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Apprentissage autochtone, Équité, Évaluation

Un souffle d’espoir pour les élèves autochtones

Entrevue avec le très honorable Paul Martin

Après avoir quitté la politique fédérale en 2006, le 21e premier ministre canadien, le très honorable Paul Martin, a créé la fondation « INITIATIVE D’ÉDUCATION AUTOCHTONE MARTIN (IEAM) ». Son objectif est d’appuyer les projets qui améliorent l’enseignement primaire et secondaire destiné aux Autochtones canadiens. L’IEAM croit que le développement de compétences procurera aux jeunes autochtones la motivation nécessaire pour poursuivre leurs études. Ses projets sont choisis en consultation avec les leaders autochtones concernés, les instances provinciales et territoriales responsables de l’éducation ainsi que divers milieux d’affaires canadiens.

YN : M. Martin, nous vous savons un ardent défenseur de la cause des Inuits, des Premières Nations et de la Nation Métisse du Canada. D’où vous viennent cette passion et cet intérêt pour les communautés autochtones?

PM : Tout a commencé dans ma jeunesse. J’ai vécu 45 ans à Montréal mais je suis natif de Windsor, en Ontario. Adolescent, je n’avais pratiquement aucune chance de connaître les Autochtones de mon âge. Par contre, j’ai réussi à dénicher un travail d’été dans la construction à Winisk, sur la Baie d’Hudson. Pour la première fois, je côtoyais la pauvreté partout. Je me disais qu’il n’était pas possible qu’il y en ait autant dans un pays aussi riche que le Canada! Lors de mon 2e emploi, j’ai été engagé comme matelot sur la rivière McKenzie. Cela m’a permis de connaître de jeunes autochtones de mon âge (Premières Nations, Métis et Inuit) : après le travail, nous échangions ensemble. J’ai découvert des personnes travaillantes, très intelligentes et « le fun ». J’ai également réalisé la différence entre ces jeunes et ceux de Windsor qui avaient une joie de vivre et un optimisme face à l’avenir que je ne retrouvais pas chez nos amis autochtones. C’est précisément à ce moment qu’est né mon intérêt pour cette communauté. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai pris connaissance de l’influence néfaste des pensionnats autochtones, laquelle n’était pas connue de la grande majorité des Canadiens, dont moi-même. C’est à cause de cela que j`ai décidé qu’un de mes objectifs serait de soutenir ces peuples autochtones courageux et attachants.

YN : Vous dites que l’éducation est un facteur déterminant pour consolider le tissu social et économique des peuples autochtones et l’amener à égalité avec celui dont bénéficient les autres Canadiens. Pouvez-vous nous parler de ce que fait votre Fondation pour atteindre cet objectif?

PM : Je dirais que depuis une vingtaine d’années, il y a une nette amélioration concernant l’éducation de cette communauté du côté collégial et universitaire, mais pas du côté primaire et secondaire. Pourtant, sur les réserves et à l’extérieur de celles-ci, les enseignants travaillent de façon extraordinaire pour aider la clientèle autochtone mais le principal problème réside dans le sous-financement des programmes d’éducation autochtone. Ces derniers sont sous-financés de 30 % à 50 % par le gouvernement fédéral en comparaison du financement accordé par les provinces à leurs écoles publiques.

Notre Fondation vise justement à améliorer l’éducation des jeunes autochtones, sur les réserves ou hors-réserves. En voici quelques exemples :

 

