Ces dernières années, le thème du bienêtre est devenu un axe important et noble des réformes en éducation (Espinosa et Rousseau, 2018). En tant que leaders scolaires, êtes-vous de ceux qui, comme nous, souhaitez favoriser le bienêtre des élèves et du personnel scolaire? Si c’est le cas, ce qui suit pourrait vous inspirer. Nous souhaitons vous faire part de certains savoirs professionnels et théoriques, issus de nos recherches pour favoriser le bienêtre au sein d’une organisation apprenante, c’est-à-dire une organisation où les actions interdépendantes des leaders soutiennent le développement individuel et collectif autour d’une vision partagée (Gagnon, 2020a; Gagnon et Lachapelle, 2022; Gagnon et al., 2023 a,b; Guay et Gagnon, 2021a). Ces savoirs sont synthétisés sous la forme de cinq action fondamentales à mettre en oeuvre.
Pour favoriser le bienêtre au sein d’une organisation apprenante, il est souhaitable de le faire dans une perspective systémique (Gagnon, 2020a ; Gagnon et Lachapelle, 2022; Guay et Gagnon, 2020). Concrètement, cela signifie éviter les actions en silo et reconnaitre l’interdépendance du bienêtre des personnes qui évoluent au sein de l’organisation, dont les élèves, les enseignants, les directions d’établissements, le personnel des services et la direction générale. Désormais, dans les ouvrages scientifiques et professionnels, on retrouve d’ailleurs certains modèles, ou cadres de référence, permettant aux leaders d’orienter leurs actions en ce sens. C’est le cas du modèle écosystémique proposé par le Conseil supérieur de l’éducation (2020), du modèle de Bowen et al. (2022) et celui du collectif Réverbère (Borris-Anadon et al. 2021). Ceux-ci proposent des principes et des outils pour que tous les membres d’une communauté éducative, dont l’apprenant lui-même, entreprennent des projets collaboratifs, cohérents et interreliés, en soutien à leur bienêtre et à celui des autres, dont ils sont tous co-responsables.
Pour favoriser le bienêtre au sein d’une organisation apprenante, nous encourageons les leaders à soutenir la mise en oeuvre de projets prioritaires sur ce thème en cohérence avec la vision, la mission, les valeurs et les objectifs prioritaires de l’organisation. Un tel projet appelle globalement un état des lieux (situation actuelle), la détermination d’une intention de transformation (situation désirée), l’élaboration d’un plan d’actions prioritaires, la mise en oeuvre de ces actions, leur régulation et l’évaluation de leurs retombées diffusées dans l’ensemble du système. Le projet gagne à être entrepris et concrétisé par des personnes volontaires engagées dans des dispositifs collaboratifs, dont la communauté d’apprentissage (Goyette et al., 2020). De tels dispositifs favorisent le développement individuel et la collaboration de tous à la réussite et au bienêtre en misant sur les forces de chacun des membres d’une équipe (Gagnon, 2020b; St-Vincent et al., 2022). Par exemple, des enseignantes de trois cycles d’une école primaire ont défini leur agir compétent en psychopédagogie du bienêtre et elles ont créé et expérimenté des ressources en classe avec leurs élèves. Par la suite, elles ont transmis ces ressources à l’ensemble des membres de leur équipe-école pour favoriser le bienêtre des élèves de façon cohérente et concertée (Gagnon, 2020b). Pour concrétiser ce projet, cette équipe était accompagnée de la direction d’établissement et de deux conseillères pédagogiques.
Pour être en mesure de mettre en oeuvre un projet qui favorise le bienêtre au sein de l’organisation apprenante, nous suggérons au(x) leader(s) d’être accompagné(s) par des personnes de confiance avec lesquelles ils auront établi une alliance de travail explicite fondée sur leurs besoins, leurs attentes mutuelles et leur mode de fonctionnement (Gagnon, 2020a: Guay et Gagnon, 2021a; Gagnon et al., 2023b). L’équipe d’accompagnement aide à garder le cap au fil de ces actions. Cette équipe d’accompagnement, qu’elle soit composée de chercheurs et/ou de praticiens agissant sur le terrain, peut soutenir les leaders dans la mise en place du projet (Guay et Gagnon, 2021a,b). Elle y soutient la pratique réflexive, les apprentissages individuels et collectifs, une communication efficace ainsi que la collaboration et l’interdépendance positive. Également, elle supporte l’essentiel processus de mobilisation et de formalisation de savoirs théoriques (issus de la recherche) et de savoirs professionnels (issus de projets organisationnels antérieurs) sur le bienêtre.
La littérature scientifique et professionnelle en éducation rend visible une variété de définitions du bienêtre et tout autant d’approches et d’outils pour le favoriser en contexte scolaire. C’est pourquoi, dans une organisation apprenante, les leaders gagnent à mettre à jour et à partager leur conception du bienêtre. En ce sens, il est utile de savoir que le bienêtre peut être abordé selon différentes perspectives. En écho à nos recherches sur le développement du leadership, nous avons observé qu’une conception du bienêtre est largement tributaire des besoins prioritaires des leaders et des organisations scolaires. Comme il est brièvement détaillé dans la figure 1 ci-dessous, quatre grandes conceptions du bienêtre sont tirées de la documentation et peuvent être associées à l’une des perspectives suivantes, c’est-à-dire une perspective conformiste, performante, pluraliste et évolutive (Gagnon et Guay, acceptée). Par exemple, un leader ou une équipe
de leaders dont les besoins fondamentaux sont la sécurité, la stabilité et le sentiment d’appartenance au groupe (perspective conformiste) envisage généralement le bienêtre en tant que perception/sensation de ces besoins particuliers comblés. Or, un leader ou un groupe de leaders dit performant, qui a comblé ces besoins, est plus enclin à concevoir et à définir le bienêtre en tant que sensation ou perception de compétence, d’autonomie et d’épanouissement. Une fois ces besoins comblés, un leader ou un groupe de leaders dit pluraliste apprécie davantage une conception du bienêtre en tant que perception ou sensation d’équilibre sur le plan émotionnel, physique, cognitif et relationnel. Enfin, dans une perspective dite évolutive, les leaders, individuellement et collectivement, envisagent généralement le bienêtre en tant que perception ou sensation de paix et de cohérence interne, indépendamment des contextes, tout en étant capable de l’appréhender dans les autres perspectives susmentionnées. De notre point de vue, dans une perspective intégrée, au sein d’une organisation apprenante, il importe de prendre en compte la diversité des besoins humains et d’envisager que le bienêtre est essentiellement une perception ou sensation subjective individuelle ou collective, variant en fonction des besoins prioritaires contextualisés de ceux qui le conçoivent et le ressentent. En effet, une telle définition nous incite, en tant que leaders, à accueillir la diversité des besoins des collaborateurs et à favoriser leur bienêtre individuel et collectif d’un point de vue différencié et contextualisé.
Figure 1. Quatre conceptions du bienêtre variant en fonction des besoins de ceux qui le conçoivent et le ressentent
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Pour être en mesure de favoriser le bienêtre dans une organisation apprenante, il s’avère essentiel d’incarner la conception du bienêtre dont les leaders de l’organisation se sont donné une vision partagée. Voici quelques pistes de questionnement proposées aux leaders qui aspirent à être un modèle de bienêtre. Dans quelle mesure suis-je conscient de mes propres besoins, valeurs, forces, croyances, zones de vulnérabilité et émotions concernant mon bienêtre? Dans quelle mesure suis-je attentif au vraisemblable des autres concernant leur bienêtre? Dans quelle mesure suis-je capable d’incarner les manières d’être, de faire et de penser me permettant d’être bien et de contribuer au bienêtre des autres? Inspiré de telles questions, un leader gagne à être présent à lui-même et à s’accompagner pour être en mesure de prendre soin des autres (Rondeau, 2019; Gagnon et al. 2023a,b). Le ministère de l’Éducation de la Colombie-Britannique (2021) en a d’ailleurs fait un élément essentiel de sa stratégie sur la santé mentale (bienêtre psychologique) en proposant aux directions d’établissements de se développer autour des trois axes suivants : 1) travail sur soi, 2) travail sur les relations et la présence à l’autre et 3) travail sur le système en général. En agissant en leader authentique et bienveillant au regard de ses besoins et de ceux de ses collaborateurs, un leader peut espérer que ces derniers puissent agir, à leur tour, de la même façon afin d’inspirer le personnel scolaire de leur milieu (Gagnon, 2020a). En ce sens, au sein des groupes de leaders que nous accompagnons, sur le thème du bienêtre ou sur d’autres objets, chacun des leaders est invité à se donner un projet de développement professionnel pour demeurer un apprenant et développer un agir compétent et conscient favorisant le bienêtre de tous. Un tel agir compétent et conscient correspond aux actions prioritaires qu’un leader ou un groupe de leaders veut et peut poser dans le contexte où il évolue, inspiré d’intentions et de présupposés conscients et explicites (Guay et Gagnon, 2021a; Guay et Gagnon, 2023). Ce projet lui permet de développer des manières de penser, d’être et de faire propres à influencer le développement de telles ressources lors d’accompagnement de ses collaborateurs dans ce même cheminement. Voici deux exemples de projet de développement professionnel formulés par des leaders engagés dans une recherche-action portant sur l’amélioration ou le maintien de leur bienêtre en contexte de changement (Gagnon et al., 2023) : Comment incarner des pratiques de leadership relatives au bienêtre dans mon école afin d’accroitre le bienêtre individuel et collectif de mon personnel? Comment puis-je dégager du temps pour prendre soin de moi sans négliger mon équipe-école et mes engagements professionnels à leur égard ?
Voilà qui fait un tour d’horizon des cinq actions fondamentales à prendre pour espérer favoriser le bienêtre dans une organisation apprenante. Elles sont illustrées de façon interreliée dans la figure 2 et associées à des questions pour favoriser le bienêtre dans une perspective systémique. Cette figure rappelle l’importance d’intégrer toutes les parties prenantes d’une organisation scolaire dans des projets collaboratifs cohérents ancrés dans une vision partagée du bienêtre. Cette figure explicite également l’essentiel apport des équipes d’accompagnement dans le soutien au développement d’un agir compétent et conscient, individuel et collectif, chez toutes ces parties prenantes. Elle souligne enfin l’importance, pour les leaders, quel que soit leur statut, d’agir à titre de modèle d’apprenants et d’agents, soucieux de leur bienêtre et de celui des autres.
Figure 2. Favoriser le bienêtre au sein d’une organisation apprenante
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Borris-Anadon, C., Desmarais, M-É., Rousseau, N. Giguère, M-H. et Kenny, A. (2021). Le bienêtre et la réussite en contexte de diversité. Un cadre enrichi pour le RÉVERBÈRE. https://periscope-r.quebec/cms/1652815652599-cadre-diversite-reussite-reverbere-2022_final.pdf
Bowen, F., Morissette, E., Levasseur, C., Marion, É., Carpentier, G., Poirel, E., Beaumont, C., Leadbeater, B., Beaulieu, J., Ouellet-Morin, I., St-Cyr, C., Cantin, S. et Fullan, M. (2022). Vers un partenariat pour la création de milieux scolaires favorisant durablement et de façon efficiente la socialisation et le bienêtre psychologique des élèves et du personnel. Revue canadienne de santé mentale communautaire. Vol. 41 (3). p. 123-138. https:// cjcmh.com/doi/abs/10.7870/cjcmh-2022-025
Conseil supérieur de l’éducation, (2020). Le bienêtre de l’enfant à l’école : faisons nos devoirs. Gouvernement du Québec. https:// cse.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2020/06/50-0524-AV-bien-etre-enfant-2.pdf
Espinosa, G. et Rousseau, N. (2018). Le bienêtre à l’école et l’apport de la psychopédagogie. Dans Rousseau, N. et Espinosa, G. (dir.). Le bienêtre à l’école; enjeux et stratégies gagnantes. Presses de l’Université du Québec.
Gagnon, B. (2020a). Recherche-action sur le leadership authentique et postconventionnel et la prise en compte du bienêtre du personnel scolaire en contexte de changement. [Essai doctoral], Université de Sherbrooke. http://hdl.handle.net/11143/16932
Gagnon, B. (2020b). La psychopédagogie du bien-être, une voie porteuse pour favoriser l’épanouissement des enfants et des adultes qui les accompagne. Revue Hybride en éducation. https://doi.org/10.1522/rhe.v4i4.1170
Gagnon, B., Bazinet, J, Denis, S. et Waelput-Lavallée, T. (2023a). Développement de ressources pour prendre en compte son bienêtre en tant que leader scolaire en contexte de changements continu. CTREQ. 5e symposium sur le transfert des connaissances en éducation. Université Laval, Québec. 19 avril 2023.
Gagnon, B. Bruneau, I, et Denis S. (2023b). Accompagner des leaders scolaires dans un projet de développement professionnel portant sur le maintien ou l’amélioration de leur bienêtre en fonction de leurs besoins prioritaires: démarche et ressources proposées par une équipe d’accompagnement dans le cadre d’une recherche-action. ACFAS. Symposium 509. La psychopédagogie du bien-être: une clé de voûte pour favoriser le bienêtre des acteurs en éducation. 9-10 mai 2023.
Gagnon, B. et Lachapelle, D. (Mai, 2022). Agir ensemble de façon cohérente et concertée dans un centre de services scolaire pour prendre en compte le bienêtre du personnel scolaire en contexte de changement. Symposium, 515. Santé mentale et bienêtre scolaire des personnels scolaires au Québec. ACFAS, Université Laval. 12-13 mai 2022.
Gagnon, B. et Guay, M.-H. (2023). Comment les leaders scolaires conçoivent-ils le bienêtre et en soutiennent-ils la prise en compte dans leur établissement ? Actes de colloque. Biennale de Paris 2023. Se construire avec et dans le monde : part d’autrui, part de soi. 20-23 septembre 2023.
Goyette, N. Gagnon, B. Bazinet, J. et Martineau, S. (2020). La communauté d’apprentissage au service du développement de l’agir compétent d’enseignantes du primaire en lien avec la psychopédagogie du bien-être. Dans Goyette, N. et Martineau S. (dir.). Le bienêtre en enseignement. Tensions entre espoirs et déceptions. Presses de l’Université du Québec.
Guay, M.-H. et Gagnon, B. (2020). Un modèle d’accompagnement du développement pédagogique et organisationnel pour soutenir la mise en œuvre d’un modèle de réponse à l’intervention. Enfance en difficulté, 7, 27–50. https://doi.org/10.7202/1070382ar
Guay, M.-H. et Gagnon, B. (2021a). Quel leadership incarner en tant que chercheures-praticiennes en contexte de recherche-action pour inspirer celui des directions générales des centres de services scolaires et des commissions scolaires du XXIe siècle? Biennale internationale de l’éducation, de la formation et des pratiques professionnelles, Sept. 2021. Paris, France. https://hal.science/hal-03500166
Guay, M.-H. et Gagnon, B. (2021b). La recherche-action. Dans I. Bourgeois. Recherche sociale. De la problématique à la collecte de données. Presses de l’Université du Québec.
Guay, M.-H. et Gagnon, B. (acceptée). Accompagner les leaders dans la modélisation de leur leadership en contexte de recherche-action ou de formation universitaire. Questions Vives.
Ministère de l’Éducation de la Colombie-Britannique. (2021). Promotion de la santé mentale dans le réseau scolaire primaire et secondaire. Principes directeurs et stratégies. https://www2.gov.bc.ca/assets/gov/education/administration/kindergarten-to-grade-12/fr-key-principles-and-strategies-for-k-12-mental-health-promotion.pdf
Rondeau, K. (2019). La présence au service de l’accompagnement de soi, source de mieuxêtre et vivre. Dans Rondeau, K et Jutras, F. (dir.). L’accompagnement du développement personnel et professionnel en éducation. S’accompagner, accompagner, être accompagné. Presses de l’Université du Québec.
St-Vincent, L-A., Gélina-Proulx, A., Labelle, J., Carlson Berg, L., Huot, A. Laforme, C. et B-Lamoureux, B. (2022). La gestion du changement organisationnel pour le bienêtre et la réussite en éducation : ce qu’en dit la recherche. Presses de l’Université du Québec.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2023
Osez rêver l’école de demain, mais par où commencer? Tout d’abord, par la concrétiser! Comment? En réfléchissant autrement!
N’étant pas enseignante de profession, j’ai d’abord œuvré dans divers secteurs tels que la sécurité publique et le réseau de la santé. Depuis 2010, j’ai la chance de travailler dans le milieu de l’éducation, où j’occupe le poste de directrice générale du Centre de services scolaire des Rives-du-Saguenay depuis maintenant sept ans.
Dès le début de mes fonctions, il était pour moi important de rencontrer les équipes et de visiter leur école. Ces visites m’ont marquée et préoccupée, en ce sens que chaque classe était différente. La classe de Madame Nathalie était jolie et agréable, pas trop surchargée et bien aménagée. La classe de Madame Caroline contenait tellement d’affiches sur les murs qu’il était difficile de se concentrer. Dans la classe de Madame Isabelle se trouvait une vieille baignoire afin que les jeunes puissent s’assoir dedans et lire un livre. Des bacs de rangement où les jeunes s’assoyaient, des mobiles accrochés au plafond, des tentes dans le coin du local, bref la classe de l’enseignante affichait la personnalité de celle-ci et ne correspondait pas nécessairement aux besoins des jeunes.
Pourquoi un élève devrait réaliser son parcours dans un environnement qui ne lui correspond peut-être pas? Pourquoi il devrait s’identifier à une classe et non à son milieu de vie? Comment créer une école qui se définirait comme un milieu pour nos élèves à l’intérieur de laquelle ils pourraient vivre des expériences variées en s’engageant et en s’impliquant? Pourquoi les apprentissages devraient-ils se faire uniquement en classe? Pourquoi ne pas créer des moyens différents d’enseigner à nos jeunes et ainsi favoriser la réussite et la persévérance scolaire?
Pourquoi ne pas réfléchir tout simplement à l’éducation autrement? Dans notre centre de services scolaire, cette réflexion guide nos actions au quotidien.
En septembre 2017, l’école primaire au Millénaire a ouvert ses portes et a accueilli près de 400 élèves de la maternelle à la sixième année. Un concept novateur et jamais vu au Québec, avec des locaux supplémentaires par cycle qu’on nomme des espaces collaboratifs, de la végétation intérieure, une bibliothèque ouverte qui a été définie comme notre premier carrefour d’apprentissage, une cuisine adaptée, un magasin général où se développe le concept d’entreprenariat, une serre quatre saisons et des potagers. Une école trilingue où l’admission n’est pas basée sur les critères de performance des jeunes, mais sur leurs intérêts. Une équipe-école motivée dotée de notre première technicienne en alimentation. La complémentarité des forces de chaque membre d’une équipe constitue pour moi une approche gagnante et c’est pourquoi l’ajout d’une technicienne en alimentation se voulait essentielle. Cette personne complémentaire assure l’utilisation efficace et efficiente de la cuisine; ses connaissances; notamment sur les effets de l’alimentation sur la santé sont innombrables et précieuses. En plus de transmettre les apprentissages requis aux élèves, elle les sensibilise aux bienfaits d’une bonne alimentation et leur apprend également à bien se nourrir.
L’école au Millénaire a été notre incubateur et elle a également inspiré les trois fondateurs des Lab-écoles au Québec soit M. Pierre Lavoie, M. Pierre Thibault et M. Ricardo Larrivée. Actuellement, les Lab-écoles possèdent des laboratoires culinaires, mais dans notre centre de services scolaire, nous possédons cinq laboratoires culinaires et deux autres sont sur la table à dessin. Ce sont quatre techniciens en alimentation qui travaillent au quotidien en collaboration avec les enseignants afin d’offrir à nos élèves des ateliers pédagogiques en utilisant comme moyen la cuisine. Le rôle du technicien est de voir à tout l’aspect technique ainsi que la logistique de l’atelier culinaire laissant ainsi le temps à l’enseignant de vraiment se concentrer sur la pédagogie. Après tout, cuisiner c’est travailler avec un potentiel infini de possibilités.
En plus de l’alimentation durable qui rayonne dans nos écoles et qui nous aide à nous démarquer à travers le Québec, nous concrétisons un projet d’écoles dans lequel la nature se veut au service de la réussite. Tous les élèves auront l’occasion de développer leurs apprentissages dans le cadre d’approches pédagogiques innovantes, tels que cuisiner sur un feu de bois, se déplacer en forêt, pêcher, et accéder à des forêts nourricières ainsi qu’au Fjord-du-Saguenay.
Pour ce faire, des pavillons extérieurs dans la nature sont prévus afin que nos élèves puissent effectuer leurs apprentissages à même ce que la nature nous offre. Des laboratoires culinaires et collaboratifs seront également installés dans nos écoles afin d’exploiter sous toutes ses formes la richesse de la nature.
En ce sens, une yourte a déjà été installée (projet pilote) et nos élèves la fréquentent régulièrement. Cette initiative, entreprise de concert avec les municipalités concernées (cinq municipalités du Bas-Saguenay) ainsi que divers acteurs de la communauté et appuyée par un projet de recherche de l’UQAC, a vu le jour il y a maintenant plus de deux ans et est la première de ce genre au Québec.
Dans le cadre de la persévérance et de la réussite scolaires, nous sommes également à revoir le secteur régulier de nos écoles secondaires qui ne répond plus aux besoins de nos adolescents. Pourquoi ne pas faire du secteur régulier des parcours diversifiés où l’élève pourrait se reconnaître davantage dans le cadre de son cheminement scolaire en misant sur son bienêtre?
Un pas à la fois, une expérience à la fois, notre centre de services scolaire se démarque par son approche novatrice. De la vision à la conception et à l’intégration de cette approche, plusieurs actions ont été requises par nos équipes de travail. L’apport de nos conseillers pédagogique, ainsi que l’arrivée de personnel nouveau au sein de nos équipes, notamment nos techniciens en alimentation, permettent d’offrir à nos élèves des parcours différents où tous auront la même chance de réussir.
Lorsque l’ensemble des équipes éducatives œuvrent ensemble et rend possible l’actualisation de la vision de l’organisation en gardant en tête le bienêtre de nos jeunes et leur réussite, cela démontre comment en éducation on peut arriver à faire autrement.
Bien évidemment, une place importante est faite à l’agriculture, notre centre de services scolaire possède sa serre quatre saisons ainsi que plusieurs jardins nourriciers. Nous avons créé des partenariats avec nos producteurs locaux. Des marchés sont réalisés dans nos écoles afin d’encourager l’entreprenariat chez nos jeunes.
