et des élèves qui s’identifient comme minorités sexuelles et de genre (MSG) dans leur école et leur collectivité. Un sondage pancanadien mené auprès d’élèves du secondaire a révélé que 64 % de ces élèves disent ne pas se sentir en sécurité à l’école. La recherche montre en outre que les enseignants LGBTQ2+ hésitent à révéler leur identité sexuelle et de genre à leur administration, et que 33 % d’entre eux ont été avertis par des membres de leur famille, leurs amis ou d’autres enseignants de ne pas le faire.
Élaborer et offrir des ressources : aider les élèves, le personnel et les parents à mieux comprendre un élève qui exprime son genre de façon unique ou créative ou les élèves qui veulent former une alliance AGH qui leur offre un espace sûr et inclusif.
Bien que de nombreuses administrations scolaires locales se soient dotées de politiques relatives aux MSG, la recherche souligne la nécessité de financer et de promouvoir une culture scolaire LGBTQ2+ inclusive véritablement accueillante qui soutient et favorise le bien-être de ces enseignants et élèves. Adopter une approche inclusive de l’éducation LGBTQ2+ est une responsabilité partagée et les directions scolaires, enseignants et parents jouent un rôle important dans la façon de soutenir au mieux les enseignants et élèves LGBTQ2+ et d’apprendre à leur contact.
Grace, A. P. (2015). Part II with K. Wells. Growing into resilience: Sexual and gender minority youth in Canada. Toronto: University of Toronto Press.
Grace, A. P., & Wells, K. (2016). Sexual and gender minorities in Canadian education and society (1969-2013): A national handbook for K-12 educators. Ottawa, ON: Canadian Teachers’ Federation. (Published in English & French.)
Taylor, C., & Peter, T., with McMinn, T. L., Elliott, T., Beldom, S., Ferry, A., Gross, Z., Paquin, S., & Schacter, K. (2011). Every class in every school: The first national climate survey on homophobia, biphobia, and transphobia in Canadian schools. Final report. Toronto, ON: Egale Canada Human Rights Trust.
Tompkins, J., Kearns, L., & Mitton-Kükner, J. (2019). Queer educators in schools: The experiences of four beginning teachers. Canadian Journal of Education, 42(2), 385-414. Retrieved from: https://journals.sfu.ca/cje/index.php/cje-rce/article/view/3448/2727
* Dans ce document, le masculin est employé comme genre neutre.
À la suite des récents événements aux États-Unis, nous, Réseau ÉdCan, souhaitons exprimer notre solidarité avec la communauté noire et les individus racialisés et reconnaissons les effets néfastes du racisme et de la violence systémiques. En tant qu’organisme pancanadien de l’éducation à but non lucratif, notre mission est de veiller à ce que chaque élève prospère dans nos écoles sur la base des valeurs d’équité, d’inclusion et de respect. Pour cela, nous restons déterminés à apprendre, à écouter et à partager les connaissances pour soutenir le bien-être du personnel et des élèves dans nos écoles et nos lieux de travail d’éducation.
Dans une école secondaire pluriethnique de Montréal, un projet de recherche a été mené afin de faciliter des rencontres entre des élèves d’une classe d’accueil et ceux d’une classe régulière. Cela a permis à tous ces élèves de vivre une expérience unique où l’intégration linguistique, scolaire et sociale s’est réalisée de façon très harmonieuse.
Faciliter l’intégration des élèves issus de l’immigration constitue un défi pour l’ensemble de l’équipe-école, défi d’autant plus grand lorsque ces élèves ne maîtrisent pas la langue d’enseignement. Les enseignants, souvent aux premières loges de l’accueil et de l’insertion des nouveaux arrivants à l’école, sont-ils outillés pour relever ce défi? Que peuvent-ils mettre en œuvre afin d’aider ces élèves à vivre une intégration linguistique, scolaire et sociale harmonieuse?
Des rencontres interculturelles entre élèves nouvellement arrivés en apprentissage de la langue d’enseignement et élèves fréquentant déjà l’école peuvent représenter une initiative gagnante dans différents milieux, et selon diverses modalités. Dans le cadre d’un projet de recherche, nous avons organisé des rencontres entre des élèves d’une classe d’accueil et ceux d’une classe du régulier d’une école secondaire de Montréal située en milieu pluriethnique. En 2018-2019, cet établissement comptait des élèves nés dans plus de 60 pays, et le français était la langue maternelle de seulement 27,2 % d’entre eux.
La classe d’accueil vise à préparer les élèves nouvellement arrivés à intégrer une classe du régulier; cette période de transition peut durer de quelques mois à quelques années, selon plusieurs facteurs (ex. le niveau de scolarité de l’élève dans son pays d’origine, son rythme d’apprentissage du français, etc.). Le modèle de classe d’accueil fermée, dans lequel les élèves nouvellement arrivés suivent la plupart de leurs cours ensemble et avec le même enseignant, prévaut au Québec, surtout dans les milieux urbains, où un nombre important d’immigrants s’installent chaque année.
Si la classe d’accueil fermée permet de faire vivre aux élèves une intégration progressive à l’école, elle apporte également son lot de défis, notamment en lien avec le manque d’opportunités pour entrer en contact avec les élèves du régulier. Souvent isolés des élèves des autres classes dans le cadre de leur apprentissage et de leur utilisation du français1, les élèves de l’accueil n’ont pas toujours beaucoup d’interactions avec les élèves du régulier, alors même que cette classe doit les préparer à intégrer le régulier. Il semble nécessaire, dans ce contexte, de privilégier des pratiques faisant la promotion de la diversité et de l’inclusion2.
Par des rencontres interculturelles, les enseignants peuvent contribuer à créer un environnement permettant les échanges entre les élèves issus de différentes cultures, et favorisant la découverte de l’Autre. Dans le cadre du projet que l’équipe de recherche a mené, les élèves des deux groupes (28 élèves de première secondaire et 14 élèves de l’accueil âgés de 12 à 17 ans), accompagnés de leur enseignante de français et de leur enseignant d’accueil, ont pu par exemple participer à des activités en petits groupes pour discuter de leur bagage linguistique et culturel ainsi que de leur expérience scolaire. Ils ont aussi pris part à des activités ludiques en grand groupe, notamment à un concours de mimes et à l’improvisation de saynètes mettant en lumière les défis vécus par les élèves nouvellement arrivés à l’école.
