Aborder les thèmes sensibles en classe
Enrichissement pour l’enseignant et pour les élèves
Lorsqu’il est question d’aborder des thèmes sensibles en classe, les enseignants doivent relever de nombreux défis. C’est dans cette optique que les auteures ont développé une démarche générale de discussion entre enseignants et élèves pouvant s’adapter à différents contextes, thèmes et niveaux scolaires.
Le défi de l’enseignement, ce que nous appelons « thèmes sensibles » dans les classes est abordé par plusieurs auteurs. Certains parlent de « questions socialement vives1 » et mettent l’accent sur le débat qu’évoquent ces thématiques dans la société, parmi les experts et dans la classe. L’éducation à l’environnement est souvent reconnue comme l’une d’elles. D’autres parlent plutôt des « controverses sociotechniques2 » qui, bien qu’elles puissent être controversées en classe, jouissent d’un consensus parmi les experts. Le faux débat autour des vaccins qui causeraient l’autisme serait l’exemple par excellence : résolu depuis longtemps pour les scientifiques, puisque cette thèse a été démontrée fausse, et même mensongère, et réfutée par la revue qui l’a publiée au départ, ce savoir est régulièrement contesté par le public. D’autres encore expliquent la sensibilité de certains thèmes par leur traitement de la vie « politique3 », dans le sens des manières de vivre ensemble en société (et non pas d’une politique partisane).
En parlant des « thèmes sensibles », nous voulons placer de l’avant les défis rencontrés par les enseignants en classe en dégageant quatre caractéristiques communes à tous ces thèmes :
- D’abord, ils touchent d’une manière ou d’une autre l’actualité;
- Ils concernent aussi les valeurs et les représentations sociales des enseignants, de leurs élèves et leurs familles; ils provoquent par conséquent des débats en société, entre experts ou en classe;
- En effet, certains thèmes sont sensibles pour les élèves, mais pas pour les scientifiques (comme les vaccins), alors que d’autres thèmes font au contraire l’objet de débats entre des experts, même si les élèves, eux, ne se sentent aucunement interpellés (comme les débats entourant la meilleure manière d’enseigner les génocides).
C’est donc la complexité de ces thèmes qui devient un défi considérable, puisque leur traitement en classe nécessite une bonne maîtrise des connaissances à enseigner.
Ainsi, tous les thèmes peuvent devenir sensibles, selon le milieu scolaire dans lequel on œuvre : plus le milieu est pluriel, plus le niveau d’incertitude est élevé. Mais plus le milieu semble homogène, moins on est préparé à un éventuel débat.
Malgré ces nombreux défis, nous considérons que cet enseignement est d’une grande richesse. En engageant les élèves dans un apprentissage significatif pour eux, ce traitement des thèmes sensibles les amène à développer les compétences visées par les différents programmes et les motiver à approfondir leurs connaissances théoriques. Cet enseignement propose un environnement contrôlé et respectueux dans lequel les élèves sont accompagnés pour exprimer des points de vue élaborés et argumentés sur le thème étudié. C’est ainsi qu’ils expérimentent une nouvelle manière de s’engager dans un débat sur la place publique, différente de celle observée de plus en plus dans les médias sociaux.
C’est dans cette optique que nous avons élaboré le guide Aborder les sujets sensibles à l’école4, réclamé par une commission scolaire pour leur personnel dans le contexte post-attentat de Charlie Hebdo. Le guide propose une démarche générale qui peut s’adapter à différents contextes, thèmes et niveaux scolaires. Elle s’organise autour de quatre étapes :
1. La réflexion;
2. La préparation;
3. L’animation;
4. Le retour.
La première étape est en effet de décider d’aborder un thème sensible et de s’assurer que le contexte soit propice pour le faire. Il est légitime de se questionner sur le moment opportun, le contexte adapté ou le cours approprié pour le faire. Une fois qu’on a décidé d’aborder le thème sensible, se préparer en s’informant notamment sur les différents points de vue possibles ou explications acceptables, permettra de mieux gérer l’incertitude face aux réactions potentielles des élèves. L’animation devrait adopter des pratiques didactiques qui assureront un environnement respectueux et propice au dialogue et à l’apprentissage, mais on ne peut faire l’économie d’un moment de retour qui a comme objectif de rappeler les buts recherchés par cet enseignement. En effet, certains élèves risquent de retenir des éléments qui, pour l’enseignant, étaient secondaires ou même problématiques : un petit rappel à la fin assure qu’en partant de la classe, ils poursuivront la réflexion de manière constructive.