Les résultats sont concluants! Les connaissances apprises et retenues chez nos jeunes les amènent à refaire une recette avec leurs parents ou encore à la transformer et en créer une nouvelle avec d’autres ingrédients. En classe, ils font des liens avec l’activité de cuisine réalisée et les notions enseignées. Les données du plus récent sondage effectué dans notre centre de services scolaire en lien avec le sentiment de sécurité et de bienêtre de nos écoles sont impressionnantes. En effet, 92 % de nos élèves jeunes et adultes disent se sentir bien et en sécurité dans nos établissements.
Réussir c’est chose possible, et ce, même pour l’élève en difficulté. Compter les huit pépites de chocolat à mettre dans notre muffin tout en apprenant d’où vient le chocolat, mesurer la farine en utilisant la technique de la patinoire qui consiste à passer son petit doigt sur le dessus de la tasse afin qu’il n’y ait pas d’excédent. Partager, s’amuser et s’impliquer en ayant comme finalité une réussite marquante pour l’élève, car après tout, qui parviendrait à gâcher un muffin aux pépites de chocolat? Vous? Peut-être moi! Mais assurément pas ce jeune qui verra dans cette activité la possibilité pour lui aussi de réussir et, ce soir-là, de retour à la maison, il pourra dire à ses parents : « Regardez ce que j’ai fait de bon aujourd’hui. Et vous savez, je peux vous montrer aussi comment faire, car j’ai la recette dans mon sac à dos !!!! »
Réussir dans des parcours différents, chaque élève devrait en avoir la possibilité! Son bienêtre passe avant tout par le regard qu’il a de lui-même et, à travers celui-ci se transpose sa motivation et sa persévérance. Notre travail en éducation, c’est de l’accompagner dans toute sa différence afin qu’il puisse réussir et croire en ses propres possibilités. Il n’en tient maintenant qu’à nous d’y croire aussi et de mettre tout en œuvre pour que la magie opère.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2023
Depuis les années 2000, plusieurs directions et directions adjointes d’établissement (DÉ) ont pris leur retraite du Centre de services scolaire des Draveurs (CSSD) en Outaouais et dans l’ensemble du Québec (Gouvernement du Québec, 2008). Au CSSD, on observe qu’il y a de moins en moins de candidats dans la banque de futures DÉ, que la relève n’est pas suffisante pour pallier les départs et que des DÉ quittent après seulement quelques mois en fonction. Bien que de nouvelles DÉ en insertion professionnelle (IP) disent éprouver de la satisfaction sur le plan de l’accomplissement personnel, elles témoignent du fait que le rôle s’est grandement transformé et complexifié, réduisant considérablement le sentiment de bienêtre. Ces directions évoquent différents facteurs à la source de cet état de fait dont l’imputabilité accrue, le sentiment d’isolement, la lourdeur de la tâche, la pénurie de main-d’œuvre, les demandes croissantes des parents et la difficulté à concilier vie professionnelle et vie personnelle.
Le soutien à la quête de l’équilibre de soi, tant au plan cognitif qu’au plan affectif, s’avère nécessaire afin de réduire les irritants énumérés et de favoriser une IP satisfaisante et axée sur le bienêtre (Pelletier, 2017). Quels dispositifs favorisant l’IP des DÉ existent-ils au Québec et quelles en sont les retombées? Après avoir rappelé l’existence des dispositifs mis en place pour favoriser l’IP des DÉ au Québec, cet article détaille celui déployé au sein du CSSD et ses retombées sur le bienêtre des nouvelles DÉ de cette organisation.
Au Québec, plusieurs dispositifs ont été mis en place afin de favoriser l’IP des nouvelles DÉ sous la responsabilité tantôt du gouvernement, des centres de services scolaires (CSS) et commissions scolaires (CS), des associations professionnelles, des universités et des DÉ elles-mêmes. Un dispositif d’IP est ici entendu comme un moyen visant à soutenir le développement professionnel de DÉ dans les premières années d’exercice de leur profession. Depuis 2001, le gouvernement introduit un premier dispositif en associant 30 crédits de deuxième cycle en administration scolaire ou dans un domaine connexe afin d’exercer la profession. À ce jour, différents dispositifs ont été déployés dans les CSS et CS pour soutenir le développement professionnel des DÉ dans un contexte de turbulence et de transformation des pratiques (Guay, Daoust, et Francoeur, 2023). Ainsi, certaines organisations privilégient, en tout ou en partie, les composantes suivantes : un accompagnement de proximité, un programme de mentorat, le coaching par une ressource externe, la formation continue (capsules d’information et formations) et le réseautage (Doré, Daoust, et Francoeur, 2023).
En guise de dispositif d’IP, le CSSD a choisi de s’appuyer sur les principes de l’organisation apprenante pour développer une culture réflexive et l’alignement organisationnel (Lessard, 2021). Concrètement, cela signifie que le dispositif intègre les pratiques collaboratives pour donner une cohésion au processus collectif. Il s’agit de soutenir le développement du leadership et d’élaborer une vision stratégique commune dans une culture bienveillante, collaborative, ouverte et apprenante (Guay et Gagnon, 2022). En adressant la perception du rôle et les présupposés chez la DÉ en IP, on cherche à transformer une spirale du pire en une spirale du meilleur (Morneau, 2012). Le dispositif est élaboré avec et pour les DÉ et est appelé à se transformer selon les besoins communs et individuels exprimés. Notons que l’IP est une priorité pour la direction générale et son équipe. Ainsi, une direction expérimentée (la directrice en accompagnement) est libérée de ses fonctions habituelles pour coordonner le dispositif et soutenir l’IP des nouvelles DÉ. De plus, elle participe à une communauté de pratiques provinciale afin d’échanger sur les pratiques d’IP adoptées au Québec. Au CSSD, le dispositif offert aux DÉ en IP comporte les cinq composantes suivantes :
Le dispositif est mis en œuvre dès qu’un membre du personnel évoque le souhait de devenir DÉ. Une première rencontre est organisée avec la direction en accompagnement et la direction générale afin de présenter l’IP et de répondre aux préoccupations des aspirants à la fonction de DÉ. Pour la direction en accompagnement, ce premier lien permet de préparer une transition harmonieuse d’un poste à l’autre et de répondre aux préoccupations individuelles. Dans les mots d’une direction en accompagnement :
Je vois une diminution du stress, une augmentation du sentiment de bienêtre et un équilibre tant recherché chez les DÉ en IP que j’accompagne. Parce que cela a été une question dès le début quand je parle de changement de posture : est-ce que ce travail se fait par du vrai monde? Oui, ça se fait par du vrai monde.
Un accompagnement personnalisé et différencié par la direction en accompagnement permet aux nouvelles DÉ d’échanger confidentiellement sur les enjeux qui les touchent. On y aborde leurs incertitudes et on cible des pistes de solution adaptées au contexte particulier. Pour une nouvelle DÉ participant au projet :
C’est un temps d’arrêt de nos journées folles pour discuter des points importants et des procédures. Ça permet de s’arrêter et de réfléchir par rapport à nous. Comment doit-on réagir? C’est vraiment rassurant. On est capable d’aller plus loin.
Le dispositif se poursuit sous forme de communautés de partage de pratiques (CoP) animées par la direction en accompagnement où sont abordées des problématiques complexes vécues dans les milieux. Dans cet espace, les nouvelles DÉ s’approprient leur rôle par le réseautage et l’apprentissage par les pairs. Lors de la première année de la mise en œuvre du dispositif, une première cohorte formée de 22 DÉ en IP a été créée ainsi qu’une cohorte de 10 DÉ expérimentées. La participation à une communauté de pratique est libre et volontaire et les participants y sont invités à adopter une posture apprenante et éthique. Du point de vue de la direction en accompagnement, le dispositif permet aux nouvelles DÉ, et à celles plus expérimentées, de s’approprier leurs rôles tout en favorisant leur bienêtre. Interrogée sur la question, elle indique à ce thème :
Je me suis rendue compte que celles qui ont été nommées dans les dernières années sont plus isolées que les nouvelles parce que le réseautage n’a pas été fait, parce qu’elles ont été nommées en pandémie ou pré-pandémie. L’isolement est un facteur important quand on regarde les tensions de rôle. On aborde comment vivre avec ces tensions de rôle, les reconnaitre et composer avec.
Au CSSD, sur une base annuelle, 16 formations ciblées et adaptées au contexte organisationnel sont offertes aux DÉ en IP. Coordonnées par la direction en accompagnement, elles portent sur une diversité de thèmes dont : la reddition de comptes, les encadrements légaux, les politiques ministérielles, le leadership pédagogique et la gestion des ressources. Les directions de services y présentent également les dossiers propres à leur secteur d’activités et les enjeux reliés à leur champ d’expertise. Un lien privilégié se développe entre les nouvelles DÉ et la direction en accompagnement. Pour cette dernière :
Il faut développer des compétences et des habiletés chez les DÉ en IP. Ne serait-ce que comment gérer des priorités, comment les définir, comment gérer des urgences, comment planifier une journée, quels outils peuvent être favorisants pour atteindre les buts fixés. Parce qu’elles sont capables de voir venir les choses, le dispositif permet d’agir sur le stress et améliore le bienêtre des DÉ en IP.
Enfin, six groupes de mentors ont été mis en place tant dans les écoles, les centres et les services. En plus de la direction en accompagnement, une recherche-action a été déployée, en collaboration avec l’Université du Québec en Outaouais, afin de soutenir la mise en œuvre des meilleures pratiques en IP. Il s’agit également d’une mesure de reconnaissance qui vise le bienêtre et qui prend appui sur l’expérience des DÉ. Pour une direction qui participe au dispositif en tant que mentor, exercer ce rôle lui permet de contribuer au sentiment de sécurité pendant l’entrée en fonction des nouvelles DÉ. Dans ses mots :
Il y a tant à apprendre, le stress et la pression sont omniprésents. Aussi, mon plus grand constat lorsque je suis passée de l’enseignement à la direction, c’est à quel point nous devenons soudainement isolées. En effet, les occasions d’échanger sans filtre se font beaucoup plus rares. Le mentorat permet de briser cet isolement et je ressens le bienêtre que cela procure à mes mentorées. Avec le temps, la proximité s’installe et je réalise que les aider me fait autant de bien qu’à elles. Pouvoir échanger et réfléchir avec elles, créer des liens, les rassurer, les encourager, rire et parfois même pleurer : quel privilège!
Le dispositif d’IP pour les DÉ du CSSD s’appuie sur les encadrements provinciaux et s’inspire des initiatives déployées dans plusieurs centres de services scolaires du Québec. Il se déploie par le biais de cinq composantes qui permettent de mettre en valeur l’expertise des acteurs, de favoriser le réseautage et le soutien aux nouvelles DÉ tout en tenant compte des contextes, de la disponibilité des ressources et de la complexité. Le dispositif a permis de doubler le nombre de candidats au bassin des DÉ dès la première année de sa mise en œuvre. Enfin, une nouvelle DÉ adjointe rapporte que le dispositif lui permet de réseauter, de partager ses expériences et d’apprendre. Pour elle, il améliore considérablement son bienêtre et l’appropriation de son rôle. Dans ses mots :
Dès le lendemain, je peux être proactive dans mon milieu au lieu de chercher à gauche et à droite et que ça prenne deux semaines. Dès le lendemain, je peux appliquer ce que j’ai appris.
Ainsi, le dispositif mis en place au CSSD permet d’améliorer l’IP et favorise le bienêtre des nouvelles DÉ. Un exemple concret pour inspirer d’autres CSS à soutenir l’IP des directions d’établissements dont l’apport est essentiel à la réussite des élèves.
Doré. E., Chevrier, J. et Guay, M-H. (2023). J’accompagne mon équipe-école… et qui m’accompagne? État des réflexions de la communauté émergente des directions en accompagnement sur leur contribution au développement professionnel des directions d’établissements du Québec. Congrès annuel ADGSQ.
Gouvernement du Québec (2008). La formation à la gestion d’un établissement d’enseignement : les orientations et les compétences professionnelles. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.
Guay, M-H. et Gagnon, B. (2022). Et les directions générales scolaires, comment les former à agir avec compétence et conscience au cœur de la complexité actuelle. Le Réseau EdCan, (consulté en ligne le 19 septembre 2022).
Guay. M.H., Daoust, F., et Francoeur, N. (2014). Illustration du rôle d’un intermédiaire en soutien au développement pédagogique et organisationnel au sein d’une commission scolaire. Communication présentée au Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ).
Lessard, C. (2021). Diriger un établissement scolaire : un leadership plus affirmé, mais multiforme, dans Progin, L., Letor, C., Étienne, R. et Pelletier, G. (dir.). Les directions d’établissement au cœur du changement, De Boeck supérieur, 11-18.
Morneau, D. (2012). Auto-évaluation par les gestionnaires de l’impact du codéveloppement sur l’acquisition de compétences en gestion. Thèse doctorale. Université de Sherbrooke.
Pelletier, G. (2017). Devenir dirigeant en éducation : défis d’identité, défis de savoirs d’action. Enseignement et recherche en administration de l’éducation, 1(1), 31- 48.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2023
La profession enseignante a bien des caractéristiques qui lui sont propres. Aucune autre, par exemple, n’a cette particularité de hanter son personnel retraité en lui faisant apparaître un monstre jaune au moment où il s’y attend le moins. Au fil des premiers mois, on s’habitue à sa présence… puis il disparaît l’espace d’un été. Tout à coup, au coin d’une rue ou sur un viaduc, sa vue trouble et réveille des souvenirs. Le monstre sort de sa tanière estivale, se bringuebalant dans tous les coins du pays.
C’est septembre : les gros autobus jaunes ravivent des flashes de votre carrière, comme un PowerPoint déchaîné dont on aurait perdu le contrôle. Enseignant un jour, enseignant toujours! Ces balourds sillonnent les routes avec leur mission impassible de rassembler enfants et adolescents sous un même toit. Pour le retraité que je suis, le choc était d’autant plus grand après que ces autobus aient été mis au rancart pendant deux ans, pandémie oblige.
Les écoles ont pourtant continué d’exister et de se réinventer au fil de ces mois difficiles. Le personnel enseignant, les élèves et leur famille ont dû s’ajuster à une nouvelle réalité. Le système d’éducation est une créature qui évolue au gré des nouvelles tendances, de nouvelles théories ou de nouvelles circonstances. Bien que celles-ci aient été exceptionnelles et ardues, le changement de cap intérimaire s’est opéré, technologies aidant. L’école de langue française n’a pas fait exception à ces nouvelles façons d’opérer, sauf…
Sauf qu’il existe un précepte qui sous-tend l’action de l’école de langue française et qui sera toujours intimement lié à son succès : elle a le besoin vital d’un effort concerté et organisé de la communauté et des familles qui l’entourent. Le bienêtre du personnel et des élèves de l’école en dépendent largement.
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À la base, chaque membre du personnel enseignant est motivé par l’idée que la matière qu’il enseigne servira d’une manière ou d’une autre à ses élèves. L’enseignante de mathématiques souhaite qu’ils pensent à elle plus tard en évaluant les taux hypothécaires. L’enseignant d’histoire espère qu’il contribuera à l’engagement social de ses élèves devenus adultes. C’est une question de bienêtre fondamental : personne ne se réjouit d’un emploi qui ne sert à rien.
C’est là qu’une distinction s’esquisse entre le personnel qui se dévoue au devenir des élèves d’une majorité ou d’une minorité linguistique. Sans vouloir minimiser son rôle, le personnel qui œuvre auprès de la majorité n’a pas à se préoccuper de la place qu’occupera cette langue dans l’espace communautaire ou dans l’avenir. Celle-ci continuera d’exister et d’évoluer bien longtemps après le départ d’une cohorte d’élèves, et ce, pour les générations à venir.
Pour le personnel enseignant des écoles de langue française en contexte minoritaire, chaque fait et geste, chaque stratégie d’enseignement ou d’apprentissage, chaque intervention planifiée ou imprévue contribue à déterminer l’évolution et la transmission de la langue. Pour le personnel de ces écoles, le bienêtre passe par l’espoir d’une vie en français en dehors de l’environnement scolaire. Avoir conscience que nos actions quotidiennes déterminent le sort d’une langue est une bien lourde charge à porter.
La Pédagogie à l’école de langue française (PELF) est une initiative des hautes-directions francophones des treize ministères de l’éducation provinciaux et territoriaux. Appuyée d’une douzaine de chercheures et chercheurs des universités de la francophonie canadienne et de membres du personnel enseignant de tous les coins du pays, elle propose des conditions et des concepts qui viennent justement répondre à cette responsabilité critique qui incombe au personnel enseignant. En effet, le concept de la sensification* s’articule autour de l’importance d’apprentissages contextualisés qui donnent du sens à ce qui se vit par rapport à la langue de scolarisation.
L’élève s’intéresserait-il aux mathématiques s’il n’y avait jamais rien à compter dans le monde? S’intéresserait-on autant à la physique si le phénomène de la gravité n’était présent que dans le laboratoire? Si ces exemples semblent excessifs, ils résonnent pourtant chez le personnel des écoles où la langue promue occupe un espace trop restreint dans l’environnement socio-institutionnel.
Sans vitalité linguistique en dehors du contexte scolaire, l’engagement du personnel enseignant perd son sens pratique. Or, coupés de part et d’autre du monde extérieur pour près de deux années, la question se pose et s’impose : quelle forme a pris cette vitalité linguistique pendant la pandémie? Quels contacts sensifiants en français les élèves ont-ils vécus en plein isolement? À quels modèles de personnalités francophones ont-ils été exposés dans leur quotidien?
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La nécessité est la mère de l’invention. Ici et là au pays, on a vu l’émergence pendant cette période d’une collaboration indéfinissable entre l’école et le reste de la francophonie. Tantôt une enseignante retraitée diffusait l’heure du conte, un autre s’installait à son piano pour inviter les enfants à former une chorale zoom improvisée. Des parents ont transmis des recettes faciles à faire en famille. Une enseignante encourage la communication orale et rend disponibles de nouvelles stratégies adaptées à ce contexte exceptionnel. Réseaux sociaux aidant, un coin du pays s’intéresse à un autre; une région en découvre une autre; les accents se promènent sur la Toile, tout ça pendant que le pays entier est en quarantaine. Serait-ce que l’isolement social a bousculé l’isolement systémique? La pandémie aurait-elle créé des ponts essentiels que le système d’éducation peine à établir et à maintenir?
Il est peu probable qu’un inventaire de ces initiatives existe et qu’on puisse savoir ce qu’elles sont devenues. Ces collaborations existent sous d’autres formes, dira-t-on. Soit, les écoles de langue française disposent d’outils pour alimenter le volet culturel de leur mission. Cependant, dans quelle mesure ces stratégies et ces interventions sont-elles en appui direct à l’enseignement et à l’apprentissage? Comment sait-on que cet aspect du bienêtre— unique et spécifique à la condition minoritaire, rappelons-le — est pris en compte dans les décisions administratives liées à la concordance des efforts école-famille-communauté? Le bienêtre du personnel enseignant des écoles de langue française en contexte minoritaire ne peut faire abstraction de cet aspect. En tant qu’agent de changement, le personnel a besoin d’indicateurs clairs qui attestent que le sort de la francophonie ne repose pas uniquement sur ses épaules.
Et les élèves dans tout ça? En voyant passer le monstre jaune et s’agiter les petites têtes qui dépassent à peine des fenêtres, ou les plus grandes qui sont déjà à l’heure des choix, il est permis de penser qu’il y a à bord de brillantes futures ministres et de grands chefs d’entreprise en devenir. Quelles décisions auront un jour à faire ces individus? Ce faisant, quelle place accorderont-ils à la langue française? Il n’y a qu’un pas pour imaginer que c’est aujourd’hui que se prennent les décisions de demain.
L’élève qui aura grandi dans la convergence systémique de l’action scolaire et sociale considérera la vie en français non seulement comme possible, mais souhaitable, voire indispensable. N’est-ce pas là ce que nous souhaitons?
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*sensification : néologisme qui désigne un des quatre concepts de la Pédagogie à l’école de langue française (PELF) et qui précise l’importance pour les élèves et le personnel enseignant de vivre des apprentissages contextualisés qui donnent du sens à ce qu’ils vivent par rapport à la francophonie.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2023
Voilà près de trois ans, les gouvernements du monde annonçaient la fermeture des écoles pour protéger les élèves et les enseignants contre la COVID-19. Selon l’UNESCO (2020), plus de 1,5 milliard d’enfants de plus de 190 pays ont été renvoyés à la maison en mars 2020 pour recevoir, tout au plus, un enseignement à distance. Depuis, les éducateurs, les parents et les décideurs politiques cherchent à savoir quels effets ces perturbations ont eus sur les compétences en lecture des enfants. Dans le présent article, nous approfondissons un rapport déjà présenté sur les résultats de lecture des enfants au cours des six premiers mois de la pandémie (Georgiou, 2021) pour intégrer de nouvelles informations provenant d’élèves de vingt écoles albertaines allant de la maternelle à la neuvième année, à partir de septembre 2019 jusqu’au retour à l’enseignement régulier en classe, en septembre 2022.
Constatations dans le reste du monde
La plupart des études publiées dans différents endroits du monde indiquent que la COVID-19 a entraîné des répercussions importantes sur les compétences de lecture des enfants, surtout dans les premières années d’enseignement. Ainsi, dans une récente étude portant sur cinq millions d’élèves de la troisième à la huitième année aux États-Unis, Kuhfeld et coll. (2023) ont signalé que les résultats moyens de lecture à l’automne 2021, évalués selon une mesure normalisée, étaient de 0,09 à 0,17 écarts-types plus faibles que les résultats des mêmes niveaux à l’automne 2019. Si on les compare à la progression que connaissait un élève type à ces niveaux scolaires (avant la pandémie), ces baisses dans les notes d’examen représentent environ le tiers de la progression qui survient en une année. De même, en se fondant sur un échantillon d’enfants finlandais, Lerkkanen et coll. (2022) ont rapporté que la progression de la lecture, de la première à la quatrième année, était plus lente dans la cohorte qu’ils avaient suivie pendant la COVID-19 que dans la cohorte d’avant la pandémie.