Lors de ces rencontres, les élèves de la classe d’accueil ont surtout apprécié avoir des interactions significatives avec des élèves du régulier. À ce sujet, un élève a d’ailleurs indiqué : « C’est la première fois que je parle avec des élèves du régulier longtemps ». Ces interactions ont aussi contribué à l’apprentissage de nouveaux mots, de nouvelles expressions : les élèves de l’accueil ont aimé discuter avec des élèves qui maîtrisent mieux le français qu’eux : « Parce qu’on a parlé français tout le temps et ils sont forts ». De plus, ces quelques rencontres ont permis aux élèves de l’accueil de se familiariser avec le secteur régulier, de mieux comprendre comment fonctionne le régulier : « J’ai aimé parce que […] j’ai demandé des questions sur la classe du régulier ».
La rétroaction recueillie met aussi en lumière le fait que les élèves de l’accueil étaient surpris par la diversité du bagage linguistique et culturel des élèves du régulier; les rencontres étaient ainsi des occasions d’échanges entre porteurs de langues et de cultures différentes.
De leur côté, les élèves du régulier ont pu mieux connaître les élèves de l’accueil et créer des liens avec eux. Ils ont réalisé que ces élèves parlaient souvent plusieurs langues et avaient des expériences de vie très diversifiées, mais, surtout, qu’ils étaient des adolescents comme eux, avec des intérêts communs (ex. sport, musique). Ils ont aussi mis en œuvre des stratégies pour les aider à mieux comprendre lors des interactions, notamment en parlant plus lentement, en répétant ou en utilisant des mots simples.
Pour les enseignants, l’organisation de rencontres interculturelles demande de la planification, de la collaboration et de la flexibilité : il faut prendre le temps de discuter avec un collègue, de planifier des activités motivantes et pertinentes pour les deux groupes d’élèves qui s’insèrent dans les objectifs des programmes d’études. Il est souhaitable que les enseignants préparent leurs élèves à la rencontre, et qu’ils fassent ensuite un retour avec eux sur ce qu’ils ont vécu. Pour notre part, les élèves des deux groupes remplissaient une fiche de rétroaction après chaque rencontre, indiquant notamment les points forts et les points faibles de la rencontre. À la toute fin des rencontres, ils ont aussi eu l’occasion de partager, en petits groupes, leurs impressions sur l’ensemble du projet.
En proposant à leurs élèves des espaces de rencontres interculturelles pour mieux connaître l’Autre, il est aussi important que les enseignants démontrent eux-mêmes des attitudes d’ouverture et d’empathie. Également, puisque le défi de l’intégration des élèves nouvellement arrivés concerne l’ensemble des acteurs de l’école, le soutien de la direction est primordial dans la réalisation de rencontres interculturelles, une initiative prometteuse à explorer.
Photo : Productions Cinta, Webdocumentaire réalisé par Jacinthe Moffatt
Description de la photo : Anne-Geneviève Lalongo, directrice, entourée d’élèves de l’école de La Visitation (CSDM)
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019
Notes
1 Allen, D. (2006). Who’s in and who’s out? Language and the integration of new immigrant youth in Quebec. International Journal of Inclusive Education, 10(2-3), 251–263.
2 Steinbach, M. (2010). Quand je sors d’accueil : Linguistic integration of immigrant adolescents in Quebec secondary schools. Language, Culture and Curriculum, 23(2), 95–107.
Pour bon nombre de personnes, l’immigration est LA solution à la problématique de la pénurie de main-d’œuvre au Québec. Il est vrai que l’immigration joue un grand rôle, mais il faut voir beaucoup plus grand, notamment la diplomation et la qualification de nos élèves, dans nos écoles et nos centres.
Dans la région de la Chaudière-Appalaches, nous affichons actuellement un taux de chômage à 3,3 %1, soit le taux le plus bas au Canada. Avec une population active en baisse depuis 2011 et sachant que ce phénomène se poursuivra jusqu’en 2030, nous n’avons pas le choix de faire tous les efforts nécessaires pour s’assurer de la réussite de l’immigration dans notre région, plus précisément en Beauce et dans les Etchemins.
Mais comment réussir l’immigration en milieu rural? Agir avec bienveillance dans l’accompagnement. Au-delà de l’argent, de l’emploi ou de l’augmentation de notre clientèle étudiante, nos citoyens internationaux recherchent un lien affectif avec les gens et leur nouveau milieu. Ayant peu de cellules immigrantes dans notre région, le défi n’est pas uniquement sur l’attraction, mais également sur la rétention, d’où l’importance accordée à l’accompagnement.
Pour nous, à la Commission scolaire de la Beauce-Etchemin (CSBE), il est important de développer une approche diversifiée en tenant compte de différentes réalités :
• Recrutement d’élèves internationaux;
• Accompagnement des entreprises qui recrutent des travailleurs internationaux;
• Demandes de francisation directement dans nos centres de formation générale aux adultes (FGA).
Le recrutement d’élèves internationaux à notre commission scolaire a pris forme à l’aube des années 2000. Au tout début, nous ne visions qu’à augmenter notre clientèle étudiante afin de maintenir nos groupes dans nos centres de formation professionnelle. Cela a été une première erreur de notre part. Un mauvais arrimage entre les besoins des entreprises, le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI), le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES), Éducation internationale, Services Québec et notre communauté, nous a fait réaliser l’importance de ne négliger aucune de ces sphères.
Ayant appris de nos erreurs antérieures, l’une de nos belles réalisations a sûrement été notre programme Viens te souder au Québec, où plus de 65 % des élèves ont pris la décision de demeurer en Beauce pour y travailler. De plus, il est à souligner que 92 % de l’ensemble de nos élèves internationaux obtiennent leur diplôme en formation professionnelle. L’accompagnement de proximité porte ses fruits et les Carrefours jeunesse-emploi nous aident énormément.
