Le 26 février 2014, un blizzard s’abat sur la région de Baker Lake entraînant des températures extrêmes de -70 degrés Celsius avec le facteur éolien. Tandis que les chiens trouvent refuge du mieux qu’ils peuvent près des habitations sur pilotis surplombant le village, les habitants demeurent à l’intérieur et attendent que la tempête passe en s’efforçant de limiter leur consommation d’eau. Tout est blanc et le peu d’activités que possède le village est interrompu.
Pour une bonne partie de l’année, la température hostile constitue un défi à la vie quotidienne pour les résidents de cette communauté située dans la région de Kivalliq au Nunavut dans le Grand Nord canadien où l’hiver est présent près de 8 mois par année. La collectivité de Baker Lake est la seule agglomération inuite à être située à l’intérieur des terres et non pas sur la côte à environ 40 kilomètres du centre géographique du Canada. Connue sous le nom de « Qamani’tuaq » signifiant « là où la rivière s’élargit » en inuktitut, elle constitue un site de résidence traditionnel pour onze branches de la famille inuite.
« Selon le recensement de 2011 de Statistiques Canada, la population est maintenant de 1 872 habitants, ce qui représente une croissance démographique de 8,3 % par rapport au recensement de 2006. »[1] Près de 32 % de la population est âgée de moins de 15 ans et l’âge médian est de 22,8 ans. Il y a deux écoles à Baker Lake : une école primaire et une école secondaire. Malgré la présence de ces institutions, seulement 10,3 % de la population possède un diplôme d’études secondaires. Le reste de la province ne fait guère mieux avec un faible 10,9 %[2]. Assurément, la réussite des élèves inuits constitue un enjeu complexe et important pour le présent et l’avenir de cette communauté sur lequel il mérite de se pencher. Plusieurs facteurs socioculturels influencent la réussite des élèves de Baker Lake et des actions sont déployées sur le terrain pour encourager et motiver les jeunes à persévérer afin d’obtenir leur diplôme et obtenir de bons emplois sur le marché du travail.
Des initiatives novatrices pour mieux intégrer nos jeunes au marché du travail
La compagnie aurifère « Les Mines Agnico Eagle » compte plus de 1 000 employés travaillant sur le site de Meadowbank. Environ 35 % de ceux-ci sont des Inuits et une grande majorité habite le village de Baker Lake situé à 70 kilomètres du site minier. Or, cette relative proximité avec la communauté permet d’interagir ponctuellement avec les jeunes et d’avoir un impact positif sur eux.
L’année dernière, la minière a pris part à une initiative novatrice qui a vu le jour pour la première fois au printemps 2013 sous la forme d’activités d’introduction à divers métiers. Parmi eux, se retrouve un grand nombre de métiers en demande dans les communautés inuites ainsi que dans plusieurs industries tels que plombier, électricien, technicien en environnement, coiffeur, cuisinier, menuisier, mécanicien, soudeur et couturier.
Cette initiative s’est concrétisée suite à une entente entre le Ministère de l’Éducation du Nunavut et la minière. Pour mieux s’engager auprès de sa communauté, cette entreprise minière s’est impliquée dans la planification de l’évènement, comme commanditaire principal, en plus de mobiliser cinq de ses employés à titre de formateurs. Cette semaine d’activités (Task Week) s’adresse aux élèves de 12e année de l’école secondaire « Jonah Amitnaaq » qui se démarquent en classe par leurs efforts et leur présence. Cette semaine d’activités unique est un privilège pour les quelque 140 élèves qui y participent en choisissant un métier pour lequel ils démontrent de l’intérêt. Cet évènement constitue une belle opportunité de s’initier à un métier avec un formateur qui encadre et supervise des activités théoriques et pratiques. Cela leur permet de valider si leur intérêt pour le domaine choisi est véritable et pourrait éventuellement les mener à vouloir en faire carrière. Le but des activités éducatives et de formation se tenant pendant la semaine, est de permettre aux jeunes d’acquérir une première expérience professionnelle reflétant la réalité du marché du travail où la santé et la sécurité sont des valeurs fondamentales et omniprésentes. Dès le premier contact avec les élèves, les formateurs implantent et appliquent, avec l’aide d’une carte de travail, la formule de supervision incarnant une vision de la santé et de la sécurité au travail qui a fait ses preuves dans le domaine minier et ailleurs.
À l’intérieur de chaque groupe, nous retrouvons entre 10 et 15 élèves, le formateur, de même que le professeur qui évalue la participation, l’attitude et l’implication des jeunes. C’est une activité qui a une réelle valeur éducative et qui mènera chaque élève à l’obtention d’un crédit académique ainsi qu’à un certificat de participation à la fin de la semaine. Pour ces jeunes, s’initier à un métier est déjà un bel accomplissement en soi et le fait de vivre une cérémonie de remise des diplômes à la toute fin les imprègne d’un sentiment de fierté. C’est une bonne source de motivation académique non seulement pour eux, mais aussi pour les plus jeunes qui désirent avoir cette chance un jour. Nul doute qu’il s’agit d’un grand pas vers leur intégration au marché du travail.
La première édition a été couronnée de succès et grandement appréciée par les élèves. Elle reprendra de plus belle au printemps 2014. Quelle belle opportunité de favoriser le développement des jeunes et de les intégrer au marché du travail! Chaque activité à caractère académique a le potentiel d’influencer positivement les jeunes dans leur vie et leur réussite, c’est ce qui motive la minière à s’impliquer dans la communauté et les écoles. Le succès des opérations de cette minière au Nunavut ne serait pas possible sans ses employés Inuits avec lesquels elle continuera de travailler dans une optique de développement durable.
Autre apport de la minière : la santé par le sport
Étant coordonnateur de la santé et du mieux-être depuis quatre ans pour une minière canadienne en opération à proximité de Baker Lake au Nunavut, je crois que la santé et les activités physiques sont primordiales pour assurer la réussite scolaire de ces jeunes Inuits. En plus d’avoir un impact sur leur santé, il est prouvé que l’activité physique régulière peut influencer les résultats scolaires de façon positive. En effet, plusieurs chercheurs ont observé une relation entre la pratique d’une activité physique et les bons résultats scolaires. La pratique d’activités physiques constitue un déterminant facilitant l’apprentissage[3], la concentration[4], la réussite[5] et l’intégration scolaire[6]. Quoique sporadiques, ces activités de concert avec les organisations sportives de Baker Lake ont le potentiel d’influencer la réussite des jeunes et de leur inculquer de bonnes habitudes de vie. Spécialisé en kinésiologie, j’ai organisé à plusieurs reprises des activités sportives dans la communauté de Baker Lake. D’ailleurs, la première édition de la « Journée nationale du sport au Canada et des camps de jours de sports » a permis à ces jeunes d’adopter et de maintenir un mode de vie actif. Une autre belle fenêtre d’opportunités pour faire réussir nos jeunes Inuits de Baker Lake!
Photo : Mélissa Bradley, stagiaire au département de formation de la compagnie Agnico Eagle Mines Limited
Première publication dans Éducation Canada, juin 2014
RECAP – At Baker Lake, Nunavut, 32 percent of the population is under 15 years old. There is a primary school and a secondary school. Only 10.3 percent of the population has a high school diploma. The success of Inuit students is a major issue for this community. Several programs are deployed on the ground to encourage and motivate young people to persevere, get a degree, and ultimately get a good job in the labour market. It is in this context that the gold company, Agnico Eagle Mines, partners with the school to provide activities for 140 youth so they can be introduced to the trade of their choice. They are accompanied by a trainer who supervises the theoretical and practical activities. This mining company also promotes good health by organizing sports activities for these youth, which is also having a real impact on their success.
[1] http://fr.wikipedia.org/wiki/Qamani%E2%80%99tuaq
[2] www.city-data.com/canada/Baker-Lake-Village.html
[3] Kino-Québec, 1998.
[4] Laberge et coll., 2007.
[5] Tremblay, 2006.
[6] DeGranpré et Paquet, 2006.
Après avoir quitté la politique fédérale en 2006, le 21e premier ministre canadien, le très honorable Paul Martin, a créé la fondation « INITIATIVE D’ÉDUCATION AUTOCHTONE MARTIN (IEAM) ». Son objectif est d’appuyer les projets qui améliorent l’enseignement primaire et secondaire destiné aux Autochtones canadiens. L’IEAM croit que le développement de compétences procurera aux jeunes autochtones la motivation nécessaire pour poursuivre leurs études. Ses projets sont choisis en consultation avec les leaders autochtones concernés, les instances provinciales et territoriales responsables de l’éducation ainsi que divers milieux d’affaires canadiens.
YN : M. Martin, nous vous savons un ardent défenseur de la cause des Inuits, des Premières Nations et de la Nation Métisse du Canada. D’où vous viennent cette passion et cet intérêt pour les communautés autochtones?
PM : Tout a commencé dans ma jeunesse. J’ai vécu 45 ans à Montréal mais je suis natif de Windsor, en Ontario. Adolescent, je n’avais pratiquement aucune chance de connaître les Autochtones de mon âge. Par contre, j’ai réussi à dénicher un travail d’été dans la construction à Winisk, sur la Baie d’Hudson. Pour la première fois, je côtoyais la pauvreté partout. Je me disais qu’il n’était pas possible qu’il y en ait autant dans un pays aussi riche que le Canada! Lors de mon 2e emploi, j’ai été engagé comme matelot sur la rivière McKenzie. Cela m’a permis de connaître de jeunes autochtones de mon âge (Premières Nations, Métis et Inuit) : après le travail, nous échangions ensemble. J’ai découvert des personnes travaillantes, très intelligentes et « le fun ». J’ai également réalisé la différence entre ces jeunes et ceux de Windsor qui avaient une joie de vivre et un optimisme face à l’avenir que je ne retrouvais pas chez nos amis autochtones. C’est précisément à ce moment qu’est né mon intérêt pour cette communauté. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai pris connaissance de l’influence néfaste des pensionnats autochtones, laquelle n’était pas connue de la grande majorité des Canadiens, dont moi-même. C’est à cause de cela que j`ai décidé qu’un de mes objectifs serait de soutenir ces peuples autochtones courageux et attachants.
YN : Vous dites que l’éducation est un facteur déterminant pour consolider le tissu social et économique des peuples autochtones et l’amener à égalité avec celui dont bénéficient les autres Canadiens. Pouvez-vous nous parler de ce que fait votre Fondation pour atteindre cet objectif?
PM : Je dirais que depuis une vingtaine d’années, il y a une nette amélioration concernant l’éducation de cette communauté du côté collégial et universitaire, mais pas du côté primaire et secondaire. Pourtant, sur les réserves et à l’extérieur de celles-ci, les enseignants travaillent de façon extraordinaire pour aider la clientèle autochtone mais le principal problème réside dans le sous-financement des programmes d’éducation autochtone. Ces derniers sont sous-financés de 30 % à 50 % par le gouvernement fédéral en comparaison du financement accordé par les provinces à leurs écoles publiques.
Notre Fondation vise justement à améliorer l’éducation des jeunes autochtones, sur les réserves ou hors-réserves. En voici quelques exemples :
YN : Quels sont, selon vous, les besoins les plus importants, les plus urgents et les plus criants des communautés autochtones?
PM : Le besoin le plus criant est celui de l’éducation des jeunes autochtones : ceux de moins de 25 ans, et particulièrement ceux de moins de 15 ans qui sont en forte croissance au Canada, plus que tout autre segment de la population canadienne.
Autre besoin urgent : la santé. Il y a de nombreux problèmes, notamment des cas de tuberculose, de toxicomanie, d’abus de substances illicites, de mortalité infantile. L’espérance de vie des Autochtones est de 10 ans inférieure à celle des autres canadiens.
Mentionnons également le besoin de reconnaissance de cette communauté dans la population canadienne. Malgré de nombreux écrits sur le sujet, nous constatons une méconnaissance, un manque de sensibilité ou de compréhension face à la réalité et aux problèmes auxquels les Autochtones sont confrontés.
YN : Quels sont les moyens les plus efficaces pour répondre à ces besoins?
PM : En éducation, il faudrait un financement adéquat. L’état des écoles est si désolant que la population non autochtone n’oserait même pas y envoyer leurs enfants. Les directeurs et les enseignants sont très isolés et mal payés, ce qui crée un changement continuel de personnel. Ils ont besoin de soutien et d’accompagnement. Il s’agit essentiellement d’un problème de financement et de structure. Le gouvernement fédéral doit s’en préoccuper et le partenariat avec les provinces est souhaitable. Cependant il faudrait tenir compte du fait que les Autochtones veulent contrôler la situation plutôt que de se voir imposer des volontés gouvernementales. Il existe des experts dans la communauté autochtone : Pourquoi ne pas profiter de leur expertise?
Côté santé, il faut travailler avec eux sur le terrain. Lorsqu’ils font face à d’importants problèmes de toxicomanie par exemple, on les envoie dans les grands centres urbains (Montréal, Toronto) pour obtenir de l’aide. Revenus sur leur territoire, faute de soutien adéquat, les Autochtones revivent les mêmes difficultés. Cette mesure s’avère inefficace. Or, il y a parfois de belles initiatives comme celle du Nunavut où des gens respectés de leur communauté et des experts non autochtones travaillent avec les jeunes. Les mesures de prévention et d’intervention se réalisent sur place. Et cela donne d’excellents résultats!