5 propose un autre exemple, plus spécifique, sur la manière d’aborder un thème sensible très particulier : la radicalisation. Destiné à l’ensemble du personnel scolaire, il poursuit deux objectifs : informer sur la radicalisation menant à la violence, en sensibilisant aux multiples aspects du phénomène et présenter des pistes d’action et des outils concrets pour prévenir la radicalisation violente.
Partant de l’idée qu’il n’existe pas une, mais des radicalisations, que ce soit d’extrême-droite, d’extrême-gauche, religieuses, nationalistes, le guide présente les facteurs de risque qui augmentent le risque de radicalisation violente et les facteurs de protection sur lesquels les acteurs scolaires peuvent miser. En effet, le rôle de l’école et du personnel scolaire dans la prévention de la radicalisation violente consiste à :
• Consolider les facteurs de protection (la capacité de s’ouvrir à la différence, la résilience, la compréhension solide de la/des religion[s], un réseau social stable…);
• Atténuer les facteurs de risque (la discrimination, l’intimidation, le sentiment de désaffiliation sociale et de non-reconnaissance, la marginalisation…);
• Mettre en œuvre des initiatives favorisant un climat scolaire positif.
Diverses pistes d’action sont proposées, par exemple : organiser des activités de sensibilisation interculturelle auprès des élèves; favoriser les initiatives qui reflètent et valorisent la diversité des héritages culturels des élèves; former les jeunes à l’analyse critique des médias, notamment des médias sociaux ou encore miser sur des initiatives permettant aux jeunes de développer un sentiment d’appartenance envers l’école et la société. Chacune des pistes d’action est accompagnée de différentes ressources pour soutenir leur mise en œuvre.
Le personnel scolaire peut évidemment adapter les démarches proposées dans ces guides à leurs contextes respectifs : la diversité ethnoculturelle du milieu, l’âge des élèves, la matière enseignée, etc. Leur objectif principal est de rendre ces thèmes légitimes et pertinents dans le cadre des apprentissages offerts par l’école.
Trousse de discussion
Téléchargez notre trousse de discussion, Aborder les thèmes sensibles en classe : par où commencer? au www.edcan.ca/LaTrousse
Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019
Notes
1 Legardez, A., & Simonneaux, L. (2006). L’école à l’épreuve de l’actualité. Enseigner les questions vives. Issy-les -Moulineaux: esf éditeur.
2 Groleau, A., & Pouliot, C. (2015). Éducation aux sciences et relations de pouvoir dans les controverses sociotechniques. Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education, 15(2), 117-135. doi:10.1080/14926156.2014.999959
3 Hess, D. E., & Mcavoy, P. (2015). The Political Classroom. Evidence and Ethnics in Demoncratic Education. New York: Routledge.
4 Hirsch, S., Audet, G., & Turcotte, M. (2015). Aborder les sujets sensibles avec les élèves. Guide pédagogique. Montréal: Centre d’intervention pédagogique en contexte de diversité et la Commission scholaire Marguerite-Bourgeoys.
Nous péférons désormais parler des « thèmes sensibles ». http://www.ciped.ca/wp-content/uploads/2014/04/CSMB_-Guide_sujet-sensibles_final..pdf
5 Audet, G., Fleury, R. et Rousseau, C. (2018). Comprendre pour mieux agir : la radicalisation menant à la violence chez les jeunes. Guide à l’intention du personnel scolaire. SHERPA et Direction des services d’accueil et d’éducation interculturelle du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. https://bit.ly/33fCogJ