Par ailleurs, plusieurs de nos entreprises de la région font elles-mêmes du recrutement de travailleurs internationaux. Notre accompagnement se réalise en francisation et en formation continue, tout en essayant de favoriser une formation qualifiante. Au-delà des travailleurs, nous accompagnons également leurs familles dans cette belle aventure. À titre d’exemple, nous avons réuni les travailleurs avec les membres de leur famille dans une même classe pour offrir de la francisation, faute d’avoir assez de travailleurs, d’élèves jeunes et adultes pour former des groupes séparément.
Également, le visage de nos centres FGA a changé considérablement au cours des dernières années. Nos demandes en francisation ont plus que quadruplé en quatre ans. Pour une région comme la nôtre, c’est un bond prodigieux. Malgré le fait que ce soit un heureux problème, la gestion de cette croissance est un défi au quotidien, tant à l’interne qu’à l’externe de notre commission scolaire.
Enfin, un moyen qui a été porteur pour nous afin de bien sensibiliser notre communauté a été de favoriser les échanges ou voyages internationaux avec nos élèves ou notre personnel. Cette ouverture face à la diversité culturelle est essentielle pour la réussite de l’immigration, car, avant tout, c’est un geste de cœur.
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019
Notes
1 IMT en ligne, Services Québec, juin 2019
Une cible annuelle de 8 000 à 10 000 nouveaux arrivants d’expression française dans les communautés francophones canadiennes engendre inévitablement une hétérogénéité tant sur le plan culturel qu’identitaire et linguistique. L’auteur fait alors ressortir la fragilité de ces écoles devenues les seuls agents de maintien et d’épanouissement de la communauté devant lutter pour leur survie et agir contre l’assimilation dans ce milieu.
L’inscription de l’article 23, en 1982, dans la Charte canadienne des droits et libertés a accordé aux parents des minorités linguistiques francophones, le droit à la gestion des écoles homogènes francophones. Les travaux de Rodrigue Landry et ses collaborateurs1 concernant les minorités linguistiques au Canada ont démontré, durant plusieurs décennies, la fragilité de ces écoles qui sont devenues les seuls agents de maintien et d’épanouissement de la communauté devant lutter pour leur survie et agir contre l’assimilation dans ce milieu.
Devant la diminution considérable de l’effectif de ces écoles, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) dans son Plan stratégique pour favoriser l’immigration au sein des communautés francophones en situation minoritaire, prévoyait jusqu’en 2020 une cible annuelle de 8 000 à 10 000 nouveaux arrivants d’expression française dans les communautés francophones. De cette augmentation, il en résulte une hétérogénéité, et ce, autant sur le plan culturel qu’identitaire et linguistique.
Au Nouveau-Brunswick, Yamina Bouchamma2 a mené une étude par entrevues (N=50) auprès d’acteurs scolaires et communautaires sur les défis reliés à l’intégration des jeunes issus de l’immigration. Il s’agit entre autres des défis reliés à la francisation, au manque de préparation des acteurs scolaires, des élèves de la société d’accueil et des jeunes issus de l’immigration à vivre dans la diversité, au manque de lien école/famille, au décalage culturel, au manque des ressources humaines et financières.
Les enseignants ont fait état de leurs besoins en formation sur :
Plusieurs enseignants ont instauré des pratiques gagnantes au sein de la classe. Dans ce contexte, les parents disent, entre autres, apprécier les invitations pour faire connaître leur pays, mais mentionnent le possible danger de basculer dans une vision folklorique.
La diversité ethnoculturelle constitue une réalité quotidienne depuis plusieurs décennies dans les écoles primaires et secondaires de la grande métropole (Montréal), mais elle est devenue de plus en plus présente dans les régions.
Une étude menée auprès d’acteurs scolaires par entrevue (N=52) au Québec, hors Montréal, a mis en évidence les nombreux et complexes défis qui se posent à l’école dans le processus d’intégration des jeunes issus de l’immigration (JII) et a fait état des solutions et des pratiques exemplaires en matière de francisation, de socialisation et de scolarisation que les écoles ont mises en place3.
En fait, trois facteurs peuvent expliquer ces grands défis :
Les enseignants ont fait état, dans certains cas, de croyances erronées ayant trait à la différenciation (ignorer les différences), l’équité/égalité, la négation de l’existence d’une quelconque forme de discrimination directe, indirecte ou systémique, de situations où existent des confusions de rôles et le fait de ne pas se sentir responsables de l’intégration de ces JII. Ces constats ont suscité un questionnement sur la formation initiale et continue du personnel enseignant et non enseignant.
Bref, si le besoin en main-d’œuvre en dehors des grands centres a amené des familles immigrantes à s’établir en région, il reste que ces choix n’ont pas toujours été accompagnés d’une préparation adéquate du terrain pour ces nouveaux arrivants qui voient donc la scolarité de leurs enfants compromises.
Les directions reconnaissent que leur personnel enseignant ne dispose pas des compétences requises pour accompagner les JII. Dans l’optique de son rôle d’accompagnateur, la direction d’école doit trouver des alternatives à leur formation, et ce, en amenant l’équipe-école à mettre sur pied des communautés d’apprentissage professionnelles (CAP) qui mettent l’accent sur l’apprentissage, la collaboration, le dialogue et l’auto-évaluation de ses propres pratiques. Ces espaces de travail servent à la fois d’endroit où ils peuvent pratiquer efficacement leur profession auprès d’une clientèle multiethnique, mais aussi d’espace où ils peuvent mutuellement s’offrir une forme de supervision pédagogique par les pairs. Le processus d’intégration des JII ne peut se réaliser qu’avec un personnel enseignant et non enseignant qui possède les compétences requises en matière de diversité.