Quant à la reconnaissance de la communauté, tout est une question de respect: respect de l’autre et respect de ses différences.
YN : D’après-vous, quelles précautions doit-on prendre pour aider, soutenir et développer ces communautés tout en respectant leur identité, leur culture et leur histoire?
PM : Il faut absolument impliquer la communauté autochtone dans la recherche de solutions et travailler avec elle, à l’instar de ce que fait notre Fondation. Lorsque j’ai rencontré les leaders autochtones pour débuter les discussions sur l’Accord de Kelowna, nous n’avons pas dit : « Voici vos problèmes. ». Nous avons plutôt posé les questions suivantes : « Quels sont les problèmes que vous voulez aborder et quelles sont vos solutions? » Les communautés autochtones ont l’expertise, nous devons les écouter. Le travail en collégialité et l’écoute sont les attitudes à adopter pour paver la voie au succès.
YN : Quelle stratégie faudrait-il mettre en place pour sensibiliser, promouvoir et intéresser l’ensemble des citoyens canadiens à l’histoire et à la culture autochtones?
PM : On enseigne peu l’histoire canadienne dans nos écoles, et encore moins celle des Autochtones. Pourquoi ne pas, dès le primaire, enseigner leur histoire, leur culture et parler de leur avenir?
YN : Pouvez-vous nous identifier les réussites dont vous êtes le plus fier pour le développement et la réussite des élèves autochtones?
PM : En voici trois :
YN : Vous avez beaucoup contribué au développement des communautés autochtones. Comment entrevoyez-vous leur avenir?
PM : Je suis très optimiste quant à leur avenir parce que je suis fermement convaincu que les valeurs canadiennes de respect et d’égalité des chances vont toujours triompher. La jeunesse autochtone est en forte croissance: les statistiques des commissions scolaires de la Saskatchewan révèlent qu’elle représentera 45 % de sa population scolaire en 2016. Quant au Manitoba, on l’estime à 33 %.
De plus, je souhaite que les Autochtones aient les mêmes opportunités que les autres Canadiens tout en gardant leur culture et leur langue.
YN : Auriez-vous un message important à livrer aux Canadiens au sujet des communautés autochtones?
PM : Économiquement, on ne peut ignorer ce segment de la population canadienne en forte croissance. Mais mon message le plus important est d’ordre moral. Les Canadiens proclament au monde entier, avec une fierté bien légitime, qu’ils adhèrent aux valeurs d’égalité des chances et de respect. Ce qui est fort louable! Mais si ces mêmes valeurs pouvaient se traduire par un financement et un soutien adéquats aux communautés autochtones, ce serait encore plus convaincant. Les communautés autochtones ont besoin de nous, elles sont déterminées et RIEN ne va les arrêter!
Photo prise par Marieke Vandekolk, adjointe de M. Paul Martin
Une portion du texte de la biographie de M. Paul Martin a été pris de Wikipédia et a été validé par l’équipe de M. Paul Marin.
Première publication dans Éducation Canada, juin 2014
RECAP – After leaving federal politics in 2006, Canada’s 21st Prime Minister, the Right Honourable Paul Martin, created the Martin Aboriginal Education Initiative (MAEI), which aims to improve primary and secondary education for Aboriginal Canadians. Projects are selected in consultation with Aboriginal leaders, provincial and territorial authorities responsible for education, and various Canadian businesses. Mr. Martin believes we cannot economically ignore this rapidly growing segment of the Canadian population. It is essential that Aboriginal people have the same opportunities as other Canadians while preserving their culture and language. Despite a marked improvement in Aboriginal education in colleges and universities, Mr. Martin deplores the continued underfunding of Aboriginal education, particularly for primary and secondary schools.
Courageux et déterminés à réussir, les Autochtones ne baissent pas les bras, malgré d’énormes problèmes de santé physique, de dépression, de pauvreté, de décrochage scolaire, de violence, un nombre de suicides inquiétant et un taux de chômageélevé. Pour surmonter toutes ces difficultés, les Autochtones revendiquent à la fois leur droit à une éducation de qualité et plus de reconnaissance, de financement, d’autonomie et de soutien. À travers cette quête identitaire, leurs leaders se mobilisent pour faire valoir leurs droits et défendre ce qui leur est le plus précieux : leur langue et leur culture.
Le besoin le plus criant demeure indéniablement l’éducation des jeunes autochtones qui représentent, chez les moins de 25 ans, le segment populationnel le plus en croissance au Canada. Dans la présente édition vous découvrirez, notamment dans une entrevue réalisée avec le 21e Premier ministre du Canada, le très honorable Paul Martin, des démarches inspirantes et motivantes pour soutenir la jeunesse autochtone en l’initiant à l’entrepreneuriat, au milieu des affaires, au monde de l’économie ou à un métier. Ces initiatives sont louables, certes, mais ne peuvent à elles seules briser le cercle de pauvreté et de misère dans lequel évoluent quotidiennement les communautés autochtones.
En tant que femme, j’ai été vivement interpellée par le cri du cœur de Michèle Audette, Présidente des femmes autochtones du Canada. Elle déplore la détresse, la violence, l’état de pauvreté et de dépendance inadmissible dont sont victimes les femmes et les filles autochtones. Pour elle, investir dans l’éducation des filles est certainement un des moyens les plus efficaces pour réduire la pauvreté et assurer la réussite scolaire des enfants, car il est prouvé que l’éducation de la mère a généralement plus d’influence que celle du père.
Même si les Canadiens sont sensibilisés à la réalité des communautés autochtones, admettent leur importance, croient en leur potentiel, cela ne suffit plus. Au-delà des mots, des discours politiques et des promesses, un examen de conscience s’impose. Offre-t-on un soutien suffisant et pertinent pour la réussite des jeunes Autochtones? Avons-nous une réelle capacité d’écoute et une profonde empathie susceptible de créer des liens de confiance solides et durables? Y a-t-il une véritable volonté gouvernementale? Bref, sommes-nous prêts au Canada à aider et à supporter adéquatement nos concitoyens autochtones? Théoriquement, sans doute!
Écrivez-nous!
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Photo: Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, juin 2014
Compte tenu de la désinformation qui se fait au sujet de la réalité des écoles et du système scolaire des Premières Nations, il convient de qualifier de futile le débat public sur les correctifs destinés à remédier à l’éducation des Premières Nations. Puisque l’on ne tient pas compte de ses contextes particuliers sous-jacents, ses « échecs » servent souvent à renforcer la mentalité coloniale et à valider davantage le racisme systématique ancré dans les institutions canadiennes.
En vertu de la politique fédérale actuelle, les Premières Nations sont tenues d’offrir des programmes « comparables » et « transférables » à ceux de la province. Ainsi, dans la plupart des communautés des Premières Nations, le modèle pédagogique actuel est guidé par les systèmes et programmes d’études en vigueur dans la province, avec tout ce que cela comporte : le manque de contrôle véritable des Premières Nations sur l’éducation des Premières Nations, en raison de l’imposition de normes provinciales par le gouvernement fédéral, et l’absence des langues et des cultures des Premières Nations, dont l’inclusion revêt une importance primordiale. On demande aux écoles des Premières Nations de produire des résultats comparables aux résultats provinciaux (réussite scolaire, taux d’obtention de diplôme, etc.), tout en assurant la conception et la prestation de programmes axés sur les langues et la culture des Premières Nations, et ce, malgré des politiques de financement fédérales qui sont désuètes et discriminatoires. Pour les systèmes éducatifs des Premières Nations, cette réalité pose des défis particuliers qui ne sont pas reconnus par les décideurs politiques fédéraux et provinciaux.
Les Premières Nations attachent une grande valeur à leur langue et à leur culture, car elles sont essentielles à leur identité et indispensables pour surmonter les effets cumulatifs du colonialisme. Étant donné les normes et structures provinciales actuelles qui sont imposées à de nombreuses écoles des Premières Nations, des mesures d’adaptation doivent souvent être prises par ces dernières pour accorder à la langue et à la culture la place qui leur revient. Des journées d’enseignement plus longues, moins de temps consacré aux autres matières et la formation du personnel ne sont que quelques exemples des efforts qui doivent être déployés à l’échelle locale. Faute de fonds fédéraux suffisants affectés aux langues et à la culture des Premières Nations, la plupart des communautés doivent faire des choix difficiles devant les coûts accrus associés à ces programmes.
Un examen honnête et méthodique des effets cumulatifs de mauvaises politiques de financement (absence de fonds affectés aux bibliothèques scolaires, plafond de 2 % appliqué au financement, etc.) permet d’établir que les échecs des systèmes actuels ne devraient pas être exclusivement ou principalement attribuables aux Premières Nations. Bien qu’il ne s’agisse certainement pas uniquement d’une question de financement, le manque de fonds adéquats, l’absence de mécanisme moderne et le plafond de 2 % ont posé des défis exponentiels (incapacité de verser un salaire équitable aux enseignants et au personnel, état lamentable des infrastructures, manque de locaux propices à l’éducation, matériel pédagogique de piètre qualité, etc.) qui ont des répercussions négatives sur la réussite des élèves. Tandis que certains font valoir que des programmes fédéraux ciblés, tel le Programme de réussite scolaire des étudiants des Premières Nations, fournissent des crédits supplémentaires pour favoriser l’atteinte des normes provinciales, ce financement est imprévisible et subordonné à une compétition annuelle en vue de l’attribution d’une enveloppe budgétaire fermée.
Alors que la responsabilité de la réussite des élèves repose entièrement sur les communautés des Premières Nations, l’exclusion systématique des Premières Nations d’une participation significative à la conception des systèmes provinciaux et le défaut systématique du gouvernement fédéral de fournir un financement équitable sont des points souvent négligés dans le discours sur la responsabilité (ou le manque de responsabilité) des Premières Nations en matière d’éducation.
Le gouvernement fédéral interprète généralement sa responsabilité constitutionnelle à l’égard de l’éducation des Premières Nations de façon restrictive et rétrograde. Il a officiellement pris position en faveur du contrôle par les Premières Nations de l’éducation des Premières Nations. Par contre, sa notion de « contrôle » se limite à l’administration locale de systèmes comparables à ceux de la province, soutenus par un financement inadéquat. Les efforts récents investis dans l’adoption de projets de loi sur l’éducation des Premières Nations révèlent une nette distinction entre le point de vue des décideurs politiques fédéraux et la situation qui prévaut au sein des communautés des Premières Nations. La solution proposée au « problème indien » actuel dans le domaine de l’éducation consiste à assurer par voie législative le maintien du statu quo (c’est-à-dire la compétence et les normes provinciales et les modèles de gouvernance occidentaux, p. ex., des commissions scolaires), en accordant toutefois une légère augmentation du financement garanti (sans tenir compte des besoins). Rien n’indique que le statu quo fonctionne, ni pour les élèves qui fréquentent une école de bande ni pour les élèves des Premières Nations qui fréquentent une école provinciale. Force est de constater que le statu quo a laissé pour compte des générations d’élèves des Premières Nations. Il est donc impératif de mettre sur pied des systèmes qui contribuent à bâtir l’estime de soi, à former des identités autochtones fortes et, ultimement, à assurer la réussite scolaire.
Le gouvernement fédéral ne tient pas les systèmes provinciaux responsables des élèves des Premières Nations pour lesquels ils reçoivent des fonds fédéraux (qui dépassent les frais de scolarité reçus par les communautés des Premières Nations pour les élèves des réserves). Comparativement aux écoles des Premières Nations, les écoles provinciales sont bien financées et sont dotées de services de soutien de deuxième niveau bien établis. Pourtant, dans l’ensemble, elles n’arrivent pas à faire en sorte que les élèves des Premières Nations qui fréquentent leurs écoles affichent un taux de réussite comparable au reste de la province. Étonnamment, vu la publicité récente entourant l’éducation des Premières Nations, les taux de réussite des élèves des Premières Nations dans les écoles provinciales sont souvent comparables à ceux affichés par les élèves des Premières Nations qui fréquentent une école de bande, ou pires.
La solution? Pour commencer, le Canada pourrait renoncer à son approche paternaliste infructueuse au profit d’un contrôle réel de l’éducation des Premières Nations par les Premières Nations. Cette notion de contrôle désigne la compétence et la capacité des Premières Nations de déterminer, de concevoir et de gérer leurs systèmes éducatifs et comprend la prestation, par des organismes régionaux des Premières Nations, de programmes d’aide adaptés, porteurs d’initiatives et axés sur la culture. Ce contrôle est également tributaire de la volonté du Canada d’honorer sa responsabilité de fiduciaire et de financer de façon prévisible et durable des services de premier et de deuxième niveaux en fonction des besoins.
Les Premières Nations disposent de solutions prometteuses pour relever les défis auxquels elles font face; nous savons ce qui fonctionne pour nous. De nombreux exemples de systèmes autochtones reconnaissent la réalité propre aux élèves des Premières Nations et assurent leur réussite scolaire grâce à des programmes éducatifs fondés sur la culture et la langue (la recherche démontre clairement l’existence d’un lien incontestable entre une identité positive et du succès dans le domaine de l’apprentissage tout au long de la vie). En tant que détenteurs de droits et spécialistes de leur éducation, les Premières Nations doivent se faire les architectes, les bâtisseurs et les décideurs de leurs systèmes, idéalement par des efforts délibérés, conjugués et déployés à une échelle régionale. Ces systèmes, fondés sur les valeurs et les processus culturels des Premières Nations, doivent être conçus de façon à préparer les élèves sur le plan spirituel, scolaire et social à assumer leur rôle de citoyens du monde. Toute autre attitude ne fera que perpétuer les échecs systématiques actuels et entacher la réputation du Canada.