Le même corpus de recherche a également dévoilé que les répercussions de la COVID-19 n’ont pas été les mêmes chez différents groupes d’élèves. Par exemple, les élèves de milieux socio-économiques moins favorisés (ou ceux d’écoles très défavorisées) semblent avoir été plus touchés que ceux issus de milieux socio-économiques plus favorisés. Certaines données sembleraient indiquer que les élèves aux prises avec des difficultés de lecture ont été plus touchés que ceux qui n’en avaient pas. Enfin, Kuhfeld et coll. (2022) ont trouvé qu’aux États-Unis, les répercussions de la COVID-19 ont été plus importantes chez les élèves hispaniques, noirs et autochtones (y compris ceux de l’Alaska) que chez les élèves blancs ou de souche asiatique1.
Constatations au Canada
Les données sur l’incidence de la COVID-19 chez les élèves canadiens sont encore lacunaires, et nous ne connaissons que deux études ayant porté sur le sujet, l’une menée en Alberta et l’autre, au Québec.
L’étude albertaine : Georgiou (2021) a comparé les résultats d’environ 4 000 élèves anglophones de la deuxième à la neuvième année en septembre 2020 (immédiatement après la réouverture des écoles) aux résultats d’élèves de mêmes niveaux lors des trois années précédant la fermeture. Il a trouvé que seuls les résultats des élèves plus jeunes (de deuxième et troisième années) avaient baissé, par rapport aux années précédentes. Il est intéressant de constater que les résultats des enfants plus âgés (de la quatrième à la neuvième année) sont restés les mêmes ou se sont améliorés pendant la pandémie. S’inspirant de ces constatations, le ministère de l’Éducation en Alberta a invité les écoles à évaluer la lecture chez tous leurs élèves de la première à la troisième année et a injecté un financement supplémentaire pour aider les établissements scolaires à effectuer des interventions en lecture auprès des enfants des premiers niveaux les plus touchés.
L’étude québécoise : Côté et Haeck (communication personnelle, 3 juin 2022) ont comparé les résultats d’élèves francophones de la quatrième année au Québec en se fondant sur les résultats des examens de lecture du ministère de juin 2019 (avant la pandémie) et ceux de juin 2021 (un an après le début de la pandémie). Ils ont trouvé une baisse significative des résultats moyens des élèves entre les deux points de mesure (77,3 % en 2019, par rapport à 69 % en 2021).
De retour sur les rails?
Nous étudions depuis vingt ans la progression et les difficultés en lecture en Alberta. C’est pourquoi nous disposions de mesures dans de multiples écoles pour nous pencher sur les répercussions de la COVID-19. Aux fins du présent article, nous avons évalué :
Pour mieux comprendre l’incidence de la COVID-19, il faut diviser sa durée en trois périodes distinctes. La première s’étend de septembre 2019 à septembre 2020, c’est le moment où les écoles ont fermé pour une durée indéterminée après l’éclosion de la COVID-19, et que les enfants avaient seulement accès à l’enseignement à distance. La deuxième période (de septembre 2020 à septembre 2021) est l’année scolaire de la réouverture des écoles, où les enfants devaient rester de 10 à 14 jours en quarantaine s’ils avaient la COVID-19, et que des classes entières passaient du présentiel à l’enseignement à distance selon le nombre de cas positifs qu’elles renfermaient. Enfin, la troisième période (de septembre 2021 à septembre 2022) est celle où l’enseignement se déroulait surtout en présentiel, couplé d’interruptions relativement moins fréquentes.
Ces constatations suggèrent qu’après trois ans de pandémie, les élèves de ces 20 écoles sont de retour sur la bonne voie.
Quatre clés pour le rattrapage
Quatre facteurs ont, à notre avis, aidé les élèves de cet échantillon à se remettre sur les rails. Ils sont résumés ci-dessous.
Des pratiques fondées sur des données probantes dans les écoles participantes
De toute évidence, nous n’aurions pas de données à présenter dans le présent document si ces écoles ne les recueillaient pas chaque année au moyen d’évaluations normatives. En outre, le personnel enseignant de ses écoles participe à nos séminaires continus de perfectionnement professionnel portant sur les meilleures pratiques d’enseignement de la lecture et nous a fait part de son expérience lors d’essais sur le terrain menés dans le cadre des communautés de pratique (voir Georgiou et coll., 2020, pour plus de précisions). Les directions d’école se sont réunies régulièrement pour discuter des résultats de leurs évaluations et repérer les domaines dans lesquels le personnel enseignant gagnerait à se perfectionner davantage. Précisons que les pratiques fondées sur les données probantes étaient en place dans ces écoles bien avant la COVID-19. Aussi, quand le ministère de l’Éducation en Alberta a invité les enseignantes et enseignants de la province à concentrer leur formation sur les capacités de base en apprentissage de la lecture (c.-à-d. la conscience phonologique, la phonétique, la fluidité en lecture), ceux de ces écoles n’ont pas eu à changer ce qu’ils pratiquaient déjà avec succès. Ces pratiques ont sans aucun doute eu un effet positif sur les capacités de lecture des élèves et a contribué à la rapidité de leur retour sur la bonne voie.
Dépistage précoce et intervention
Le ministère de l’Éducation en Alberta a exigé un dépistage auprès d’élèves de la première à la troisième année en pratiquant des évaluations fiables et valides de leurs capacités de base en lecture. Normalement, la plupart des divisions scolaires de la province se servaient de diverses évaluations comparatives pour dépister les élèves éprouvant des difficultés de lecture, en dépit de recherches démontrant qu’elles n’étaient ni fiables ni précises (Burns et coll., 2015; Parker et coll., 2015). Le ministère n’approuvait pas ces évaluations comme critère de financement supplémentaire. De plus, il a transmis un programme d’intervention en lecture à toutes les écoles de la province, comprenant 80 leçons de conscience phonologique et de phonétique, et il a invité les écoles à signaler la progression des élèves au fil du temps. À notre connaissance, il s’agit de la première instance où une province a mandaté toutes les écoles à procéder à un dépistage précoce en littéracie et leur a fourni du matériel d’intervention pour le faire. Ces deux politiques devraient se poursuivre à l’avenir.
Financement
Le ministère de l’Éducation en Alberta a fourni aux écoles un financement supplémentaire de 45 millions de dollars pour remédier aux pertes des acquis. À ce que nous sachions, il s’agit là de la plus grande aide financière au pays qui, si elle a servi aux fins proposées (des interventions), pourrait expliquer pourquoi les élèves des écoles que nous avons échantillonnées se sont rattrapés facilement. Le ministère a aussi subventionné des projets de recherche sur les interventions précoces, qui ont fourni de l’information utile sur les façons de remédier aux pertes des acquis. Dans l’un de ces projets, nous avons effectué des interventions auprès de 365 élèves de deuxième et troisième année éprouvant des difficultés en lecture. Au bout de 4 mois et demi, 80 % des élèves participants avaient progressé d’environ un an et demi en lecture. Certains de ces enfants fréquentaient les écoles ayant fait l’objet de l’étude signalée précédemment. Le financement d’interventions fondées sur les données probantes, jumelé à un contrôle fréquent du progrès des élèves au moyen de mesures fiables et précises, devrait se poursuivre à l’avenir.
Discussions sur les pratiques fondées sur des données probantes
Les discussions menées au pays sur les façons de remédier aux pertes des acquis ont attiré l’attention des enseignantes et enseignants sur les pratiques fondées sur les données probantes pour l’apprentissage de la lecture. Ainsi, l’une des recommandations données sur divers médias répondait à ce que souhaitent depuis longtemps les chercheurs en lecture : fournir un enseignement systémique et explicite de la phonétique dès les premières années scolaires. Cette recommandation fait désormais partie, elle aussi, du nouveau programme d’apprentissage de la langue anglaise en Alberta pour les premières années du primaire.
Les bons résultats de rattrapage proviennent d’écoles qui emploient des pratiques d’enseignement précoce de la littéracie fondées sur les données probantes et qui fournissent à leur personnel enseignant du perfectionnement professionnel sur ces pratiques qui ne sont peut-être pas abordées dans les programmes de formation. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas de renseignements fiables sur le rattrapage postpandémique des écoles qui tardent à adopter des programmes de littéracie précoce fondés sur des données probantes. En dernier lieu, les résultats encourageants dont témoignent nos écoles en Alberta rejaillissent positivement sur la politique mise en œuvre par le ministère de l’Éducation de la province. En instaurant le dépistage précoce, en finançant des interventions supplémentaires, en donnant aux écoles un accès à des évaluations fiables et à des programmes d’intervention efficaces, le ministère albertain a essentiellement donné suite au rapport de la Commission ontarienne des droits de la personne intitulé Le droit de lire.
Burns, M. K, Pulles, S. M. et coll. (2015). « Accuracy of student performance while reading leveled books rated at their instructional level by a reading inventory », Journal of School Psychology, 53, 437-445.
Georgiou, G. (2021). « Has COVID-19 impacted children’s reading scores? », The Reading League Journal, (2), 34–39.
Georgiou, G., Kushnir, G. et Parrila, R. (2020). « Moving the needle on literacy: Lessons learned from a school where literacy rates have improved over time », Alberta Journal of Educational Research, 66 (3), 347-359. doi.org/10.11575/ajer.v66i3.56988
Kuhfeld, M., Lewis, K. et Peltier, T. (2023). « Reading achievement declines during the COVID-19 pandemic: Evidence from 5 million U.S. students in Grades 3–8. », Reading and Writing, 36, 245-261. doi.org/10.1007/s11145-022-10345-8
Lerkkanen, M. K., Pakarinen, E. et coll. (2022). « Reading and math skills development among Finnish primary school children before and after COVID-19 school closure », Reading and Writing. https://link.springer.com/article/10.1007/s11145-022-10358-3
Parker, D. C., Zaslofsky, A. F. et coll. (2015). « A brief report of the diagnostic accuracy of oral reading fluency and reading inventory levels for reading failure risk among second- and third-grade students. », Reading & Writing Quarterly, 31(1), 56-67.
UNESCO. Éducation : de la fermeture des écoles à la reprise, 2020 https:// unesco.org/fr/covid-19/education-response
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Première publication dans Éducation Canada, avril 2023
1 Ce sont les descriptions employées dans l’étude.
DANS LA VIE, DEVANT UN PROBLÈME, nous avons le choix d’abandonner la partie, de poursuivre sur la même trajectoire ou de jouer notre va-tout et d’explorer des pistes nouvelles. La pandémie de COVID-19 a certainement entraîné de gros problèmes, car c’est la plus importante crise de notre siècle et, pour la majorité d’entre nous, la plus grande crise de toute une vie. Il ne fait aucun doute que la pandémie a eu des répercussions immédiates sur le monde de l’éducation et en particulier sur l’apprentissage, la motivation et le bienêtre de la population dont les élèves, les éducateurs et les parents. Au Canada, la santé mentale, la sédentarité, le nombre démesuré d’heures passées devant un écran, les retards sur le plan de l’acquisition d’aptitudes sociales, le manque d’assiduité et les déficits d’apprentissage de plus en plus fréquents chez les élèves sont au cœur de préoccupations sans cesse croissantes (Vaillancourt, T. et coll., 2021).
La reprise des activités après la pandémie de COVID-19 a donné lieu à quatre grandes initiatives dans le champ de l’éducation :
Cependant, force est de constater que ces interventions sont insuffisantes et souvent inadéquates. L’idée qui sous-tend notre projet de réseau d’écoles ludiques est donc d’identifier des pistes de solutions pour ranimer la motivation de tous : les élèves et le personnel enseignant, et aussi de redynamiser le plaisir et la volonté d’enseigner et d’apprendre, après des mois et parfois des années de déconnexion – au sens propre et figuré – de l’enseignement.
Les élèves canadiens ne sont pas les seuls à éprouver des difficultés, post-pandémies. Partout dans le monde, des membres du corps enseignant et de directions d’écoles délaissent leur profession à un rythme sans précédent (UNESCO, 2022). Il faut donc de toute urgence trouver des moyens d’attirer et de retenir des enseignantes et des enseignants tout en offrant du soutien à celles et à ceux qui restent en poste. En motivant le personnel enseignant, nous donnerons également l’élan nécessaire pour engager et motiver les élèves.
Dans les écoles, nous constatons déjà une grande créativité pédagogique, que ce soit pour aménager des horaires et des espaces plus flexibles, pour offrir davantage de cours en plein air et par l’adoption d’une variété d’approches, de dispositifs, de projets ludiques pour motiver les élèves. Comment peut-on reproduire et faire connaître ces pratiques innovatrices à l’échelle du pays, après la pandémie ? Quelles sont les formes d’apprentissage par le jeu qui intéressent et motivent les élèves, en particulier, ceux et celles qui sont, depuis longtemps, mal desservis par les systèmes scolaires ?
S’inspirant de ces questions, notre équipe de chercheuses et de chercheurs en éducation de l’Université d’Ottawa a présenté une demande de subvention portant sur la phase de reprise des écoles, post-COVID, à la LEGO Foundation, afin de mettre sur pied le Réseau canadien des écoles ludiques (RCÉL), qui collabore avec des écoles en français et en anglais, à travers tout le Canada.
Le Réseau canadien des écoles ludiques
Premier de son genre dans le monde entier, ce réseau bilingue regroupe 41 écoles de sept provinces afin d’explorer et de faire progresser les méthodes durables et enrichissantes d’apprentissage ludique durant les années intermédiaires (4e à 8e année). La carte interactive du RCÉL propose des descriptions et des vidéos sur les 41 écoles participantes et leurs initiatives d’apprentissage par le jeu.
En sa qualité de réseau axé sur l’apprentissage, le RCÉL fait le lien entre les enseignantes et enseignants qui utilisent les pédagogies ludiques sur l’ensemble du pays et leur donne l’occasion de faire connaître leurs pratiques et de diffuser des ressources innovatrices et inspirantes. Ce réseau leur offre aussi l’occasion de se développer professionnellement et d’enrichir leurs connaissances par les échanges entre eux, au sein du RCÉL, mais aussi de développer leur expertise en enseignement ludique, dans diverses disciplines et domaines enseignés par eux, grâce au soutien d’experts dans des domaines divers. Ainsi, la participation au réseau leur fournit l’inspiration pour mener à bien leurs projets innovants, tout en leur permettant de relever des défis partagés.
Ensemble, les membres du RCÉL et son équipe de recherche tentent de réfléchir sur des questions comme :
Tout au long d’une année scolaire, les équipes-écoles participantes partagent leurs projets et leurs parcours d’enseignement-apprentissage par le jeu de diverses façons : par des comptes rendus mensuels, par des vidéos qui documentent leurs projets, par des présentations et à travers des événements organisés par le RCÉL, comme des « rencontres ludiques », des « groupes de jeu » et enfin par la conférence qui servira de « vitrine au réseau et aux projets des écoles » en juin 2023.
Le RCÉL a financé chaque équipe-école pour la tenue de séances mensuelles de perfectionnement professionnel et aussi pour monter et mener à bon port leurs propres projets d’apprentissage ludique. Chaque mois, les membres du corps enseignant sont appelés à collaborer dans leur équipe-école, apprennent des autres écoles lors de rencontres ludiques ou de groupes de jeu, assistent à des webinaires de perfectionnement professionnel de la série Playjouer et partagent des ressources, enrichissant ainsi leurs pratiques d’apprentissage par le jeu. Notre équipe de l’Université d’Ottawa et 13 conseillers internationaux se chargent de l’animation, des consultations, de l’encadrement et du soutien à la recherche pour le compte des écoles.
L’importance du jeu
L’utilisation du jeu pour favoriser l’apprentissage et le bienêtre des enfants a une histoire intéressante. L’inventeur allemand de la maternelle, Friedrich Froebel, la passionnée de la réforme pédagogique, Maria Montessori, et l’enseignant avant-gardiste John Dewey ont tous milité pour que le jeu ait une plus grande place dans les écoles. Les recherches actuelles sur le sujet soulignent l’importance de l’apprentissage par le jeu et son impact positif sur le développement des enfants. Selon ces recherches, les pédagogies ludiques favorisent, dès le plus jeune âge, le développement de la pensée abstraite, l’affirmation de soi et l’acquisition du langage et d’aptitudes sociales. « Le jeu nourrit chaque aspect du développement infantile – c’est le fondement des compétences intellectuelles, sociales, physiques et affectives qui sont nécessaires à la réussite scolaire, personnelle et professionnelle. Le jeu ouvre la voie à l’apprentissage. » (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2006, traduction libre). Dans son livre intitulé Libre pour apprendre, Peter Gray (2013) montre à quel point le jeu libre se distingue du jeu structuré par les adultes et peut aider les enfants à se faire des amis, à traiter tous leurs camarades sur un pied d’égalité, à résoudre des problèmes, à surmonter leurs peurs, à élaborer des règles et à prendre leurs propres décisions.
Dans l’ensemble du Canada, le jeu en tant qu’outil ou approche pédagogique est davantage répandu dans les classes de maternelle et dans les cycles élémentaires, mais il a tendance à disparaître graduellement entre la fin du primaire et le début du secondaire. On note aussi que les approches axées sur le jeu sont moins rattachées au plaisir et à la ludification, au fur et à mesure que les élèves grandissent et sont souvent considérées comme incompatibles avec les attentes des programmes d’études et les évaluations des apprentissages qui s’intensifient durant la scolarité. Ainsi, le jeu est considéré comme une distraction « frivole » qui a, en définitive, peu sa place dans des contextes scolaires qui adoptent des cycles d’enseignement et d’évaluations certificatives. Pourtant, comme l’a avancé le philosophe hollandais Johann Huizinga, le jeu est le pivot de la civilisation et le fondement de la culture humaine. Il peut avoir des buts différents et des objectifs d’apprentissage variés, il peut être libre ou guidé, mais il est certain que le jeu a sa place dans des pédagogies intégrées qui tiennent compte des élèves, de leurs besoins et de leur motivation.
Le RCÉL ne cherche pas uniquement à intégrer davantage de jeu dans les programmes d’études, mais aussi à approfondir la notion de jeu, ainsi que les contextes et les situations où il pourrait faire une différence. Le jeu est souvent synonyme d’amusement, mais ce n’est pas toujours le cas, car le jeu pédagogique est source d’apprentissages incontestables. Citons comme exemple le jeu de rôle qui devient un des outils pédagogiques favoris des formations actuelles, dans divers domaines. Ainsi, on ne peut ignorer que le fait d’adopter des cycles d’apprentissage et d’expérimentation par le jeu peut avoir des retombées bénéfiques sur les élèves en tant que source d’apprentissages multiples : le jeu peut devenir, dans ce cas, sérieux.
Le but de cette recherche
Le RCÉL mène des recherches poussées sur le potentiel du jeu au cours des années intermédiaires, tout en abordant les enjeux liés à l’inclusion, à l’équité et au bienêtre, à l’apprentissage et à l’évaluation. À titre de réseau, il examine les activités ludiques des élèves de la 4e à la 8e année et les moyens de les identifier et de les intégrer. Nous cherchons à savoir de quelle façon le jeu peut renforcer la motivation des élèves envers l’apprentissage et leur bienêtre, mais aussi quand il n’y arrive pas, et les moyens de traiter toute cette question. Nous voulons savoir comment le jeu dans les écoles est susceptible de mieux refléter les langues, les cultures et les identités diversifiées des élèves et donner accès à des méthodes d’apprentissage ludique à tous les élèves et dans tous les contextes au lieu de les réserver aux enfants privilégiés.
Le RCÉL s’intéresse également aux répercussions potentielles des méthodes pédagogiques ludiques sur l’engagement du personnel enseignant envers l’apprentissage et le bienêtre. Tout en reconnaissant les défis inhérents à l’intégration de ces méthodes dans les classes plus avancées, nous souhaitons savoir comment les enseignantes et enseignants du RCÉL persévèrent malgré les exigences liées aux évaluations, au contenu et au comportement et comment ils s’épaulent les uns les autres. Quelles sont les façons les plus efficaces pour le personnel enseignant et les écoles de partager et de disséminer des stratégies positives d’intégration de l’apprentissage par le jeu ? Quelles activités, quelles ressources et quels types de perfectionnement professionnel ou modalités de rétroactions soutiennent le plus efficacement les enseignantes et enseignants du RCÉL ? Les réponses à ces questions aideront non seulement à soutenir le réseau, mais aussi les autres écoles intéressées à adopter des pratiques d’apprentissage par le jeu.
Le jeu dans plusieurs dimensions
Le RCÉL vise à explorer l’apprentissage par le jeu selon quatre modes : enviro (à l’extérieur), techno (numérique et informatique), bricolo (construction numérique et physique) et tout ce qui est socio, qui examinent l’intersection de la langue, de l’identité et de la culture par l’intermédiaire du jeu et de l’apprentissage ludique (voir la Figure 1). Toutes les 41 équipes-écoles du RCÉL conçoivent et mettent en application leurs propres projets qui tiennent compte de leurs différents contextes d’apprentissage (p. ex, milieu urbain ou rural, langues autochtones, françaises ou anglaises, etc.). L’ensemble des projets utilise les quatre modes d’apprentissage et de nombreux d’entre eux font appel à plus d’un mode. Au sein du réseau, l’apprentissage ludique est interprété de diverses façons, mais les mêmes thèmes et modes se retrouvent dans tous les projets. Pour certaines écoles, le jeu peut inclure des activités expérientielles et pratiques comme l’aménagement d’un espace d’apprentissage extérieur, d’une serre, la création d’une murale multimodale ou la création de jeux d’arcades électroniques en carton. Pour d’autres écoles, le jeu prend la forme de projets d’exploration ludique : pendant toute l’année scolaire, les élèves ont des périodes réservées pour déterminer les thèmes à approfondir en bénéficiant du soutien du personnel enseignant et de membres de la communauté. Enfin, d’autres écoles choisissent de passer du temps dans la nature et de faire des activités d’apprentissage ludique sur le territoire, en compagnie de gardiennes et gardiens du savoir, ou encore de créer leurs propres jeux, chansons ou livres à l’aide de technologies comme l’animation, Minecraft ou Ozobots. Dans tous les projets, le jeu est synonyme de travail appliqué, d’apprentissages, de choix, d’autonomie, de créativité, de défi, de collaboration avec les pairs et de prise de risque.
Projets du RCÉL
Notre site Web www.playjouer.ca contient des descriptions de toutes les équipes-écoles participantes du RCÉL et de leur projet d’apprentissage. Voici quelques exemples des projets des sept provinces participantes.