Le système doit répondre aux besoins de ces JII et ce, en adoptant une vision et une perspective communes. Il est important d’assurer un cadre institutionnel à la francisation des nouveaux arrivants et d’entamer une réflexion sur la diversité et l’immigration. Pourtant, ces décisions se font toujours attendre. Il va sans dire que la situation nécessite, en plus d’une vision commune et de la mobilisation d’importantes ressources humaines et matérielles, la conception et l’utilisation d’outils appropriés destinés à différents acteurs (directions d’école, enseignants, élèves et parents de la société d’accueil, élèves et parents immigrants, etc.). L’école est amenée à communiquer et à établir des liens avec son milieu, et particulièrement avec les familles nouvellement arrivées dans la communauté. La formation initiale des directions comme celle des enseignants doit se baser sur des profils de compétences mis à jour en tenant compte des défis actuels de la société.
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019
Photo : Productions Cinta, Webdocumentaire réalisé par Jacinthe Moffatt
Description de la photo : Guylaine Cool, Directrice de l’école Simone-Monet (CSDM) en discussion avec un parent d’élèves.
Notes
1 Landry, R., & Allard, R. (1996). Vitalité ethnolinguistique. Une perspective dans l’étude de la francophonie canadienne. In J. Erfurt (dir.). De la polyphonie à la symphonie. Méthodes, théories et faits de la recherche pluridisciplinaire sur le français au Canada. (p. 61-87) Leipzig : Leipziger Universitätsverlag.
Landry, R., & Allard, R. (1997). L’exogamie et le maintien de deux langues et de deux cultures : le rôle de la francité familio-scolaire. Revue des sciences de l’éducation, 23(3), 561-592.
2 Bouchamma, Y. (2009). L’intervention interculturelle en milieu scolaire, édition de la francophonie, Lévis.
3 Bouchamma, Y. (2015). L’école et l’immigration – Défis et pratiques gagnantes, Éditions de la francophonie, Lévis.
Constatant la méconnaissance de la part du personnel scolaire de la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique qui caractérise leur milieu, les auteures présentent un outil qu’elles ont développé afin de soutenir le développement de pratiques plus inclusives et contextuellement appropriées, faisant ainsi ressortir les spécificités régionales.
Bien que la pertinence de prendre en compte la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique à l’école québécoise soit de plus en plus affirmée, tant sur les plans de la recherche que des politiques éducatives, un hiatus entre la région métropolitaine de Montréal et les autres contextes régionaux s’observe sur plusieurs plans. En effet, les caractéristiques géographiques, historiques et socioéconomiques des différentes régions québécoises font en sorte que ces dernières ont plus ou moins été marquées par la présence d’Autochtones, de la minorité anglophone ou encore des populations issues de l’immigration. On constate, par exemple, que les effectifs des élèves issus de l’immigration (ÉII) varient énormément entre les régions québécoises tant au niveau quantitatif qu’au niveau des catégories d’immigration. Les élèves issus de l’immigration de première génération et ceux provenant de familles réfugiées sont proportionnellement plus nombreux à fréquenter les écoles à l’extérieur de Montréal. Il s’ensuit que les défis quant à la mise en œuvre de pratiques scolaires visant à prendre en compte la diversité varient aussi entre les différentes régions du Québec, que ce soit au niveau de l’intégration linguistique, scolaire et sociale des élèves issus de l’immigration que de l’éducation interculturelle1.
C’est pour répondre à ces défis spécifiques que l’outil Des clés pour mieux comprendre la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique en milieu scolaire : fiches régionales2 a été développé. En partant du constat de la méconnaissance de la part du personnel scolaire de la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique qui caractérise leur milieu, cet outil vise à rendre les spécificités régionales à cet égard plus visibles afin de soutenir le développement des pratiques plus inclusives et contextuellement appropriées. L’outil regroupe des fiches représentatives de chacune des régions administratives du Québec (accessibles en ligne) composées de quatre parties :
Si ces fiches permettent avant tout d’informer les acteurs scolaires sur la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique qui caractérise leur milieu de travail et de vie tout en contribuant à soutenir la réussite éducative des élèves issus de groupes minorisés, elles peuvent aussi servir à intégrer et à valoriser cette diversité au sein des pratiques d’enseignement en devenant un outil pédagogique d’éducation interculturelle.
D’une part, en présentant les caractéristiques des élèves appartenant à des groupes minorisés qui fréquentent leurs écoles et les services qui leurs sont offerts (4e partie), les fiches permettent aux acteurs scolaires d’adapter leurs pratiques à ces derniers et à leurs familles, contribuant ainsi au volet d’intégration de la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle. Les fiches peuvent rendre, par exemple, la réalité plurilingue d’un milieu visible, conviant alors le personnel enseignant à mettre en œuvre des activités qui valorisent les différentes langues présentes dans le répertoire linguistique des élèves. De la même manière, en démontrant que même dans les régions plus éloignées, les ÉII se concentrent dans certains milieux urbains ou semi-urbains, elles explicitent une réalité que le personnel constate souvent, mais qui demeure peu connue. Par les pratiques innovantes qui y sont consignées, dont les exemples de collaboration entre l’école, les familles immigrantes et les organismes communautaires, les fiches sont susceptibles d’accroître l’engagement et la coresponsabilité de tous les acteurs à l’égard des élèves issus de groupes minorisés.
D’autre part, en contextualisant cette diversité sur les plans historique et démographique, de même qu’en décrivant le traitement médiatique de cette diversité, les fiches contribuent au volet d’éducation interculturelle, par le renforcement de la présence de contenus liés à la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique dans l’ensemble des disciplines scolaires. Par exemple, la 2e peut servir de support pédagogique pour des activités en classe, en abordant notamment les défis rencontrés par les immigrants qui s’installent dans la région en question, dont les discriminations et les préjugés dont ils peuvent être victimes, de même que leurs contributions à la vie économique, culturelle et sociale. Le portrait historique, quant à lui, contribue à démystifier l’idée que la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique est uniquement liée à l’immigration récente en invitant les élèves à considérer de multiples expériences qui font partie de l’histoire du Québec.