Photo incluse avec permission du Saskatchewan School Boards Association
Première publication dans Éducation Canada, juin 2014
RECAP – Under current federal policy, the First Nations are required to provide programs that are comparable and transferable to provincial programs. But since they are responsible for the success of their students, they are demanding more equitable funding from the federal government. Compared to First Nations schools, provincial schools are well funded and equipped with quality support services. Yet they fail to obtain a success rate comparable to students in the rest of the province. Surprisingly, the success rate of First Nations students in provincial schools are often comparable to those achieved by the students in on-reserve schools, or worse. With promising solutions to meet these numerous challenges, First Nations leaders are demanding programs based on their cultural values and practices that are designed to prepare students spiritually, academically and socially to assume their role as citizens of the world.
Une de nos missions en milieu scolaire est bien sûr la scolarisation et la réussite de nos élèves! Toutefois, pour apprendre, les élèves doivent avoir toutes les conditions gagnantes pour le faire. Les enseignants qui côtoient les jeunes au fil des jours, sont pour nous, des alliés très importants. Que ce soit pour des difficultés comportementales, de l’anxiété, des peines d’amour, des conflits familiaux, des chicanes entre amis, les enseignants sont souvent ceux qui accompagnent l’élève vers une ressource d’aide. Plusieurs changements chez les élèves peuvent être observés par les enseignants (baisse du rendement académique, changement de l’humeur, tristesse, changement dans le comportement, retards, absentéisme, devoirs non faits, etc.) Une fois que l’enseignant à signaler le problème aux intervenants scolaires, différentes interventions sont possibles dont la cueillette d’informations (pour investiguer si la problématique est généralisée), un contact téléphonique aux parents, des évaluations (cognitives, intellectuelles…), offrir un suivi individuel pour permettre de cerner de façon plus précise la source des difficultés. Le constat de ces interventions nous amène à diriger nos actions pour soutenir les retards d’apprentissage et les échecs académiques qui se cachent souvent derrière les difficultés de comportement en classe.
Bien entendu, tout ceci se fait par la collaboration, indispensable, des parents. Ensemble, il est plus facile de faire l’analyse de la situation sociale, familiale, personnelle, amoureuse et psychologique du jeune. En fait, plusieurs facteurs doivent être pris en considération pour maximiser les chances de réussite de nos interventions et pour se faire, il est primordial de s’entourer d’une équipe multidisciplinaire (technicienne en éducation spécialisée, psychoéducatrice, psychologue, infirmière, etc.) pour exploiter les compétences de chaque discipline et ainsi, supporter le jeune dans son épanouissement personnel, social et scolaire!
Dans notre Cité-école, situé à East-Angus, nous avons développé une expertise afin de travailler en grande collaboration avec les différentes communautés. Nous devons nous adapter aux difficultés auxquelles les jeunes font face qui sont, en général, différentes des centres urbains. Le travail d’équipe est au premier rang afin de tout mettre en œuvre pour aider le jeune et sa famille. Le travail avec le CSSS et tous les autres partenaires sont un atout primordial.
La persévérance scolaire est pour nous un cheval de bataille important afin que les jeunes puissent croire que c’est possible et ce, malgré les différences sociodémographiques et culturelles des autres milieux scolaires.
La motivation scolaire, l’effort face à la tâche et la confiance en soi sont trois grandes facettes de nos interventions quotidiennes. Les jeunes ont besoin d’éléments concrets afin de s’accrocher et d’être en mesure de croire en leur avenir. La persévérance scolaire est pour nous un cheval de bataille important afin que les jeunes puissent croire que c’est possible et ce, malgré les différences sociodémographiques et culturelles des autres milieux scolaires.
En résumé, il faut se rappeler que nos adolescents ont besoin d’être entourés, encadrés et surtout sentir que les adultes croient en eux. Nous savons que toutes les petites actions quotidiennes (support, encouragements, encadrement…) sont très profitables pour développer une relation avec l’élève en difficulté. Lorsque cette relation est établie sur un bon lien de confiance avec l’adulte, nous pouvons amener le jeune à dépasser ses propres limites et surtout l’accompagner dans la compréhension de ses difficultés. Tous ensemble, nous construisons à améliorer le quotidien des adolescents pour ainsi favoriser un avenir meilleur!
Ce billet de blogue fait partie d’un dossier de l’ACE sur la santé mentale des élèves, qui comprend également un numéro thématique du magazine Éducation Canada sur la question et une fiche Les faits en éducation sur les approches efficaces pour améliorer le mieux-être mental des élèves. Si vous souhaitez publier un billet de blogue dans cette série, veuillez communiquer avec info@cea-ace.ca.
Encore aujourd’hui au Canada et ailleurs dans le monde, les examens normalisés soulèvent la controverse. Au Canada, l’éducation est de ressort provincial et territorial. Les provinces et les territoires conçoivent leur propre programme scolaire et ils effectuent des évaluations de grande envergure pour des niveaux scolaires en particulier. Ils participent également au Programme pancanadien d’évaluation (PPCE) à l’échelle nationale et au Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) à l’échelle internationale.
De nombreuses recherches portent sur les examens normalisés à grande échelle et elles ne s’entendent pas sur leur efficacité. Cependant, bien qu’il existe un certain appui en faveur des examens normalisés, les recherches suggèrent clairement qu’ils ne donnent pas de meilleurs résultats scolaires chez les élèves.
Les personnes qui croient aux examens normalisés reconnaissent elles aussi les limites des comparaisons à grande échelle en raison des différences entre les pays, les provinces, voire entre les districts scolaires. Certains pays qui s’appuient sur les examens normalisés depuis très longtemps reconnaissent les limites de ces tests. Par ailleurs, ils se fient de moins en moins aux examens normalisés. Au Canada, certaines provinces, notamment l’Alberta et l’Ontario, ont reconnu l’importance d’adapter les examens normalisés pour qu’ils tiennent compte de facteurs variables et qu’ils répondent aux besoins des élèves du 21e siècle.
Les méthodes comme l’apprentissage en fonction d’un problème sont au premier plan de la création des programmes scolaires, mais elles ne sont pas évaluées dans les examens normalisés. Par conséquent, les examens normalisés sont contre-productifs parce qu’ils sont axés sur la mémoire et l’acquisition de connaissances, non pas sur la capacité de mettre des acquis en pratique. Les éducateurs et les élèves devraient avoir à leur disposition des outils d’évaluation pour cibler les problèmes et les lacunes chez des étudiants en particulier, dans des écoles et des districts scolaires, pour améliorer l’apprentissage, augmenter la capacité à devenir des apprenants indépendants, valoriser les objectifs et encourager la réflexion sur les apprentissages. Une méthode équilibrée pour évaluer les étudiants devrait s’appuyer sur une combinaison d’examens normalisés et d’évaluations rigoureuses en salle de classe.
Programme pancanadien d’évaluation (PPCE)
Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) (En anglais seulement)
Le nouveau visage des examens normalisés à l’école (En anglais seulement)
Références
Aydeniz, M., et Southerland, S. A. 2012. « A national survey of middle and high school science teachers’ responses to standardized testing: Is science being devalued in schools? », Journal of Science Teacher Education, vol. 23, no 3, p. 233-257.
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Au cours des deux dernières décennies, les technologies de l’information et de la communication (TICs) se sont imposées comme synonymes de l’innovation en éducation. Leur popularité a connu une croissance exponentielle. L’exemple du tableau blanc interactif (TBI) est très éloquent. On estime que 70 % des écoles en Grande Bretagne et 40 % aux États-Unis s’en sont équipées entre 2008 et 2012. Au Canada, même si les chiffres au niveau national sont difficiles à obtenir, l’éducation étant un domaine de juridiction provinciale, les provinces consentent des efforts importants pour adopter cette nouvelle technologie dans les écoles au nom de l’innovation. Par exemple, en 2011, le gouvernement québécois précédent avait annoncé une mesure visant à équiper toutes les écoles de la province de TBI, mesure que le gouvernement actuel a freiné plus tôt cette année.
Déficit d’innovation et de stratégie politique
L’argument de l’innovation par les TICs semble faire mouche à tous les coups. Il séduit les décideurs politiques et les responsables des institutions d’enseignement à tous les niveaux. Pourtant, leur considérable potentiel en éducation tarde à se matérialiser en innovations concrètes à l’instar de celles qu’elles ont engendrées dans beaucoup d’autres domaines tels que les médias, l’administration, le commerce, la médecine, etc. Un récent rapport de la fondation britannique pour l’innovation (Nesta)[1] va jusqu’à déplorer un véritable «déficit d’innovation» dans l’intégration des TICs en éducation.[2]
Étant donné le manque de recherches crédibles pour étayer les prétentions d’innovation des TICs en enseignement, il arrive que les décideurs politiques s’en remettent à la langue de bois pour justifier les dépenses importantes consacrées aux TICs. Par exemple, pressé par les journalistes de fournir des études justifiant le projet d’achat massif des TBI pour une facture de 240 millions de dollars, le ministère québécois de l’éducation a répondu :
« La mesure repose sur des analyses effectuées par le Ministère. Les TIC ont un potentiel pour favoriser la réussite scolaire par des approches pédagogiques stimulantes et des ressources didactiques variées offrant la possibilité de différenciation des enseignements ».[3]
Selon Nesta, le meilleur antidote contre le « déficit d’innovation » des TICs en enseignement se trouve dans une meilleure synergie entre la technologie et la pédagogie.
« La pédagogie? Who cares! »
J’ai souvent entendu cette réplique dans ma carrière. Venant de collègues qui se réclament concepteurs « pédagogiques » de matériels d’apprentissage, une telle réplique équivaudrait à de l’autodénigrement dans d’autres professions. Pas dans le merveilleux monde de l’intégration des TICs en éducation. Beaucoup de membres qui atterrissent dans la profession par accident ou sans grande préparation en théories de l’apprentissage, regardent la pédagogie de haut. Pour eux, c’est « passé », « ringard » et incompatible au rythme effréné de l’évolution des TICs. La réalité semble leur donner raison. Les titres de noblesse dans la majorité des professions relatives à l’intégration des TICs en éducation s’acquièrent plus sûrement en jonglant avec les applications informatiques qu’en invoquant la taxonomie de Bloom. Cependant, même si l’aisance dans la manipulation des outils informatiques est un critère professionnel essentiel pour une intégration des TICs réussie, elle est loin d’être la condition suffisante pour insuffler l’innovation.
Dans une vidéo qui résonne comme un cri du cœur, David Merrill,[4] l’une des figures marquantes de la technologie éducative au cours des quatre dernières décennies, déplore le fait que, paradoxalement, la qualité du matériel d’apprentissage en ligne se soit détériorée à mesure que les TICs sont devenues plus accessibles et plus simples à manipuler. La raison? Les concepteurs du matériel d’apprentissage ne prennent pas assez au sérieux les principes qui gouvernent un apprentissage réussi.
Nécessité d’une approche systémique
Les experts du Centre de recherche pour l’innovation en enseignement de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE-CERI) appellent de leurs vœux une stratégie d’intégration des TICs basée sur une vision globale de l’ensemble de l’écosystème éducatif.[5] La formation du personnel enseignant devrait être le fer de lance de la nouvelle perspective systémique. Or, une analyse sommaire des programmes des facultés d’éducation révèle que trois maigres crédits sont généralement réservés aux cours relatifs à l’intégration des TICs. C’est clairement insuffisant pour préparer adéquatement les futurs enseignants à l’ampleur de la tâche qui les attend.
Les formations offertes par les fournisseurs des TICs qui sont censées combler cette lacune sont souvent menées tambour battant et se contentent de transmettre les procédures techniques d’utilisation des produits et services offerts. Résultat : les équipements informatiques, souvent acquis à prix d’or, sont loin d’être exploités à leur pleine capacité. Une étude récente de l’intégration des TBI dans les écoles québécoises conclut que 86 % des enseignants sont insatisfaits de la performance de cette technologie surtout à cause du manque de préparation des enseignants à son utilisation efficiente.[6]
Aussi longtemps que l’intégration des TICs en enseignement ne sera pas guidée par une vision systémique centrée sur la formation aussi bien pédagogique que technologique des professionnels de l’enseignement, accompagnée de réformes politiques et institutionnelles permettant une exploitation efficiente du grand potentiel éducatif de ces outils, l’innovation dont ils se targuent continuera de résonner comme un argument de vente qui coûte cher aux contribuables sans livrer la marchandise. Malheureusement, l’histoire de l’intégration des technologies en enseignement, jalonnée de nombreuses révolutions annoncées mais rarement réalisées, sera en train de se répéter.
