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Diversité, Équité, Inclusion scolaire

Repenser le système éducatif pour plus d’équité, de diversité et d’inclusion : un pari possible?

Le dévoilement des inégalités vécues par les élèves marginalisés durant la pandémie de coronavirus peut-il servir de pierre angulaire pour repenser notre système éducatif?

Selon Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, les perturbations provoquées par la crise sanitaire dans le monde de l’éducation seraient d’une ampleur jamais vue. D’une part, les adaptations apportées aux établissements d’enseignement ont secoué les principes d’égalité des chances en mettant au jour les privilèges de certains élèves et la défavorisation d’autres. Les personnes socioéconomiquement désavantagées, les personnes racisées, allophones, autochtones ou membres des communautés LGBTQ2+ ont été proportionnellement plus touchées par les effets du
confinement et de 
l’enseignement à distance. D’autre part, une prise de conscience grandissante à propos de la responsabilité individuelle et institutionnelle de garantir un plein accès à l’enseignement pour tous semble gagner du terrain chez les personnes enseignantes et les directions d’établissement. Devant ces constats, il importe de se demander : que peut-il être fait, dans les établissements d’enseignement, que ce soit d’un point de vue individuel ou institutionnel, pour faciliter l’accès et le parcours des élèves s’identifiant à la diversité? Est-ce que les expériences vécues durant la pandémie pourraient devenir le moteur de changements institutionnels durables en matière d’équité, de diversité et d’inclusion?

Avant d’explorer les pistes d’actions individuelles et collectives permettant de mettre de l’avant la mission d’égalisation des chances dans les établissements d’enseignement, revenons sur les principes qui la guident : l’équité, la diversité et l’inclusion.

Équité, diversité et inclusion (EDI) : définitions

L’équité, dans sa recherche de justice, vise à pallier les inégalités et la discrimination. Elle implique un traitement différencié qui tient compte des particularités de chacun, donc qui ne s’applique pas de la même façon pour tous. Ce traitement différencié doit avantager les plus vulnérables sans pour autant accentuer l’écart entre les plus faibles et les plus forts (Rawls, 1987). En éducation et formation, l’équité est la résultante de pratiques pédagogiques et structurelles qui tiennent compte des différentes caractéristiques des groupes sociaux dans la perspective d’offrir des chances équivalentes aux membres de chacun de ces groupes (Solar, 2007).

Figure 1. Image illustrant la distinction entre égalité et équité (Cégep de l’Outaouais, 2020)

La diversité, quant à elle, consiste en l’éventail des conditions de vie, de modes d’expressions et de vécus de différentes populations en fonction de facteurs tels que l’âge, la culture, la race, la scolarité, le genre, le handicap, l’orientation sexuelle, le statut d’immigration, le lieu de résidence, la langue et la religion, etc. (Condition féminine Canada, 2020). En éducation et formation, il est souhaité que la diversité soit reconnue au sein des établissements. Pour réfléchir à la diversité, il importe de cerner les différences entre les individus. La tendance des dernières années dans les établissements d’enseignement était plutôt d’essayer d’invisibiliser les différences, sans doute dans un souci d’égalité, ou encore par respect pour les élèves. Ce faisant, les inégalités prenaient encore plus d’ampleur. On sait maintenant que les différences bien inventoriées nous informent des inégalités de privilèges entre les groupes. Il serait futile de parler de diversité sans parler d’injustice. Reconnaitre la diversité permet donc d’appliquer les principes d’équité pour permettre aux populations désavantagées au plan des privilèges de vivre une expérience similaire à celles de leurs confrères et consœurs.

Finalement, le nouvel acronyme EDI ajoute à son arc la dimension de l’inclusion. Elle implique la valorisation des forces uniques des personnes et des groupes. Lorsqu’elle se sent incluse, une personne se sent à l’aise d’exprimer son être authentique (idées, perceptions, antécédents, etc.). Elle se sent accueillie, respectée, valorisée, interreliée, épanouie et en sécurité.

Bien que plusieurs instances aient mis à jour leurs politiques en lien avec l’inclusion, il demeure pertinent de rappeler les éléments clés qui distinguent les établissements scolaires inclusifs. Ces derniers :

  • offrent un accès à l’éducation équitable pour toutes et tous en insufflant souplesse et créativité dans les parcours scolaires et dans l’accompagnement des élèves dans différentes voies de réussite;
  • s’adaptent à l’ensemble des besoins des élèves en ajustant et en adaptant les encadrements, les politiques d’accueil et les pratiques pédagogiques;
  • privilégient la recherche de solutions collectives pour répondre aux besoins individuels;
  • tirent profit de la diversité culturelle et sociale au sein de toute la communauté et la conçoivent comme une richesse ;
  • s’intéressent au développement d’une société plus juste (CSE, 2010; 2017).