Chinago Nongom Wabang – « Hier, Aujourd’hui, Demain » est le nom du projet d’apprentissage par le jeu de l’école Kitigan Zibi Kikinamadinan, qui accueille des élèves de la première année au secondaire 5 (12e année) sur le territoire algonquin, près de Maniwaki au Québec. Leur projet reflète la priorité absolue de l’école, soit de créer une communauté bienveillante qui valorise la langue et la culture anichinabées des élèves. L’école s’efforce depuis longtemps de transmettre le mode de vie traditionnel algonquin à ses élèves. S’inspirant de cette histoire, ce projet écolo met de l’avant l’apprentissage sur le territoire. Lors des journées culturelles mensuelles, les élèves choisissent parmi une variété d’activités qui suscitent leur intérêt, tout en apprenant à connaître leurs ancêtres et l’environnement local. Animées par des membres du personnel enseignant et de la communauté, des aînées et aînés, ainsi que des gardiennes et gardiens du savoir, ces activités varient en fonction du mois et de la saison et comprennent le canot, la pêche sur glace, l’ébullition de la sève pour faire du sirop d’érable, la construction d’un abri, la préparation d’un feu, la couture, le perlage et la fabrication de mocassins, le travail du cuir et la familiarisation avec les plantes et les remèdes locaux.
Le projet de l’école élémentaire Monseigneur de Laval à Regina consiste à créer et à filmer une pièce de théâtre basée sur la biographie d’une personnalité marquante du patrimoine francophone de la Saskatchewan. Il combine la langue et la culture, les arts et la création. Ensemble, les élèves choisissent leur sujet et exercent leur leadership en documentant l’histoire de la région, en rédigeant le script, en créant les décors et les costumes, en jouant sur scène ou en réalisant, en filmant ou en montant le film. Les élèves sont épaulés par des partenaires communautaires comme la troupe de théâtre locale, Radio-Canada, la Société historique de la Saskatchewan et l’association des artistes.
À King’s Point (Terre-Neuve), les élèves de la Valmont Academy s’appliquent à créer une murale multimodale faite de matériaux recyclés. Elle représente un voilier et s’inspire des œuvres d’un artiste local. Les participants peuvent utiliser une variété de matériaux, dont la fibre de verre, le métal, le bois de grève et le verre de plage. Ils ont récupéré ces matériaux lors d’excursions à la plage locale, dans des sentiers de randonnée et dans la nature environnante. Des partenaires de la localité, notamment des constructeurs de bateaux, des soudeurs et des fabricants de fibre de verre, font office de mentors et aident les élèves à travailler les différents matériaux. Un artiste local les conseillera pour assembler la murale. Le projet vise à renouveler les liens de Valmont avec sa communauté et de promouvoir les possibilités de carrière au sein de l’industrie locale.
À l’École acadienne de Pomquet, une école élémentaire et secondaire de la Nouvelle-Écosse, les élèves, des membres de la communauté et des gardiennes et gardiens du savoir collaborent afin d’aménager des espaces pédagogiques extérieurs comme une serre, un foyer extérieur et un tipi de 30 pieds. Le projet de l’école se concentre sur l’amélioration des zones forestières environnantes et des liens entre la culture autochtone et acadienne. En consultant des partenaires de la communauté autochtone locale, les élèves ont appris qu’il n’y avait aucune source d’eau dans la forêt et ont décidé de creuser un étang et d’aménager un écosystème aquatique. Ils prévoient également d’utiliser l’étang comme patinoire pendant les mois d’hiver. Pour les élèves, le projet est non seulement une occasion de jouer, de construire et de parfaire leur apprentissage en plein air et en français, mais aussi de tirer du plaisir à parler leur langue minoritaire : « Si t’as pas de plaisir, ça devient une langue de travail. »
Réflexions des membres du RCÉL
Lors des discussions en groupes de jeu, les membres du RCÉL ont indiqué à quel point ils apprécient la possibilité de collaborer avec des collègues et ont souligné le côté rafraîchissant et motivant de leurs projets, à la fois pour les élèves et pour eux. « Cela ramène la joie de vivre », a commenté une personne. Selon les membres, l’apprentissage par le jeu favorise l’inclusion, valorise les points forts des élèves, offre des occasions de leadership, aide à tisser des liens avec la communauté et le territoire, encourage les élèves à parler français et à se sentir engagés dans les classes. C’est également une façon significative, pour des élèves comme les nouveaux arrivants ukrainiens, de rencontrer leurs camarades, de travailler et de développer un sentiment d’appartenance à leur classe grâce au langage universel du jeu.
S’il semble amusant, l’apprentissage par le jeu comporte son lot de défis. L’apprentissage ludique ne fait pas nécessairement bon ménage avec les attentes scolaires. Le fait de s’éloigner de l’enseignement et des méthodes d’évaluation traditionnels peut préoccuper les familles, les partenaires communautaires et même certains collègues. Dans les écoles de langue française, la plupart des documents doivent être traduits et adaptés, ce qui exige des ressources et augmente la charge de travail. Le RCÉL aide le personnel enseignant à travailler (et à jouer) pour surmonter ces défis ensemble.
De nos jours, durant les années intermédiaires, le jeu est l’exception et non la règle. Il a tendance à prendre son envol pendant la petite enfance ou à prospérer dans le cadre de « laboratoires » universitaires de psychologie et d’apprentissage des sciences qui disposent de ressources humaines et financières beaucoup plus importantes que celles des systèmes scolaires traditionnels. De plus, l’apprentissage par le jeu s’adresse davantage aux élèves privilégiés que marginalisés, comme en témoigne entre autres l’approche des écoles Montessori, établies dans le monde entier. Le jeu est aussi toléré dans les écoles alternatives, où il est reconnu que dles méthodes traditionnelles d’enseignement et d’apprentissage peuvent sembler différentes.
Le RCÉL est conçu pour stimuler la réflexion et l’action au sein des systèmes scolaires traditionnels. L’objectif est de les amener à examiner l’importance des approches ludiques durant les années intermédiaires, à légitimer l’apprentissage par le jeu, à devenir des sources d’inspiration, à proposer des exemples et des ressources à d’autres écoles des quatre coins du pays et à approfondir le dialogue sur la nature et la valeur du jeu en général.
Si le monde était une partie de hockey, on serait maintenant en prolongation. Il ne sert à rien de rester en mode défensif. Le temps est venu de sortir nos meilleures stratégies, de tirer notre épingle du jeu, d’apprendre mieux et de jouer avec plus d’ardeur. Le jeu est une forme d’apprentissage. Il devrait être accessible à tous les élèves, peu importe où ils vivent, qui ils sont et quelle langue ils parlent.
Gray, P. (2016). Libre pour apprendre : Libérons nos enfants pour qu’ils retrouvent le bonheur d’apprendre et la confiance en eux (traduit par E. Petit). Éditions Actes Sud. (Parution initiale en 2013)
Hewes, J. (2006). Let the children play: Nature’s answer to early learning. Early Childhood Learning Knowledge Centre, Canadian Council on Learning.
Huizinga, J. (2014). Homo ludens: A study of the play-element in culture. Routledge.
UNESCO. (2022). Transforming teaching from within–Current trends in the status and development of teachers. United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization.
Vaillancourt, T., Beauchamp, M. et coll. (2021). Les enfants et les écoles pendant la COVID-19 et au-delà : interactions et connexion en saisissant les opportunités. Société royale du Canada.
Photos gracieuseté de :Leslie Mott et Christopher Rowsome. Élèves de 3e, 4e et 5e année de l’École publique North Gower Marlborough, District scolaire Ottawa-Carleton
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En référence à l’article L’individualisation scolaire
Par : José Ndzeno
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Trousse de discussion
En 2021, un directeur BLANC d’une école secondaire catholique de langue française de l’Ontario a été retiré de son école deux ans après avoir porté les cheveux rasés d’un élève noir comme perruque lors d’une collecte de fonds pour une élève atteinte du cancer; quelques mois plus tard, à l’Halloween, il les a portés à nouveau comme déguisement (Canadian Broadcast Company; Radio-Canada, 2021). Il n’a été démis de ses fonctions que deux ans plus tard après que #BlacklivesLondon ait signalé ces incidents sur le microblogue Twitter (Radio-Canada, 2021). Étant donné que l’amélioration de la réussite de l’ensemble des élèves de l’école est peu probable sans un leadership éducatif efficace (Rodgers, Hauserman et Skytt, 2016), tout leader devrait remettre en question son comportement envers les individus et les groupes marginalisés, tels que les Noir.e.s., Plus précisément, chaque leader devrait se questionner sur les indignités qu’il leur fait subir, telle que les microagressions raciales. Dans cet article, une microagression raciale est définie comme étant une brève indignité quotidienne (re)produisant des commentaires racistes ou des insultes racistes envers les élèves, les directions d’école ou les enseignants et les enseignantes noir.e.s (Brown, 2019; Frank et coll., 2021; Sue et coll., 2007.)
Que connaissons-nous au sujet du racisme systémique envers les Noir.e.s en contextes francophones minorisés au Canada? Un nombre limité d’études ont exploré le racisme systémique envers les Noir.e.s en contextes francophones minorisés au Canada (Ibrahim, 2014; Jean-Pierre, 2020; Villella, 2021). Ces études donnent un aperçu de la façon dont le racisme systémique envers les Noir.e.s se manifeste dans ce contexte. Schroeter et James (2015) constatent que les élèves immigrant.e.s noir.e.s et francophones perçoivent que le personnel scolaire blanc, y compris la direction d’école blanche, accorde plus d’appui aux élèves blanc.he.s immigrant.e.s qu’aux élèves noir.e.s immigrant.e.s vis-à-vis de l’atteinte de leurs objectifs de carrière. Pour sa part, Madibbo (2021) présente trois conditions favorisant la (re)production du racisme systémique envers les Noir.e.s au sein du Canada français, y compris au Québec :
Examinons quelques incidents critiques
Ma thèse doctorale (2021) décrit des incidents critiques de racisme systémique anti-Noir.e.s, tels qu’ils se présentent dans le contexte du leadership éducatif en Ontario français afin de comprendre les incidents que subissent les élèves, le personnel enseignant, les familles et les partenaires communautaires noir.e.s et francophones.
Cette étude de cas narrative a exploré la compétence interculturelle et antiraciste imbriquée de leaders éducatifs et systémiques à travers des incidents critiques. Un leader éducatif et systémique, comme une direction d’école, est un citoyen privé, mais aussi un représentant d’une institution qui développe ou met en œuvre des politiques, des procédures et des règlements, voire des normes et des idéologies d’une société (Villella, 2021). Un incident critique constitue une expérience ou une activité positive ou négative ayant eu une influence sur un leader en confirmant, en modifiant ou en fragmentant son leadership (Sider et coll., 2017; Yamamoto et coll., 2014).
Neuf leaders éducatifs et systémiques, dont la plupart sont ou récemment ont été directions d’école, ont participé à trois entrevues semi-dirigées et à un sondage. L’analyse des données a révélé que presque tous les incidents critiques mentionnés par les neuf participant.e.s comme étant de nature « interculturelle » concernaient la communauté noire, et surtout des garçons et des hommes noirs, y compris un prêtre catholique. Bien que les réponses des participant.e.s au sondage indiquent qu’ils et elles perçoivent leurs compétences interculturelles comme élevées, la façon dont elles et ils abordent les incidents critiques impliquant les élèves, le personnel, les familles et les membres de la collectivité noir.e.s indiquent qu’ils doivent améliorer leur compétence antiraciste. En ce qui concerne le développement de leurs compétences interculturelles et antiracistes, les participant.e.s ont suivi très peu de cours universitaires ou d’ateliers; elles et ils se sont surtout autoformé.e.s grâce au bénévolat international, à la lecture et à la transmission de leurs apprentissages personnels. Par conséquent, les particpant.e.s ont surtout fait de la formation informelle au lieu de la formation formelle ou de la formation non formelle (Villella, 2021). Il ne faut donc pas s’étonner que des incidents critiques révélant un racisme systémique anti-Noir.e.s et des microagressions raciales se soient manifestés dans le discours des participant.e.s concerné.e.s.
Microagressions raciales multiples : ce que les données révèlent
Dans la section qui suit, je présente et j’analyse cinq incidents critiques de racisme systémique anti-Noir.e.s à travers le cadre conceptuel de microagressions raciales de Brown (2019), soit la pathologisation, l’insensibilité culturelle, la dévalorisation persistante des compétences des enseignants noirs, la citoyenneté de seconde classe dans les écoles et le mythe de la méritocratie. Brown indique que ces microagressions sont non seulement ancrées dans l’idéologie anti-Noir.e.s, mais qu’elles constituent aussi des raisons ayant émergé dans la recherche pour lesquelles les enseignant.e.s noir.e.s2 quittent la profession enseignante.
« J’avais une réunion avec la direction. Donc, je me dis qu’il y a d’anciens collègues à moi, je vais aller les voir. [Un ami], quand j’arrive : « Hé ! Salut [Hassan] ! Ça va bien ? » Donc, je m’assois avec lui, pis lui, il dit : « [Hassan], tu es au salon du personnel des blancs avec moi là ». J’ai dit : « Comment ça ? » Il dit : « Tu n’as pas vu ? La table des immigrants est là-bas ». Donc, pour te dire que même à l’époque où j’étais, il y avait deux salons du personnel.
Dans cette école, les enseignant.e.s noir.e.s (et en particulier les enseignant.e.s immigrant.e.s et noir.e.s) constituent le point de mire du racisme systémique anti-Noir.e.s dans le salon du personnel qui se manifeste sous forme d’un statut de citoyenneté de deuxième classe (Brown, 2019; Frank et coll., 2021).
« [Les élèves] l’envoyaient chier… en plus il parlait avec un accent assez prononcé. C’était probablement un des premiers Noirs qu’ils voyaient en personne ces enfants-là… Et pour lui, c’était une des premières classes qu’il avait au Canada, parce qu’il avait juste fait de la suppléance, si j’ai bien compris, à Montréal, quelques années d’avant… Dans le coin dans le fond de la classe… Quatre jeunes hommes qui se sont amusés à l’abaisser là. « Monsieur, je comprends rien, je comprends pas quand tu parles. Ça fait pas de sens »
Dans cet exemple de microagressions raciales envers un enseignant noir, on perçoit une dévalorisation persistante de ses capacités d’enseignement (Brown, 2019; Frank et coll., 2021) par les élèves et la participante, mais il existe aussi un linguicisme racialisé (Madibbo, 2021), soit une discrimination linguistique et raciale combinée envers une personne noire, qui est également une immigrante récente.
« elles sont incapables de s’intégrer…pis ça, c’est malgré qu’on a essayé de les coacher. On a essayé… c’est juste trop ancré ou le traditionalisme est trop ancré dans leurs pratiques… on arrive à un conflit, pis c’est là où on fait des mises à pied, où on fait des évaluations insatisfaisantes. »
Nous pouvons observer ci-dessus une autre microagression raciale, puisqu’un directeur blanc pathologise les personnes noires qui enseignent dans son école à travers sa vision fixe de la compétence à enseigner fondée sur la conformité aux politiques et aux pratiques éducatives historiques et normalisées de l’éducation de langue française.
« J’ai passé des entrevues… et les questions qu’on posait, nous, on avait déjà une idée de qu’est-ce qu’on voulait comme réponses… à quelques reprises, je me suis aperçue qu’on parlait pu de la compétence de la personne. On parlait de la culture de la personne [noire]. On disait : « Ben là, la personne a répondu de telle ou telle façon… ils vont peut-être taper l’enfant. »
Dans cet exemple, les microagressions raciales se manifestent comme une forme de pathologie (Brown, 2019; Frank et coll., 2021).
« Je suis en train de faire une évaluation de suivi avec… un ado qui vient du continent africain… qui avait eu de très grands bris de scolarisation… puis j’avais des préoccupations par rapport à hum le niveau de travail qu’on donne. Parce que des fois… si un élève ne sait pas lire, on a tendance à aller chercher du matériel pour apprendre à lire chez les plus jeunes… mais ça l’a pas la stimulation cognitive… parce que là, j’ai un ado qui a peut-être 15-16 ans qui euh… qui est en train de faire des affaires de bo-bo baba… Mais c’est un jeune qui est en train d’être traité comme un… un élève qui avait une déficience. »
Ici, on peut affirmer que cet élève noir subit des micro-agressions, plus précisément des micro-invalidations concernant ses besoins en matière de lecture étant fondés non seulement sur la perception d’un statut de citoyenneté de seconde classe, mais aussi de l’insensibilité culturelle et de la dévalorisation persistante de ses compétences (Brown, 2019 ; Frank et coll., 2021; Sue et coll., 2007).
Bien qu’il ne s’agisse que de quelques-uns des incidents critiques en matière de racisme systémique anti-Noir.e.s en matière de leadership éducatif ayant ressorti de mon étude, il s’agit de vignettes donnant un aperçu tout de même informatif au sujet de la façon dont le racisme systémique anti-Noir.e.s se (re)produit auprès de membres noirs de la communauté scolaire dans le contexte de l’éducation de langue française en Ontario.
Comment l’étude des incidents critiques peut-elle nous aider à désapprendre le racisme systémique anti-Noir.e.s?
Yamamoto et coll. (2014) expliquent que les histoires que : a) nous nous racontons; b) que nous transmettons; c) que nous racontons aux autres, et d) encore une fois que nous nous racontons à nouveau au sujet d’un incident critique, constituent un moyen puissant selon lequel les leaders peuvent évaluer s’ils maintiendront les mêmes pratiques, les adapteront ou s’ils changeront complètement leurs pratiques. Par conséquent, ces incidents critiques ne sont pas seulement formatifs (Sider et coll., 2017), ils sont aussi informatifs (Villella, 2021), puisqu’ils révèlent des éléments de désapprentissage professionnel nécessaire pour lutter contre le racisme systémique anti-Noir.e.s. La question qui se pose maintenant est la suivante : qu’est-ce que les leaders éducatifs et systémiques de langue française, comme les directions d’école, ainsi que leurs formatrices et formateurs, peuvent apprendre en examinant de tels incidents critiques? Une liste de ressources destinées aux leaders en éducation sur le désapprentissage du racisme systémique suit l’article.
D’abord, il faut se souvenir que le racisme systémique envers les Noir.e.s n’est pas seulement un problème anglo-canadien. Il est omniprésent en éducation, quelle que soit la langue d’enseignement ou le contexte.
L’analyse des incidents critiques en matière de leadership dans le domaine de l’éducation de langue française en contexte francophone minorisé peut aider les directions générales, les formatrices et les formateurs, les associations des directions d’école et les surintendances, ainsi que les organismes communautaires de langue française à comprendre comment certaines pratiques contribuent à marginaliser les enfants et les adultes noir.e.s qu’elles et ils desservent. Les façons dont les leaders interagissent avec les enseignant.e.s noir.e.s peuvent contribuer à la reproduction, donc à la persistance, du racisme systémique envers les Noir.e.s, au lieu de contribuer à l’établissement d’un milieu éducatif inclusif et d’une société inclusive qui atténuent le racisme afin d’y mettre fin. Quoi qu’il en soit, les leaders éducatifs et systémiques envoient un message clair aux élèves, aux parents et au personnel noir.e.s en ce qui concerne leur valeur dans la société, lorsqu’ils agissent, ou non, sur le racisme systémique anti-Noir.e.s.
L’étude des incidents critiques en tant que moyen de (dés)apprentissage professionnel par rapport au racisme systémique envers les Noir.e.s offre aux leaders éducatifs et systémiques la possibilité de changer la façon dont ils réagissent lors de futures situations, de devenir proactifs et de réduire les microagressions faites aux membres de la communauté noire. Ainsi, c’est en ce sens que les études de cas narratives peuvent aider les leaders à décortiquer le racisme systémique anti-Noir.e.s par l’entremise d’un moyen de (dés)apprentissage professionnel.
Que faire maintenant ? Quelques recommandations :
Les leaders éducatifs et systémiques, telles que les directions générales, les surintendances/directions générales adjointes, doivent appuyer tous les membres du personnel souhaitant élaborer des stratégies préventives pour réduire les incidences de racisme systémique envers les Noir.e.s qui se (re)produisent par l’entremise des microagressions raciales. Les gouvernements provinciaux, les conseils scolaires/commissions scolaires/Centres de services et les conseils/districts scolaires doivent exiger la mise en place de moyens spécifiques aux incidents de racisme systémique envers les Noir.e.s, les respecter et en faire le suivi. Ils doivent aussi être tenus d’en faire un rapport aux communautés noires de manière transparente. À ce titre, il est important d’élaborer une approche de collecte de données qualitatives et quantitatives pour mieux comprendre les défis et enjeux y étant sous-jacents; ces défis et ces enjeux ne devraient pas être réduits à une question liée au statut d’immigration d’un individu ni à sa langue maternelle comme des facteurs identitaires principaux.
Enfin, les leaders éducatifs et systémiques de langue française à tous les niveaux doivent avoir recours à des possibilités de formation initiale et continue s’ils souhaitent se former ou former leurs équipes au sujet du racisme et de l’antiracisme. La pédagogie, le leadership culturellement sensible, l’analyse des données fondées sur la race et la remise en question des politiques pédagogiques et disciplinaires du conseil/de la commission ou du Centre de services scolaire concernant les élèves noir.e.s et les pratiques d’embauche liées au personnel noir constituent des domaines incontournables en matière de formation pour tous les employé.e.s. De telles formations exigent que des ressources soient non seulement développées en français, mais aussi que les incidents critiques de racisme systémique anti-Noir.e.s soient fondés sur des exemples recueillis au sein des systèmes d’éducation en langue française.
Bien que certains leaders de l’éducation de langue française soient plus conscients que d’autres des incidents de racisme systémique anti-Noir.e.s concernant leur leadership, de tels incidents critiques persistent par l’entremise de micro-agressions raciales. Ces incidents devraient amener les leaders éducatifs et systémiques de langue française à réévaluer la façon dont ils peuvent mieux établir des relations avec chaque élève, famille, membre du personnel et partenaire communautaire noir.e.s., et à trouver des moyens de déconstruire leur pensée déficitaire et les stéréotypes sous-tendant les microagressions raciales. Un tel processus commence et se poursuit par l’entremise d’une pleine participation et d’un engagement profond à la décolonisation de l’apprentissage professionnel. On doit ensuite mettre en application ces connaissances au sein des communautés scolaires desservant des individus et des groupes noirs afin de créer des espaces d’appartenance plus équitables et inclusifs pour les élèves et le personnel noirs, ainsi que pour d’autres groupes méritant l’équité au sein même de la francophonie minorisée.
Non seulement les élèves noir.e.s et francophones ont besoin du personnel enseignant noir et francophone, mais le reste de la société canadienne en a besoin aussi. L’inclusion s’applique, après tout, à tout un chacun.