Illustration: Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, novembre 2013
RECAP – Over the last two decades, information and communication technologies have come to be viewed as synonymous with innovation in education. Their popularity has grown exponentially. The example of the interactive whiteboard (IWB) speaks volumes. A recent study on their incorporation into Quebec schools found that 86 percent of teachers are dissatisfied with the performance of this technology due to lack of preparation on how to use it effectively. Given this situation, the author identifies the need for a systemic approach centred on both the pedagogical and the technological training of teaching professionals, accompanied by political and institutional reforms enabling efficient use of the significant educational potential of these tools.
[1] Fulan, M., Donnelly, K. (2013). Alive in the swamp: Assessing Digital innovations in education. London: Nesta. Accédé, août 2013 à http://www.nesta.org.uk/library/documents/Alive_in_the_Swamp.pdf (http://www.nesta.org.uk/publications/alive-swamp-assessing-digital-innovations-education)
[2] Luckin, R., Blight, B., Manches, A., Ainsworth, S., Crook, C., Noss, R.,(2012). Decoding Learning: The proof, promise and potential of digital education. London: Nesta. Accédé août 2013 à http://www.nesta.org.uk/library/documents/DecodingLearningReport_v12.pdf
[3] Noel, A. & Marissal, V. (2012). Une ombre au tableau blanc. La Presse, 10 mai 2012.
[4] Merrill, D. (2008, 11 août). Merrill on Instructional Design [YouTube video]. Accédé août 2013 http://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=i_TKaO2-jXA
[5] Pedro, F. (2010). The need for a systemic approach to technology-based school innovations. In OECD -CERI (ed.). Inspired by Technology, Driven by Pedagogy: A Systemic Approach to Technology-Based School Innovations.
[6] Gervais, L. M. (2013, 22 août). Bilan noir pour le tableau blanc dans les écoles. Le Devoir.
Qu’est-ce qui fait obstacle au changement et à l’amélioration de l’éducation? Je crois qu’un des obstacles est lié au fait que les enseignants possèdent souvent de fausses conceptions sur le fonctionnement du cerveau de leurs élèves. Ces idées fausses (souvent appelées des neuromythes) représentent un obstacle au changement et à l’amélioration de l’éducation, parce que, lorsqu’un changement s’oppose à une conception bien établie, il y a toujours une tendance naturelle et compréhensible à résister à ce changement. Je crois également qu’une des façons de surmonter cet obstacle est d’intégrer, dans la formation des enseignants, un cours de neuroéducation, un domaine en émergence dont le but est d’améliorer l’enseignement en comprenant mieux le fonctionnement du cerveau des élèves.
Un des obstacles au changement : les neuromythes
Parlons d’abord des neuromythes. Vous avez certainement une idée ou des intuitions sur la façon dont le cerveau des élèves fonctionne. Vous croyez peut-être que les élèves apprennent mieux lorsqu’ils reçoivent des informations dans leur style d’apprentissage préféré (auditif, visuel ou kinesthésique), qu’ils sont « cerveau gauche » ou bien « cerveau droit », qu’ils n’utilisent que 10 % de leur cerveau ou qu’il existe des périodes critiques au cours de l’enfance après lesquelles les enfants ne peuvent plus apprendre certaines choses.
Comme vous l’avez peut-être deviné, toutes ces affirmations ne sont en réalité que des neuromythes. Ne vous en faites pas si vous croyez à certaines de ces fausses conceptions, parce que vous n’êtes pas les seuls. Une étude publiée l’an dernier montre que la majorité des enseignants croit à ces neuromythes et aussi à d’autres idées préconçues. Par exemple, plus de 90 % des enseignants du Royaume-Uni et des Pays-Bas croient à la théorie des styles d’apprentissage, et ce, même si des études scientifiques montrent qu’enseigner en fonction de ces styles n’aide pas les élèves à mieux apprendre (voir, par exemple, Pashler, H., McDaniel, M., Rohrer, D., & Bjork, R. (2008). Learning styles: Concepts and evidence. Psychological Science in the Public Interest, 9(3), 105-119.).
Une piste de solution : offrir des cours de neuroéducation
Pour combattre ces neuromythes et surmonter l’un des obstacles au changement en éducation, je pense qu’il faudrait inclure, dans la formation des enseignants et des autres intervenants scolaires, un cours de neuroéducation. Ce cours permettrait non seulement de combattre les neuromythes les plus fréquents, mais il permettrait aussi aux enseignements de connaître un peu plus ce qui se passe dans le cerveau de leurs élèves.
Il y a quelques années, la pertinence de s’intéresser au cerveau en éducation était limitée. Depuis quelques années par contre, les connaissances sur le cerveau ont beaucoup progressé grâce notamment au développement de l’imagerie cérébrale. Jusqu’à 90 % de nos connaissances actuelles sur le cerveau découlent des 15 ou 20 dernières années de recherche. Trois découvertes des plus importantes sont venues renforcer la pertinence de s’intéresser au cerveau en éducation.
La première : apprendre modifie le cerveau. Plus précisément, apprendre modifie les connexions entre les neurones du cerveau. Lorsqu’un élève apprend à lire ou à compter, son cerveau change. À l’aide notamment de l’imagerie cérébrale, il est possible d’observer les effets des apprentissages scolaires sur le cerveau.
La deuxième découverte : la structure du cerveau influence l’apprentissage. En fait, la configuration du cerveau avant l’apprentissage influence la façon dont les nouveaux apprentissages vont s’installer dans le cerveau. Ainsi, mieux connaître le cerveau des élèves, c’est mieux connaître les contraintes cérébrales inhérentes à l’apprentissage et c’est mieux connaître les difficultés que les élèves peuvent rencontrer.
La troisième découverte, possiblement la plus importante et certainement la plus récente : la façon d’enseigner influence les changements cérébraux découlant de l’apprentissage. Autrement dit, deux types d’enseignement ne provoquent pas nécessairement les mêmes changements cérébraux chez l’élève. Des recherches ont notamment montré que le fait d’enseigner la lecture selon une approche syllabique ou selon une approche globale a un impact significatif sur le fonctionnement du cerveau. Ainsi, non seulement le cerveau des élèves change suite à l’apprentissage, mais les enseignants peuvent jouer un rôle déterminant dans le développement du cerveau de leurs élèves.
Pour résumer, j’ai essayé ici de mettre en évidence le fait que les neuromythes peuvent représenter un obstacle au changement en éducation. J’ai également proposé que, pour combattre ces neuromythes, un cours de neuroéducation soit intégré dans la formation initiale et continue des enseignements et des intervenants. Mais l’intérêt d’inclure un cours de neuroéducation dans la formation dépasse largement le combat contre les neuromythes. Il existe actuellement des connaissances sur le cerveau qui peuvent avoir des incidences pédagogiques concrètes. Ces connaissances sont toujours inconnues de la plupart des enseignants et il faut tenter de changer cela au cours des prochaines années, car aujourd’hui, et encore plus demain, mieux comprendre le cerveau nous aidera probablement à mieux apprendre et à mieux enseigner.
Steve Masson, PhD, est le co-lauréat du prix Pat Clifford de 2013 pour la recherche en éducation en début de carrière de l’ACE. Si vous souhaitez obtenir de plus amples renseignements sur sa recherche, veuillez visiter le site : www.cea-ace.ca/cliffordaward
Photos incluses avec permission de Steve Masson
Notre école rayonne de plus en plus sur sa communauté. Étant un milieu de vie très stimulant, nous recevons de nombreux prix. À titre d’exemples, lors des soirées « Reconnaissance », la Commission Scolaire de la Vallée-des-Tisserands nous a décerné les prix suivants :
L’apogée de cette fierté fut atteinte cette année, lors du gala du Réseau du Sport Étudiant du Québec 2013 (région Montérégie), lorsque notre école s’est méritée le premier prix : « L’école secondaire ayant le plus contribué au développement des activités physiques et sportives dans son milieu », en plus d’être sélectionnée pour le gala provincial RSEQ 2013. Tout un exploit pour une petite école de 670 élèves, provenant d’un milieu rural défavorisé, en compétition avec de grosses écoles et collèges privés!
Point de vue
Comment expliquer une telle fierté, un tel dynamisme de la part du personnel et de la communauté, une volonté sans cesse renouvelée de faire réussir tous nos élèves? En analysant la situation, j’ai identifié trois facteurs pouvant contribuer à un milieu de vie sain et épanouissant :
1. L’interdépendance école-communauté qui permet d’accroître le sentiment d’appartenance de nos jeunes en leur offrant un environnement propice à des apprentissages de qualité;
2. Une équipe-école engagée et motivée, constamment en projets. Quelle chance d’évoluer dans un milieu stimulant, au sein d’une équipe-école dédiée et créative!
3. Un leadership mobilisateur qui n’est certes pas étranger à tout ça et qui a un impact réel sur l’engagement et la motivation de toute l’équipe.
Je m’attarderai davantage sur ce 3e facteur qui m’apparaît déterminant pour susciter ce besoin d’accomplissement et de dépassement, tant chez les élèves que le personnel. J’ai donc tenté d’analyser le style de leadership de notre direction d’école.
Un leadership mobilisateur
À l’instar d’autres membres du personnel, je considère ma directrice, Lynda Loignon, comme une leader moderne, ouverte aux nouvelles idées et au changement. Son leadership est efficace, son enthousiame contagieux et sa gestion très humaine.
Depuis son arrivée il y a 6 ans, l’école s’est démarquée par son dynamisme et son esprit entrepreneurial. Notre directrice a toujours soutenu son personnel et favorisé la création et la mise en place de nombreux projets novateurs dont, entre autres :
Mobilisatrice, elle s’implique volontiers dans toutes les équipes de travail afin de rendre ce milieu toujours plus actif et dynamique, autant pour les activités pédagogiques que culturelles. Perspicace, elle sait reconnaître les forces et la valeur de chacun, peu importe le corps d’emploi (personnel enseignant, professionnel ou de soutien). Dotée d’une grande sensibilité et d’un bon jugement, elle utilise son leadership afin d’optimiser le potentiel de chacun. C’est une directrice engagée et passionnée. Très ouverte sur son milieu, la collaboration entre l’école et la communauté lui tient à cœur. Ses qualités humaines et ses grandes compétences pédagogiques et administratives sont des atouts indéniables pour susciter l’adhésion, l’engagement et le dépassement du personnel. Son leadership fait toute la différence!
Dotée d’une grande sensibilité et d’un bon jugement, elle utilise son leadership afin d’optimiser le potentiel de chacun.
D’ailleurs M. Stéphane Billette, député de Huntingdon, décrit Lynda Loignon en ces termes : « Visionnaire reconnue, elle a compris que pour contrer le décrochage scolaire, il faut lancer des initiatives qui captent l’intérêt des jeunes, les stimulent et les poussent vers la recherche de l’excellence, tant dans les sports que dans les études. »
En conclusion, je crois qu’une bonne direction d’école doit s’engager dans l’action. Elle devient alors une source d’inspiration pour son équipe, l’incitant à s’engager à son tour et à donner le meilleur d’elle-même.
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2013
RECAP – This article presents the views of Lucie Léger, a physical education specialist at Arthur Pigeon School. She analyzes how the principal’s mobilizing leadership was a significant factor in maintaining commitment from teaching staff. Along with other staff members, she describes her principal as open, modern, and attentive to teachers. With a high level of sensitivity and good judgment, the principal uses her leadership skills to maximize each person’s potential.
C’est ma première année d’enseignement. Je regarde les trente-deux petits visages pleins d’attentes, et je me sens envahie d’un sentiment d’inquiétude. Qu’est-ce que je sais et comprends au sujet de l’art d’enseigner, de la croissance et de l’apprentissage des enfants, de la façon de gérer les attentes et les réalités de la vie en classe?
Ma salle de classe est un bâtiment autonome muni d’un toit qui coule. J’ai trente-deux élèves de trois niveaux scolaires différents. Trois d’entre eux sont médicamentés pour des troubles d’hyperactivité; deux autres ont de graves déficiences cognitives et émotionnelles. J’apporte du travail à la maison tous les soirs et je passe de longues heures en fin de semaine à planifier mes cours, préparer la matière et corriger les travaux de mes élèves. Je me sens dépassée, mais mon cri du cœur désespéré lancé auprès du directeur de l’école pour obtenir de l’aide et des conseils suscite uniquement une tape sur l’épaule et un « fais de ton mieux et ne lâche pas » de sa part. L’année scolaire est commencée depuis plusieurs mois et après deux épisodes terrifiants, mes collègues me parlent du concierge de l’école et de ses avances sexuelles non sollicitées envers des employées dans le bâtiment.
Des années plus tard, alors que ma fille entame sa carrière d’enseignante, je me demande si la profession est plus accueillante aujourd’hui qu’elle ne l’était lorsque j’ai commencé à enseigner. Le programme de formation de ma fille est certainement beaucoup plus rigoureux et complet que l’était le mien. Une abondance de ressources et de soutien de même qu’un personnel spécialisé sont à sa disposition pour l’aider à aborder les besoins en matière d’enseignement de ses élèves les plus en difficulté. La technologie numérique lui permet d’accéder rapidement à une panoplie de ressources à utiliser en classe et favorise la communication avec ses collègues. Ainsi, les enseignants peuvent communiquer entre eux de l’information et s’appuyer mutuellement afin de façonner les expériences d’apprentissage de leurs élèves. La collaboration et les réseaux d’apprentissage font partie des priorités énoncées de sa division scolaire et de son école.