Enfin, en suivant un même modèle, les fiches de 17 régions du Québec permettent de constater des spécificités régionales de même que des réalités communes. Elles permettent de soutenir les enseignants et autres acteurs scolaires en :
Le personnel scolaire sera ainsi amené à non seulement mieux comprendre son propre milieu, mais aussi à se départir de ses a priori sur la présence, plus ou moins visible, de la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique qui caractérise le Québec d’aujourd’hui.
Illustration : gracieusete de UQTR
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019
Notes
1 De Koninck, Z. et Armand, F. (2012). Entre métropole et régions, un même raisonnement peut-il soutenir un choix de modèles de services différent pour l’intégration des élèves allophones? Diversité urbaine, 12(1), 69-85.
Steinbach, M. (2015). Les défis de l’intégration sociale des jeunes immigrants à l’extérieur de la métropole québécoise.Diversité urbaine, 15 (1), 69-85.
Vatz Laaroussi, M., et Steinbach, M. (2010). Des pratiques interculturelles dans les écoles des régions du Québec : un modèle à inventer. Recherches en éducation, 9, 43-55.
2 Le projet est co-dirigé par C. Borri-Anadon et S.Hirsch, avec l’appui financier de la Direction d’intégration linguistique et d’éducation interculturelle (DILEI) du Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec.
Les auteures illustrent les principaux changements qui ont marqué la mise en œuvre des deux finalités de la Politique québécoise d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle. Elles soulignent l’importance et la pertinence de former les enseignants à développer une compétence interculturelle et inclusive.
Au Québec, comme dans d’autres sociétés, la prise en compte de la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse suscite des défis complexes ainsi que de nombreuses controverses. C’est maintenant 28 % des élèves québécois qui sont issus de l’immigration, de première (nés à l’étranger) ou de deuxième génération (dont au moins un des parents est né à l’étranger). Bien que talonnée par les banlieues, l’île de Montréal continue à en recevoir la majorité, alors que dans d’autres régions, cette présence jusqu’à tout récemment plutôt marginale, connaît une croissance constante. L’expertise développée par les enseignants pour prendre en compte cette diversité est à géométrie variable, tout comme la formation initiale à cet égard1.
Au Québec, la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle2 et son évaluation récente3 qui en a confirmé la pertinence, mettent de l’avant l’importance de former le personnel scolaire, notamment les enseignants, à « relever les défis éducatifs liés, d’une part, à la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse des effectifs et, d’autre part, à la nécessaire socialisation commune de l’ensemble des élèves4. » Plus récemment, ces deux volets de la Politique ont structuré la formalisation d’une « compétence interculturelle et inclusive » à l’intention des enseignants, cette compétence poursuivant deux finalités :
1. Préparer tous les apprenants à mieux vivre ensemble dans une société pluraliste et à développer un monde plus juste et égalitaire;
2. Adopter des pratiques d’équité qui tiennent compte des expériences et réalités ethnoculturelles, religieuses, linguistiques et migratoires des apprenants, particulièrement celles des groupes minorisés5. »
Dans ce bref article, nous souhaitons illustrer les principaux changements qui ont marqué la mise en œuvre de ces deux finalités afin de contribuer à la réflexion sur ce que signifie enseigner dans une société plurielle.
Concernant le premier volet « Intégration » de la Politique, celui-ci était initialement centré sur les élèves « immigrants », ciblant plus particulièrement les élèves « nouvellement arrivés », « d’implantation récente », « allophones » ou encore « non francophones ».
L’intégration y est définie comme « le besoin d’apprendre et de maîtriser à la fois le français — langue d’enseignement et langue commune de la vie publique — pour réussir ses apprentissages scolaires (intégration linguistique et scolaire) et les codes sociaux pour établir, avec l’ensemble de ses camarades, des relations significatives qui transcendent les barrières linguistiques et culturelles et pour participer à la vie collective (intégration sociale)6. »
Les diverses modalités de mise en œuvre de la Politique instaurées depuis son adoption permettent de mettre en lumière les principales transformations relatives à ce volet.
Concernant le deuxième volet « Éducation interculturelle », la Politique insistait particulièrement sur trois enjeux : la représentation de la diversité ethnoculturelle du personnel scolaire, la formation et le perfectionnement de ce dernier ainsi que la transformation pluraliste du curriculum formel et réel.
Au Québec, l’éducation interculturelle y est définie comme « le savoir vivre ensemble dans une société francophone, démocratique et pluraliste » et concerne « tous les élèves du système scolaire, qu’ils soient nés au Québec ou non, francophones, anglophones ou autochtones8. »
L’évolution des modalités de mise en œuvre de l’éducation interculturelle9 témoigne de transformations quant à la manière de concevoir et de déployer celles-ci.
L’ensemble de ces transformations reflète aussi un renforcement de l’articulation entre le volet d’intégration et celui d’éducation interculturelle. Puisqu’il est maintenant reconnu que les deux sont complémentaires, l’éducation interculturelle permet en quelque sorte d’identifier et d’agir sur les obstacles et les situations de discrimination vécues par les élèves concernés par le volet d’intégration. Dans la foulée de ces transformations et afin de soutenir le développement de compétences interculturelles et inclusives chez le personnel scolaire pour apprendre à enseigner dans une société plurielle, différents outils pédagogiques ont été développés. Les autres articles composant ce dossier thématique en font état.
Photo : Productions Cinta, Webdocumentaire réalisé par Jacinthe Moffatt
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019
Notes
1 Mc Andrew, M., Balde, A., Bakhshaei, M., Tardif-Grenier, K. et al. (2015). La réussite éducative des élèves issus de l’immigration : bilan d’une décennie de recherches et d’interventions au Québec. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.
2 Ministère de l’Éducation (1998). Une école d’avenir : La politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle. Québec : Gouvernement du Québec.
3 Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2014). Rapport d’évaluation. La politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle. Québec : Gouvernement du Québec.
