Apprendre à enseigner dans une société plurielle

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Communauté scolaire, Diversité, Enseignement

Apprendre à enseigner dans une société plurielle

Défis éducatifs et finalités

Les auteures illustrent les principaux changements qui ont marqué la mise en œuvre des deux finalités de la Politique québécoise d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle. Elles soulignent l’importance et la pertinence de former les enseignants à développer une compétence interculturelle et inclusive.

Au Québec, comme dans d’autres sociétés, la prise en compte de la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse suscite des défis complexes ainsi que de nombreuses controverses. C’est maintenant 28 % des élèves québécois qui sont issus de l’immigration, de première (nés à l’étranger) ou de deuxième génération (dont au moins un des parents est né à l’étranger). Bien que talonnée par les banlieues, l’île de Montréal continue à en recevoir la majorité, alors que dans d’autres régions, cette présence jusqu’à tout récemment plutôt marginale, connaît une croissance constante. L’expertise développée par les enseignants pour prendre en compte cette diversité est à géométrie variable, tout comme la formation initiale à cet égard1.

Au Québec, la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle2 et son évaluation récente3 qui en a confirmé la pertinence, mettent de l’avant l’importance de former le personnel scolaire, notamment les enseignants, à « relever les défis éducatifs liés, d’une part, à la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse des effectifs et, d’autre part, à la nécessaire socialisation commune de l’ensemble des élèves4. » Plus récemment, ces deux volets de la Politique ont structuré la formalisation d’une « compétence interculturelle et inclusive » à l’intention des enseignants, cette compétence poursuivant deux finalités :

1. Préparer tous les apprenants à mieux vivre ensemble dans une société pluraliste et à développer un monde plus juste et égalitaire;

2. Adopter des pratiques d’équité qui tiennent compte des expériences et réalités ethnoculturelles, religieuses, linguistiques et migratoires des apprenants, particulièrement celles des groupes minorisés5. »

Dans ce bref article, nous souhaitons illustrer les principaux changements qui ont marqué la mise en œuvre de ces deux finalités afin de contribuer à la réflexion sur ce que signifie enseigner dans une société plurielle.

Le premier volet : « Intégration »

Concernant le premier volet « Intégration » de la Politique, celui-ci était initialement centré sur les élèves « immigrants », ciblant plus particulièrement les élèves « nouvellement arrivés », « d’implantation récente », « allophones » ou encore « non francophones ».

L’intégration y est définie comme « le besoin d’apprendre et de maîtriser à la fois le français — langue d’enseignement et langue commune de la vie publique — pour réussir ses apprentissages scolaires (intégration linguistique et scolaire) et les codes sociaux pour établir, avec l’ensemble de ses camarades, des relations significatives qui transcendent les barrières linguistiques et culturelles et pour participer à la vie collective (intégration sociale)6. »

Les diverses modalités de mise en œuvre de la Politique instaurées depuis son adoption permettent de mettre en lumière les principales transformations relatives à ce volet.

  • Premièrement, en cohérence avec les constats de la recherche quant à l’hétérogénéité des situations vécues par les élèves issus de l’immigration, un élargissement de la population cible est observé non seulement pour les élèves issus de l’immigration francophone et pour ceux de deuxième génération mais également pour plusieurs sous-groupes « d’élèves vulnérables », par exemple « les élèves nouvellement arrivés en situation de grand retard scolaire; […] les élèves issus de milieux défavorisés sur le plan socioéconomique, surtout lorsque le capital culturel de la famille est également faible; […] les élèves réfugiés qui ont eu des expériences migratoires ou scolaires plus difficiles; les élèves issus de certaines communautés qui connaissent des situations de marginalisation et d’exclusion7. »
  • Deuxièmement, l’ajout du terme « réussite » accompagnant celui d’intégration, traduit la préoccupation de soutenir les apprenants de groupes minorisés tout au long de leur trajectoire scolaire.
  • Finalement, l’opérationnalisation de ce volet semble prendre davantage en considération les dynamiques scolaires et systémiques ayant une incidence sur l’intégration des élèves issus de l’immigration en visant, par exemple, à faciliter les transitions vécues par les élèves allophones et à soutenir la diversification des modèles de relations école-familles immigrantes.