Pourtant, en dépit de ces influences positives, il semble que tout n’a pas changé en mieux dans le monde de l’enseignement. Les taux de départ des enseignants débutants au Canada et au Manitoba sont préoccupants, et les discussions menées avec des enseignants en début de carrière donnent à penser qu’il faudrait modifier certaines des façons dont la profession prépare, lance et intègre ses nouveaux membres.
Bien qu’ils reconnaissent les forces particulières des programmes de formation, beaucoup de nouveaux enseignants éprouvent de la difficulté à passer de la formation initiale à l’enseignement en classe. La complexité du rôle d’enseignant n’est pas toujours bien comprise, et l’énorme volume de travail est simplement lourd pour certains. Le manque de connaissances lié aux aptitudes pratiques de base, comme la gestion d’une salle de classe, la communication avec les parents, les stratégies d’évaluation et la préparation des bulletins, laisse souvent les nouveaux enseignants en difficulté, épuisés et confus.
De plus, les pratiques d’embauche dans les divisions peuvent exacerber ces contraintes et renforcer le facteur d’isolement inhérent aux structures et climat organisationnels de l’école. On confie souvent aux enseignants débutants et inexpérimentés les affectations d’enseignement les plus difficiles et les moins désirables – postes à temps partiel, postes itinérants et pour une période déterminée, élèves en difficulté, cours et niveaux scolaires en dehors de leurs champs de formation et d’expertise. Passant d’une école à une autre ou d’une affectation à une autre, année après année ou même à l’intérieur d’une même année scolaire, les nouveaux enseignants ont peu d’occasions d’établir des relations, de se perfectionner et de recevoir la rétroaction évaluative nécessaire pour évoluer professionnellement et devenir compétents.
L’enseignement n’a jamais été conçu pour les cœurs fragiles, mais cette profession n’a jamais été aussi exigeante qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Les activités d’orientation des nouveaux enseignants sont courantes dans les écoles et divisions scolaires du Manitoba, mais dans de nombreux cas, on n’offre rien de plus qu’une séance de bienvenue et d’introduction. Les programmes d’encadrement exhaustifs, soutenus et pluriannuels sont rares, et les possibilités de formation périodique destinées aux cohortes de nouveaux enseignants ne fournissent pas toujours ce qui est nécessaire, au moment opportun. Les demandes des enseignants débutants faites auprès de l’administration scolaire pour obtenir un encadrement et du soutien afin de relever les défis et résoudre les difficultés suscitent un appui inconditionnel de la part de certains directeurs d’école, alors que d’autres semblent non intéressés ou pas en mesure d’aider. En plus de cela, certains enseignants hésitent à demander de l’aide au directeur ou à d’autres enseignants par crainte d’être jugés, mettant ainsi leur sécurité d’emploi en péril dans les prochaines années. Enfin, les nouveaux enseignants expriment fréquemment de la frustration et se disent même parfois victimes d’intimidation lorsqu’ils remettent en question les pratiques et les politiques, ou lorsqu’ils proposent d’autres visions et méthodes au sein de leur école.
L’enseignement n’a jamais été conçu pour les cœurs fragiles, mais cette profession n’a jamais été aussi exigeante qu’elle ne l’est aujourd’hui. Il serait naïf de présumer qu’un programme de formation initiale pourrait fournir aux enseignants candidats les connaissances et les compétences nécessaires pour surmonter toutes les difficultés dans les salles de classe et dans toutes les situations. Les conseils scolaires, les administrateurs des divisions et des écoles, et les enseignants expérimentés ont d’importants rôles à jouer pour aider les enseignants qui font leur entrée dans la profession à s’adapter et à devenir les éducateurs remarquables que nos élèves sont en droit d’avoir.
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2013
RECAP – Teaching is an art. This article offers a valuable perspective on the reality experienced by every new teacher dealing with the constraints of the profession and the art of teaching. Despite an initial rigorous training program, an abundance of technological resources, a wide range of available services, and a solid learning network, teachers often feel overwhelmed early in their career by the magnitude of the challenge before them. They have difficulty adjusting from initial training to classroom teaching. Their role is complex, and their task monumental. New teachers often feel isolated and seek positive feedback for a sense of competency and professional growth. According to the author, much progress needs to be made in Manitoba schools and school divisions to break this isolation and provide new teachers with adequate and effective professional support.
Au cours des dernières années, le campus du Collège Boréal à Toronto a accueilli un nombre important des jeunes immigrants d’origines diverses, venant des écoles secondaires francophones et des écoles d’immersion. Si plusieurs de ces jeunes s’adaptent relativement bien aux études collégiales, il n’en demeure pas moins que certains d’entre eux ont besoin de plus d’appui pour relever les défis de ce nouveau cadre d’apprentissage. Cet article poursuit un double objectif : expliquer les défis auxquels ces jeunes font face et proposer des stratégies susceptibles de contribuer à leur réussite solaire.
Défis scolaires des jeunes immigrants au collégial
Dans le cursus de formation de ces jeunes issus de l’immigration, les défis, réels ou perçus, sont des obstacles, des adversités, des embuches, bref, tout ce qui les empêche directement ou indirectement de réussir leurs études. Plus singulièrement, ces jeunes sont confrontés à trois défis majeurs : la compétence linguistique, le système d’enseignement collégial, et l’utilisation des technologies. Ces défis sont, à nos yeux, les plus importants auxquels il faut s’attaquer.
1. La compétence linguistique
Les programmes collégiaux sont élaborés sur la prémisse que les étudiants qui s’y inscrivent ont des compétences minimales dans les deux langues officielles (français et anglais) pour atteindre les résultats d’apprentissage en formation professionnelle (RAFP) ainsi que résultats d’apprentissage relatifs à l’employabilité (RARE). Pour les jeunes immigrants, le manque de connaissances en anglais est un obstacle à l’atteinte de plusieurs RAFP et RARE. Malgré l’existence de la documentation en français, celle-ci ne permet pas de combler tous les besoins en matière de référence pour les cours. La familiarisation avec la terminologie dans les deux langues, que nous considérons comme un important avantage concurrentiel pour les diplômés des collèges francophones, est pourtant un motif de frustration pour ces jeunes qui, venant des pays où l’apprentissage de l’anglais n’est pas une exigence du curriculum, apprennent celle-ci comme troisième ou quatrième langue.
2. Le système d’enseignement collégial
Nous constatons que les jeunes immigrants qui éprouvent des difficultés viennent de systèmes d’enseignement où la mémorisation des théories est plus accentuée que la pratique (le savoir-faire). Ces jeunes doivent désormais se familiariser avec un système où le travail en équipe (interdépendance), l’esprit entrepreneurial (indépendance) et le respect des consignes (dépendance) sont les principales caractéristiques.
3. L’utilisation des technologies
Les programmes des collèges doivent répondre aux besoins du marché de travail où l’adaptation aux nouvelles technologies est un impératif. Plusieurs plans de cours présentent ou moins deux outils (logiciels, équipement, programme) que les étudiants doivent apprendre pour atteindre les RAFP et les RARE. La maîtrise de ces outils, mieux les connaissances de leur utilisation, est un préalable nécessaire à l’accès aux études collégiales. Ce qui n’est pas toujours le cas pour les jeunes immigrants.
Stratégies pour assurer la réussite des jeunes immigrants
Les services d’appui à l’apprentissage du collège accompagnent les étudiant(e)s dans le développement de leur plein potentiel en leur offrant des services de qualité adaptés à leurs besoins. L’adaptation de ces services aux besoins des jeunes immigrants se traduit par, entre autres, les stratégies suivantes :
Conclusion
Les jeunes immigrants font face à de multiples défis durant le processus d’intégration scolaire. Il est important que le personnel collégial s’engage de façon continue à les identifier et à développer des stratégies diversifiées afin de faciliter leur intégration et leur succès scolaire.
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2013
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Gaudet, E., & Loslie, S. (2009). Recherche sur le succès scolaire des étudiants de langue et culture différentes inscrits dans les établissements collégiaux francophones du Canada. Ottawa, Réseau des cégeps et des collèges francophones du Canada (RCCFC).
L’évaluation se vit naturellement au quotidien. Notre vie est parsemée de projets à planifier, de problèmes à résoudre, d’actions à entreprendre. Dans tous ces cas, nous cherchons des pistes, des ressources, nous analysons les pour et les contre pour éventuellement prendre une décision éclairée et satisfaisante. Que ce soit pour l’achat d’une voiture, la planification des vacances d’été, l’engagement dans une union de couple, nous associons toujours le : « je voudrais » à « si je peux » qui renvoie à notre contexte de vie. Même si parfois les décisions sont difficiles à prendre, le processus est pour sa part, limpide et conséquemment naturel.
Alors, comment expliquer que ce processus génère différentes tensions lorsque vient le temps d’évaluer les apprentissages des élèves? Pourquoi le naturel de notre quotidien ne se transfère-t-il pas dans l’action professionnelle? Plusieurs éléments l’expliquent.
Tout d’abord, dans notre quotidien, nous sommes les seuls responsables de notre décision et probablement les plus affectés lorsqu’une mauvaise décision est prise. À titre d’exemple, si j’ai acheté une voiture trop luxueuse pour mes moyens, je devrai tout de même faire en sorte que mes paiements se fassent. Je subis donc le contrecoup de ma décision. Dans un contexte professionnel, l’enseignant évalue les apprentissages d’une autre personne, soit l’élève. Il se doit alors d’être le plus informé possible pour que le jugement n’entraîne pas une décision erronée qui pourrait éventuellement nuire au cheminement de cet élève.
Puis, l’apprentissage est abstrait. Contrairement aux critères à mettre en perspective lors de l’achat de la voiture, l’apprentissage ne se mesure pas en soi. On ne peut effectivement pas l’identifier de manière précise. Seules les manifestations de cet apprentissage seront visibles et observables et ce, en autant que l’élève puisse donner les preuves nécessaires pour faciliter le processus d’évaluation.
Finalement, en salle de classe, les problèmes et les contextes sont multipliés par le fait que tous les élèves sont différents. L’enseignant doit donc non seulement évaluer des apprentissages sensés être réalisés par chacun des élèves du groupe, mais il doit aussi pouvoir analyser en quoi ces apprentissages sont effectifs compte tenu des contextes, des difficultés d’apprentissage et des cas particuliers d’élèves. Cela rend le processus complexe, car il est en quelque sorte « fabriqué » plutôt que « naturel ».
Le processus d’évaluation se vit différemment selon la fonction qu’il préconise. Si l’évaluation est certificative (sommative), elle encourt des décisions d’ordre administratif liées à la note au bulletin et se réalise à partir de traces pour lesquelles un jugement professionnel doit être rendu. Sylvie Fontaine et ses collaborateurs indiquent que le jugement se concrétise lorsque : « …les enseignants désirent savoir comment chacun des élèves a intégré telle ou telle connaissance et quel a été son progrès dans la maîtrise d’une compétence à acquérir1. » Ce jugement implique alors que l’enseignant met différentes informations en relation les unes avec les autres pour mieux expliquer ses décisions. Dans un tel contexte, il prend certes en considération les traces des apprentissages des élèves comme les exercices, travaux, projets. Également, il porte un regard attentif aux derniers résultats obtenus lors d’évaluations formelles, tels des examens ou des projets à long terme. Ainsi, il pourra indiquer un niveau de compétences ou un degré de connaissances en tenant compte de l’ensemble de la situation pour chaque élève.
Un tel processus impliquant un jugement professionnel demande rigueur et planification. Il implique aussi un haut niveau de compétences pour accompagner les élèves en difficulté lors des évaluations formatives. Il s’agit ainsi d’apprendre à décoder les sources des erreurs des élèves; de comprendre leur cheminement parfois fautif, dans la résolution d’un problème par exemple; de l’aider à revoir ses stratégies et à se motiver pour poursuivre ses apprentissages.
Ce travail d’accompagnement se définit de trois manières différentes qui s’articulent autour des moments particulièrement importants. Résumons les propos de Linda Allal et Lucie Mottier Lopez2 sur ces moments de régulation.
La régulation proactive concerne le moment précédant un apprentissage donné. Souvent prévu comme une activité collective à toute la classe, l’enseignant peut vérifier l’état des connaissances ou le niveau de compétences en lien avec un contenu à faire apprendre ultérieurement. Souvent associé à l’évaluation diagnostique, ce moment de régulation permet aussi à l’enseignant de vérifier certaines spécificités relatives à des élèves particuliers dans la classe et ainsi prévoir une planification non seulement centrée sur les apprentissages du groupe d’élèves, mais aussi sur leurs manières d’apprendre et de concevoir la matière et ce, tout en tenant compte de l’hétérogénéité du groupe. À titre d’exemple, un enseignant peut constater qu’une grande partie de ses élèves déteste les mathématiques et conséquemment prévoir des activités qui feront en sorte de les convaincre de la nécessité de mieux appréhender cette discipline.
La régulation interactive se vit au moment de l’apprentissage lorsque vient le temps de répondre aux questions des élèves, de leur permettre de trouver des solutions ou encore de créer l’échange à partir d’un portfolio ou d’un projet en cours d’exécution. Cette pratique, fort répandue d’ailleurs, permet à l’enseignant de mieux cerner les sources des difficultés de chaque élève. Ainsi, le fait de noter ses observations lui permettra de mieux s’outiller lorsque viendra le temps de prendre une décision certificative.