4 Voir note 2, p. 32-33.
5 Potvin, M., Borri-Anadon, C., Larochelle-Audet, J., Armand, F. et al. (2015). Rapport sur la prise en compte de la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique dans les orientations et compétences professionnelles en formation à l’enseignement. Montréal : Observatoire sur la formation à la diversité et l’équité.
6 Voir note 2, p. 1.
7 Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (2017). Soutien au milieu scolaire 2017-2018. Intégration et réussite des élèves issus de l’immigration et éducation interculturelle. Québec : Gouvernement du Québec.
8 Voir note 5, p. 23-24.
9 Voir note 7, p. 13.
Lorsqu’il est question d’aborder des thèmes sensibles en classe, les enseignants doivent relever de nombreux défis. C’est dans cette optique que les auteures ont développé une démarche générale de discussion entre enseignants et élèves pouvant s’adapter à différents contextes, thèmes et niveaux scolaires.
Le défi de l’enseignement, ce que nous appelons « thèmes sensibles » dans les classes est abordé par plusieurs auteurs. Certains parlent de « questions socialement vives1 » et mettent l’accent sur le débat qu’évoquent ces thématiques dans la société, parmi les experts et dans la classe. L’éducation à l’environnement est souvent reconnue comme l’une d’elles. D’autres parlent plutôt des « controverses sociotechniques2 » qui, bien qu’elles puissent être controversées en classe, jouissent d’un consensus parmi les experts. Le faux débat autour des vaccins qui causeraient l’autisme serait l’exemple par excellence : résolu depuis longtemps pour les scientifiques, puisque cette thèse a été démontrée fausse, et même mensongère, et réfutée par la revue qui l’a publiée au départ, ce savoir est régulièrement contesté par le public. D’autres encore expliquent la sensibilité de certains thèmes par leur traitement de la vie « politique3 », dans le sens des manières de vivre ensemble en société (et non pas d’une politique partisane).
En parlant des « thèmes sensibles », nous voulons placer de l’avant les défis rencontrés par les enseignants en classe en dégageant quatre caractéristiques communes à tous ces thèmes :
C’est donc la complexité de ces thèmes qui devient un défi considérable, puisque leur traitement en classe nécessite une bonne maîtrise des connaissances à enseigner.
Ainsi, tous les thèmes peuvent devenir sensibles, selon le milieu scolaire dans lequel on œuvre : plus le milieu est pluriel, plus le niveau d’incertitude est élevé. Mais plus le milieu semble homogène, moins on est préparé à un éventuel débat.
Malgré ces nombreux défis, nous considérons que cet enseignement est d’une grande richesse. En engageant les élèves dans un apprentissage significatif pour eux, ce traitement des thèmes sensibles les amène à développer les compétences visées par les différents programmes et les motiver à approfondir leurs connaissances théoriques. Cet enseignement propose un environnement contrôlé et respectueux dans lequel les élèves sont accompagnés pour exprimer des points de vue élaborés et argumentés sur le thème étudié. C’est ainsi qu’ils expérimentent une nouvelle manière de s’engager dans un débat sur la place publique, différente de celle observée de plus en plus dans les médias sociaux.
C’est dans cette optique que nous avons élaboré le guide Aborder les sujets sensibles à l’école4, réclamé par une commission scolaire pour leur personnel dans le contexte post-attentat de Charlie Hebdo. Le guide propose une démarche générale qui peut s’adapter à différents contextes, thèmes et niveaux scolaires. Elle s’organise autour de quatre étapes :
1. La réflexion;
2. La préparation;
3. L’animation;
4. Le retour.
La première étape est en effet de décider d’aborder un thème sensible et de s’assurer que le contexte soit propice pour le faire. Il est légitime de se questionner sur le moment opportun, le contexte adapté ou le cours approprié pour le faire. Une fois qu’on a décidé d’aborder le thème sensible, se préparer en s’informant notamment sur les différents points de vue possibles ou explications acceptables, permettra de mieux gérer l’incertitude face aux réactions potentielles des élèves. L’animation devrait adopter des pratiques didactiques qui assureront un environnement respectueux et propice au dialogue et à l’apprentissage, mais on ne peut faire l’économie d’un moment de retour qui a comme objectif de rappeler les buts recherchés par cet enseignement. En effet, certains élèves risquent de retenir des éléments qui, pour l’enseignant, étaient secondaires ou même problématiques : un petit rappel à la fin assure qu’en partant de la classe, ils poursuivront la réflexion de manière constructive.
Le guide Comprendre pour mieux agir. La radicalisation menant à la violence chez les jeunes5 propose un autre exemple, plus spécifique, sur la manière d’aborder un thème sensible très particulier : la radicalisation. Destiné à l’ensemble du personnel scolaire, il poursuit deux objectifs : informer sur la radicalisation menant à la violence, en sensibilisant aux multiples aspects du phénomène et présenter des pistes d’action et des outils concrets pour prévenir la radicalisation violente.
Partant de l’idée qu’il n’existe pas une, mais des radicalisations, que ce soit d’extrême-droite, d’extrême-gauche, religieuses, nationalistes, le guide présente les facteurs de risque qui augmentent le risque de radicalisation violente et les facteurs de protection sur lesquels les acteurs scolaires peuvent miser. En effet, le rôle de l’école et du personnel scolaire dans la prévention de la radicalisation violente consiste à :
• Consolider les facteurs de protection (la capacité de s’ouvrir à la différence, la résilience, la compréhension solide de la/des religion[s], un réseau social stable…);
• Atténuer les facteurs de risque (la discrimination, l’intimidation, le sentiment de désaffiliation sociale et de non-reconnaissance, la marginalisation…);
• Mettre en œuvre des initiatives favorisant un climat scolaire positif.
Diverses pistes d’action sont proposées, par exemple : organiser des activités de sensibilisation interculturelle auprès des élèves; favoriser les initiatives qui reflètent et valorisent la diversité des héritages culturels des élèves; former les jeunes à l’analyse critique des médias, notamment des médias sociaux ou encore miser sur des initiatives permettant aux jeunes de développer un sentiment d’appartenance envers l’école et la société. Chacune des pistes d’action est accompagnée de différentes ressources pour soutenir leur mise en œuvre.
