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Équité, Évaluation, Politique

Du naturel au complexe

La régulation des apprentissages

L’évaluation se vit naturellement au quotidien. Notre vie est parsemée de projets à planifier, de problèmes à résoudre, d’actions à entreprendre. Dans tous ces cas, nous cherchons des pistes, des ressources, nous analysons les pour et les contre pour éventuellement prendre une décision éclairée et satisfaisante. Que ce soit pour l’achat d’une voiture, la planification des vacances d’été, l’engagement dans une union de couple, nous associons toujours le : « je voudrais » à « si je peux » qui renvoie à notre contexte de vie. Même si parfois les décisions sont difficiles à prendre, le processus est pour sa part, limpide et conséquemment naturel.

Alors, comment expliquer que ce processus génère différentes tensions lorsque vient le temps d’évaluer les apprentissages des élèves? Pourquoi le naturel de notre quotidien ne se transfère-t-il pas dans l’action professionnelle? Plusieurs éléments l’expliquent.

Tout d’abord, dans notre quotidien, nous sommes les seuls responsables de notre décision et probablement les plus affectés lorsqu’une mauvaise décision est prise. À titre d’exemple, si j’ai acheté une voiture trop luxueuse pour mes moyens, je devrai tout de même faire en sorte que mes paiements se fassent. Je subis donc le contrecoup de ma décision. Dans un contexte professionnel, l’enseignant évalue les apprentissages d’une autre personne, soit l’élève. Il se doit alors d’être le plus informé possible pour que le jugement n’entraîne pas une décision erronée qui pourrait éventuellement nuire au cheminement de cet élève.

Puis, l’apprentissage est abstrait. Contrairement aux critères à mettre en perspective lors de l’achat de la voiture, l’apprentissage ne se mesure pas en soi. On ne peut effectivement pas l’identifier de manière précise. Seules les manifestations de cet apprentissage seront visibles et observables et ce, en autant que l’élève puisse donner les preuves nécessaires pour faciliter le processus d’évaluation.

Finalement, en salle de classe, les problèmes et les contextes sont multipliés par le fait que tous les élèves sont différents. L’enseignant doit donc non seulement évaluer des apprentissages sensés être réalisés par chacun des élèves du groupe, mais il doit aussi pouvoir analyser en quoi ces apprentissages sont effectifs compte tenu des contextes, des difficultés d’apprentissage et des cas particuliers d’élèves. Cela rend le processus complexe, car il est en quelque sorte « fabriqué » plutôt que « naturel ».

Un jugement professionnel

Le processus d’évaluation se vit différemment selon la fonction qu’il préconise. Si l’évaluation est certificative (sommative), elle encourt des décisions d’ordre administratif liées à la note au bulletin et se réalise à partir de traces pour lesquelles un jugement professionnel doit être rendu. Sylvie Fontaine et ses collaborateurs indiquent que le jugement se concrétise lorsque : « …les enseignants désirent savoir comment chacun des élèves a intégré telle ou telle connaissance et quel a été son progrès dans la maîtrise d’une compétence à acquérir1. » Ce jugement implique alors que l’enseignant met différentes informations en relation les unes avec les autres pour mieux expliquer ses décisions. Dans un tel contexte, il prend certes en considération les traces des apprentissages des élèves comme les exercices, travaux, projets. Également, il porte un regard attentif aux derniers résultats obtenus lors d’évaluations formelles, tels des examens ou des projets à long terme. Ainsi, il pourra indiquer un niveau de compétences ou un degré de connaissances en tenant compte de l’ensemble de la situation pour chaque élève.

Des traces et des régulations

Un tel processus impliquant un jugement professionnel demande rigueur et planification. Il implique aussi un haut niveau de compétences pour accompagner les élèves en difficulté lors des évaluations formatives. Il s’agit ainsi d’apprendre à décoder les sources des erreurs des élèves; de comprendre leur cheminement parfois fautif, dans la résolution d’un problème par exemple; de l’aider à revoir ses stratégies et à se motiver pour poursuivre ses apprentissages.

Ce travail d’accompagnement se définit de trois manières différentes qui s’articulent autour des moments particulièrement importants. Résumons les propos de Linda Allal et Lucie Mottier Lopez2 sur ces moments de régulation.