La liste de ressources suivante a comme objectif d’outiller les leaders éducatifs et systémiques, tels que les directions d’école, à développer leurs connaissances liées à la lutte contre le racisme systémique anti-noir pour pouvoir ensuite agir concrètement. L’espoir étant de les amener à exercer un leadership transformatif qui est inclusif de la construction sociale de la race.
Il est suggéré de lire les ressources selon l’ordre des thèmes présentés, et selon l’ordre des ressources indiquées.
DONNÉES STATISTIQUES CANADIENNES
Fondation canadienne des relations raciales. (2021). Les relations raciales au Canada 2021. Un sondage canadien sur l’opinion publique fondée sur l’expérience. Rapport final. https:// environicsinstitute.org/docs/default-source/project-documents/race-relations-in-canada-2021/race-relations-in-canada-2021-survey—final-report-fre.pdf?sfvrsn=dae22b9e_2
Statistique Canada. (2019). Diversité de la population noire au Canada… un aperçu. https:// 150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-657-x/89-657-x2019002-fra.htm
Statistique Canada. (2022). Mois de l’histoire des Noirs… en chiffres. https://.statcan.gc.ca/fr/dai/smr08/2020/smr08_248-1
Ces données nous apprennent non seulement que les communautés noires parlent plus souvent français à la maison que le reste de la population canadienne, mais aussi que les communautés noires vivent plus souvent du racisme que les autres minorités visibles, toutes langues officielles confondues.
NOIRCITÉ (BLACKNESS)
Ibrahim, A. (2014). The rhizome of Blackness. A critical ethnography of hip-hop culture, language, identity and the politics of becoming. Peter Lang Publishing.
Madibbo, A. (2021). Blackness and la Francophonie. Anti-Black Racism, Linguicism and the Construction and Negotiation of Multiple Minority Identities. Les Presses de l’Université Laval.
Sall, L. (2021). L’Acadie du Nouveau-Brunswick et “ces” immigrants francophones : entre complétude institutionnelle et accueil symbolique. Les Presses de l’Université Laval. Google Scholar
Les trois ressources ci-dessus abordent la noircité, aussi appelée le blackness en Ontario, en Alberta ou en Acadie. Il est possible d’en tirer certains constats communs au sujet des manifestations du racisme anti-noir en milieux francophones minorisés.
MICRO-AGRESSIONS RACIALES
Sue, D. W. Capodilupo, C. M., Torino, G.C., Bucceri, J. M., Holder, A.M.B. Nadal, K. L. & Esquilin, M. (2007). Racial Microaggressions in Everday life. American Psychologist, Mai-Juin. https://gim.uw.edu/sites/gim.uw.edu/files/fdp/Microagressions%20File.pdf
Brown, E. (2019). African American teachers’ experiences with racial micro-aggressions. Educational Studies, 55(2), 180–196. https://doi.org/10.1080/00131946.2018.1500914
Frank, T. J., Powell, M. G., et View, J. L. (2021). Exploring racialized factors to understand why Black mathematics teachers consider leaving the profession. Educational Researcher. doi.org/10.3102/0013189X21994498
Bien que ces trois articles soient écrits en anglais, il s’agit de ressources précieuses concernant le racisme anti-noir, et plus particulièrement, la manifestation de micro-agressions et comment mieux les comprendre. L’analyse de l’article du réseau d’Éducation Canada de Villella (2022) se fonde sur les cadres théoriques de ces articles.
RACISME ANTI-NOIR À L’ÉCOLE DE LANGUE FRANÇAISE
Jean-Pierre, J. (2022). Les composantes de l’espoir critique dans les récits de parents Afro-Canadiens de la Nouvelle-Écosse. Canadian Review of Sociology/Revue canadienne de sociologie, 59(4), 427-562. https://doi.org/10.1111/cars.12409
Villella, M. (2021). Le racisme à l’école franco-ontarienne. Education Journal – Revue de l’éducation (EJRÉ), Faculté d’éducation, Université d’Ottawa. 7(1), 25-34. https://egsa-aede.ca/wp-content/uploads/2022/01/Version-finale_2021-EJRE_October-Number-Website-Version.pdf
Schroeter, S. & James, C. (2015). « We’re here because we’re black » : The schooling experiences of French-speaking African-Canadian students with refugee backgrounds. Race, ethnicity and education, 18(1), 20-39. https://doi.org/10.1080/13613324.2014.885419
Stanley, T. (2018). Décortiquer les racismes et les antiracismes à l’école. Réseau de savoir sur l’équité. https://rsekn.ca/wp-content/uploads/2019/08/D%c3%a9cortiquer-les-racismes-et-les-antiracismes-%c3%a0-l%e2%80%99%c3%a9cole.pdf
Howard, P. S. S. & James, C. E. (2019). When dreams take flight: How teachers imagine and implement an environment that nurtures Blackness at an Africentric school in Toronto, Ontario. Curriculum inquiry, 49(3), 313-337. https://doi.org/10.1080/03626784.2019.1614879
L’article de Jean-Pierre (2022) aborde l’espoir critique des parents noirs en Nouvelle-Écosse. Les articles de Villella (2021), ainsi que de Schroeter et James (2015), décrivent le sujet du racisme anti-noir à l’école de langue en contexte francophone minorisé. Les articles de Stanley et de Howard et James proposent des actions concrètes en matière d’antiracisme.
NOIR·E·S FRANCOPHONES
Jabouin, S. (2018). Trajectoires d’insertion professionnelle des nouveaux enseignants originaires des Caraïbes et d’Afrique subsaharienne (NEOCAS) dans les écoles francophones de l’est de l’Ontario [thèse de doctorat non publiée, Université d’Ottawa]. Recherche Uo. https://ruor.uottawa.ca/handle/10393/11105
Jean-Pierre, J. (2020). L’appartenance entrecroisée à l’héritage historique et au pluralisme contemporain chez des étudiants franco-ontariens. Minorités linguistiques et société/Linguistic Minorities and Society (13), 3–25. doi.org/10.7202/1070388ar
Pierre-René, M. C. (2019). Hey “GI” An Examination of how Black English Language and Learning High School Students Experience the Intersection of Race and Second Language Education [thèse de doctorat, Université d’Ottawa]. Recherches uO. https://ruor.uottawa.ca/bitstream/10393/39108/1/Pierre_Rene_MarieCarene_2019_thesis.pdf
Ces lectures permettent de mieux comprendre que les identités et les expériences des élèves et des enseignant·e·s noir.e·s ne se limitent pas à une question de statut d’immigration récente, mais concernent le racisme systémique anti-noir.
THÉORIE CRITIQUE DE LA RACE
Bentouhami, H. et Möschel, M. (2017). Critical Race Theory. Une introduction aux grands textes fondateurs. Éditions Dalloz.
Thésée, G. et Carr, P. R. (2016a). Triple whammy and a fragile minority within a fragile majority: School, family and Society, and the Education of Black, Francophone Youth in Montréal. African Canadian youth, postcoloniality, and the symbolic violence of language in a French language high school in Ontario. Dans A.A. Abdi et A. Ibrahim, (dir.), The education of African-Canadian children (pp.131-144). McGill-Queens University Press.
Thésée, G. et Carr, P. R. (2016b). Les mots pour le dire : acculturation ou racialisation? Les théories antiracistes critiques (TARC) dans l’expérience scolaire des jeunes NoirEs du Canada en contextes francophones. Comparative and International Education/Éducation Comparée et internationale, 45(1), article 5. https://ir.lib.uwo.ca/cgi/viewcontent.cgi?article=1376&context=cie-eci
Le premier texte sert à faire comprendre au lectorat les fondements de la théorie critique de la race, ainsi que les grandes décisions juridiques les ayant influencés. Par la suite, le lectorat sera mieux en mesure de comprendre les deux autres articles abordant le sujet.
COLONISATION ET DÉCOLONISATION
Trudel, M. (2004). Deux siècles d’esclavage au Québec. Éditions Hurbutise.
Cooper, M. (2007). La Pendaison d’Angélique. Traduit par André Couture. Les Éditions de L’Homme.
Ba, Amadou. (2019). L’histoire oubliée de la contribution des esclaves et soldats noirs à l’édification du Canada (1604-1945). Éditions Afrikana.
Deltombe, Domergue, M. et Tatsitsa, J. (2016). Kameroun! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique. La Découverte.
Le premier ouvrage permet au lectorat de comprendre que les Blancs francophones avaient des esclaves et que l’Église catholique y a joué un rôle important. Le deuxième renseigne sur la contribution des Noir·e·s à l’édification du Canada depuis plus de 400 ans. Le troisième ouvrage montre l’omniprésence encore à ce jour des effets de la colonisation au sein de la vie de certaines personnes noires venant de l’Afrique et le rôle clé qu’y joue la France.
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Première publication dans Éducation Canada, janvier 2023
1 Ce texte a été traduit et adapté par l’auteure de l’article de langue anglaise intitulé Critical Incidents in Educational Leadership: An opportunity for professional (un)learning.
2 Alors que l’étude de Brown (2019) portait sur les enseignant·e·s noir.e.s, celle de Frank et coll. (2021) portait spécifiquement sur les enseignant.e.s noir.e.s de mathématiques.
Brown, E. (2019). African American teachers’ experiences with racial micro-aggressions. Educational Studies, 55(2), 180–196. https:// doi.org/10.1080/00131946.2018.1500914
Canadian Broadcast Corporation (29 mai 2021). Ontario principal removed after twice wearing hair of Black student like a wig. https:// cbc.ca/news/canada/london/luc-chartrand-black-student-wig-apology-1.6047068
Ibrahim, A. (2014). The rhizome of Blackness. A critical ethnography of hip-hop culture, language, identity and the politics of becoming. Peter Lang Publishing.
Jean-Pierre, J. (2020). L’appartenance entrecroisée à l’héritage historique et au pluralisme contemporain chez des étudiants franco-ontariens. Minorités linguistiques et société/Linguistic Minorities and Society (13), 3–25. doi.org/10.7202/1070388ar
Frank, T. J., Powell, M. G., et View, J. L. (2021). Exploring racialized factors to understand why Black mathematics teachers consider leaving the profession. Educational Researcher. doi.org/10.3102/0013189X21994498
Madibbo, A. (2021). Blackness and la Francophonie: Anti-Black racism, linguicism and the construction and negotiation of multiple minority identities. Les Presses de l’Université Laval.
Radio-Canada (31 mai 2021). Accusations de racisme : le directeur démis de ses fonctions dit avoir « honte » https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1797641/racisme-chartrand-london-honte-excuses
Rodgers, W. T., Hauserman, C. P, et Skytt, J. (2016). Using cognitive coaching to build school leadership capacity: A case study in Alberta. Canadian Journal of Education/Revue canadienne de l’éducation, 39(3). www.jstor.org/stable/canajeducrevucan.39.3.03
Schroeter, S. & James, C. (2015). «We’re here because we’re black»: The schooling experiences of French-speaking African-Canadian students with refugee backgrounds. Race, ethnicity and education, 18(1), 20–39. doi.org/10.1080/13613324.2014.885419
Sider, S., Maich, K., & Morvan, J. (2017). School principals and students with special education needs: Leading inclusive schools. Canadian Journal of Education, 40(2). http://journals.sfu.ca/cje/index.php/cje-rce/article/view/2417
Sue, D. W. Capodilupo, C. M., Torino, G.C., Bucceri, J. M., Holder, A.M.B. Nadal, K. L. et Esquilin, M. (2007). Racial Microaggressions in Everday life. American Psychologist, Mai-Juin. https://gim.uw.edu/sites/gim.uw.edu/files/fdp/Microagressions%20File.pdf
Villella, M. (2021). Piti, piti, zwazo fè niche li (Petit à petit, l’oiseau fait son nid) : le développement d’une compétence interculturelle et antiraciste de neuf leaders éducatifs et systémiques d’expression française de l’Ontario, formateurs bénévoles en Ayiti. Unpublished thesis. University of Ottawa. https://ruor.uottawa.ca/handle/10393/42728
Yamamoto, J. K., Gardiner, M. E., et Tenuto, P. L. (2014). Emotion in leadership: Secondary school administrators’ perceptions of critical incidents. Educational Management Administration & Leadership, 42(2), 165–183.
S’il y a deux dossiers qui auraient dû donner lieu à des propositions concrètes et convaincantes des aspirants au pouvoir pendant la campagne électorale 2022 au Québec, c’est bien l’éducation et l’immigration. Mais elle a laissé derrière elle un goût amer et bien des polémiques. L’éducation, l’enfant pauvre des gouvernements successifs, a encore été abandonnée à son sort. Il incombe donc une fois de plus aux acteurs du milieu scolaire d’assurer les besoins criants dans nos écoles. Quant à l’immigration, les solutions proposées ne sont guère plus reluisantes.
Pourtant, l’un des défis importants auquel nous sommes confrontés concerne l’immigration et l’intégration de ses jeunes dans le milieu éducatif. Il y a bien sûr la question cruciale de la francisation. Mais il y a aussi un autre enjeu que je trouve déterminant et sur lequel je me suis penchée comme documentariste durant les quatre dernières années.
La question m’a été posée plusieurs fois: « Pourquoi un film sur les traumatismes de guerre des jeunes réfugiés et leur intégration scolaire au Québec? »
Le sujet, qui peut sembler pointu, ne l’est pas. Au contraire, il concerne et touche tout le milieu scolaire au Canada et dans le monde entier. Je l’ai maintes fois constaté pendant toutes ces années de recherche et de tournage sur la problématique entourant la réalisation de ce long métrage intitulé « Je pleure dans ma tête » produit par l’Office National du Film du Canada (ONF).
La réponse à ce « pourquoi » est multiple. Il faut remonter à 2005 où un tournage à l’Est de la République démocratique du Congo m’a profondément ébranlée. Les images que nous avons filmées des longues colonnes de familles fuyant à pied les rébellions, de ces visages de femmes épuisées transportant leurs casseroles et leurs enfants accrochées à leurs jupes et d’hommes inquiets tenant des matelas sur la tête m’ont longtemps hantée. Pour la première fois, je voyais la guerre et ses conséquences tragiques sur les populations. Le mot « réfugié » venait tout à coup de prendre tout son sens.
Plus tard, en 2010, un autre tournage dans le camp de réfugiés birmans de Mae La en Thaïlande à la frontière birmane m’a fait prendre conscience des conditions de vie exécrables dans lesquelles vivent les réfugiés qui ont fui la guerre. Construit en 1984, Mae La abrite 32 000 personnes dont 11 % d’enfants qui y sont nés et qui, sans doute, y mourront, faute de pays d’accueil pour les sortir de là. Les traumatismes vécus pendant la guerre mais aussi dans les camps où les populations pensaient avoir trouvé « refuge » sont très importants et quelquefois pires que la guerre elle-même.
Pour l’avoir documenté en Birmanie, en République démocratique du Congo et au Liban dans les camps de Sabra et Chatila et dans la Vallée de la Békaa, les conditions de vie dans lesquelles évoluent les réfugiés sont misérables, indignes. Prisonniers sans barreaux, apatrides, sans travail ni dignité où le viol y est institutionnalisé, ils ont tout perdu, surtout l’espoir d’un retour à leurs racines. Leur pauvreté est absolue car ils vivent au crochet de l’État hôte qui plus souvent qu’autrement, les abandonne à leur sort. Quand on sait que l’Afrique est la première terre d’asile pour les réfugiés dans le monde, on comprend que ce sont les pays frontaliers des pays en guerre qui s’improvisent comme terre d’accueil. 90 % des réfugiés du monde entier sont accueillis par des pays en voie de développement.
Le présent des réfugiés – leur quotidien, leur précarité, leur accès à la santé et à l’éducation, – est le sujet le plus souvent abordé et documenté. Avec raison. Leur avenir aussi est préoccupant. Sous perfusion des agences onusiennes, dépendants des ressources de l’aide humanitaire, les réfugiés sont très souvent condamnés à l’oubli, tout en s’accrochant à l’idée qu’un jour peut-être, un pays d’accueil leur ouvrira les bras et les aidera à rebâtir leur vie et surtout celle de leurs enfants.
Ce sont là deux enjeux dont plusieurs de mes documentaires ont fait l’objet. Mais jamais je ne m’étais arrêtée à leur passé, à ce qu’ils avaient vécu, à leur parcours et aux conséquences psychosociales de la guerre et des camps sur eux. Au Canada, les réfugiés que nous recevons sont des réfugiés relocalisés, c’est-à-dire qu’ils proviennent tous des camps. Ils sont donc doublement traumatisés : par la guerre et la vie dans les camps. Sur 50 000 immigrants accueillis au Québec chaque année, 17 % sont des réfugiés. En 2022, de février à juillet, nous avons aussi reçu 4 000 Ukrainiens.
La rencontre avec Garine Papazian Zohrabian, psychologue et professeur titulaire à l’Université de Montréal, fut déterminante pour réaliser le documentaire sur les traumas des réfugiés que nous recevons au Québec et leur intégration en milieu scolaire. « La guerre, les violences collectives et les contextes d’adversité mettent en danger le développement global et ébranlent la santé mentale des enfants et adolescents » 1. Libanaise d’origine arménienne, elle a vécu la guerre du Liban et ses nombreux traumatismes pendant 15 ans. Après la guerre, « à la recherche de sens » 2, elle a décidé de faire sa thèse de doctorat sur les traumas de guerre en travaillant pour Médecins sans frontières dans le conflit du Haut-Karabah en Arménie.
Garine Papazian-Zohrabian
Aujourd’hui citoyenne canadienne, Garine Papazian-Zohrabian forme des enseignants aux difficultés d’apprentissage et d’adaptation des jeunes réfugiés que nous recevons au Québec et apporte des solutions. « Quand je parle des élèves réfugiés, des enfants de la guerre, je dis toujours, et les études le prouvent, que le retour à l’école, c’est le retour à la vie normale (…). Le fait d’être à l’école est un sentiment sécuritaire pour ces enfants. » 3
L’école constitue donc le plus grand « refuge » pour ces jeunes réfugiés. Mais encore faut-il connaitre leur parcours pour comprendre leurs comportements, leurs difficultés d’apprentissage, leurs capacités d’adaptation. Le système scolaire au Québec ne fournit que très peu de données sur le profil de ces jeunes immigrants. L’information accessible pour les écoles est quasi inexistante : langue parlée à la maison, pays de naissance, statut d’immigration. Ces indications donnent un portrait très limité du parcours migratoire, selon plusieurs équipes de direction d’établissements scolaires rencontrées lors de l’année de recherche préparatoire au tournage.
« On accueille des enfants qui ont parfois vécu des parcours très difficiles (…) Il y a des familles qui ont quitté l’Afrique et sur la route pour arriver au Canada, je vous assure, il y a des enfants qui ont vu des atrocités, des cousins mangés par des bêtes (…) Pensez à tous ces enfants qui sont en colère dans vos écoles, qui sont agressifs, qui sont un peu violents mais souvent vous voyez ça comme un problème de comportement. C’est important de voir la souffrance derrière, qu’est-ce que cet enfant a vécu (…). Donc, c’est important de connaitre le parcours de ces enfants. » 4
Mandjey avait 16 ans quand je l’ai rencontrée à l’école secondaire St-Maxime à Laval. Née dans un camp de réfugiés en Côte d’Ivoire, elle y a passé toute sa vie avant d’arriver au Canada. À son arrivée en 2017, elle ne savait ni lire ni écrire, n’ayant jamais eu accès à l’école. Elle est restée mutique pendant un an, refusant de parler. « C’est très important de comprendre le sens des symptômes des enfants traumatisés (…). Dans les écoles, il y a souvent des réfugiés incompris, des enfants qui arrivent complètement déconnectés et on doute de leur intelligence, on pense qu’ils ont des problèmes de TDAH ou même d’autisme. Il y a des jeunes réfugiés qui ont été diagnostiqués autistes parce qu’ils sont trop dans leurs bulles à cause des multiples traumatismes vécus (…). Tous les enfants traumatisés sont des enfants angoissés. Donc, si on leur donne aussi l’étiquette de troubles anxieux, on n’a pas nécessairement compris la situation. » 54
Quand nous avons rencontré Mandjey avec la complicité de son enseignante en classe d’accueil et de son orthopédagogue, elle commençait tout juste à sortir de son mutisme. Elle nous racontera qu’à 8 ans – elle est devenue « petit creuseur » dans les mines d’or artisanales de Côte d’Ivoire – jusqu’à ses 12 ans, l’âge où elle a été violée. Enceinte, elle accouchera d’un petit garçon qui vit aujourd’hui avec elle à Montréal. « En Afrique, tout le monde me jugeait, on me criait des noms. Même si je suis une victime, on dirait qu’ils ne comprenaient pas ça » 6. Mandjey nous confiera à la caméra avoir été aidée par son enseignante « qui a été comme ma seconde mère, qui s’est tellement occupée de moi ».
À cette problématique des traumatismes, qu’il s’agisse de réfugiés qui ont vécu la guerre ou d’élèves qui ont subi de la maltraitance, des solutions sont suggérées aux écoles. Certains livres, dont la collection Coup de Poing, servent à faire parler les enfants sur des thèmes définis comme l’amitié, l’affirmation de soi, la mort et à confier leur vécu, leurs angoisses. D’autres méthodes, comme les groupes de parole, sont utilisées et se révèlent très efficaces, comme nous l’avons constaté pendant ces trois ans de travail pour réaliser ce documentaire.
Devant les difficultés d’apprentissage et de comportement des jeunes réfugiés ou des enfants ayant subi de la maltraitance, plusieurs enseignants et acteurs scolaires rencontrés se sont montrés intéressés à cette méthode et l’ont mise en pratique. Ce que nous avons constaté, c’est que cette méthode des groupes de parole favorise de façon très efficace le sentiment d’appartenance à leur école et se révèle un outil formidable de socialisation. « On a l’impression de mieux se connaitre entre nous », dira un jeune.
Dix séances ayant un thème différent ont eu lieu dans trois classes de l’école Henri Beaulieu pour le tournage. Les enfants, assis en rond, doivent suivre des règles strictes. « L’objectif des groupes de parole est de créer un espace qui permet à chacun de s’exprimer librement sur une thématique (…). Les groupes de parole n’ont pas pour objectif la guérison, ils sont exclusivement orientés vers la discussion sur une question commune » 7 comme la famille, la violence, la vie ou la mort par exemple.
Beaucoup d’enfants ont exprimé leur malaise, leur crainte, leur désarroi, leur bonheur aussi. Le tournage sur ces enfants se prononçant sur leur vie, leur passé, leur pays, leur vision de la mort ou leur conception de l’amitié fut un cadeau inestimable pour le film mais aussi pour toute l’équipe de tournage sur le plan personnel.