En éducation, le trio équité, diversité et inclusion vise fondamentalement à cerner, puis à corriger des situations injustes afin de permettre une plus grande égalité des chances, pour les élèves tout comme pour les membres du personnel.

L’EDI : une responsabilité individuelle

Plusieurs auteurs affirment que l’implantation des principes d’EDI doit être amorcée par des directives institutionnelles (nous y reviendrons). Malgré cela, nous croyons que le geste individuel des pédagogues demeure essentiel.

Pour mettre en place les principes d’équité, de diversité et d’inclusion en salle de classe, nous suggérons l’emploi de la pédagogie de l’équité (Solar, 2007). Les racines féministes de cette pédagogie invitent à donner aux femmes une meilleure représentativité dans la pensée éducative. Ses origines antiracistes rappellent de considérer la problématique de la race dans les interventions ; tandis que ses fondements de libération préconisent une analyse critique du rôle de l’éducation afin de permettre l’émancipation sociale des classes dominées. La pédagogie de l’équité souhaite valider les différences et contester les a priori des normes établies par la société, permettant alors à tout un chacun de se sentir valorisé dans sa diversité et son potentiel. En outre, les personnes enseignantes qui espèrent améliorer l’expérience éducative de leurs élèves en mettant l’accent sur la division sociale des ressources, du pouvoir et du savoir sont invitées à positionner leur pratique sur quatre axes : parole/silence, omission/reconnaissance, passivité/participation active et impuissance/partage du pouvoir. Voici comment cela peut se concrétiser :

Parole/silence :

Donner la parole aux groupes marginalisés, souvent murés dans leur silence, les aide à sortir de l’invisibilité et à se sentir considérés. Pour favoriser la parole, il importe d’inclure des stratégies misant sur la prise de parole, tant orale qu’écrite, dans le but d’encourager les échanges en petits groupes et de stimuler le partage d’expériences.

Omission /Reconnaissance :

Cet axe concerne l’omission de certains groupes dominés ou marginalisés dans les discours et dans le matériel pédagogique, en visant une reconnaissance de leur apport, de leurs savoirs, de leurs expériences. Pour favoriser la reconnaissance, la personne enseignante offre un espace pédagogique pour légitimer le vécu et pour critiquer les savoirs non inclusifs ou non représentatifs de la diversité.

Passivité/Participation active :

La participation active mise sur l’établissement d’un climat propice à l’apprentissage dans lequel chaque membre du groupe se sent respecté. Cela suppose d’abord de porter une attention particulière à la relation pédagogique et aux interactions entre les élèves. L’instauration de structures coopératives permet aux élèves issus de groupes dominés d’occuper des rôles différents de ceux dans lesquels ils sont habituellement confinés.

Impuissance/Partage du pouvoir :

Finalement, le partage du pouvoir met l’accent sur le changement social. Par conséquent, en plus de donner une plus grande place aux apprenants en salle de classe, la personne enseignante tente de démystifier les savoirs enseignés en expliquant leurs construits, leurs forces et limites et, par le fait même, favorise le développement d’une pensée critique.

Repenser le système éducatif : une responsabilité institutionnelle

Appliquer les principes d’égalité des chances et d’EDI demeure cependant surtout la responsabilité des établissements d’enseignement. L’UNESCO (1998) est claire à ce sujet. Elle rend explicite, à l’intérieur de sa Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le xxie siècle, la responsabilité des établissements scolaires dans la mise en œuvre de la mission et de la fonction de l’enseignement supérieur en matière d’accès à l’équité :

L’accès à l’enseignement supérieur de membres de certains groupes cibles spéciaux, comme les populations autochtones, les minorités culturelles et linguistiques, les groupes défavorisés, les peuples subissant une occupation et les personnes souffrant de handicaps, doit être activement facilité (…). Une aide matérielle spéciale et des solutions éducatives peuvent contribuer à surmonter les obstacles auxquels se heurtent ces groupes pour accéder à l’enseignement supérieur et poursuivre leurs études. (UNESCO, 1998, p. 5 et 6)

Dans la même veine, le ministère de l’Éducation du Québec (1998), dans sa Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle, souligne à son tour la responsabilité des institutions au regard de l’égalité des chances et ajoute qu’il devrait s’agir d’un objectif fondamental pour le milieu de l’éducation.