La régulation proactive concerne le moment précédant un apprentissage donné. Souvent prévu comme une activité collective à toute la classe, l’enseignant peut vérifier l’état des connaissances ou le niveau de compétences en lien avec un contenu à faire apprendre ultérieurement. Souvent associé à l’évaluation diagnostique, ce moment de régulation permet aussi à l’enseignant de vérifier certaines spécificités relatives à des élèves particuliers dans la classe et ainsi prévoir une planification non seulement centrée sur les apprentissages du groupe d’élèves, mais aussi sur leurs manières d’apprendre et de concevoir la matière et ce, tout en tenant compte de l’hétérogénéité du groupe. À titre d’exemple, un enseignant peut constater qu’une grande partie de ses élèves déteste les mathématiques et conséquemment prévoir des activités qui feront en sorte de les convaincre de la nécessité de mieux appréhender cette discipline.

La régulation interactive se vit au moment de l’apprentissage lorsque vient le temps de répondre aux questions des élèves, de leur permettre de trouver des solutions ou encore de créer l’échange à partir d’un portfolio ou d’un projet en cours d’exécution. Cette pratique, fort répandue d’ailleurs, permet à l’enseignant de mieux cerner les sources des difficultés de chaque élève. Ainsi, le fait de noter ses observations lui permettra de mieux s’outiller lorsque viendra le temps de prendre une décision certificative.

« La régulation facilite l’engagement de l’élève dans ses propres apprentissages et favorise par conséquent le développement de ses compétences. »

Pour sa part, la régulation rétroactive se vit après une activité. Tout enseignant corrige des travaux et des productions, des exercices et devoirs. Toutefois, ce travail de correction ne deviendra régulation rétroactive qu’au moment où l’enseignant posera des questions à l’élève autour des réinvestissements possibles, par écrit ou oralement.

Accompagner pour réguler

Pour favoriser un réel accompagnement de l’élève dans son processus d’apprentissage, l’accueil et l’ouverture de l’enseignant face aux difficultés des élèves par la création d’un climat de confiance et par la lucidité dont il peut faire preuve pour l’aider à mieux comprendre, sont ainsi essentielles. Cette régulation permet en effet à l’élève d’apprendre à s’autoréguler. Au-delà de l’autoévaluation, l’autorégulation favorise un méta-regard de l’élève sur son résultat, mais surtout sur le processus qui l’a amené à ce résultat. Dit autrement, la régulation constante et réfléchie de l’enseignant amène l’élève à développer un sentiment d’efficacité personnelle puisque ce dernier s’améliore, comprend mieux les raisons d’un échec donné et réussit. La régulation facilite l’engagement de l’élève dans ses propres apprentissages et favorise par conséquent le développement de ses compétences3.

 

Première publication dans Éducation Canada, juin 2013

RECAP – Assessment is a highly complex process that demands sound judgment and professionalism on the part of teachers. It requires the gathering of information from students and the evaluation of their level of skills development and knowledge acquisition, followed by a fair and informed decision. Beyond the report card marks, assessment can support students in their learning. A process that involves adjustment strategies enables students to better grasp the material, while still generating the accumulation of marks for a fair professional judgment. Adjustment encourages the commitment of students to their own learning and thus fosters the development of their skills.


1 Fontaine, S., Savoie-Zajc, L. et Cadieux, A. (2013). Évaluer les apprentissages. Démarche et outils d’évaluation pour le primaire et le secondaire, Montréal : Éditions CEC.
2 Allal, L. et Mottier Lopez, L. (dir.). (2007). Régulation des apprentissages en situation scolaire et en formation. Bruxelles : De Boeck.
3 Bélair, L.M., (2007). La régulation pour aider les élèves, Centre Mounier-Delay, Lyon : France.

Apprenez-en plus sur

Louise Bélair

Louise Bélair PhD, Professeure à l’Université du Québec à Trois Rivières. Elle se spécialise notamment dans l’évaluation des apprentissages et des compétences, tant au niveau scolaire que collégial et en formation professionnelle des enseignants. Auteure de plusieurs ouvrages et de conférences internationales, elle travaille en collaboration avec plusieurs enseignants pour comprendre les enjeux relatifs à l’évaluation à l’école.

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