Nous avons compris plusieurs choses au cours de la production de ce documentaire : les enfants immigrants, réfugiés ou demandeurs d’asile que nous recevons au Canada, en plus d’être les citoyens de demain, ont su affronter et maitriser des obstacles très difficiles que peu réussissent à surmonter. Ils ont développé des stratégies de survie et d’adaptation hors du commun. Leur résilience a forcé notre admiration. Il ne fait aucun doute que leur engagement dans la société canadienne de demain sera d’une infinie richesse.
sidebar:
REGARDEZ « Je pleure dans ma tête » :
https://www.nfb.ca/film/je-pleure-dans-ma-tete-les-traumas-par-les-mots/
Photo : ONF
Première publication dans Éducation Canada, janvier 2023
1 Papazian-Zohrabian, G. (2015). Les enfants traumatisés et endeuillés par la guerre. Dans C. Fawer Caputo et M. Julier-Costes (dir.), La mort à l’école. Annoncer, accueillir, accompagner (p.249-270). Paris : De Boeck Supérieur.
2 Papazian-Zohrabian, G., 15 mai 2019 Entrevue du documentaire « Je pleure dans ma tête. », Office national du film du Canada, Beyrouth.
3 Papazian Z.G., Formation d’enseignants à l’école Henri Beaulieu à Ville St-Laurent, 26 août 2020.
4 Papazian Z.G., Formation d’enseignants à l’école Henri Beaulieu à Ville St-Laurent, 26 août 2020.
5 Papazian Z.G., Formation d’enseignants à l’école Henri Beaulieu à Ville St-Laurent, 26 août 2020.
6 Mandjey K., 4 octobre 2020, Entrevue « Je pleure dans ma tête », Office national du film du Canada.
7 Mener des groupes de parole en contexte scolaire, guide pour les enseignants et les professionnels, faculté des sciences de l’Éducation, Université de Montréal, Papazian Zohrabian Garine. https://sherpa-recherche.com/wp-content/uploads/Mener-des-groupes-de-parole-en-contexte-scolaire.pdf
Le Québec, comme le reste du Canada, vit actuellement une pénurie d’enseignants sans précédent, et selon le Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ, 2021), notamment, plusieurs facteurs contribuent à la faire perdurer : les départs à la retraite; le décrochage précoce des enseignants; la hausse des effectifs scolaires; le manque d’attrait des programmes de formation initiale à l’enseignement.
De plus, les mesures sanitaires mises en place dans les écoles pour lutter contre la Covid-19 n’ont fait qu’amplifier ce phénomène en faisant exploser les besoins en matière de suppléance. Ainsi, pour faire face à la pénurie du personnel enseignant, les centres de services scolaires (CSS) ont dû recruter de plus en plus d’enseignants non légalement qualifiés, c’est-à-dire ne détenant pas de brevet d’enseignement, de permis probatoire ou d’autorisation provisoire d’enseigner (Sirois et Niyubahwe, 2022). Parmi ces personnes non brevetées, on compte les étudiants en formation initiale qui sont actuellement sollicités, dans les deux premières années de formation, pour faire de la suppléance et obtenir des contrats de remplacement dans les écoles. En effet, selon le Règlement sur les autorisations d’enseigner du ministère de l’Éducation du Québec, une autorisation provisoire d’enseigner est délivrée aux étudiants qui ont terminé la deuxième année du baccalauréat en enseignement ou qui ont commencé la maîtrise en enseignement ou le baccalauréat en enseignement professionnel.
Si les recherches sur les enseignants débutants ayant une formation de quatre ans montrent que les novices vivent difficilement la transition entre la formation initiale et l’entrée dans la profession (Dufour, Portelance et coll. 2018), qu’en est-il de ces étudiants appelés à intervenir dès le début de leur formation? En effet, les jeunes enseignants font face à de nombreuses difficultés d’insertion dont :
Notons que le sentiment d’incompétence est surtout lié à la gestion de classe et aux difficultés d’apprentissage et à l’évaluation des apprentissages (Niyubahwe, Sirois et Bergeron, soumis). Face à cette problématique, plusieurs écrits remettent en question la qualité de la formation initiale des enseignants qui ne les prépare pas suffisamment aux différentes réalités du métier d’enseignant (Dufour et coll., 2018). Selon Fournier et Marzouk (2008, p.36), « les programmes sont peu explicites à propos de la place accordée au développement personnel, à la construction de l’identité professionnelle et à la préparation à l’insertion dans la profession. »
Ce texte présente les résultats d’une recherche collaborative portant sur l’attraction, le recrutement et la rétention des enseignants et futurs enseignants en Abitibi-Témiscamingue et au Nord-du-Québec1. Plus particulièrement, il porte sur les données concernant la préparation à l’insertion professionnelle. Étant donné que les étudiants sont appelés à travailler dans les écoles durant leur formation, des difficultés vécues au cours de la formation ou lors du travail dans le milieu scolaire peuvent avoir comme conséquence la remise en question de la poursuite de leur formation, voire l’abandon de la profession.
Certains acteurs du milieu scolaire et universitaire interrogés suggèrent que la formation initiale (à l’exception des stages) ne prépare pas suffisamment les futurs enseignants aux réalités du métier. L’analyse des données fait ressortir cinq principaux constats : écart entre théorie et pratique; déficience en gestion de classe; connaissance insuffisante des élèves avec handicap ou difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA); planification et évaluation des apprentissages à consolider; retard en technopédagogie et importance des stages.
Écart entre théorie et pratique : les répondants relèvent un écart important entre ce qui est enseigné à l’université et la réelle pratique enseignante. Bien qu’ils reconnaissent que plusieurs cours sont intéressants, ils les trouvent trop théoriques. Le baccalauréat en enseignement favoriserait le développement d’habiletés intellectuelles au détriment des compétences professionnelles. Selon un participant du milieu universitaire : « On donne une formation, on est sur notre ligne, et le monde scolaire est sur une autre ligne… ». Ce que corrobore le témoignage d’une enseignante : « … parce que là, on voit une réalité qui ne nous a pas été dite dans le bac. Ils nous apprennent à jouer du violon dans le bac! » Malheureusement, les universités n’ont pas toujours l’agilité nécessaire pour adapter rapidement la formation aux réalités et aux besoins des milieux scolaires, notamment en raison des règles qui balisent la structure et les contenus des programmes de formation des enseignants.
Gestion de classe déficiente : la majorité des répondants soulignent que l’enseignement de la gestion de classe est lacunaire. Ils déplorent que les nouveaux enseignants arrivent avec très peu d’outils pour gérer une classe. Le témoignage d’une direction d’école est éloquent : « …on a eu un stagiaire 42…je ne doutais pas de ses capacités, mais en gestion de classe, c’était vraiment difficile ». Un professionnel d’un CSS renchérit : « …au niveau de la gestion de classe, les jeunes enseignants sont déstabilisés, désarmés complètement ». Selon plusieurs répondants, le sentiment d’incompétence en gestion de classe serait source d’abandon professionnel.
Connaissance insuffisante des EHDAA : Les classes intègrent les élèves ayant des handicaps ou des difficultés d’adaptation et d’apprentissage. Or, les participants soulignent que l’université ne prépare pas adéquatement les étudiants à faire face à la réalité des EHDAA : « …les gens nous arrivent…on dirait qu’ils ne sont pas assez formés en adaptation scolaire », souligne un professionnel. Une direction d’école indique que « [l]a théorie ne prépare pas à vivre avec les élèves EHDAA; les étudiants ont besoin de voir c’est quoi un programme adapté ». Un professionnel suggère qu’« on devrait revoir quelques cours qui toucheraient les élèves en difficulté d’adaptation et d’apprentissage ».
Difficultés à planifier et à évaluer les apprentissages : selon les répondants, les jeunes enseignants manquent de compétences en planification et évaluation des apprentissages. Cette lacune est si inquiétante que les CSS doivent organiser des formations dès l’entrée en fonction des nouveaux enseignants : « Actuellement, c’est nos conseillers pédagogiques qui vont pallier en planification; on aurait besoin que les étudiants travaillent la progression des apprentissages, qu’ils la connaissent sur le bout des doigts ».
Retard en technopédagogie : comme la plupart des classes sont équipées de tablettes électroniques et de tableaux blancs interactifs (TBI), il s’avère pertinent que les futurs enseignants soient initiés à leur usage dès le début de leur formation. Or, la majorité des participants déplore que trop peu de cours les préparent à l’usage de ces outils : « …l’utilisation d’outils technologiques comme le TBI… je ne suis pas sûre que les étudiants sont préparés… », selon une direction d’école. Ceci est d’ailleurs confirmé par le témoignage d’un enseignant décrocheur : « Dans le milieu scolaire, il y a un TBI, mais toi, tu n’as jamais utilisé un TBI à l’université. »
Eu égard aux différentes lacunes, il est suggéré à l’université de réviser en profondeur les contenus de cours, et cela, en collaboration avec les CSS (les districts ou les conseils scolaires) afin de répondre aux besoins de formation.
Importance des stages : plusieurs personnes interrogées suggèrent que les stages préparent mieux les étudiants à leur insertion professionnelle. Le pairage entre un étudiant et un enseignant associé serait l’élément déterminant du succès du stage. Toutefois, une lacune a été soulevée par une direction quant aux habiletés d’accompagnement de certains enseignants associés : « il y a des enseignants qui ne sont pas adéquats pour accompagner une stagiaire… ». Une étudiante souligne d’ailleurs que certains abandonnent leur stage en raison de conflits entre eux et leurs enseignants associés. D’autres abandonnent après leur premier stage lorsqu’ils se rendent compte que leurs attentes ne correspondent pas à la réalité du métier. D’ailleurs, les étudiants participants pensent qu’un système de mentorat par les pairs, dès la première année, par des étudiants-mentors plus avancés, leur permettrait de les soutenir et de les maintenir dans la formation (Sirois et al, soumis).
Selon Leroux et coll., « [u]ne meilleure préparation à cette transition vers l’insertion professionnelle nécessiterait des actions concrètes, voire conjointes, visant explicitement une intégration harmonieuse des futurs enseignants». C’est dans ce cadre que plusieurs actions concertées entre l’UQAT, les CSS et le syndicat des enseignants de l’Ungava et de l’Abitibi-Témiscamingue (SEUAT) ont été mises en place dans le but de mieux préparer l’insertion professionnelle des futurs enseignants.
Pour faire face à la pénurie d’enseignants dans les différents CSS de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec, mais aussi pour répondre aux besoins exprimés par les participants à la recherche, l’UQAT a adapté certaines modalités de formation. Pour favoriser la conciliation études-suppléances en milieu scolaire, aucun cours n’est programmé les vendredis afin de permettre aux étudiants de faire la suppléance dans les écoles. De plus, en concertation avec les CSS, l’UQAT offre un baccalauréat et des certificats en accompagnement à l’enseignement primaire et secondaire à temps partiel pour faciliter la conciliation études-travail-famille des enseignants non légalement qualifiés qui veulent développer des compétences en enseignement.
Des journées de préparation à l’insertion professionnelle sont également organisées par les professeurs impliqués dans ce partenariat en collaboration avec les représentants des milieux scolaires et du syndicat. Lors de ces journées, où les directions des ressources humaines et les représentants du syndicat sont présents, les étudiants de la 1re à la 4e année sont informés sur l’état de la recherche concernant la préparation à l’insertion professionnelle, le rôle et la place du syndicat de l’enseignement, les règles d’embauche et d’octroi des contrats et les mesures de soutien à l’insertion professionnelle disponibles dans les six CSS concernés. Un comité de travail chargé d’accompagner les futurs enseignants et suppléants a été créé afin de développer un guide et une démarche d’accompagnement pour ces derniers.
Afin de rester branchée aux réalités du milieu scolaire, l’UQAT a mis et prévoit mettre en place dans toutes ses didacthèques3 un environnement numérique adapté à l’enseignement. L’environnement numérique comprend entre autres des tableaux numériques interactifs (TNI), une visioconférence Zoom, une connectivité sans fil, des tablettes numériques et de la robotique pédagogique. Le corps professoral en éducation est formé pour tirer profit de l’usage pédagogique de cet environnement numérique. Les étudiants sont donc mieux préparés à l’usage du numérique en éducation, ce qui contribue à réduire l’anxiété et le stress liés à son usage et à faciliter la panification pédagogique.
Développée par des chercheurs de différentes universités québécoises, dont une professeure de l’UQAT, la plateforme TrEnsforma (Transition des enseignants en formation) offre gratuitement différents moyens pour un meilleur arrimage entre la théorie et la pratique, mais aussi pour accompagner et soutenir de futurs et nouveaux diplômés de tous les secteurs de l’éducation. Ainsi, les étudiants peuvent bénéficier d’un système de mentorat en ligne, ce qui est novateur. De plus, la plateforme met à la disposition des étudiants une bibliothèque virtuelle comprenant plusieurs ouvrages et ressources audiovisuelles utiles à leur formation et des activités de codéveloppement et communautés de pratique en ligne.
Comme l’indiquent Papazian-Zohrabian et Mamprin (2020, p.19) : « En contexte de pandémie, avec les changements associés à la pratique [enseignante], les adaptations peuvent sembler trop importantes pour certains et nuire à leur volonté de s’engager au travail. » D’où l’importance d’accompagner les étudiants dès le début de leur formation, et cela, en partenariat avec les milieux scolaires et les syndicats de l’enseignement. Un bon partenariat « se présente comme une action conjointe, négociée et visant l’atteinte d’un même objectif : la préparation des apprentis enseignants à l’exercice de la profession enseignante » (Leroux et Portelance, 2018, p.253). C’est ce que font présentement l’UQAT et ses partenaires pour l’accompagnement et le bien-être de futurs enseignants en formation, ce qui ne pourra qu›être bénéfique pour les étudiants amenés à intervenir en classe de manière précoce dans le contexte actuel de pénurie d’enseignants.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2022
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1 Cette recherche a été réalisée dans le cadre des travaux menés par le Groupe régional d’acteurs pour la valorisation des enseignants (GRAVE), qui unit l’UQAT, les 6 CSS de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec et le syndicat de l’enseignement de l’Ungava et de l’Abitibi-Témiscamingue (SEUAT). Pour en savoir plus : https://www.grave-atnq.ca
2 Un stagiaire en fin de parcours universitaire.
3 Des laboratoires pédagogiques.
Les statistiques sont criardes, pires, alarmantes : c’est 25 % à 30 % d’enseignants qui abandonnent l’enseignement juste après la première année au Québec ; et ce chiffre grimpe assez rapidement et atteint 40 % à 50 % pour ceux qui abandonnent après 5 ans en enseignement (Kamanzi et al., 2015). Si vous pensez que ceci est une réalité singulière à la province du Québec, détrompez-vous ! C’est aussi le cas dans d’autres provinces au Canada, comme l’Alberta qui compte 40 % de décrochage dans les cinq premières années (Kamanzi et al., 2015). Les causes de ces abandons sont multiples ; et parmi elles, on peut citer la complexité de l’enseignement, son hétérogénéité, une exigence de compétences exogènes aux compétences disciplinaires usuelles (Tardif, 2012, cité par Kamanzi et al., 2015). Cette complexité et hétérogénéité de l’éducation sont les résultats d’une transformation graduelle du système éducatif. Cette transformation du système, associée à l’intégration scolaire et même à une menace d’assimilation, est surtout à la recherche de solutions pour rendre le système d’éducation réellement inclusif. Dans cet article, nous proposons une solution portant sur l’autonomisation des élèves, l’usage stratégique des nouvelles technologies, l’évaluation individualisée et le rôle de l’enseignant-coach.
Si vous vous interrogez sur la différence entre les termes « intégration » et « inclusion », vous n’êtes pas seuls ! Les chercheurs, eux aussi, s’entremêlent dans ces définitions. En effet, le terme intégration implique déjà une exclusion, car il sous-entend qu’on se fixe pour but d’intégrer un élève au courant dominant et l’inclusion vient alors rectifier ce manque à l’intégration, car il considère tout le monde dès le départ (Doré 2001). Effectivement, comme le mentionne Dalley (2014), les provinces et territoires au Canada sont à la recherche permanente d’un système scolaire inclusif, et pas seulement le Canada d’ailleurs, plusieurs autres pays et en majorité les pays développés. Dans cette quête effrénée de l’inclusion, ils émettent des politiques et des programmes qui concourent à toutes fins utiles.
Au Canada, l’intégration scolaire était utilisée pour contrer les pratiques de « ségrégation » des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA), mais graduellement, les pratiques se sont transformées et retransformées comme une ritournelle pour tenter de concourir à un système scolaire inclusif (Dalley, 2014 ; Doré, 2001).
Dalley (2014) définit les termes « intégration », « assimilation » et « inclusion » suivant deux axes : le continuum qui part de la fixité du Soi jusqu’au changement complet du Soi, et l’autre qui part de la fixité de l’Autre jusqu’au changement complet de l’Autre. Le Soi représentant celui ou celle qui prend sa vision du monde comme la règle et qui impose ses normes. Et l’Autre, celui ou celle qui est en position précaire avec peu de pouvoir.
Alors, vue sous cet angle, l’intégration serait l’état des rapports entre le Soi et l’Autre où le Soi et l’Autre demeurent dans la fixité. En classe, cela représenterait un enfant qui entre dans un groupe sans que ni lui ni le groupe ne vivent de changements. Dans le contexte de l’intégration, l’assimilation est un rapport entre le Soi et l’Autre où d’une part le Soi est en position de changement et l’Autre en position de fixité ; ou inversement, c’est-à-dire que le Soi est en position de fixité et l’Autre en position de changement. Un nouvel élève qui fournit des efforts pour s’adapter aux autres élèves de la classe tandis qu’aucun n’essaye de s’adapter à lui serait un exemple d’assimilation, et vice versa, si certains élèves de la classe essayent de s’adapter à un nouvel élève et que celui-ci ne fournit aucun effort pour s’adapter aux autres, là aussi, on parlera d’assimilation. Et finalement, l’inclusion serait l’opposée de l’intégration, car ici le Soi et l’Autre sont tous en position de changement. Par exemple, un enfant qui intègre un groupe vivra des changements selon l’influence du groupe et vice versa pour le groupe.
Ces rapports complexes pouvant rester difficiles à comprendre, nous vous proposons également de définir l’inclusion en présentant certains indicateurs de réussite d’une école inclusive. La plupart des écrits se servent de données d’élèves potentiellement précaires vis-à-vis des élèves « non-identifiés »1 comme indicateurs de réussite. Ces données sont liées :
Dans ce processus d’inclusion, on va très souvent omettre de prendre en compte l’élève qui n’a pas été catégorisé pour un défi d’apprentissage ou de comportement. Or, il est reconnu que l’inclusion scolaire ne devrait en aucun cas pénaliser ou freiner le progrès de l’élève non identifié ; elle ne devrait pas non plus faire régresser le comportement de ceux-ci. De façon indirecte, d’autres indicateurs sur l’inclusion des élèves en situation précaire sont reliés au personnel enseignant, notamment le climat de coopération au sein même de l’établissement, la participation aux projets scolaires internes sur l’inclusion, le taux de satisfaction au travail, le taux d’utilisation des congés de maladie, la capacité de mobiliser les élèves et d’encourager l’inclusion, peuvent servir d’indicateurs de réussite d’une école inclusive.
Effectivement, une école inclusive devrait prendre en compte tout le monde. Ce qui se passe habituellement, selon notre expérience en tant qu’enseignant, est que la considération du bonheur de l’enseignant est négligeable, et les besoins de certains élèves non identifiés sont noyés au profit des élèves ayant un programme ou des attentes particuliers. Avec peu de ressources et un défaut de formation adéquat en inclusion scolaire, les enseignants se retrouvent en situation d’épuisement professionnel et d’abandon. Mais aussi, certains parents soucieux de l’avenir de leur enfant vont choisir de changer d’école, vu qu’ils sont influencés négativement ou freinés par les difficultés de la course à l’inclusion scolaire.
Attention, il n’est pas pour autant question de renoncer à une école inclusive, mais plutôt d’ouvrir le débat et d’apporter des pratiques authentiques à une école inclusive qui prend en compte les besoins de tout le monde ; plus principalement ceux des élèves et du personnel enseignant. Dans les paragraphes qui suivent, nous explorons en quatre volets une solution pour faire face aux difficultés de l’inclusion.
Le premier volet de notre proposition touche l’indépendance de l’élève. L’enseignant qui veut réussir le projet de l’école inclusive doit être prêt à reconsidérer l’indépendance de l’élève. Cette indépendance passe par des pratiques pédagogiques autonomisantes se traduisant « sous forme d’attitudes et de comportements du personnel enseignant visant à favoriser le vécu autonomisant et la satisfaction des besoins fondamentaux des élèves. » (Godin, Landry et Allard, 2022). Par exemple en classe, cela signifie de bien connaitre les compétences et les intérêts des élèves afin de mieux concevoir un programme leur permettant de réinvestir leurs compétences de manière autonome dans l’apprentissage de nouvelles connaissances.
« Cela peut se faire en rendant les tâches proposées aux élèves authentiques et signifiantes, en leur expliquant les raisons des objectifs d’apprentissage visés, en laissant des choix aux élèves dans les activités, en valorisant leurs efforts et accomplissements, en favorisant le travail en groupe, l’accueil et l’appartenance de tous et de toutes » (Landry et coll., 2010, cité dans Godin, Landry et Allard, 2022).
Donner son indépendance à l’apprenant, c’est donc une façon d’individualiser son enseignement ; c’est surtout « s’insurger contre les dangers d’un enseignement qui ignore les spécificités individuelles et contraint tous les enfants à entrer dans un même moule » (Meirieu,1991). Notamment, l’indépendance de l’élève est une révolution à l’encontre des héritiers du projet de Ferry, ce projet qui, Meirieu nous le rappelle, était de « transformer à l’École le sujet de fait – avec toutes ses particularités et ses adhérences psychologiques, culturelles et sociales – en sujet de droit, réceptif à l’expression de la raison encyclopédique qui s’expose » (1991). Placé en situation d’autonomie, chaque élève pourra trouver son compte et continuer à cheminer dans ses apprentissages. Le personnel enseignant qui exploite des modèles d’apprentissage tels que la pédagogie par projet, l’apprentissage expérientiel, la pédagogie ouverte pourront en témoigner.