Pour assumer cette responsabilité institutionnelle eut égard à l’égalité des chances, Riehl (2000) affirme que les chefs d’établissement doivent utiliser leur leadership afin de mobiliser la communauté autour d’enjeux liés à la mise en place de pratiques d’EDI en milieu scolaire. Le leadership de type transformatif convient particulièrement à la situation qui nous intéresse puisqu’il dépasse la portée de l’organisation et propose des changements sociaux. Ce type de leadership remet carrément en question les façons d’utiliser le pouvoir et les privilèges créant ou perpétuant l’iniquité et l’injustice : il souhaite déconstruire la reproduction des inégalités par la transformation de la structure scolaire et sociale. Les leaders de type transformatifs proposent des changements favorisant l’équité. À titre d’exemple, ces changements pourraient amener l’institution à prendre conscience du pouvoir et des privilèges détenus par certains membres du personnel (par exemple, des cadres vis-à-vis des employés de soutien, des hommes par rapport aux femmes, des personnes s’identifiant à la majorité par rapport à celles racisées, etc. (Magnan et coll. 2018).

Concrètement, c’est le rôle de l’organisation de mettre en place un plan d’action en matière d’EDI, soit une ligne directrice institutionnelle en matière d’EDI sur laquelle s’appuieraient des actions concrètes pour provoquer des changements plus profonds et durables. Mais si un établissement souhaite mettre sur pied un tel plan, par où doit-il commencer ?

Mettre en place un plan en matière d’EDI : par où commencer?

La création d’un plan d’EDI a habituellement pour étape préalable la formation d’un comité institutionnel qui se penchera sur les questions d’équité, de diversité et d’inclusion. Ce comité, en plus de compter des apprenants et apprenantes et des membres de tous les corps d’emploi, doit impérativement être formé de personnes issues d’un ou de plusieurs groupes marginalisés. « Devant un problème à résoudre, les groupes diversifiés arrivent souvent à de meilleures solutions que les groupes peu diversifiés, puisqu’ils risquent moins d’adopter un parti pris et qu’ils abordent souvent un plus grand éventail de possibilités. » (Fines-Neushield, 2020).

Une fois ce comité formé, une première mission sera de recenser les différentes enquêtes sur l’état de la situation au sein de l’établissement pour dresser un portrait clair des obstacles à l’EDI. Tel que proposé dans l’énoncé de vision en matière d’EDI de l’Université de Montréal (2020), un plan en matière d’EDI devrait contenir minimalement :

  1. les engagements de l’établissement envers les personnes d’un ou de plusieurs groupes désavantagés ;
  2. les principes guidant les actions de l’établissement pour respecter ses engagements ;
  3. des objectifs stratégiques ainsi que des pistes d’actions concrètes à mettre en place pour les atteindre.

Des axes d’interventions ou des secteurs d’activités pourraient également être définis afin d’appliquer les principes de l’EDI. En voici quelques-uns :

  • L’environnement physique : est-ce que toutes les installations sont accessibles pour toutes et tous (suivant les principes de l’accessibilité universelle)? Est-ce que la signalisation est multilingue ?
  • Les services et activités aux élèves : les services offerts sont-ils adaptés à tous les élèves? Les activités proposées sont-elles variées? Sont-elles accueillantes pour tous les élèves?
  • La gouvernance : la diversité est-elle représentée parmi le groupe de personnes occupant des postes de gestionnaire et de direction, par exemple? Les politiques en place sont-elles inclusives?
  • Les communications : l’affichage au sein de l’établissement est-il inclusif? Les personnes issues de la diversité peuvent-elles s’y reconnaître? L’écriture utilisée est-elle inclusive?
  • La pédagogie (planification, enseignement/apprentissage, évaluation, relation pédagogique, gestion de classe, réussite) : les contextes et modalités d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation tiennent-ils compte de la diversité des profils et de la variété des besoins? Les modes d’évaluations sont-ils équitables?
  • La dotation et la gestion des ressources humaines : Le processus d’embauche (p. ex., le tri des cv, les grilles d’évaluation et les tests d’aptitudes) est-il exempt de biais et adapté à tous et toutes? L’affichage des postes représente-t-il les personnes issues de la diversité et permet-il de les rejoindre? Les conditions d’embauche excluent-elles d’emblée certaines personnes?
  • L’admission et le recrutement : Est-il possible de s’inscrire sans se déplacer? Un accompagnement est-il prévu tout au long du processus d’admission? Au préscolaire, au primaire et au secondaire, s’assure-t-on de ne pas exiger des élèves des preuve de citoyenneté (conformément à la Loi canadienne sur l’immigration et la protection des réfugiés) ? Au niveau des études supérieures, les tests de classement (p. ex., en langue) discriminent-ils une frange de la population estudiantine?

