Un groupe d’enfants portant des maques écrivent dans leurs cahiers.

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Bienêtre, Diversité, Inclusion scolaire

Chaque chose en son temps…

La COVID-19 exige le changement

Depuis plusieurs années, les écoles canadiennes se sont dotées de politiques inclusives pour accueillir la diversité de leurs élèves; elles guident le personnel enseignant vers des pratiques respectueuses de l’Autre ou de l’élève qui diffère de la norme. En principe, l’école est passé d’une culture d’intégration scolaire où l’élève marginalisé est soumis aux mêmes normes que les autres à une culture inclusive dont les pratiques sont respectueuses de l’Autre.

Malgré de nouvelles politiques inclusives, les recherches démontrent que pour plusieurs, l’inclusion scolaire demeure un processus difficile à mettre en pratique. Trop d’élèves se trouvent encore exclus ou marginalisés en raison de leurs différences, entre autres, les élèves ayant une déficience intellectuelle ou une incapacité physique, les nouveaux arrivants qui ne parlent pas la langue d’accueil ainsi que les élèves issus de familles dysfonctionnelles. Si ces iniquités existaient avant la Covid-19, la pandémie risque non seulement de renforcer ces inégalités, mais aussi d’en créer de nouvelles. Pour faire de cette période d’instabilité une occasion de passer des principes inclusifs aux pratiques inclusives, nous proposons dans cet article que le changement doit commencer par notre regard sur la diversité qui est appelé à changer pour devenir plus « dénormalisant », c’est-à-dire, moins fondé sur la norme.

Un brin d’histoire

Revenons à la fin des années soixante. Le climat social qui règne à cette époque est à l’origine d’actions collectives et d’engagements politiques qui procurent une lueur d’espoir à ceux et celles qui se trouvent marginalisés par leurs différences. À l’école, les changements sont significatifs. Le mouvement américain des droits civiques devient un fondement important pour l’émancipation des personnes ayant un handicap intellectuel et, par ricochet, pour l’inclusion scolaire. Au fil des ans, on met en œuvre des politiques scolaires qui permettent aux élèves ayant un handicap ou étant en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation de fréquenter la salle de classe pour y recevoir une éducation jugée juste et égale à celles des élèves que l’on perçoit comme faisant partie de la norme.

Plus de cinquante ans plus tard, nous nous retrouvons dans un contexte semblable à celui des années soixante. Le mouvement américain Black Lives Matter et les rassemblements contre la discrimination systémique faite envers les peuples autochtones du Canada nous obligent à franchir une étape de plus vers l’égalité et la démocratisation du peuple nord-américain. Encore une fois, notre vision de la société est appelée à changer et l’école n’y fait pas exception. Mais cette fois-ci, le mécontentement politique et social se déroule au beau milieu d’une pandémie mondiale.

En mars 2020, l’éclosion de la COVID-19 ébranle le monde entier. Au sein des écoles, c’est la consternation. Au mois de septembre, pour respecter les mesures de distanciation physique et le fait que certains élèves travaillent à domicile, le personnel enseignant doit rapidement repenser sa préparation et la livraison des cours. Les questions sont multiples, certaines au sujet de la vulnérabilité des élèves reliée à la COVID-19 méritent une réflexion approfondie. Par exemple :

  • Quels est le danger que les gains réalisés en inclusion scolaire depuis les cinquante dernières années soient perdus?
  • Sommes-nous à risque de perdre le nouvel élan d’énergie qui semble insuffler un brin d’espoir pour les communautés noires et autochtones?
  • Est-ce que cette période d’instabilité évoquera une source d’inspiration nécessaire pour nous permettre de respecter, voire de renforcer notre engagement envers l’élève qui, par sa différence, est encore trop souvent considéré comme étant hors-norme?

En espérant contribuer quelques éléments de réponses à ces questions, nous entamons notre réflexion avec ces paroles du Président John F. Kennedy, prononcées en 1957 : « Dans la langue chinoise, le mot “crise” est composé de deux caractères – le premier représente danger, le second, occasion ». Dans cet esprit, en raison de la pandémie, est-il logique de dire qu’il existe un « danger » pour l’inclusion scolaire et que ce danger offrirait des occasions de grandir ?