« La régulation facilite l’engagement de l’élève dans ses propres apprentissages et favorise par conséquent le développement de ses compétences. »
Pour sa part, la régulation rétroactive se vit après une activité. Tout enseignant corrige des travaux et des productions, des exercices et devoirs. Toutefois, ce travail de correction ne deviendra régulation rétroactive qu’au moment où l’enseignant posera des questions à l’élève autour des réinvestissements possibles, par écrit ou oralement.
Pour favoriser un réel accompagnement de l’élève dans son processus d’apprentissage, l’accueil et l’ouverture de l’enseignant face aux difficultés des élèves par la création d’un climat de confiance et par la lucidité dont il peut faire preuve pour l’aider à mieux comprendre, sont ainsi essentielles. Cette régulation permet en effet à l’élève d’apprendre à s’autoréguler. Au-delà de l’autoévaluation, l’autorégulation favorise un méta-regard de l’élève sur son résultat, mais surtout sur le processus qui l’a amené à ce résultat. Dit autrement, la régulation constante et réfléchie de l’enseignant amène l’élève à développer un sentiment d’efficacité personnelle puisque ce dernier s’améliore, comprend mieux les raisons d’un échec donné et réussit. La régulation facilite l’engagement de l’élève dans ses propres apprentissages et favorise par conséquent le développement de ses compétences3.
Première publication dans Éducation Canada, juin 2013
RECAP – Assessment is a highly complex process that demands sound judgment and professionalism on the part of teachers. It requires the gathering of information from students and the evaluation of their level of skills development and knowledge acquisition, followed by a fair and informed decision. Beyond the report card marks, assessment can support students in their learning. A process that involves adjustment strategies enables students to better grasp the material, while still generating the accumulation of marks for a fair professional judgment. Adjustment encourages the commitment of students to their own learning and thus fosters the development of their skills.
Depuis plus de 30 ans, d’importants moyens ont été déployés en Suisse romande pour réformer l’école. L’ouvrage collectif de Gilliéron Giroud et Ntamakiliro (2010)1 établit un bilan des réformes entreprises en matière d’évaluation en Suisse romande. Le bilan concerne plus spécialement les cantons de Berne, Genève et Vaud qui ont tenté de promouvoir des pratiques innovantes, étudiées par des centres de recherche. Entre les années 1970 et 2000, ces systèmes scolaires (chaque canton suisse possède sa propre règlementation scolaire) ont cherché à encourager des pratiques d’autoévaluation, une observation formative des progressions d’apprentissage des élèves, la suppression des notes chiffrées au cours des premiers degrés de la scolarité, des évaluations explicitement fondées sur des objectifs et critères précis, des modes plus systématiques et variés de communication aux familles, des portfolios, etc. Bref, une évaluation qui devait être d’abord au service de l’apprentissage des élèves, dans des modalités d’évaluations diversifiées, plus « authentiques », mieux articulées aux évaluations certificatives. Les grandes finalités de ces réformes étaient de lutter contre l’échec scolaire et la sélection précoce; elles visaient une plus grande démocratisation de l’école et de l’accès aux formations.
Qu’en est-il de ces innovations plus de trente ans après leur introduction? Le constat est quasi sans appel : tant de l’intérieur que de l’extérieur de l’école, les obstacles et les résistances ont été nombreux. Un retour à des pratiques d’évaluation plus traditionnelles a été plébiscité. Les raisons principales : lourdeur et manque de praticabilité des démarches innovantes; communication insuffisante entre enseignants, avec les parents, les autorités scolaires; incompréhension des visées des innovations; manque de repères communs et explicites. De plus, l’émergence d’une nouvelle politique de gestion et d’évaluation des systèmes éducatifs par les résultats « accountability » a modifié sensiblement le contexte socio-économique et politique de l’école. Désormais, l’évaluation, qui initialement se situait au sein de la classe, devient un enjeu plus large, à travers notamment les enquêtes internationales et nationales, censées informer le politique, le public, les « usagers » de l’école à propos de la qualité et de l’efficience de cette dernière. Une certaine culture de l’économie et du management devient la référence pour « rationaliser », dans une logique parfois proche de la quantophrénie (à savoir chercher à traduire systématiquement les phénomènes sociaux et humains en indicateurs chiffrés), les pratiques didactiques et socio-pédagogiques. Certes, cette brève analyse est caricaturale : des nuances sont à apporter, notamment par rapport à la complexité des valeurs, parfois contradictoires, recelées par les différentes fonctions de l’évaluation des apprentissages des élèves, des processus de communication et d’implantation des innovations, de l’évolution des attentes de la société, etc.
Cet état des lieux, pour qui a œuvré à promouvoir des pratiques innovantes, pourrait susciter le découragement. Heureusement, des études actuelles tendent à montrer que ces années de réforme ont néanmoins engagé une certaine transformation de la culture pédagogique de l’évaluation auprès des enseignants et dans les établissements scolaires.2
Avec mon équipe de recherche EReD (évaluation, régulation et différenciation des apprentissages en situation scolaire et en formation), en synergie notamment avec des collègues au sein de l’ADMEE (Association canadienne et européenne pour le développement des méthodologies d’évaluation en éducation, réunissant chercheurs, praticiens et décideurs), nous avons pris l’option d’étudier les pratiques d’évaluation dans une approche collaborative3. Ce type de recherche vise à promouvoir le développement professionnel des acteurs de terrain et à la fois la production de connaissances scientifiques sur les pratiques4. L’enjeu est de construire une relation de partenariat entre les autorités scolaires, les chercheurs et les acteurs de terrain (au sens large) par rapport à des problématiques élaborées ensemble : par exemple, soutenir la régulation de l’apprentissage dans des situations complexes; développer chez les élèves des compétences à s’autoévaluer; apprendre à gérer les enjeux de l’évaluation scolaire (réguler, certifier, orienter) qui peuvent créer des tensions, paradoxes, ambivalences; exercer un jugement professionnel éthique afin que toute décision évaluative soit prise au bénéficede l’élève, tant au niveau de la classe, de l’établissement que pour ce qui relève des décisions administratives et politiques. Un but est alors de co-construire une culture partagée de l’évaluation, en termes de normes, pratiques, valeurs communes, mais qui assume aussi la légitimité de certaines différences et qui s’émancipe d’une logique de standardisation. Penser aujourd’hui des pratiques « porteuses » en évaluation demande, de mon point de vue, une transformation du rapport entre recherche, terrain, politique. Les recherches collaboratives, qui ont des visées scientifiques et de professionnalisation, semblent représenter un cadre particulièrement propice à la construction d’une relation de complémentarité et d’interdépendance positive entre les différents partis, tout en devant affronter aussi (voire en faire un objet d’étude à part entière) les rapports de pouvoir et les conflits qui se nouent inévitablement dès qu’il y a des enjeux évaluatifs.
Première publication dans Éducation Canada, juin 2013
RECAP – For more than 30 years, significant measures have been implemented in French-speaking Switzerland to reform the school system. The goals of the reform were to improve graduation rates, eliminate early streaming, and increase democracy and access to education in the school system.
The article describes several elements in the French-speaking Swiss context and concludes with avenues to support – through collaborative research methods, in particular – a constructive relationship between stakeholders in the field, researchers, and school and policy leaders, to rethink innovations in classroom learning assessment.
Ce n’est plus un secret : les compétences en littératie sont essentielles à la réussite et se trouvent à la base de tous les apprentissages.
Tout au long de leur parcours scolaire, nous poursuivons les buts suivants :
Nous savons quoi (les compétences à développer), nous savons pourquoi (l’objectif visé)… mais savons-nous comment? Comment s’assurer que ces compétences complexes en littératie soient acquises par tous les enfants dans une école? Lorsque nous examinons les statistiques nationales, les taux de réussite varient nettement d’une province à l’autre. Par exemple, les « Résultats canadiens du Programme international de recherche en lecture scolaire » (Conseil des ministres de l’Éducation Canada, 2012) indiquent que dans la plupart des provinces participantes, les élèves inscrits dans le système scolaire de langue majoritaire ont un rendement significativement supérieur à celui des élèves inscrits dans le système scolaire de langue minoritaire.
Les recherches sont unanimes : le facteur le plus important sur lequel nous avons un contrôle et qui est associé à la réussite des élèves, c’est la qualité de l’enseignement en salle de classe. Le deuxième facteur le plus important, c’est le leadership de la direction scolaire. Mais que veut-on dire exactement par « qualité de l’enseignement »? Quelles sont les actions communes des équipes scolaires où un grand nombre d’élèves « réussissent » année après année? Est-ce que ces actions peuvent contrer le fait que les élèves des écoles de milieu minoritaire sont plus à risque de ne pas développer de bonnes compétences en littératie?
L’expérience d’une école de l’Île-du-Prince-Édouard
À l’École-sur-Mer, comme dans la plupart des autres écoles françaises de l’Île-du-Prince-Édouard, la grande majorité des élèves a un ou deux parents « ayant-droit » de langue anglaise et « vit » en anglais à la maison et à l’extérieur du foyer. Pour plusieurs élèves, leur seul espoir de développer de solides compétences de littératie en français, c’est l’école.
Il y a 7 ans, l’École-sur-Mer accueillait une soixantaine d’élèves de la 1re à la 6e année, dont 55 à 60 % atteignaient les bases en lecture. Présentement, parmi les 115 élèves de la maternelle à la 8e année, près de 80 % des élèves lisent et écrivent des textes qui répondent aux attentes. Les données internes de l’école ont été confirmées pendant trois années consécutives par les données externes obtenues de provinces canadiennes ayant un bon taux de réussite.
Consécration : la majorité des élèves de l’École-sur-Mer affirment aimer lire et écrire. Bien que le travail ne soit de toute évidence pas terminé (nous visons 100 % de réussite), il reste que ces progrès sont très encourageants. Une chose est certaine, ils ne sont pas le fruit du hasard! Une direction scolaire, des enseignants, une enseignante du programme d’Intervention préventive en lecture-écriture (IPLÉ), un mentor en littératie et des parents travaillant en collaboration, l’alignement entre les actions du ministère et de la commission scolaire, autant d’éléments qui figurent parmi les plus importants associés à cette amélioration.
Un des éléments associés aux écoles efficaces : l’évaluation au service de l’apprentissage
L’approche préconisée dans nos écoles comprend les éléments associés aux écoles où un grand nombre d’élèves réussit. Les études et les œuvres des chercheurs et des auteurs tels que Allington, Fullan, Sharratt, Fountas et Pinnel, Marzano, Giasson ont été des sources d’inspiration depuis quelques années.
Nous désirons traiter ici d’un des facteurs de réussite sur lesquels les chercheurs et notre pratique sont unanimes : le suivi très étroit de chaque élève par le biais de l’évaluation au service de l’apprentissage (pour l’apprentissage et comme apprentissage) afin de guider le prochain enseignement, et ce sans mettre de côté l’évaluation de l’apprentissage à différents moments dans l’année.
Pour réaliser ce suivi de chaque élève, les enseignantes de notre province ont participé à du perfectionnement générique et en cours d’emploi afin de comprendre les lecteurs, les textes, la pédagogie. Les cibles en lecture sont claires. Les enseignantes comprennent les connaissances et les compétences associées aux lecteurs efficaces. Elles possèdent des outils et des pratiques qui leur permettent de réfléchir à leurs lecteurs par rapport à leurs connaissances et à leurs compétences, sur une base quotidienne ou ponctuelle.
Les outils comprennent :
Le projet de littératie de l’École-sur-Mer
C’est en examinant les profils en lecture sur une base continue que l’équipe de l’École-sur-Mer a identifié le plus grand défi auquel faisaient face les élèves qui n’atteignaient pas les bases fixées. En effet, lorsque nous avons examiné le profil de ces élèves, nous nous sommes rendu compte que les élèves lisaient avec précision et fluidité, qu’ils appliquaient les stratégies de lecture efficaces. Cependant, lorsqu’ils étaient confrontés à des livres ayant une certaine complexité, ils n’arrivaient plus à saisir les idées importantes et n’étaient plus engagés. Le contenu des livres les dépassait : un vocabulaire avancé, des structures de phrases complexes, un langage figuré.
Les enseignantes ont réalisé qu’elles n’enseignaient pas le langage des livres. Nous nous attendions à ce que les élèves puissent comprendre ce langage tout simplement par le contexte. La lecture à voix haute étant pratiquement inexistante dans leurs familles, pas étonnant que nos élèves aient obtenu de piètres résultats.
Armée de ce constat, l’équipe a pris action. Les enseignantes ont réalisé qu’elles devaient mieux connaître leurs livres. À partir de ce moment, elles ont lu les livres qui étaient dans leurs classes et ont pu identifier les éléments qui rendaient le texte plus difficile. Elles constataient par exemple que dans les livres de Dominique Demers et d’Alain Bergeron, nous retrouvions beaucoup de langage figuré. Elles savaient pourquoi la collection « Le journal d’Alice » était plus facile à comprendre que la collection « Amos Daragon ». Nous étions conscients que les « Savais-tu »,constituaient un genre hybride, que les livres GB+ se rapprochaient du langage des enfants, que les « Tatsu Nagata » développaient leurs connaissances générales.