Le deuxième volet : « Éducation interculturelle »

Concernant le deuxième volet « Éducation interculturelle », la Politique insistait particulièrement sur trois enjeux : la représentation de la diversité ethnoculturelle du personnel scolaire, la formation et le perfectionnement de ce dernier ainsi que la transformation pluraliste du curriculum formel et réel.

Au Québec, l’éducation interculturelle y est définie comme « le savoir vivre ensemble dans une société francophone, démocratique et pluraliste » et concerne « tous les élèves du système scolaire, qu’ils soient nés au Québec ou non, francophones, anglophones ou autochtones8. »

L’évolution des modalités de mise en œuvre de l’éducation interculturelle9 témoigne de transformations quant à la manière de concevoir et de déployer celles-ci.

  • Premièrement, l’évaluation de la Politique a mis l’accent sur l’importance de renforcer ce dernier volet, puisqu’il a été moins développé que celui relatif à l’intégration.
  • Deuxièmement, à la lumière de différentes recherches menées sur l’expérience socioscolaire des élèves de deuxième génération et de groupes minorisés d’implantation plus ancienne, l’accent initial sur la diversité liée à l’immigration récente s’est élargi en misant également sur la valorisation de la diversité interne de la société québécoise et de « l’apport et la diversité des héritages » de l’ensemble des élèves.
  • Troisièmement, l’ajout d’un objectif relatif à la « prévention de la radicalisation » témoigne de la conscience du climat social de plus en plus polarisé sur l’immigration et les balises du vivre-ensemble.
  • Finalement, si en 1998 la Politique a surtout interpellé les milieux urbains pluriethniques, l’éducation interculturelle devient la préoccupation de tous et la répartition de l’allocation soutenant sa mise en œuvre s’étend à l’ensemble des commissions scolaires du Québec.

L’ensemble de ces transformations reflète aussi un renforcement de l’articulation entre le volet d’intégration et celui d’éducation interculturelle. Puisqu’il est maintenant reconnu que les deux sont complémentaires, l’éducation interculturelle permet en quelque sorte d’identifier et d’agir sur les obstacles et les situations de discrimination vécues par les élèves concernés par le volet d’intégration. Dans la foulée de ces transformations et afin de soutenir le développement de compétences interculturelles et inclusives chez le personnel scolaire pour apprendre à enseigner dans une société plurielle, différents outils pédagogiques ont été développés. Les autres articles composant ce dossier thématique en font état.

Photo : Productions Cinta, Webdocumentaire réalisé par Jacinthe Moffatt

Première publication dans Éducation Canada, septembre 2019


Notes

1 Mc Andrew, M., Balde, A., Bakhshaei, M., Tardif-Grenier, K. et al. (2015). La réussite éducative des élèves issus de l’immigration : bilan d’une décennie de recherches et d’interventions au Québec. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.

2 Ministère de l’Éducation (1998). Une école d’avenir : La politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle. Québec : Gouvernement du Québec.

3 Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2014). Rapport d’évaluation. La politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle. Québec : Gouvernement du Québec.

4 Voir note 2, p. 32-33.

5 Potvin, M., Borri-Anadon, C., Larochelle-Audet, J., Armand, F. et al. (2015). Rapport sur la prise en compte de la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique dans les orientations et compétences professionnelles en formation à l’enseignement. Montréal : Observatoire sur la formation à la diversité et l’équité.

6 Voir note 2, p. 1.

7 Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (2017). Soutien au milieu scolaire 2017-2018.  Intégration et réussite des élèves issus de l’immigration et éducation interculturelle. Québec : Gouvernement du Québec.

8 Voir note 5, p. 23-24.

9 Voir note 7, p. 13.

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Geneviève Audet

Geneviève Audet

Geneviève Audet est chercheure au CSSS Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent et postdoctorante à la Chaire de recherche du Canada sur l’Éducation et les rapports ethniques de l’Université de Mon...

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Corina Borri-Anadon

Professeure, Université du Québec à Trois-Rivières

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