  1. Le programme « Jeunes Entrepreneurs Autochtones » pour les élèves de 11e et 12e année leur offre des opportunités de s’initier au milieu des affaires, à l’entrepreneuriat et de mieux comprendre le monde de l’économie. Nous les encourageons à compléter leur éducation secondaire et à poursuivre des études postsecondaires. Ce programme connaît un franc succès : 16 nouvelles écoles y ont adhéré en Saskatchewan et 10 en Ontario, dans la dernière année.
  2. La création de textes typiquement autochtones. La Fondation a embauché deux enseignants pour concevoir des textes de base sur l’entrepreneurship autochtone. Aujourd’hui, nous recevons à ce propos des demandes de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie pour l’accès à ce matériel.
  3. Notre projet « Unis et Solidaires » en partenariat avec Enfants Entraide (Free the Children). Nous consacrons deux semaines à informer les jeunes canadiens, ainsi que leurs enseignants, à propos des peuples autochtones du Canada. Ayant été implantée dans une vingtaine d’écoles au début, cette initiative touche actuellement plus de 800 écoles canadiennes. Nous constatons l’engouement et l’intérêt incroyable de nos élèves canadiens à l’égard de la culture autochtone. Il est important de promouvoir la culture, la tradition, l`histoire ainsi que la capacité de la communauté autochtone.

 

YN : Quels sont, selon vous, les besoins les plus importants, les plus urgents et les plus criants des communautés autochtones?

PM : Le besoin le plus criant est celui de l’éducation des jeunes autochtones : ceux de moins de 25 ans, et particulièrement ceux de moins de 15 ans qui sont en forte croissance au Canada, plus que tout autre segment de la population canadienne.

Autre besoin urgent : la santé. Il y a de nombreux problèmes, notamment des cas de tuberculose, de toxicomanie, d’abus de substances illicites, de mortalité infantile. L’espérance de vie des Autochtones est de 10 ans inférieure à celle des autres canadiens.

Mentionnons également le besoin de reconnaissance de cette communauté dans la population canadienne. Malgré de nombreux écrits sur le sujet, nous constatons une méconnaissance, un manque de sensibilité ou de compréhension face à la réalité et aux problèmes auxquels les Autochtones sont confrontés.

YN : Quels sont les moyens les plus efficaces pour répondre à ces besoins?

PM : En éducation, il faudrait un financement adéquat. L’état des écoles est si désolant que la population non autochtone n’oserait même pas y envoyer leurs enfants. Les directeurs et les enseignants sont très isolés et mal payés, ce qui crée un changement continuel de personnel. Ils ont besoin de soutien et d’accompagnement. Il s’agit essentiellement d’un problème de financement et de structure. Le gouvernement fédéral doit s’en préoccuper et le partenariat avec les provinces est souhaitable. Cependant il faudrait tenir compte du fait que les Autochtones veulent contrôler la situation plutôt que de se voir imposer des volontés gouvernementales. Il existe des experts dans la communauté autochtone : Pourquoi ne pas profiter de leur expertise?

Côté santé, il faut travailler avec eux sur le terrain. Lorsqu’ils font face à d’importants problèmes de toxicomanie par exemple, on les envoie dans les grands centres urbains (Montréal, Toronto) pour obtenir de l’aide. Revenus sur leur territoire, faute de soutien adéquat, les Autochtones revivent les mêmes difficultés. Cette mesure s’avère inefficace. Or, il y a parfois de belles initiatives comme celle du Nunavut où des gens respectés de leur communauté et des experts non autochtones travaillent avec les jeunes. Les mesures de prévention et d’intervention se réalisent sur place. Et cela donne d’excellents résultats!

Quant à la reconnaissance de la communauté, tout est une question de respect: respect de l’autre et respect de ses différences.

YN : D’après-vous, quelles précautions doit-on prendre pour aider, soutenir et développer ces communautés tout en respectant leur identité, leur culture et leur histoire?

PM : Il faut absolument impliquer la communauté autochtone dans la recherche de solutions et travailler avec elle, à l’instar de ce que fait notre Fondation. Lorsque j’ai rencontré les leaders autochtones pour débuter les discussions sur l’Accord de Kelowna, nous n’avons pas dit : « Voici vos problèmes. ». Nous avons plutôt posé les questions suivantes : « Quels sont les problèmes que vous voulez aborder et quelles sont vos solutions? » Les communautés autochtones ont l’expertise, nous devons les écouter. Le travail en collégialité et l’écoute sont les attitudes à adopter pour paver la voie au succès.