Les livres, pour la lecture à voix haute, ont donc été choisis judicieusement et lus tous les jours afin d’exposer les élèves à un langage plus riche. Avant, pendant et après la lecture, chaque enseignant en profitait toujours pour clarifier quelques mots de vocabulaire, certains éléments de langage figuré, sans pour autant perdre le plaisir de l’histoire. Ce vocabulaire était par la suite répertorié, discuté et réinvesti à chaque occasion possible.
Nous avions également constaté que les parents cessaient de faire la lecture à voix haute à leurs enfants dès qu’ils étaient capables de lire quelque peu par eux-mêmes. Pour les quelques parents qui parlaient français, nous avions pris l’habitude, pour la lecture à voix haute, d’envoyer des livres à la maison ou d’instituer des petits clubs de lecture parent-enfant pour les plus âgés.
Résultats
À chaque niveau scolaire, chaque année, les élèves bâtissent graduellement leurs compétences grâce aux évaluations qui ont été judicieusement utilisées pour améliorer l’enseignement et grâce au personnel qui a utilisé ses données pour comprendre ce qui ne fonctionnait pas dans l’école.
Aujourd’hui, chaque enseignante suit ses élèves et dès que le progrès se fait attendre, des actions s’ensuivent : l’enseignante et les autres membres de l’équipe tentent de résoudre les problèmes. Les parents sont toujours invités à faire partie des discussions. Parfois nous devons offrir plus de lectures guidées ou d’enseignement ciblé d’un concept, d’autres fois nous offrons du tutorat additionnel. Les solutions varient selon les besoins identifiés.
Puisque chaque enseignante suit ses lecteurs de près et que des traces de ses observations sont gardées par le biais du profil du lecteur, il devient facile d’examiner les données de toutes les classes afin de prendre les meilleures décisions pour l’école :
Est-ce que tout est parfait? Est-ce que tout est facile? Non et non. Mais aussi longtemps que les décisions et les actions de chaque enseignante et de l’équipe demeureront centrées sur les besoins des élèves par rapport aux normes établies, nous nous rapprocherons de ce rêve de voir TOUS les enfants développer des compétences solides en littératie. C’est l’évaluation continuelle ce que les élèves auront appris qui continuera de guider nos décisions, de PERSONNALISER nos actions, cette notion puissante qui nous rappelle que nos décisions affectent la vie de nos propres enfants, nos nièces, nos voisins, nos petits-enfants.
Première publication dans Éducation Canada, juin 2013
Une critique de L’Évaluation des apprentissages – De la planification de la démarche à l’évaluation des résultats (2e édition),
Éditions Hurtubise inc. (Au Canada – Distribution HMH inc.), 2012 ISBN : 978-2-89428-827-6Se campant ouvertement dans une approche par compétences, ce livre parle d’évaluation des apprentissages de façon globale, bien que tous les exemples proviennent du contexte québécois de l’école primaire et secondaire.
Dans sa première partie, l’ouvrage s’attarde au contexte actuel de l’évaluation des apprentissages, tout en revenant sur le passé pour situer le présent. La deuxième partie, la plus imposante, touche la démarche évaluative dans sa globalité, de la planification aux situations d’évaluation jusqu’à la communication – assurément d’actualité si on pense aux nouveaux bulletins – en passant par l’interprétation, le jugement et la décision.
Une particularité du manuel de Durand et Chouinard consiste à montrer comment l’élève peut participer au processus d’évaluation qui, au final, le concerne. Ainsi, un chapitre complet est dédié à cet aspect, lequel contient des informations sur le portfolio, l’autoévaluation et la coévaluation. Le praticien y trouvera assurément des éléments de réflexion quant à la pertinence d’impliquer davantage l’apprenant dans la démarche évaluative, tout comme des pistes d’actions concrètes, ce qui est un des points forts de cet ouvrage.
Rédigé dans un langage clair qui en facilite la lecture, ce manuel se veut résolument didactique dans la mesure où les exemples et les tableaux abondent pour illustrer et clarifier les concepts touchés. Soulignons par ailleurs que chaque chapitre se conclut par des activités de synthèse (avec les corrigés), ce qui pourrait plaire à des formateurs universitaires. Bon nombre de références viennent également soutenir les propos, ce qui confère un caractère professionnel et scientifique à ce volumineux document de 400 pages.
C’est ce mélange judicieux qui donne à cet ouvrage une couleur particulière qui le rendra attrayant pour divers publics. Si l’évaluation demeure une entreprise complexe parfois pesante, l’exercice fait ici cherche à aider les enseignants présents et futurs à planifier toutes les étapes du processus, en misant sur une bonne compréhension des conséquences de leurs choix. Ces derniers y trouveront aussi moult suggestions d’instruments et d’outils pouvant servir, et ce, autant dans une évaluation servant à faire le bilan que dans celle contribuant à la progression des apprentissages de l’élève.
Première publication dans Éducation Canada, juin 2013
L’évaluation, souvent utilisée exclusivement pour mesurer chez l’élève le niveau d’acquisition d’un programme d’études prescrit, se révèle être un puissant outil de mesure, d’analyse, de comparaison, de confirmation, voire de communication.
Hélas, souvent méconnue ou par manque de temps, mise de côté, l’évaluation apporte bien plus qu’un pourcentage figé dans le temps. Lorsque bien utilisée, elle permet à l’enseignant :
Il existe trois modes d’évaluation :
Au sein d’une organisation, le processus d’évaluation doit être une démarche de conciliation, dont l’efficacité et la mise en œuvre reposent sur certaines bases.
A priori, il faut s’assurer que l’ensemble des enseignants a une compréhension commune des buts de l’évaluation, sans parler nécessairement des différentes méthodes d’évaluation.
Ensuite, il faut préconiser un système de correction coopérative réciproque favorisant les échanges, les riches discussions et le partage de pratiques gagnantes entre enseignants. Cette approche leur permet de se valider et de pousser plus loin leurs réflexions.
Bien entendu, on ne peut mettre de côté l’importance de s’assurer que les élèves connaissent et comprennent les objectifs d’enseignement ainsi que les critères d’évaluation ou les indicateurs de réussite.
Qu’est-ce que le jugement professionnel en évaluation?
Chaque jour, aussi banal que cela puisse paraître, au nom de la société qui lui confie cet essaim d’élèves, les professionnels de l’éducation doivent prendre des centaines de décisions pour le meilleur intérêt de l’élève. Cela peut paraître banal bien puisqu’effectivement plusieurs de ces décisions sont faciles à prendre et ne demandent que peu de réflexions, car elles font partie de la routine quotidienne, voire d’automatismes. Mais attention, d’autres engagent l’éducateur dans un processus parfois complexe qui exige réflexions et analyses approfondies.
À la base, débutons par le questionnement simple à savoir, qu’est-ce que le jugement? En droit, c’est une décision rendue, en philosophie, c’est une pensée qui décide de la valeur d’une proposition. Si l’on extrapole, c’est aussi un sentiment, une sanction, une critique… Le jugement est une prise de position provenant de l’analyse rigoureuse d’informations et de données colligées et bien qu’il puisse souvent s’appuyer sur des opinions complémentaires, il n’en demeure pas moins qu’il est subjectif et personnel.
L’évaluation, quant à elle, est une démarche qui vise à porter un jugement professionnel sur les compétences d’un élève. Celle-ci est en lien avec les résultats d’apprentissages ciblés et connus. Elle a pour but de fournir, tant à l’élève qu’à ses parents, un portrait le plus juste possible, de son rendement et de son développement personnel.
Deux définitions bien simples! Mais maintenant, qu’en est-il du jugement professionnel en lien avec la démarche quotidienne d’évaluer?
D’entrée de jeu, la démarche de jugement au regard de l’évaluation du progrès d’un élève n’est jamais une tâche simple. C’est d’autant plus vrai pour un enseignant qui débute dans la profession et qui n’a pas eu la chance et le temps de voir ses élèves cheminer. Deux éléments doivent être pris en considération :
• Dans un premier temps, apprendre à connaître ses élèves avant de poser un premier jugement sommatif, afin de bâtir une relation de confiance et d’établir un profil de classe.
• Dans un deuxième temps, s’assurer d’avoir une planification des apprentissages et, bien entendu, une démarche d’évaluation en lien avec les objectifs connus de tout un chacun. Cette démarche est essentielle et fort simple :
Subjectivité et jugement professionnel
Nonobstant le bon vouloir, on ne peut dissocier subjectivité et jugement professionnel. Louise Lafortune rappelle d’ailleurs que « la mesure ne remplace pas l’exercice du jugement professionnel du personnel enseignant et le jugement professionnel ne peut reposer que sur des faits purement objectifs ». [1]
Attention, subjectivité n’égale pas parti pris, mais plutôt une représentation construite de l’élève que l’on évalue en lien avec ses convictions personnelles. Cependant, même si l’objectivité totale est difficile à atteindre, un processus d’évaluation qui se construit sur des données colligées de façon rigoureuse et transparente permet un jugement éclairé.
Phases du jugement professionnel
Selon David Tripp,[2] il existe quatre phases interconnectées dans l’exercice du jugement professionnel et bien qu’à l’origine, ses recherches fussent en lien avec le monde de la santé, un parallèle peut facilement être établi avec le monde de l’éducation :
Même si l’objectivité totale est difficile à atteindre, un processus d’évaluation qui se construit sur des données colligées de façon rigoureuse et transparente permet un jugement éclairé.
Voici trois critères pour assurer un jugement professionnel de qualité :
Nous sommes dans une ère où chaque point retiré est contesté, chaque remarque annotée est critiquée… une ère où, soyons honnête, le jugement professionnel d’un pédagogue est fréquemment attaqué, sujet à la critique ou remis en question pour tout et pour rien. Devant ce constat, il est donc vital de s’assurer que chacune des décisions rendues est appuyée par une analyse méthodique.
Première publication dans Éducation Canada, juin 2013
RECAP – The importance of a professional sense of judgment in learning assessment is confirmed in the intersecting views of a Quebec school board director general and a French-language teacher in British Columbia. Both assert that a good assessment enables teachers to frequently and continually inform students and their parents, to implement corrective measures or consolidate acquired knowledge, to plan pedagogical objectives for subsequent lessons according to students’ progress, and to identify those who need more specific intervention. The authors describe three criteria to ensure quality professional judgment: it should be based on concrete assessment criteria and an analysis of data from reliable and different sources; the process should be supported by the basic principles of rigour, consistency, and transparency; and the process should be mindful, interactive, and collaborative.
[1] Louise Lafortune, Jugement professionnel en évaluation, pratiques enseignantes au Québec et à Genève, Québec, Presse de l’Université du Québec, 2008, 254 pages. (Collection Éducation Intervention, no 21).
[2] David Tripp, Critical Incidents in Teaching: Development Professional Judgement; (Routledge Education Classic Edition).
L’évaluation des apprentissages constitue pour l’enseignant un acte professionnel important, lourd de responsabilités. C’est une forme de communication très exigeante. Elle a pour but d’informer l’élève et ses parents du développement de ses compétences. Elle doit permettre aussi de mesurer la progression de ses apprentissages grâce à des critères d’évaluation connus et communiqués.
Mais, dans la réalité, est-ce toujours le cas? En évoquant le concept de l’évaluation, on a souvent tendance à se référer spontanément au bulletin, outil de consignation officiel pour le bilan des apprentissages. On se retrouve alors dans un contexte d’évaluation sommative. La majorité des élèves connaît l’importance d’avoir de bonnes notes pour poursuivre des études, décrocher un diplôme et avoir accès, plus tard, au marché du travail. On constate pourtant un taux de décrochage alarmant et une démotivation chez plusieurs jeunes. Il faut se demander comment faire pour que l’évaluation soit porteuse de sens, devienne une source de motivation intrinsèque chez l’élève et aide à identifier les difficultés d’apprentissage.
L’évaluation formative qui précède le bilan, permet justement à l’enseignant de développer des stratégies appropriées de régulation des apprentissages et d’effectuer les ajustements nécessaires pour aider les élèves en difficulté. C’est à ce moment-là qu’intervient la différenciation pédagogique dont l’incidence sur l’évaluation des apprentissages est déterminante.
Tout au long de la démarche d’évaluation, l’enseignant devra traiter des données, les analyser, les interpréter et porter un jugement. Disposant de nombreux outils pour mesurer la progression des apprentissages (tests standards, portfolio, évaluation ministérielle, évaluation quotidienne, auto-évaluation, etc.), l’enseignant devra être en mesure de justifier à l’élève et à ses parents tout jugement ou toutes décisions prises. Le jugement professionnel de l’enseignant sera présent à travers tout le processus d’évaluation, de la planification des activités au bilan final. Ses décisions seront basées sur une solide analyse de résultats à partir d’une collecte de données suffisantes, fiables et pertinentes, en cohérence avec les exigences du programme.
Nul doute qu’une évaluation bien documentée, transparente et rigoureuse trouvera une meilleure place dans tout le processus d’apprentissage, notamment en conduisant les enseignants à remettre en question la pertinence de leurs pratiques pédagogiques.
Première publication dans Éducation Canada, juin 2013
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De quelle manière la tablette numérique peut-elle aider à ouvrir le système d’évaluation en le rendant à la fois plus équitable et plus exigeant?
Qui n’a pas rêvé d’une évaluation constructive, permettant aux élèves de restituer la totalité des connaissances et compétences travaillées?