Outre ces différents axes d’intervention, un leadership fort, la collaboration entre les différentes instances de l’institution ainsi que la transparence sont essentielles à la mise en place et à la réussite d’un tel plan (Gouvernement du Canada, 2019).

À l’heure actuelle, s’intéresser aux questions d’EDI n’est plus un choix, il s’agit d’une nécessité, d’une obligation morale. Les expériences et constats réalisés durant la pandémie de coronavirus donnent un second souffle à l’instauration de l’égalité des chances par les principes d’EDI. Pour le bien commun, la majorité dominante doit impérativement réaliser qu’elle détient des privilèges qui s’inscrivent dans des mécanismes de discrimination systémique historique. Changer nos méthodes pédagogiques est un premier pas dans cette direction, mais mobiliser l’institution dans un processus de révision de ses politiques, procédures et pratiques, en collaboration avec les personnes concernées, représente une fin en soi. En faisant une rétrospective de l’année 2020 d’un point de vue social, force est de constater que nous sommes à une époque où des changements profonds et durables peuvent et doivent être instaurés.

Photo : Adobe Stock

Première publication dans Éducation Canada, juin 2021

Références

Conseil supérieur de l’éducation. (2010). Conjuguer équité et performance en éducation, un défi de société 2008-2010. Québec, Canada : Conseil supérieur de l’éducation.

Conseil supérieur de l’éducation. (2017). Pour une école riche de tous ses élèves : S’adapter à la diversité des élèves, de la maternelle à la 5e année du secondaire. Québec, Canada : Conseil supérieur de l’éducation.

Fines-Neushild, Mirjam. (2020). L’ABC de l’EDI dans les universités. https://acfas.ca/publications/magazine/2020/10/abc-edi-universites

Gouvernement du Canada. (2020). Qu’est- ce que L’ACS+? Ottawa, Canada : Condition féminine Canada. https://cfc-swc.gc.ca/gba-acs/index-fr.html

Gouvernement du Québec. (1998). Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle. Québec, Canada : Ministère de l’Éducation.

Magnan, M.-O., Gosselin-Gagné, J., Pereira Braga, L. et Armand, F. (2018). Le leadership « inclusif » en contexte pluriethnique montréalais. Dans F. Kanouté et J. Charette (dir.), La diversité ethnoculturelle dans le contexte scolaire québécois : pratiquer le vivre-ensemble (p. 91-111). Montréal, Canada : Les Presses de l’Université de Montréal.

Organisation des Nations Unies. (1998). Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le XXIe siècle : Vision et actions. Paris, France : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture.

Rawls, J. (1987). Théorie de la Justice. Paris : Seuil.

Riehl, C. T. (2000). The Principal’s Role in Creating Inclusive Schools for Diverse Students: A Review of Normative, Empirical, and Critical Litterature on the Practice of Educational Administration. Review of Educational Reserche70(1), 55-81.

Solar, C. (2007). Les quatre clés de l’équité. Dans C. Solar et F. Kanouté (dir.), Question d’équité en éducation et formation (p. 13-22). Montréal, Canada : Éditions Nouvelles.

Université de Montréal. (2020). Énoncé de vision. https://umontreal.ca/diversite

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Emilie Doutreloux

Emilie Doutreloux

Conseillère pédagogique et chercheure, Cégep de l’Outaouais.

Emilie Doutreloux, D. Éd., est conseillère pédagogique et chercheure au Cégep de l’Outaouais. Elle s’intéresse aux questions de justice scolaire, d’accessibilité et d’équité en enseignement supérieur.

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Alexandra Auclair

Conseillère pédagogique, Cégep de l’Outaouais

Alexandra Auclair est candidate au doctorat en éducation à l’UQAM et conseillère pédagogique au Service de recherche et de développement pédagogique du Cégep de l’Outaouais.

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