YN : Quelle stratégie faudrait-il mettre en place pour sensibiliser, promouvoir et intéresser l’ensemble des citoyens canadiens à l’histoire et à la culture autochtones?

PM : On enseigne peu l’histoire canadienne dans nos écoles, et encore moins celle des Autochtones. Pourquoi ne pas, dès le primaire, enseigner leur histoire, leur culture et parler de leur avenir?

YN : Pouvez-vous nous identifier les réussites dont vous êtes le plus fier pour le développement et la réussite des élèves autochtones?

PM : En voici trois :

 

  1. Les programmes éducatifs conçus pour le primaire et le secondaire ainsi que les textes originaux d’affaires écrits par et pour les Autochtones. C’est une première!
  2. Le Fonds CAPE (Capitaux pour la Prospérité et l’Entrepreneurship Autochtone) – un investissement de 50 Millions de dollars dédié à des entreprises autochtones. Si vous donnez la chance à ces communautés de se déployer, soyez assurés qu’elles vont réussir.
  3. L’entente de Kelowna que nous avons établie avec les Autochtones. Je suis fier de dire que c’est la première fois qu’un premier ministre canadien a réussi à réunir, autour d’une même table, les chefs autochtones et les premiers ministres des provinces et des territoires pour aborder les problèmes de fond afin d’en arriver à une entente.

 

YN : Vous avez beaucoup contribué au développement des communautés autochtones. Comment entrevoyez-vous leur avenir?

PM : Je suis très optimiste quant à leur avenir parce que je suis fermement convaincu que les valeurs canadiennes de respect et d’égalité des chances vont toujours triompher. La jeunesse autochtone est en forte croissance: les statistiques des commissions scolaires de la Saskatchewan révèlent qu’elle représentera 45 % de sa population scolaire en 2016. Quant au Manitoba, on l’estime à 33 %.

De plus, je souhaite que les Autochtones aient les mêmes opportunités que les autres Canadiens tout en gardant leur culture et leur langue.

YN : Auriez-vous un message important à livrer aux Canadiens au sujet des communautés autochtones?

PM : Économiquement, on ne peut ignorer ce segment de la population canadienne en forte croissance. Mais mon message le plus important est d’ordre moral. Les Canadiens proclament au monde entier, avec une fierté bien légitime, qu’ils adhèrent aux valeurs d’égalité des chances et de respect. Ce qui est fort louable! Mais si ces mêmes valeurs pouvaient se traduire par un financement et un soutien adéquats aux communautés autochtones, ce serait encore plus convaincant. Les communautés autochtones ont besoin de nous, elles sont déterminées et RIEN ne va les arrêter!

Photo prise par Marieke Vandekolk, adjointe de M. Paul Martin

Une portion du texte de la biographie de M. Paul Martin a été pris de Wikipédia et a été validé par l’équipe de M. Paul Marin.

Première publication dans Éducation Canada, juin 2014


RECAP – After leaving federal politics in 2006, Canada’s 21st Prime Minister, the Right Honourable Paul Martin, created the Martin Aboriginal Education Initiative (MAEI), which aims to improve primary and secondary education for Aboriginal Canadians. Projects are selected in consultation with Aboriginal leaders, provincial and territorial authorities responsible for education, and various Canadian businesses. Mr. Martin believes we cannot economically ignore this rapidly growing segment of the Canadian population. It is essential that Aboriginal people have the same opportunities as other Canadians while preserving their culture and language. Despite a marked improvement in Aboriginal education in colleges and universities, Mr. Martin deplores the continued underfunding of Aboriginal education, particularly for primary and secondary schools.

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Yolande Nantel

Yolande Nantel

Yolande Nantel est la rédactrice en chef francophone d’Éducation Canada.

Yolande Nantel is the French Editor of Education Canada.

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Paul Martin

Le très honorable Paul Martin est fondateur de « l’Initiative d’éducation autochtone Martin ».  Avocat de formation et  homme d’affaires, ce politicien canadien a été ministre des Finances de 1993 à 2002 et le 21e premier ministre du Canada de 2003 à 2006.

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