Le personnel scolaire peut évidemment adapter les démarches proposées dans ces guides à leurs contextes respectifs : la diversité ethnoculturelle du milieu, l’âge des élèves, la matière enseignée, etc. Leur objectif principal est de rendre ces thèmes légitimes et pertinents dans le cadre des apprentissages offerts par l’école.
Téléchargez notre trousse de discussion, Aborder les thèmes sensibles en classe : par où commencer? au www.edcan.ca/LaTrousse
Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019
Notes
1 Legardez, A., & Simonneaux, L. (2006). L’école à l’épreuve de l’actualité. Enseigner les questions vives. Issy-les -Moulineaux: esf éditeur.
2 Groleau, A., & Pouliot, C. (2015). Éducation aux sciences et relations de pouvoir dans les controverses sociotechniques. Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education, 15(2), 117-135. doi:10.1080/14926156.2014.999959
3 Hess, D. E., & Mcavoy, P. (2015). The Political Classroom. Evidence and Ethnics in Demoncratic Education. New York: Routledge.
4 Hirsch, S., Audet, G., & Turcotte, M. (2015). Aborder les sujets sensibles avec les élèves. Guide pédagogique. Montréal: Centre d’intervention pédagogique en contexte de diversité et la Commission scholaire Marguerite-Bourgeoys.
Nous péférons désormais parler des « thèmes sensibles ». http://www.ciped.ca/wp-content/uploads/2014/04/CSMB_-Guide_sujet-sensibles_final..pdf
5 Audet, G., Fleury, R. et Rousseau, C. (2018). Comprendre pour mieux agir : la radicalisation menant à la violence chez les jeunes. Guide à l’intention du personnel scolaire. SHERPA et Direction des services d’accueil et d’éducation interculturelle du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. https://bit.ly/33fCogJ
En se basant sur les recherches de plusieurs historiens qui s’intéressent aux communautés culturelles, les auteures souhaitent fournir aux enseignants des balises pédagogiques et des repères historiques. C’est dans cette perspective qu’elles proposent de nouveaux guides de soutien à l’enseignement des programmes d’Histoire et éducation à la citoyenneté et d’Éthique et culture religieuse.
Le programme de formation de l’école québécoise intègre une approche pluraliste à la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle (MEQ, 1998). Depuis son renouvellement en 2001, il accorde une place croissante à la diversité ethnique, culturelle et religieuse, tant dans les contenus à enseigner que dans l’approche à adopter pour les aborder en classe. Les programmes disciplinaires d’Histoire et éducation à la citoyenneté et d’Éthique et culture religieuse sont particulièrement concernés. On insiste entre autres sur la pluralité de la société québécoise, sur la contribution de ce pluralisme à sa richesse et sur les enjeux qu’elle soulève.
Cet enseignement représente un défi important pour le personnel enseignant. La prise en compte de la pluralité des expériences demande un effort particulièrement important de décentration afin d’accueillir des perspectives sur le passé qui diffèrent de celle de la culture dominante. Cette dernière est d’ailleurs encore au cœur des programmes d’histoire du Québec et du Canada du primaire et, encore plus, du secondaire. D’ailleurs, l’enseignement de l’histoire du Québec et du Canada est centré sur une trame narrative construite autour d’événements majeurs de l’histoire politique. Ainsi, les groupes minoritaires ayant moins accès aux leviers d’action politique sont ainsi quasi absents des prescriptions officielles1. Les enseignants qui souhaitent aborder ces trajectoires sont donc dépourvus de matériel.
En Éthique et culture religieuse, le défi est d’une autre nature. Le programme se construit autour d’une reconnaissance de la pluralité de la société québécoise et propose de partir de l’environnement des élèves pour en parler. Or, tous les milieux scolaires ne représentent pas la même diversité. De plus, parler de diversité mène parfois à dresser des traits généraux qui peuvent tomber dans les pièges du folklorisme, de l’essentialisme et de l’exotisme. Par exemple en parlant des Juifs de Montréal, on a tendance à parler plutôt des Hassidim, ces communautés très visibles parce qu’elles vivent en plein centre-ville et se démarquent par leur habillement. Pourtant, celles-ci sont très minoritaires parmi les Juifs du Québec. De la même manière, on a tendance à penser aux femmes voilées lorsqu’on parle de l’islam, mais elles seraient, elles aussi, minoritaires parmi les femmes musulmanes au Québec.
En nous basant sur les recherches de plusieurs historiens qui s’intéressent aux communautés culturelles du Québec – sur les Juifs (Anctil, Ringuette, Robinson, etc.), les Noirs (Bessière, Gay, Williams, Winks, etc.), les divers groupes anglophones (Grace, Little, Rudin, etc.), pour ne nommer que ceux-là – nous proposons d’enseigner l’histoire du Québec en se penchant différemment sur les enjeux contemporains de la société québécoise et en prenant le point de vue de ceux qui jusqu’à maintenant ont été relégués au second plan. Ces Québécois juifs, noirs, chinois, grecs, irlandais ont vécu le passé collectif d’une manière particulière, parfois simplement en raison de leur différence culturelle.
Les guides de soutien à l’enseignement de l’histoire des Noirs2, de la communauté juive3 et des communautés arabes et musulmanes du Québec4 visent tous à fournir aux enseignants des balises pédagogiques et des repères historiques, afin de faciliter l’intégration de ces contenus. Ils peuvent être utilisés tant pour l’enseignement au primaire qu’au secondaire et au collégial par des enseignants qui ont à aborder des questions entourant la présence de minorités ethniques, culturelles et religieuses au Québec. Ils leur fournissent des outils et des références qui les aideront à traiter de ces « histoires » du Québec dans leurs cours et à emprunter une démarche délibérative avec leurs élèves. Ils proposent en même temps aux élèves de découvrir la pluralité des points de vue, des mémoires et des expériences de l’ensemble des groupes sociaux ayant contribué à bâtir la société québécoise. Ils pourront ainsi discuter de diverses interprétations possibles des événements historiques composant le passé québécois et de mieux comprendre le pluralisme au sein de cette société. Cet enseignement propose ainsi de faire place à la diversité au sein de la société québécoise et de rendre visible la diversité qui existe au sein même de ces communautés minoritaires, trop souvent considérées comme uniques et unifiées, occultant ainsi leur richesse interne.