Les risques de perdre les acquis dans le domaine

Inspirées du mouvement des droits civiques aux États-Unis et des critiques grandissantes au sujet des écoles spécialisées (Ramel et Vienneau, 2016), les règles établies dans les années soixante visent l’intégration des élèves ayant une déficience intellectuelle légère en classe avec les autres et reflètent les valeurs et les principes de la normalisation. L’intention était d’offrir aux élèves ayant une incapacité mentale ou physique considérés comme éducables les mêmes conditions scolaires qu’aux autres élèves. Ces décisions politiques mirent fin à une certaine forme de ségrégation telle qu’on la connaissait à cette époque et, dans plusieurs écoles canadiennes, il fut compris que dorénavant, l’élève « exceptionnel » aurait le droit d’être intégré au sein de la classe ordinaire à moins qu’il soit démontré qu’il serait préférable de faire autrement.

Le mouvement de l’intégration scolaire s’appuie d’ailleurs sur deux croyances : le placement des élèves à besoins particuliers dans la classe ordinaire contribue à l’épanouissement et au succès de tous les élèves et l’idée que les enfants en situation de handicap sont davantage semblables aux autres enfants qu’ils en sont différents (Lipsky et Gartner, 1989). Mais, on ne peut le nier, en raison de son handicap et par définition, l’élève « exceptionnel » est différent. Au sein de sa nouvelle classe, il est appelé à entrer dans un moule prédéfini par la normativité sociale. Malgré les dispositifs de soutien qui sont mis en place, cet élève risque constamment d’être exclu pédagogiquement et socialement de son groupe-classe. En 1981, Pekarsky nous a fait prendre conscience que le coût que doit payer l’élève vivant en situation de handicap lorsqu’on lui demande constamment de se conformer aux normes de la salle de classe est trop élevé et que cette pratique ne peut plus être tolérée. En d’autres mots, si la normalisation a permis au mouvement d’intégration de prendre son envol, elle cause problème lorsqu’on désire réellement « inclure » parmi les autres élèves celui ou celle qui se trouve en situation de vulnérabilité. Il y aurait sans doute lieu d’affirmer que l’inclusion scolaire était déjà à risque avant la venue de la pandémie.

L’heure du changement a sonné

Depuis les années 1980, le regard que l’on porte sur les différences a évolué et, par conséquent, les nouvelles politiques en matière d’inclusion le reflètent. Si le mouvement de l’intégration était centré sur les incapacités de l’élève, l’inclusion soutient que « les difficultés scolaires d’un élève sont perçues comme une conséquence de ses interactions avec son environnement et non comme une conséquence de ses incapacités » (Beauregard et Trépanier, 2010). L’école inclusive vise à répondre aux besoins de chaque élève et fait valoir que chaque enfant compte. En plus des élèves ayant une incapacité, on tente également d’inclure les élèves à risque d’être marginalisés et exclus en raison de leur différence, soit, par exemple, ceux et celles jugés différents en raison de leur orientation sexuelle, de leur origine ethnique, de leur sexe, de leur religion ou de leur situation économique. Cette liste est longue. D’après nous, la seule chose qui soit normale, c’est que nous sommes toutes et tous différents. Larochelle-Audet et al. (2018), abondent dans le même sens lorsqu’elles disent que :

[…] la diversité humaine n’est pas un problème, ni même une richesse, c’est un état de fait : elle est là sous toute ses formes. C’est la construction sociale négative des caractéristiques, préférences, expériences ou besoins qui en font des problèmes dans un contexte donné. […] En d’autres mots, le problème n’est pas la diversité humaine, mais ce qu’on en fait dans la société et dans le milieu scolaire (p. 10).

Cela étant dit, nous croyons que la normalisation est à l’intégration scolaire ce que la dénormalisation est appelée à devenir pour l’inclusion (AuCoin et Vienneau, 2015). La dénormalisation est non seulement une façon de faire, mais également un état d’être. Cet état nous permet de voir le monde comme un tout et de réaliser que chaque individu y contribue à sa manière en toute dignité. La dénormalisation signifie l’acceptation, la compassion, l’empathie, la tolérance, l’entraide et le respect de l’Autre. Pour faire le lien avec la salle de classe, la dénormalisation nous invite à penser autrement la composition de son groupe-classe. Au lieu de chercher les défis et les incapacités de chacun des élèves, commençons au contraire par trouver ce que l’élève peut accomplir. Sans cela, le concept d’inclusion scolaire, soit celui de permettre à tous les élèves de participer activement et de contribuer au groupe-classe, est en risque de se fragiliser ou, pire, de ne jamais être développé à son potentiel.

Saisir l’occasion en temps de pandémie

Si chaque élément négatif contient aussi du positif, la pandémie pourrait-elle nous offrir l’occasion de franchir une étape de plus vers l’équité et de faire de la dénormalisation une nouvelle norme au sein du système scolaire? Dans cette évolution, voici deux considérations importantes pour nous assurer de ne pas perdre les gains réalisés depuis les cinquante dernières années en matière d’inclusion.