On peut penser, par exemple, proposer aux élèves de 6e année de travailler avec des élèves de la 2e année dans le cadre d’une foire. Ainsi, les élèves peuvent se regrouper par équipes d’intérêt afin de trouver et d’organiser une activité pour les élèves de 2e année. La responsabilité du personnel enseignant sera alors d’accompagner les groupes d’élèves dans la délégation des tâches individuelles en s’assurant de la pertinence dans les apprentissages de chacun.
En outre, rendre indépendant c’est aussi ce que Meirieu cherche à traduire par « l’ouverture de lieux de négociations, d’espaces de confrontation, de moments de prise de risque où l’élève peut s’engager et réfléchir ensuite sur ses engagements. » Et ce risque n’est possible que si l’enseignant pratique la retenue. La retenue « c’est cette manière de donner de la place à l’autre sans y paraitre, c’est une sorte de rétractation confiante, une manière de s’éclipser en encourageant, de ne pas s’imposer parce qu’on sait que l’autre, maintenant, va pouvoir aller jusqu’au bout de lui-même » (1991). Ces stratégies d’autonomisation des élèves permettent au personnel enseignant de mieux gérer son temps d’enseignement et de soutenir davantage les élèves qui en ont besoin pour compléter leurs tâches et appuyer ceux qui ont besoin d’encouragement à trouver de manière individuelle des solutions aux difficultés rencontrées dans leurs activités. Ainsi, les élèves en difficulté, tout comme ceux dits réguliers, contribuent à la réalisation du projet d’équipe et augmentent leur sentiment d’appartenance et leur capacité d’apprendre seul.
Même si certains enseignants ont encore du mal à se servir des outils technologiques, ou plutôt ne sont pas toujours convaincus des bienfaits des technologies de l’information et de la communication (TIC), il faut reconnaitre que ces outils font désormais partie de façon inconditionnelle du mode de vie de notre génération. Pour éviter d’abandonner l’élève, jeune et parfois naïf, à la merci des vautours de la désinformation ou de le livrer aux multiples dangers de l’internet et des réseaux sociaux, l’enseignant se doit d’initier l’élève à l’utilisation des TIC.
De plus, n’oublions pas que l’utilisation des TIC peut contribuer énormément à l’apprentissage autonome de tous les élèves, quel que soit leur potentiel d’apprentissage. Mieux encore, certaines recherches à l’instar de Lebrun (2004), montrent que l’une des finalités de la formation des enseignants à l’utilisation des TIC est de mieux les outiller pour favoriser le développement des compétences requises chez les apprenants.
Manifestement, l’utilisation des TIC étant relativement récente dans le domaine de l’éducation, il sera surtout recommandé aux enseignants de l’utiliser de façon réfléchie, optimale, en préservant le bienêtre physique et mental de tous les apprenants.
La compétition en milieu scolaire a toujours fait l’objet de discussions (Saillot, 2019). L’évaluation qui a pour fin de classer et de mettre en compétition les élèves peut être malsaine pour le progrès et la santé mentale de ceux-i-ci. Il convient de repenser de façon utile à notre façon d’évaluer : à mettre l’évaluation au service du progrès de l’élève pris individuellement. Les évaluations à privilégier sont celles qui comparent les compétences de l’élève d’hier et d’aujourd’hui. Ce sont les évaluations qui s’assurent de respecter ce que Vygotsky qualifie de Zone Proximale de Développement (ZPD) de l’élève. Ce sont aussi des évaluations associées aux stratégies d’apprentissages révisables, car comme le dit Meirieu (1991), on ne devrait pas avoir une pédagogie « où tout serait prévu et/ou un diagnostic rigoureux porté sur chaque apprenant permettrait de lui affecter un travail individuel précis ». Comme Meirieu (1991), nous préférons une pédagogie et une évaluation « individualisée tâtonnante où l’on cherche ensemble, avec les apprenants, des modalités de regroupement provisoires, où l’on examine les difficultés rencontrées, où il reste de «l’ouvert» dans l’organisé, où l’organisé est constamment repensé et reconstruit en fonction de ce qui se passe dans cet «ouvert». »
Si nous nous trouvons désormais à cette phase où l’élève est indépendant des enseignements de son maitre, il faut signaler cependant que le rôle du maitre reste crucial plus que jamais, mais en tant que guide. Ce qui nous amène à rappeler la notion de coaching.
C’est quoi le coaching ? Eh bien, comme le dit Barreau (2017, cité par Machouart, 2020) le coaching est « un processus progressif au cours duquel la demande du coaché est analysée, puis l’objectif précis est formulé par le coaché lui-même et l’utilisation d’outils ou de pratiques est ensuite proposée par le coach ». En d’autres termes, c’est une pratique où le maitre-coach guide l’élève de façon stratégique et astucieuse en laissant l’élève être maitre de lui-même. On peut voir les avantages d’une telle approche notamment pour les élèves en difficulté qui ont besoin de prendre confiance en eux-mêmes. Il se trouve très souvent que juste en donnant de l’attention à l’élève, celui-ci remet en question lui-même certains de ses comportements. Afin de mieux soutenir nos propos, en voici un petit extrait illustrant un coaching avec un élève ayant des défis à respecter les règles de classe.
Ainsi, l’élève ne se sent pas puni, mais est invité à réfléchir à ses comportements, il ressent sans doute qu’on lui accorde de l’attention. Il ressent une appartenance au groupe à travers cet instant de discussion et cette inclusion se traduit par un sentiment d’appartenance.
Certains apprenants vivent des événements qui nécessitent l’assistance de l’enseignant-coach. Il peut s’agir de nouveaux arrivants, d’élèves vivant des défis d’ordre culturel, économique ou même de ceux en pleine construction identitaire linguistique, culturelle, sexuelle. À titre d’exemple, Dalley (2013 ; 2014) pose plusieurs cas d’élèves ayant soit des conflits identitaires ou des conflits assimilationnistes, qui requièrent l’aide d’un l’enseignant-coach. Le coach ne donne pas de leçon et encore moins de solution à l’élève, mais il le guide à trouver lui-même ses solutions.
Également, et comme le rappelle Machouart, 2020, l’enseignant-coach va surtout aider l’élève à se retrouver dans le flux d’information croissant qui l’entoure.; il offre aussi la chance d’avoir un face-à-face avec chaque élève et l’occasion aux élèves réservés et timides de s’exprimer. Surtout, il se rend disponible pour un élève ou un groupe d’élèves afin de les accompagner dans la recherche des nouvelles connaissances.
D’ailleurs, n’est-ce donc pas dans Dalley (2013) que des auteurs disaient que « Chaque enfant a une voix ; c’est l’adulte qui doit apprendre à l’écouter » ? Le coaching offre l’occasion d’écouter ces enfants. C’est encore Dalley qui remet en question l’éducation en salle de classe en disant qu’« il devient important de reconsidérer les conditions sous lesquelles les enfants se disent en classe. » (2013). Ceci se traduit par remettre en question nos pratiques en salle de classe et tendre plus l’oreille aux enfants, par qui très souvent vient la solution.
Manifestement, l’enseignement ici est au service du coaching, tout comme le coaching est au service de l’enseignement. En d’autres termes, c’est la réalité vécue comme enseignant qui permettra au coach de poser les bonnes questions à l’élève et de l’accompagner d’une part ; mais c’est aussi l’expérience vécue durant le coaching qui permettra à l’enseignant d’adapter ses stratégies d’enseignement.
Pour le personnel enseignant, la motivation de demeurer dans la profession viendra de plusieurs choses. Grâce au coaching, les enseignants sauront mieux contenir les élèves qui ont des difficultés. Mais aussi, rendre les élèves autonomes libère du temps à l’enseignant pour encadrer les autres et cela augmente son sentiment d’efficacité personnel de réaliser des changements autour de lui et de voir des élèves réussir tout en étant mentalement forts.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2022
1 l’élève qui n’a pas été catégorisé pour une difficulté d’apprentissage ou de comportement.
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Godin, G., Landry, R. et Allard, R. (2022). Conscientisation, engagement communautaire et pratiques pédagogiques du personnel enseignant en contexte francophone minoritaire. Minorités linguistiques et société / Linguistic Minorities and Society, (18), 3–36. https://doi.org/10.7202/1089178ar
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Pour les élèves ayant des besoins d’apprentissage particuliers, l’autonomie sociale passe par la communication de leurs besoins et le soutien de leur milieu. Bien que la majeure partie de ce soutien soit gérée par l’école, les mêmes services ne sont généralement pas offerts par les établissements postsecondaires ou les lieux de travail. Or, il est dans l’intérêt des apprenants d’être renseignés sur la nature de leurs besoins, les services auxquels ils ont droit et la façon de faire connaître leurs besoins. Les chercheurs ont établi un lien entre l’autonomie sociale et les taux de diplomation au secondaire. De plus, il est généralement reconnu que l’acquisition de l’autonomie sociale doit commencer le plus tôt possible.
Démystifier le processus d’établissement du Plan d’enseignement individualisé (PEI) :
Promouvoir une communication accessible :
Le principal but recherché ici est que les élèves soient en mesure d’expliquer ce dont ils ont besoin. S’ils ne connaissent pas leurs difficultés précises et les types de soutien qui fonctionnent le mieux pour eux, les élèves ne pourront pas avoir réellement accès à des composantes de la société qui n’ont pas été conçues en fonction de leur situation. Les efforts pour clarifier le processus et favoriser une communication accessible sont évidemment très utiles, mais il est tout aussi important de faire preuve de cohérence dans nos propos et nos façons de soutenir ces élèves. Les parents et le personnel enseignant doivent s’informer mutuellement des mesures qu’ils prennent pour favoriser le développement de l’autonomie sociale afin de concevoir un programme d’aide cohérent qui va plus loin que les mesures offertes à l’école.
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L’intérêt et les travaux de recherche sur les usages des technologies numériques en éducation ne sont pas nouveaux. Dès la fin des années 1990, un corpus suffisamment solide existait déjà pour que les sciences de l’apprentissage en reconnaissent les apports pour l’apprentissage. Par exemple, en 2000, Bransford, Brown et Cocking parlaient déjà des technologies comme moteur pour guider et améliorer l’apprentissage d’une manière que jamais personne ne l’aurait imaginé à peine quelques années auparavant.
Le passage forcé à l’enseignement à distance (E.D.), au printemps 2020, a attisé nombre de défis relativement aux activités d’enseignement-apprentissage (E-A) avec le numérique. Au Québec comme ailleurs, l’accessibilité au réseau et au matériel informatique (Resta, Laferrière, McLaughlin et Kouraogo, 2018), la variabilité dans le développement professionnel offert aux personnes enseignantes, tant sur les outils technologiques que sur les modalités d’E.D. (Thomas et Knezek, 2008), les conditions organisationnelles, ainsi que la disponibilité de moyens permettant de répondre aux besoins particuliers de certains élèves étaient déjà différenciées, pour ne pas dire inégales. Ces défis, avec lesquels les acteurs du système éducatif devaient déjà composer, ont été amplifiés par la conjoncture sanitaire.
L’étude des pratiques enseignantes exige la considération des particularités des contextes sur lesquels on pose intimement les yeux. Les perspectives socio-historico-culturelles, qui se sont développées depuis une centaine d’années, entre autres sous l’impulsion de l’éminent psychologue russe Lev Vygotsky, sont riches d’enseignement. Il s’agit de faire preuve de sensibilité, à l’instar de l’ethnographe qui cherche à comprendre en quoi la constitution même d’un lieu, d’une communauté, etc. peut influencer ce qui s’y passe, ce qui en découle… Les données recueillies sur un terrain de recherche ont donc un caractère situé que l’on a besoin de comprendre pour pouvoir en dégager des résultats qui ont un sens. Un regard historique, c’est-à-dire la considération d’éléments ou d’événements qui ont eu lieu antérieurement à la collecte, peut être nécessaire pour dégager des constats qui tiennent la route.
Ce texte propose une incursion dans une démarche d’investigation d’enseignants de mathématiques qui ont vécu l’E.D en 2020 et 2021. Notre intention est de contribuer à la réflexion sur la pertinence, sinon la nécessité d’étudier les contextes éducatifs dans leur ensemble et leur dynamique, plutôt que leur faire une analyse réductrice, au nom de certains desiderata.
Dans une étude réalisée en juin 2020 (Tremblay et Delobbe, 2021), nous relations que 44,6 % des 307 répondants enseignant les mathématiques au primaire et au secondaire jugeaient leur niveau d’aisance à recourir aux technologies comme moyen à nul avant ce passage forcé à l’E.D. Bien que la majorité reconnaisse avoir augmenté ce niveau à la fin juin, le recours aux technologies demeure parmi leurs principaux enjeux, auxquels s’ajoutent l’accessibilité aux ressources technologiques pour tous les élèves, l’orchestration d’un enseignement qui favorise la participation des élèves, ainsi qu’un questionnement sur le développement d’une compréhension en profondeur. Des recherches (p. ex., Hoyles et Noss, 2009; Jackiw et Sinclair, 2009) qui se sont intéressées à l’intégration d’outils technologiques (p. ex., environnement de géométrie dynamique, simulateurs) expliquent comment leur usage transforme l’activité d’E-A usuelle, donc la nature même des savoirs qui sont en jeu. La formulation de problèmes (p. ex., vidéo ou fichier dynamique), les stratégies de résolution et même les possibilités pour l’enseignant de rendre compte de l’évolution des productions des élèves deviennent toutes autres. Les outils (p. ex., traceurs et géométrie dynamique) facilitent la coordination de différents registres de représentation (graphique, table de valeurs, règle et même simulation vidéo) d’un même objet donnant lieu à une compréhension unique par l’accroissement des significations (Drijvers, Boon et VanReeuwijk, 2011). Le processus et le produit sont en quelque sorte imbriqués et il est périlleux de chercher à comprendre le dernier en faisant fi du premier.
L’expérience mathématique avec la technologie amène une nouvelle manière de percevoir et de façonner les objets mathématiques. Dans le cas de l’E.D., comme le rapportent Passaro et ses collègues (2021), les séances synchrones cherchent d’abord à reproduire des séances en présentiel ; les documents utilisés sont alors souvent les mêmes. Les exposés magistraux prennent d’abord le pas et l’engagement des élèves change. Pour effectuer une réelle transition vers un E.D. favorisant une riche activité mathématique, la mobilisation d’une expertise spécifique, tant épistémique, technique que pédagogique et didactique est nécessaire. On peut référer ici au concept de technological pedagogical content knowledge de Kohler et Mishra (2009). Ces auteurs ont donné une extension au modèle initial de construction des savoirs professionnels de Shulman (1987) en incluant l’incidence du contexte technologique. Au bilan, il est donc peu surprenant de constater que le caractère urgent de la situation au temps de la COVID-19 ait davantage mené à une transposition du présentiel au distanciel plutôt qu’à l’engagement dans un réel processus de transition (Villiot-Leclercq, 2020).
Dans le projet de recherche collaborative ECRAN (FRQSC) se déployant sur différents sites de la province, le passage à l’E.D. a ramené en avant-plan les finalités du Programme de formation de l’école québécoise (PFÉQ) en mathématiques, lesquelles privilégient une conception des savoirs à faire apprendre non pas comme des objets à transmettre et à assimiler (savoir redire, savoir refaire), mais comme des objets dont l’appropriation sera rendue possible par l’entremise d’une orchestration didactique qui s’approche progressivement de l’activité « véritable » des mathématiciens. Différents chercheurs (Ball et Bass, 2003; Lampert, 1992) argumentent que l’activité d’E-A des mathématiques doit être le lieu où les élèves émettent leurs idées, les justifient à leurs pairs pour les convaincre de la valeur de leurs propos. La technologie peut contribuer, d’une part, à favoriser la participation espérée des élèves et, d’autre part, à rendre compte de cette participation de façon différenciée, par exemple, avec des outils tels que Virtual Math Team (voir Figure 1) ou Desmos (voir Figures 2 et 3). Cela est toutefois possible pour autant qu’il s’agira de visées pour l’enseignant.
Ce fut le cas de Maélia, une enseignante de 2e secondaire (8e année), qui a illustré au fil des rencontres les multiples allers-retours pour planifier et expérimenter des situations où elle pourrait visualiser les démarches de ses élèves, offrir une rétroaction différenciée tout en cherchant à favoriser leur participation. À titre d’exemple, à partir d’une situation qu’elle utilisait habituellement en classe, mais sous la modalité papier/crayon, un travail d’ingénierie pédagogique a été effectué afin de l’adapter en utilisant le séquençage de tâches que permet Desmos par le biais de multiples écrans où la progression attendue est réfléchie (voir Figure 2).
Dans son orchestration de la séance, l’ensemble des écrans n’est pas disponible aux élèves. Elle subdivise plutôt la période d’enseignement en différentes phases, donnant ainsi accès à différents écrans. Elle entrecoupe alors le travail en individuel à des retours en grand groupe qui invitent les élèves à expliquer aux autres leur raisonnement. Maélia joue un rôle important dans les relances afin d’assurer l’engagement et la progression de ses élèves. La figure 3 illustre la planification d’une période réalisée entièrement à distance sous la modalité synchrone :
Comme elle le précise, plusieurs outils technologiques tels que Desmos permettent de développer des occasions d’apprendre et d’offrir une rétroaction personnalisée, mais la richesse d’une situation menée en classe dépend de façon importante des intentions pédagogiques de l’enseignant et du temps qui sera consacré à planifier cet enseignement en appréhendant les différents raisonnements et stratégies de résolution auxquels les élèves pourraient recourir selon les savoirs en jeu.
Il faut penser à comment on pose nos questions. Elles [ne] doivent pas trop être dirigées sinon on perdra les différentes stratégies des élèves […] C’est pratique de voir toutes les réponses d’un coup. Ils savent que je les vois entrer alors ils participent. Dans les retours en grand groupe c’est souvent les mêmes qui parlent. Ben c’est comme en classe. – Propos de Maélia
La qualité d’un enseignement, qu’il soit offert en présence ou à distance, ne peut se résumer au choix d’une formule pédagogique ou d’un outil. Ceux-ci peuvent, au mieux, être des leviers potentiels pour créer des occasions d’apprendre. Dans le cas de Maélia, ses multiples itérations au fil des rencontres s’accompagnent d’une prise de conscience toujours plus grande des potentialités – et des limites – de Desmos et de la façon d’y recourir pour, d’une part, bâtir son enseignement à partir des différents raisonnements de ses élèves et d’autre part, favoriser leur engagement.
Situé dans un contexte particulier, l’activité d’E-A prend vie dans chacun des groupes classes. L’activité singulière façonne les objets ainsi que les individus. Juger de la valeur et de la qualité d’un enseignement, qu’il soit en présentiel ou à distance, est une activité fort complexe qui exige un minutieux travail de compréhension du contexte et de ses contraintes. Les conceptions de l’enseignant sur la discipline enseignée, les savoirs en jeu, les intentions pédagogiques, les outils, les questions, les reformulations, les propos et les actions différentes menées par les élèves et par l’enseignant constituent la texture d’un phénomène que l’on cherche à comprendre.
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2022
Ball, D. L. et Bass, H. (2003). Towards a Practice-Based Theory of Mathematical Knowledge for Teaching. Proceedings of the 2002 Annual Meeting of the Canadian Mathematics Education Study Group. 24-28 Mai, 2002. Edmonton, AB, 3-14.
Bransford, J. D., Brown, A. L., et Cocking, R. R. (2000). How People Learn: Brain, Mind, Experience, and School. Washington DC: National Academy Press.
Drijvers P., Boon P., et Van Reeuwijk M. (2011). Algebra and Technology. Dans Drijvers P. (Dir) Secondary Algebra Education. Sense Publishers. https://doi.org/10.1007/978-94-6091-334-1_8
Hoyles, C. et Noss, R. (2009). The technological mediation of mathematics and its learning. Human Development, 52(2), 29-147.
Jackiw, N. et Sinclair, N. (2009). Sounds and pictures: dynamism and dualism in dynamic geometry. ZDM,41(4), 413–426.
Koehler, M.J., et Mishra, P. (2009). What Is technological pedagogical content knowledge? Contemporary Issues in Technology and Teacher Education (CITE), 9(1), 60-70.
Lampert, M. (1992). Practices and problems in teaching authentic mathematics in school. Dans F. Oser; A.Dick et J.-L. Patry (Dir), Effective and Responsible Teaching: The New Synthesis (p. 295-314). NY : Jossey-Bass.
Passaro, V., Venant, F., Boucher, M. et Verret, C. (2021). Passage à distance de l’enseignement en mathématiques au secondaire dans le contexte de la pandémie de COVID-19 : entrevue avec deux conseillères pédagogiques. Revue hybride de l’éducation, 5(1), 136–150. https://doi.org/10.1522/rhe.v5i1.1223
Resta, P., Laferrière, T., McLaughlin, R. et Kouraogo, A. (2018). Issues and challenges related to digital equity: An overview. Dans Voogt J., Knezek G., Christensen R., Lai KW. (Dir) Second Handbook of Information Technology in Primary and Secondary Education. International Handbooks of Education (pp. 985-1004). Cham : Springer https://doi.org/10.1007/978-3-319-53803-7_48-2
Shulman, L. S. (1988). The dangers of dichotomous thinking in education. Dans P. Grimmer and G. Erickson (Dir) Reflection in teacher education. New York, NY: Teachers College Press.
Thomas, L.G. et Knezek, D.G. (2008). Information, communications, and educational technology standards for students, teachers, and school leaders. Dans J. Voogt et G. Knezek (Dir), International Handbook of information technology in primary and secondary education (p. 333-348). Springer.
Tremblay, M. et Delobbe, A.M. (2021). Enseignement et évaluation des mathématiques à distance durant la Covid-19. Canadian Journal of Learning and Technology, 47(4). https://doi.org/10.21432/cjlt28098
Villiot-Leclercq, E. (2020). L’ingénierie pédagogique au temps de la Covid-19. Distances et médiations des savoirs. Distance and Mediation of Knowledge, 30. https://doi.org/10.4000/dms.5203
Les effets de la pandémie de COVID-19 montrent à quel point les écoles jouent un rôle fondamental dans la santé et le bien-être des élèves et du personnel. Il est plus que jamais évident qu’une approche coordonnée à tous les niveaux du système d’éducation est nécessaire pour s’attaquer aux questions de santé mentale, de sécurité et d’appartenance dans les écoles. L’approche globale de la santé en milieu scolaire est de plus en plus reconnue par les conseils scolaires au Canada pour promouvoir le bien-être des élèves, du personnel enseignant et d’autres membres de la communauté scolaire.