Qui n’a pas rêvé d’une évaluation globale et structurante permettant à l’élève de s’assurer de sa compréhension et de prendre automatiquement conscience des zones d’ombre demeurant à la fin d’un cours?
Qui n’a pas rêvé d’une évaluation qui ne stigmatiserait pas mais au contraire permettrait de sortir grandi et confiant?
L’introduction des tablettes dans les classes a déjà permis d’ouvrir le champ des possibles et surtout de pousser les limites usuelles des apprentissages en apportant sens, complexité et inédits1 dans le quotidien des classes. L’évaluation ô combien décriée, stigmatisée et remise en question dans les systèmes éducatif français et internationaux, pourrait peut-être tirer parti de ce complexe inédit apporté par les tablettes.
Grâce aux applications permettant la réalisation de cartes heuristiques (mind mapping ), les enseignants ont trouvé une porte innovante pour évaluer les élèves.
Ils ont enfin tout le loisir de sortir du questionnaire fermé et de passer à un degré d’analyse et de synthétisation bien plus élevé. La carte heuristique ou mentale est un schéma calqué sur le fonctionnement du cerveau2 permettant de représenter visuellement le cheminement associatif de la pensée. Cela permet de mettre en évidence les liens existant entre un concept, une idée et les informations y étant associées.
« Grâce aux applications permettant la réalisation de cartes heuristiques (mind mapping ), les enseignants ont trouvé une porte innovante pour évaluer les élèves. »
À l’issue d’une notion vue, l’évaluation sous forme de carte heuristique portera sur la capacité des élèves à organiser et structurer l’ensemble des notions abordées. L’organisation du support devra permettre de définir, par une mise en liens individualisée et personnelle, une indexation propre des connaissances. L’enseignant, en utilisant ce type de méthodologie d’évaluation, évite la décomposition en tâches isolées et permet de centrer l’exercice sur une mise en activité des élèves rendant compte de ce qu’ils savent ou peuvent « faire » à l’issue du cours. C’est la restitution d’une notion dans son ensemble qui est visée et non des bribes à sortir aléatoirement d’un tiroir.
Cette évaluation plus équitable est également une évaluation où l’accès à la connaissance n’est plus enclenchée par une prioritarisation arbitraire de l’information obtenu à l’aide d’un questionnaire subjectif. Elle permet ainsi de prendre plus largement en compte les processus de mémorisation mis en œuvre par les élèves. Les mémoires qu’elles soient sémantiques, lexicales, épisodiques, sensorielles ou lexicales seront toutes mises à profit dans ce type de démarche. En effet grâçe au support numérique, ce système d’encodage de l’information va permettre de faire des associations multiples ( images, mots, vidéos ..) et donc ainsi d’ouvrir les portes d’accès à la connaissance de manière plus large.
Des études3 ont montré que seuls quelques mots-clés appelés « mots de rappel » permettent de mémoriser un texte. Ces mots ne représentent qu’environ 10% de ceux employés dans ce texte. Il est donc ainsi globalement plus facile pour un élève de reconstruire en mettant au fur et à mesure de l’exercice les pièces du casse-tête en commun. Par une vision d’ensemble progressivement construite les zones d’ombres vont plus rapidement et avec plus de sens trouver une réponse.
Ex: Histoire, classe de CE2, Évaluation sur la fin de la préhistoire.
À l’issue de cette mise en place, le niveau général de compréhension et de connaissance des élèves sur le long terme augmente. En effet, en évitant l’écueil de surcharge et d’empilement de données décrochées, on favorise ainsi l’articulation des connaissances. La mise en liens se fait naturellement et procède automatiquement à une inscription durable du savoir en mémoire. L’attitude positive face à la tâche et les méthodologies de mémorisation s’en trouvrent également renforcées.
Nous ne sommes aujourd’hui qu’aux prémices de mise en place de ces méthodologies de travail et d’autres portes semblent également s’ouvrir. La globalisation de la tâche ainsi générée permet aux élèves les plus en difficulté d’être ouverts à une mise à distance des contenus d’apprentissage et à automatiser une certaine prise de recul sur les savoirs. Cette capacité de mise à distance, au préalable majoritairement accessible par les « bons » élèves4, semblerait améliorer la compréhension de situations-problèmes. Le champ des possibles offerts par cet outil nous demande légitimement de revisiter nos approches de l’évaluation et ce afin d’ouvrir la porte à un plus grand nombre d’élèves.
Première publication dans Éducation Canada, juin 2013
RECAP – How might the digital tablet help make the assessment system more just and more rigorous? The introduction of tablets in classrooms has already pushed the limits of learning by bringing meaning, complexity, and novelty to the daily routine. The oh-so disparaged, stigmatized, and discredited assessments in the French and international education systems could perhaps benefit from the complexity and novelty enabled by tablets. For example, applications for the creation of mind maps bring out the links between a concept, idea, and the associated information, and can be used as an innovative way to assess students. The range of possibilities offered by this tool is a legitimate reason to revisit our approaches to assessment in order to open the door to a greater number of students.
1 Carette Vincent, 2009. « Et si on évaluait des compétences en classe? » À la recherche du « cadrage instruit » “. Mottier Lopez Lucie & Crahay Marcel. Évaluations en tension. Bruxelles : De Boeck.
2 Tony Buzan, 1971. An encyclopedie of the brain and its use.
3 Farrand, Paul, Fearzana Hussain, and Enid Hennessy. 2002. The efficacy of the ‘mind map’ study technique. Medical Education, Vol 36 (Issue 5), 22 May, 426-431.
4 Morlaix Sophie, 2009. Compétences des élèves et dynamique des apprentissages. Rennes: Presses universitaires de Rennes.
Les universités accueillent de plus en plus d’étudiants en situation de handicap. Ces étudiants se scindent en deux groupes relativement distincts, ceux en situation de handicap visible (problèmes de mobilité, handicap physique, surdité, cécité) et ceux en situation de handicap invisible (problème de santé mentale, trouble déficitaire de l’attention, trouble envahissant du développement, trouble d’apprentissage). Ces derniers présentent une diversité de profils et de besoins qui affectent tant l’accompagnement pédagogique offert que le choix des mesures adaptées.
(suite…)
Introduction
Les étudiants en situation de handicap (ESH) ont théoriquement toujours eu accès à l’éducation supérieure au Québec, mais ils n’ont pas toujours eu les services auxquels ils avaient droit. Depuis près de 30 ans, le cégep du Vieux Montréal accueille des étudiants en situation de handicap et leur offre des services pour pallier à leur déficience. Dans cette même perspective, il a reçu le mandat de soutenir les cégeps de l’Ouest de la province.1 En 1995, au Québec, seulement 3502 étudiants avaient accès à des accommodements. Puis, les étudiants ayant des troubles d’apprentissage, des troubles de santé mentale ou déficitaire de l’attention commencèrent à réclamer des services pour pallier leur trouble souvent diagnostiqué dès leur enfance, non reconnu au collégial. En 2007, le gouvernement québécois a financé des projets pilotes visant ces effectifs. Devant l’augmentation significative d’étudiants voulant s’en prévaloir et de nouvelles interventions à privilégier, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) instaure un programme de financement en 2011. Dès son implantation, la question sur la pertinence d’exiger un diagnostic s’est posée et s’il n’y avait pas lieu de le remplacer par un plan d’intervention basé sur le modèle utilisé pour enfants et adolescents à risque.
Ce questionnement a contribué à donner l’impression que seuls les étudiants ayant un trouble diagnostiqué pouvaient recevoir du soutien aux études alors que ceux qui ont des difficultés étaient laissés à eux-mêmes.
Depuis 10 ans, les étudiants en situation de handicap sont de plus en plus nombreux à être admis au collégial.
Trouble et difficulté n’ont pas la même signification. Le trouble est une limitation significative et persistante associée à un diagnostic médical officiel. La difficulté est considérée comme passagère. En fait, il s’agit de deux réalités demandant des besoins différents. Or, des solutions existent pour les deux.
Les étudiants en situation de handicap (ESH)
Depuis 10 ans, les étudiants en situation de handicap sont de plus en plus nombreux à être admis au collégial. Ceci peut s’expliquer par de meilleurs diagnostics établis dès le primaire et le secondaire et aussi, souhaitons-le, par une plus grande réussite de l’éducation obligatoire auprès des étudiants à besoins particuliers. Représentant près de 10 % de la population en général3, ils sont maintenant près de 5 000 sur un total de près de 150 0004, ce qui équivaut à 3 % de la population étudiante. En 1982, début de l’intégration, les étudiants ayant des troubles sensoriels étaient majoritaires. Aujourd’hui les étudiants ayant un TA, un TDAH ou un TM sont de loin plus nombreux.5 En 2007, on en dénombrait 557 au niveau collégial alors qu’en 2011, ils sont plus de 4 000.6
Les collèges ont l’obligation d’accommoder l’étudiant qui présente un diagnostic. Les accommodements sont offerts selon le trouble identifié, les besoins et le programme d’étude7. Ce sont les Services adaptés qui déterminent les accommodements nécessaires sur remise d’un diagnostic. Les conseillers rattachés rencontrent les étudiants lorsque ces derniers déclarent leur trouble, soit à la rentrée ou à tout autre moment puisque cela n’est pas obligatoire ni à l’admission, ni à l’inscription.
Lors d’une première entrevue, le professionnel procèdera à l’évaluation des besoins à partir du diagnostic, des recommandations du professionnel et de l’expérience scolaire de l’étudiant. En cours d’études, le conseiller s’appuiera sur ses résultats scolaires en prenant en compte le type d’évaluation avec lequel, il éprouve des difficultés. Sauf exception, l’étudiant ayant atteint la majorité participera à l’évaluation de ses besoins. Puis, un plan de service est mis en place8.
Ce plan définit les accommodements et est revu à chaque session et sera reconduit ou modifié selon les besoins de l’étudiant, son cheminement scolaire et ses réussites. Il sera fourni aux enseignants. Ainsi, l’obligation d’accommoder de l’établissement est transférée à l’enseignant qui ne peut le refuser, à moins de contrainte excessive. Il doit alors en informer le Service adapté qui trouvera avec lui un moyen plus approprié au contexte de sa classe.
La relation avec les enseignants sera quotidienne pour les étudiants et ponctuelle pour les conseillers. Certains étudiants demandent un encadrement plus serré alors que d’autres plus autonomes, requièrent peu de suivis. Cependant, les conseillers sont disponibles tout au long de la session. Pour les étudiants ayant un besoin plus grand d’encadrement, le plan d’intervention sera réalisé, souvent avec la collaboration des enseignants. Mais cette situation est plus rare.
Les étudiants en difficulté
Qu’arrive-t-il aux étudiants qui n’ont pas de diagnostic, mais qui éprouvent tout de même des difficultés à réussir leurs études? Depuis l’année 2000, les collèges ont l’obligation d’élaborer un plan de réussite. Cela leur permet d’évaluer les difficultés et de définir des services de soutien à l’apprentissage. Souvent, les mesures de soutien sont offertes soit par programme, soit pour des effectifs particuliers ou pour des matières particulières.
Conclusion
La distinction entre les services adaptés et les services à la réussite démontre qu’il s’agit de deux types de services pour des étudiants n’ayant pas les mêmes besoins. Un étudiant peut rencontrer des difficultés pour une matière ou un cours et ne pas avoir de trouble. C’est pourquoi il est encore important que cette distinction passe par l’obtention d’un diagnostic pour l’admission aux services adaptés, afin de s’assurer qu’il s’agit d’un trouble et non d’une difficulté. Il sera ainsi plus facile d’assurer l’équité pour tous les étudiants.
Première publication dans Éducation Canada, mars 2013
RECAP – Students with disabilities have theoretically always had access to higher education in Quebec, but they have not always had the services to which they are entitled. For nearly 30 years, the cégep du Vieux Montréal has welcomed students with disabilities and offered them services to support their disabilities. Accordinagly, this college was given the mandate to support CÉGEPS in western Quebec. With better diagnoses and accommodation during elementary and high school, and greater success in compulsory education among students with specific needs, an increasing number of students with disabilities are being admitted at the college level. Since the year 2000, colleges have been obliged to develop a success plan, to assess student difficulties and determine learning support services.
1 Le cégep de Ste-Foy a les mêmes responsabilités.
2 Bonelli, Hélène et coll. (2010) Portrait des étudiantes et étudiants en situation de handicap et des besoins émergents à l’enseignement postsecondaire, p.14.
3 OPHQ, 2012.
4 Fédération des cégeps, 2012.
5 Bonelli, Hélène et coll. (2010) Portrait des étudiantes et étudiants en situation de handicap et des besoins émergents à l’enseignement postsecondaire, p.13-14. (TA = trouble d’apprentissage; TDAH = trouble de déficit d’attention avec ou sans hyperactivité et TM = trouble mental).
6 Données internes des CCSI (Centre collégial de soutien à l’intégration).
7 Bonelli, Hélène et coll. (2010) Portrait des étudiantes et étudiants en situation de handicap et des besoins émergents à l’enseignement postsecondaire, p.13-14.
8 Jusqu’en 2011, il n’y avait pas de plan d’intervention pour les étudiants en situation de handicap au collégial; l’actuel plan est très différent de celui mis en place dans les études primaires et secondaires.