  1. Si l’intégration ne conduit pas à l’inclusion, que faire?

Étant donné que les fondements associés au mouvement de l’intégration scolaire proviennent surtout du monde médical et, de ce fait, se concentrent davantage sur les déficits à combler, pour que l’inclusion soit réussie voici ce que nous devons faire :

  • Éviter de comparer les élèves à une norme préétablie ;
  • Penser à la contribution future de chaque élève à la classe et à la société ;
  • Voir chaque élève et son potentiel comme uniques ;
  • Voir la composition de la salle de classe avec un regard dénormalisant.
  1. Comment faire pour dénormaliser?

Malgré les gains importants qui ont été réalisés dans le domaine de l’inclusion scolaire au cours des dernières décennies, les défis demeurent encore nombreux (UNESCO, 2020). D’après nous, c’est en adoptant un regard plus dénormalisant que nous allons relever ces défis. Voici quelques pistes à suivre :

  • Accepter toutes les différences des élèves comme faisant partie de la norme ;
  • Prendre conscience de notre attitude à l’égard de la diversité ;
  • Se questionner continuellement sur les pratiques pédagogiques qui favorisent la pleine participation de tous les élèves aux mêmes projets éducatifs et communautaires.

Pour conclure, la COVID-19 nous a démontré que personne n’est à l’abri de la vulnérabilité et que nous devons pouvoir compter les uns sur les autres pour survivre. Au lieu de voir les différences comme des obstacles, ne serions-nous pas gagnants de les accueillir ? Comme Albert Jacquard (1978), nous sommes d’accord pour dire que « notre richesse collective est faite de notre diversité. L’« Autre », individu ou société, nous est précieux dans la mesure où il nous est dissemblable ». Comment tirer avantage de cette situation précaire pour repenser notre regard sur la diversité? Si on se fie au proverbe « chaque chose en son temps » … en matière d’inclusion scolaire, la COVID-19 nous laisse entrevoir que ce temps est arrivé!

Photo : iStock

Première publication dans Éducation Canada, janvier 2021

Références

AuCoin, A. et Vienneau, R. (2015). L’inclusion scolaire et la dénormalisation : proposition d’un nouveau paradigme. Dans N. Rousseau (dir.), La pédagogie de l’inclusion scolaire (3e éd., p. 65-87). Presses de l’Université du Québec.

Beauregard, F. et Trépanier, N. S. (2010). Le concept d’intégration scolaire… mais où donc se situe l’inclusion ? Dans N. S. Trépanier et M. Paré (dir.), Des modèles de service pour favoriser l’intégration scolaire (p. 31-56). Presses de l’Université du Québec.

Danforth, S. (dir.). (2017). Becoming a great inclusive educator (2e éd.). Peter Lang.

Larochelle-Audet, J., Magnan, M.-O., Potvin, M. et Doré, E. (2018). Les compétences des directions en matière d’équité et de diversité : pistes pour les cadres de référence et la formation. Rapport de recherche : Observatoire sur la formation à la diversité et l’équité. Université du Québec à Montréal.

Lipsky, D.K. et Gartner, A. (1989). Beyond separate education: Quality education for all. Paul Brooks Publishing

Pekarsky, D. (1981). Normalcy, exceptionalty and mainstreaming. Journal of Education. 163,4, 320-334.

Ramel, S. et Vienneau, R. (2016). Des fondements sociologiques de l’inclusion scolaire aux injonctions internationales. Dans L. Prud’homme, H. Duschesne, P. Bonvin et R. Vienneau (dir.), L’inclusion scolaire : ses fondements, ses acteurs et ses pratiques (ch. 1, pp. 25-38). DeBoeck.

UNESCO. (2020). Inclusion and education: ALL means ALL. Global Education Monitoring Report.

Apprenez-en plus sur

Angela AuCoin

Professeure agrégée, Département d’enseignement primaire et de psychopédagogie, Université de Moncton

Angela AuCoin s’intéresse plus particulièrement aux domaines suivants : l’inclusion scolaire; la gestion de la diversité en milieu scolaire; la pédagogie de l’inclusion et l’éducation relative aux droits de l’enfant.

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Kim Thériault

Étudiante au programme de doctorat en éducation, Université de Moncton

La thèse de Kim Thériault, doctorante en éducation à l’Université de Moncton, porte sur l’acceptation des différences et le concept de l’Autre dans le contexte des écoles inclusives.

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