Les guides donnent aussi une voix à ces communautés et aux acteurs qui racontent leur expérience au sein de celles-ci. En effet, comme les élèves dans différents milieux scolaires n’ont souvent que très peu de contacts directs avec certaines communautés minoritaires qui sont encore concentrées dans la métropole et les autres centres urbains, ils connaissent peu de modèles issus de ces communautés. Ces guides tentent ainsi de dépasser le défi important de l’enseignement interculturel et inclusif qui, trop souvent, se limite à un enseignement sur la diversité5.
Faire place aux expériences des minorités dans l’enseignement permet de développer des compétences visées par les programmes scolaires. Cet enseignement est l’occasion parfaite pour comparer l’histoire du Québec et du Canada et l’histoire mondiale, de voir les liens qui unissent le Québec, le Canada et l’histoire d’autres pays, en faisant l’histoire de ces pays d’où sont venus ces femmes et ces hommes en quête d’une vie meilleure. Il est aussi l’occasion de discuter de questions difficiles liées au racisme et à la discrimination dont a fait preuve la société québécoise, mais aussi de donner la chance aux élèves de s’outiller pour réfléchir à ces questions difficiles.
Enfin, prendre en compte les expériences et les perspectives historiques des minorités permet de faire exister ces communautés dans l’imaginaire collectif en montrant les points de contact, les rapports de pouvoirs en jeu, les débats et les luttes qu’ont eu à mener ces différents acteurs pour améliorer leurs conditions de vie. Cette prise de conscience, en plus d’encourager l’empathie entre les citoyens, contribue à élargir le spectre des idées et des solutions à l’égard d’enjeux du présent et de l’avenir. C’est une contribution à la consolidation du vivre-ensemble dans une société pluraliste.
Illustration : Guides conçus et rédigés par Sabrina Moisan (Université de Sherbrooke) en collaboration avec Silvane Hirsch (UQTR), avec le soutien de la Direction des services d’accueil et d’éducation interculturelle, ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019
Notes
1 Éthier, M.-A., & Lefrançois, D. (2017). Quel sens de l’histoire ? Analyse critique du nouveau programme d’Histoire du Québec et du Canada. Montréal: Éditions M.
Moisan, S., & Hirsch, S. (2016). Enseigner l’histoire des Noirs au Québec. Montréal: Direction des services d’accueil et d’éducation interculturelle. Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
2 Tous les guides peuvent être consultés et téléchargés gratuitement ici : https://bit.ly/2YKKoCT
3 Hirsch, S., & Moisan, S. (2018). Enseigner l’histoire de la communauté juive du Québec. Guide de soutien pédagogique. Montréal: Direction des services d’accueil et d’éducation interculturelle. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
4 Moisan, S., & Hirsch, S. (à paraitre). Histoire des communautés arabes et musulmanes au Québec. Guide de soutien pédagogique. Montréal: Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
5 Borri-Anadon, C., Boisvert, M., & Gonçalves, G. (2018). Conclusion. In C. Borri-Anadon, G. Gonçalves, S. Hirsch, & J. d. P. Queiroz (Eds.), La formation des éducateurs en contexte de diversité : une perspective comparative Québec-Brésil (pp. 244-250). Blue Mounds, Wisconsin: Deep University press.
En référence à l’article Aborder les thèmes sensibles en classe : enrichissement pour l’enseignant et pour les élèves
Par Sivane Hirsch, Ph. D., et Geneviève Audet, Ph. D.
Est-ce que votre groupe a une question ou des commentaires? Contactez Sivane Hirsch, Ph. D., et Geneviève Audet, Ph. D., auteurs de l’article ayant inspiré cette activité.
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La diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique en éducation : théorie et pratique est un ouvrage novateur portant sur la diversité spécifique au contexte éducatif québécois. Il a été réalisé sous la direction de Maryse Potvin, Marie-Odile Magnan et Julie Larochelle-Audet, professeures et sociologues en éducation, et il rassemble une trentaine de collaborateurs (professeurs, universitaires et leaders sociaux) issus de domaines variés tels que la sociologie, le droit, la didactique, la psychopédagogie et la politique.
On y retrouve 23 articles autour de six grandes parties thématiques : le visage de la diversité dans le contexte québécois, les concepts et fondements (par exemple, en ce qui a trait aux processus migratoires, aux rapports ethniques et aux accommodements raisonnables) servant à définir et éclairer toute question ou notion relative à la diversité, le développement des compétences du personnel en matière de diversité, la prise en compte des réalités et des besoins des élèves issus des minorités dans les pratiques scolaires, ainsi que les interactions scolaires et les relations école-famille-communauté.
Il est principalement destiné aux enseignants ainsi qu’aux futurs enseignants intéressés par les enjeux relatifs à l’équité et à la diversité en milieu scolaire. Il se veut avant tout un ouvrage de référence; son but premier n’est pas de défendre des arguments scientifiques. Il s’agit d’un outil didactique qui permet d’explorer et expliciter les notions essentielles à une compréhension approfondie des enjeux relatifs à la diversité. Il propose des pistes d’intervention et de réflexion pertinentes sur une variété de sujets, notamment par la présence d’activités et de questions d’approfondissement en fin de chapitre.
Cet ouvrage amène le lecteur à approfondir ses connaissances et ses réflexions personnelles par rapport aux enjeux soulevés par la diversité grandissante en milieu scolaire au Québec. Il représente un outil riche et efficace pour le développement de pratiques pédagogiques inclusives et équitables en milieu scolaire.
Sous la direction de Maryse Potvin, Marie-Odile Magnan et Julie Larochelle-Audet
ISBN : 9782923989693
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019