Accroître le savoir, la compréhension et les compétences de la communauté scolaire au moyen d’occasions d’apprentissage formel et informel :
Établir des politiques, des lignes directrices et des façons de faire qui :
Travailler en collaboration avec :
Lorsqu’on adopte une approche globale de la santé en milieu scolaire, ce sont des communautés scolaires entières qui peuvent profiter d’un bien-être amélioré, de lieux éducatifs plus sains et de meilleurs résultats d’apprentissage pour les élèves. La recherche montre cependant que les écoles doivent investir du temps et des ressources dans la création d’un milieu propice à la santé qui soutient le bien-être des élèves et du personnel. Bien que cela puisse sembler être une tâche colossale, toutes les parties prenantes – dirigeants scolaires, collègues, parents et membres de la communauté – peuvent apporter leur petite contribution pour susciter un changement. Comme première étape importante, nous devons continuer de nous sensibiliser et de sensibiliser les autres à l’approche globale de la santé en milieu scolaire et à ses avantages.
L’auteure souligne que cet article est écrit selon ses interprétations non autochtones, avec l’appui des aînés avec lesquels elle travaille. Au Nouveau-Brunswick, plusieurs aînés et experts autochtones en éducation considèrent Mme Devarennes comme une alliée. Selon les chercheurs (Brown et Ostrove, 2013; Smith, Simon et Puckett, 2016), seules des personnes autochtones peuvent qualifier une personne non autochtone d’alliée. Pour être une alliée, il faut participer activement à la décolonisation. Il faut aussi développer et maintenir les relations avec des peuples autochtones et leurs communautés, reconnaître que ce sont eux qui mènent leurs propres initiatives, et participer à la suppression des avantages qui ne servent qu’au groupe majoritaire.
Depuis 2020, la pandémie a ébranlé les systèmes d’éducation et les apprenants de la planète entière. Pour les jeunes autochtones, à l’instabilité et des questionnements suscités par cette crise sanitaire s’ajoutent les séquelles léguées par les pensionnats qui ont toujours un impact négatif sur leur éducation (Commission de Vérité et réconciliation du Canada, 2015). Par ailleurs, il est difficile pour les parents, familles et ainé.e.s autochtones d’accorder leur confiance à l’école telle qu’elle est organisée maintenant, que ce soit une école publique ou une école en milieu autochtone qui adhèrent aux programmes d’études de la province ou du territoire. Pour plusieurs parents autochtones, pédagogues autochtones et aîné.e.s, les systèmes scolaires formels sont des lieux d’assimilation à la culture majoritaire (Battiste, 2017; Devarennes, 2018). Les familles autochtones vivent souvent une tension constante : celle de vouloir une éducation formelle de grande qualité pour leurs enfants, tout en se méfiant du système qui néglige leur culture, comme si elle n’avait pas sa place dans un modèle d’éducation formelle. Peut-être la période post-pandémique, au cours de laquelle les systèmes d’éducation doivent s’ajuster à de nouvelles réalités, devrait également ouvrir grande la porte aux besoins des familles autochtones et de leurs enfants.
La réussite de l’élève autochtone est favorisée quand ce dernier sent que sa culture a une place à l’école, que l’école n’est pas encadrée seulement par la culture majoritaire (Taylor et Cummins, 2011), que ce soit dans une école en communauté autochtone (où presque toujours, les programmes d’études de la province ou du territoire encadrent l’enseignement) ou dans une école publique. Pour la grande majorité des élèves autochtones, l’enseignement est fondé surtout sur des pratiques et connaissances eurocentriques, pouvant ainsi leur donner l’impression que leurs façons d’être et d’apprendre sont secondaires par rapport aux façons d’être et d’apprendre du groupe majoritaire. Est-ce que le moment de réflexion imposé à l’école par le bouleversement des réalités et des valeurs sociales en cours pourrait s’élargir jusqu’à tenir compte des besoins des apprenants autochtones? En même temps, les élèves du groupe majoritaire pourraient profiter également de cette nouvelle posture du système scolaire. En privilégiant l’eurocentrisme, comme c’est le cas présentement, les iniquités et injustices sociales relativement aux peuples autochtones sont perpétuées par le groupe majoritaire, par ces élèves devenus adultes, souvent sans qu’ils s’en rendent compte. Ils ont appris à l’école que les seules façons, perspectives, connaissances et valeurs qui comptent sont les leurs, soit celles du groupe majoritaire.
En contexte francophone minoritaire, l’importance de la culture est pourtant reconnue et elle se retrouve au centre de plusieurs propositions pédagogiques (Cavanagh et al., 2016; Cormier, 2005). Cependant, Fourot (2016) indique que « (si) les communautés francophones se sont battues pour renverser les rapports de pouvoir majoritaires/dominés, elles peuvent reproduire des relations inégalitaires en leur sein » (p. 28), agissant trop souvent comme si la francophonie était homogène et non pas composée de différents groupes culturels. L’école francophone en milieu minoritaire peut profiter de la réflexion sur l’école post-pandémique pour inclure des connaissances, des valeurs et des approches pédagogiques autochtones dans sa programmation obligatoire, au-delà des activités culturelles. Le système éducatif francophone en milieu minoritaire possède les outils pour intégrer des pédagogies propres à une culture.
La reconnaissance de la nécessité de créer un système scolaire post-pandémique où l’épanouissement et l’équité sont prioritaires ouvre la porte à l’écoute des experts pédagogiques autochtones et des ainé.e.s par la voie de l’humilité culturelle. L’humilité culturelle exige une véritable écoute susceptible d’établir la collaboration nécessaire à la création d’un milieu d’apprentissage sûr et inclusif pour chacun, donc un milieu où chaque élève sent que son héritage culturel est respecté, où il peut être lui-même sans conséquences négatives, et où les iniquités sont discutées pour être éliminées.
La crise mondiale provoquée par la COVID-19 semble avoir ébranlé profondément les croyances et les attitudes des gens. L’humilité, par exemple, a repris de la noblesse dans de nombreuses situations où les professionnels de l’éducation ont dû travailler hors de leur zone de confort et faire appel aux autres. Tervalon et Murray-Garcia (1998) ont développé le concept d’humilité culturelle afin d’éliminer les iniquités culturelles. Waters et Asbill, (2013) décrivent l’humilité culturelle comme une façon efficace de développer des compétences interculturelles puisque l’humilité culturelle invite à participer à un processus continu de transformation à la fois individuelle et professionnelle. Voici quelques exemples d’action en ce sens :
L’humilité culturelle implique que le personnel enseignant ainsi que les décideurs et décideuses sachent lâcher prise quant à leur rôle d’experte ou d’expert pour écouter de façon authentique les perceptions et les savoirs des différentes communautés autochtones, lesquels pourraient inclure ceux des personnes racisées ou nouvellement arrivées. L’humilité culturelle accorde la permission au personnel enseignant de ne pas tout savoir, et de dire aux élèves que s’ils ne connaissent pas l’histoire des pensionnats ou les contributions contemporaines des Autochtones par exemple, ils peuvent les découvrir ensemble.
L’humilité culturelle est l’attitude qui permet de développer des relations authentiques avec les personnes autochtones, de changer ses perceptions et ses suppositions pour inclure celles des peuples autochtones, de reconnaître la dimension autochtone du territoire et de s’engager activement dans le processus de transformation du système d’éducation et de la société dans laquelle on vit. Bref, l’humilité culturelle est la porte d’entrée vers la décolonisation, puisque les actions énumérées ci-dessus sont celles associées à la décolonisation.
Cette humilité culturelle doit être présente à l’école, même quand cette école n’est pas fréquentée par des élèves autochtones. Les élèves vont devenir policiers, avocats, médecins, serveurs de restaurant, enseignants, commis, travailleurs sociaux, réalisateurs, journalistes, politiciens, etc. Tous les acteurs et actrices de la société doivent dorénavant participer à la création d’une société juste et équitable relativement aux Autochtones. Qui plus est, depuis juin 2021, le Canada a adopté la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), Déclaration qui existe depuis 2007. En résumé, la DNUDPA affirme qu’il faut intégrer des droits des personnes des peuples autochtones dans les décisions et les actions politiques, éducatives, économiques, et autres sphères de la société. Entre la mise en œuvre de la DNUDPA et l’actualisation des appels à l’action du rapport Vérité et réconciliation, tous les citoyennes et citoyens doivent contribuer à une société plus juste et équitable. C’est à l’école que les citoyennes et citoyens sont formés et leur formation doit inclure des éléments qui feront d’eux, peu importe leur métier ou leur culture, des personnes aptes « … à envisager [leur] propre culture d’un œil critique tout en cherchant à comprendre les autres avec respect, à reconnaître et à corriger le déséquilibre des forces, et à contribuer à des partenariats qui sont mutuellement avantageux et non paternalistes » (Cleaver et coll., 2016, p. 2).
Dans une étude en milieu micmac et wolastoqey, (Devarennes, 2018), nous avons recueilli plusieurs stratégies proposées par des professionnels autochtones de l’éducation, des familles autochtones et des ainé.e.s. Ces stratégies s’adressent parfois au personnel enseignant, parfois aux décideurs et décideuses, et permettent de collaborer en toute humilité culturelle, afin de créer un milieu d’apprentissage culturellement sûr et inclusif.
Le mot pour éducation dans la langue du peuple Wolastoqiyik est wolokehkitimok. Il signifie que l’enseignement et l’apprentissage s’entremêlent. L’enseignant doit enseigner à l’esprit, à l’intelligence et au cœur de l’enfant, sans négliger son développement physique. De son côté, l’adulte doit apprendre au contact de l’esprit, de l’intelligence, du cœur et du développement physique de l’enfant. Wolokehkitimok est une forme d’éducation où le développement, les intérêts, les capacités, la curiosité de l’enfant sont au cœur des actions de la personne qui enseigne. N’est-ce pas ce qui est souhaitable pour tous les enfants? En général, les parents et les familles veulent que leurs enfants réussissent à l’école et le personnel enseignant désire le succès des élèves. En tissant des relations authentiques avec les communautés autochtones, en pratiquant l’humilité culturelle, on peut non seulement enrichir l’expérience éducative des jeunes autochtones, mais aussi intégrer des pratiques autochtones aptes à enrichir la vie des enfants non autochtones. Nous partageons le territoire. Il est temps de partager les connaissances et les façons de faire. Si l’éducation par le biais des pensionnats a généré un génocide culturel (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015), il y a possibilité, aujourd’hui dans un système scolaire qui tente de redéfinir ses buts, de faire de l’école un lieu d’apprentissage culturellement sûr et inclusif. La pratique de l’humilité culturelle peut ainsi être un de piliers de l’école post-pandémique.
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1 Culture majoritaire : la culture de la société blanche de classe moyenne et supérieure, dont les attributs culturels, les valeurs, les connaissances et les attitudes modulent le fonctionnement et les règlements des institutions sociales telles que les écoles.
2 L’eurocentrisme : les connaissances, les façons de faire, les valeurs et les attitudes de l’Europe et des habitants de descendance européenne des pays colonisés par l’Europe (donc le Canada), sont valorisés, et souvent aux dépends des connaissances, des façons de faire, des valeurs et des attitudes des autres cultures.
3 Tel qu’expliqué par Opolahsomuwehs (Imelda Perley), aînée wolastoqey de la Première Nation de Tobique.
Battiste, M. (2017). Decolonizing education : Nourishing the learning spirit, 2e éd. (epub), préface de Rita Bouvier, Vancouver, UBC Press, Purich Publishing.
Brown, K. T., et Ostrove, J. M. (2013). What does it mean to be an ally? The perception allies from the perspective of people of color. Journal of Applied Social Psychology, 43(11), 2211-2222.
Cavanagh, M., Cammarata, L., et Blain, S. (2016). Enseigner en milieu francophone minoritaire canadien : synthèse des connaissances sur les défis et leurs implications pour la formation des enseignants. Canadian Journal of Education/Revue canadienne de l’éducation, 39(4), 1-32.
Cleaver, S. R., Carvajal, J. K., et Sheppard, P. S. (2016). L’humilité culturelle : Une façon de penser pour orienter la pratique à l’échelle mondiale.
Commission de Vérité et Réconciliation du Canada (2015). Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Montréal-Kingston: McGill-Queen’s University Press.
Cormier, M. (2005). La pédagogie en milieu minoritaire francophone : une recension des écrits. Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques.
Devarennes, H. (2018). Understanding educator, parent, and community expectations in a First Nations school context. Thèse de doctorat. Frédéricton : Université du Nouveau-Brunswick.
Fourot, A. C. (2016). Redessiner les espaces francophones au présent : la prise en compte de l’immigration dans la recherche sur les francophonies minoritaires au Canada. Politique et sociétés, 35(1), 25-48.
Opolahsomuwehs. (2016). Conversation avec l’Ainée Opolahsomuwehs (Imelda Perley) sur les perspectives de l’éducation pour le peuple Wolastoqey, un peuple Wabanaki.
Smith, J., Wendy Simon, W. et Puckett, C. (2016). Indigenous allyship : An overview, Waterloo: Bureau des initiatives autochtones. Université Wilfrid-Laurier.
Taylor, S. K., et Cummins, J. (2011). Second language writing practices, identity, and the academic achievement of children from marginalized social groups: A comprehensive view. Writing & Pedagogy, 3(2), 181-188.
Tervalon, M., et Murray-Garcia, J. (1998). Cultural humility versus cultural competence: A critical distinction in defining physician training outcomes in multicultural education. Journal of health care for the poor and underserved, 9(2), 117-125.
Waters, A., et Asbill, L. (2013). Reflections on cultural humility. CYF News. American Psychological Association : www. apa. org/pi/families/resources/newsletter/2013/08/cultural-humility. aspx.
Dans l’optique d’améliorer l’expérience scolaire de l’élève, nous nous sommes demandé s’il était possible d’explorer le potentiel créatif de chaque élève dans une salle de classe inclusive et équitable. Nos données de recherche avec les partenaires du Réseau CompeTI.CA (Compétences en TIC en Atlantique) semblent converger vers une réponse positive. Dans cet article, nous examinons les exemples provenant de deux études menées par l’équipe du Réseau : l’une, en partenariat avec Labos Créatifs, porte sur le développement de compétences numériques et l’autre, sur la créativité dans un contexte interdisciplinaire axé sur la musique, les mathématiques et la technologie. Ce projet soutenu par le Groupe d’action sur la Commission de l’école francophone (GACEF) a été réalisé en collaboration avec les districts scolaires du Nouveau-Brunswick dans trois écoles du Nord-Est et du Sud de la province.
Depuis les années 2000, une culture de laboratoires ouverts (makerspace), soit des espaces de fabrication équipés d’outils numériques, d’artefacts et de mécanismes de toutes sortes mis en commun pour collaborer (Bosqué, 2015) s’implante dans les communautés en quête d’innovation sociale à travers le monde. Cette culture semble avoir donné une impulsion à de nouvelles pratiques pédagogiques susceptibles d’encourager la créativité dans un espace collaboratif et un contexte authentique, inclusif, équitable et socialement responsable (Lingley et Wong, 2020). Malheureusement freinées par la pandémie, ces nouvelles pratiques pédagogiques, en pleine croissance dans les écoles du Nouveau-Brunswick et d’autres provinces atlantiques, ont mis en évidence le potentiel transformateur de l’art, c’est-à-dire, une recherche par l’apprenant de nouveaux points de vue et de réflexions pour changer sa compréhension des choses (Mezirow, 1990). Ainsi, l’art permet à chacune et chacun de prendre conscience de son potentiel créatif dans une démarche de travail collectif et collaboratif (Tremblay, 2012; Robichaud et coll., 2016). De plus, selon Churchill, 2019, p. 68), l’éducation axée sur la culture et sur les arts ouvre la porte à une interaction dynamique et créative entre l’enfant et le monde qui l’entoure lui permettant d’améliorer ses rapports sociaux, d’augmenter sa participation communautaire active et comme résultat, d’accroître son sentiment de bienêtre.
En nous intéressant, dans ce texte, aux bénéfices potentiels de ces pratiques pour développer le goût d’apprendre ensemble, nous examinons quatre exemples de projets créatifs réalisés par des élèves entre 2017 et 2019 : un modèle réduit d’un village interactif, le Village Minecraft, la fabrication d’un tubulum et un spectacle de Noël 2.0.
Le premier projet s’est déroulé dans une classe de 3e année en immersion française dans une école rurale du Nord-Ouest du Nouveau-Brunswick. Accompagnés de leur enseignante et d’un mentor de Labos créatifs, les élèves ont réalisé un projet collectif de construction d’un modèle de leur village. En équipes, à l’aide de carton et de peinture, les élèves ont bâti de modèles de différents édifices de leur village. Ils ont également préparé une courte histoire qui décrit chaque édifice. Chaque histoire a été audio-enregistrée par un groupe d’élèves. Ensuite, un autre groupe d’élèves a construit un circuit avec un interrupteur de courant intégré dans chaque modèle de bâtiment. Ils ont également effectué un codage associant le son (histoire de l’édifice) et le modèle. Ainsi, une personne qui veut visiter le village peut avoir une visite guidée programmée en écoutant chaque histoire créée par les élèves. Lors de la visite de l’école par notre groupe de recherche, tous ces détails nous ont été expliqués par un groupe de trois élèves qui ont raconté leur histoire à succès de ce projet collectif en vantant leurs idées authentiques, leur joie de travailler ensemble sur un si gros projet, la force de chaque élève qui y a apporté son brin de créativité et aussi de la fierté de leur communauté.
Dans le second projet, un groupe d’élèves de 6e, 7e et 8e année, également d’une école en milieu rural, a réalisé, dans un labo créatif, un projet de construction collaboratif de leur village à l’aide d’une plateforme virtuelle Minecraft. Tout comme leurs camarades de 3e année dans l’exemple précédent, dans les entretiens avec les chercheurs, les élèves ont exprimé leur plaisir de travailler ensemble sur un projet complexe et signifiant. Le travail a exigé beaucoup de temps, de méticulosité et d’effort collaboratif. Une fois le modèle bâti, les élèves pouvaient utiliser leur imagination pour animer le village en créant des personnages et des aventures. Nous avons observé, tout au long de ce travail, les élèves discutant entre eux, se regroupant pour voir et commenter les trouvailles de leurs camarades de classe et pour s’entraider, contribuant ainsi au bienêtre collectif.
Le troisième projet a eu lieu dans le cadre d’une recherche interdisciplinaire incluant la musique, les mathématiques et la technologie. Deux groupes d’élèves de 7e et 8e année d’une école du Nord-Est du Nouveau-Brunswick, respectivement accompagnés par leur enseignant et une équipe de chercheurs, ont fabriqué collectivement un instrument de musique, un tubulum (marimba en tube de PVC) et son support en bois. Ce projet avait trois objectifs :
Lors des séances collectives pour concevoir le tubulum, les élèves en groupe-classe ont généré différentes idées originales, posé des questions, écouté leurs camarades de classe et proposé des pistes de solution. Par la suite, en petits groupes de travail, les élèves ont mesuré chaque tube représentant une note de la gamme, et une équipe d’élèves-luthiers a construit le support en bois et y a apposé les tubes préalablement coupés et ordonnés. Afin d’explorer les rythmes en créant des suites et de la régularité, les élèves ont participé à un atelier de création sonore. À l’aide de cartes représentant des rythmes, ils ont dû créer des patrons rythmiques de leur choix. La créativité dans cet espace collaboratif a été féconde. Pour accompagner leur patron rythmique, les élèves ont réalisé des chorégraphies soit avec leurs mains soit à l’aide de tubes plastiques, parfois même accompagnées de paroles. Les élèves ont confirmé avoir eu beaucoup de plaisir à créer et à faire de la musique avec leurs pairs; ils ont aussi dit avoir appris à tisser des liens entre la musique et les mathématiques tout en étant motivés par l’esprit collaboratif du projet.
Le dernier projet était un spectacle de Noël surnommé 2.0 d’une autre école du Nord-Est de la province. Ce projet, qui a demandé plusieurs mois de préparation, a été conçu à l’aide de technologies numériques par les élèves avec l’appui de leur enseignante de musique et de deux enseignants titulaires. L’un des numéros de ce spectacle a été entièrement conçu par une équipe de trois filles de 5e année. Elles ont imaginé une « bataille » de chant : une élève commencerait à chanter, mais ses deux amies, voulant chanter d’autres chansons, vont lui couper la parole à tour de rôle. À la fin, elles feront la paix et chanteront ensemble une chanson différente aimée par toutes les trois. Chaque chanson était représentée par une canne de Noël géante en carton que les trois élèves avaient fabriquée. Les chansons étaient sauvegardées dans un ordinateur et à l’aide du logiciel de programmation Scratch et du Makey Makey, une chanson s’activait lorsqu’une des élèves appuyait sur la canne appropriée. Le choix des chansons et du mode de présentation se sont faits en commun. Les élèves ont aussi cherché ensemble des solutions aux défis techniques posés par l’utilisation du numérique et ont vécu des moments d’émerveillement et de réussite.
En conclusion, nous constatons que ces quatre exemples permettent d’inspirer une enseignante ou un enseignant qui cherche à multiplier les occasions d’épanouissement créatif pour le bienêtre de chaque élève. Tout d’abord, lors de la réalisation de leurs projets collectifs, la participation de chacune et de chacun est un élément clé du succès : chaque élève y apporte quelque chose, son « grain de sel ». En reconnaissant l’expertise de toutes et de tous, tout le monde se sent valorisé, épanoui, donc bien dans sa peau. On s’appuie ainsi sur une force permettant à chaque élève de s’exprimer librement, ce qui crée un espace sécuritaire de collaboration, de partage et d’entraide (Freiman, 2020). Dans ce contexte de création mutuelle, le matériel est plus qu’un simple outil technologique qui aide à accomplir une tâche particulière; c’est plutôt un agent de libération de l’esprit créatif « in-situ » au moment présent lorsque tous les efforts réunis apportent quelque chose de nouveau, d’inédit; dans ce moment même, se matérialise une idée spontanée, qui n’émerge pas comme un savoir « transmis », culturellement plausible, mais plutôt comme un savoir « créé », nouveau, conçu collectivement et qui garde à la fois les empreintes de la créativité de chacun, de son identité, et de celles d’un groupe uni. Tout le monde qui a contribué s’y reconnait, s’y identifie dans une joie et une fierté d’avoir créé quelque chose d’unique, une vraie œuvre commune. Dans cette dynamique inclusive, des liens communs se tissent par la créativité mettant en lumière les forces créatives, parfois latentes, de chaque membre du groupe. En s’en inspirant, les éducatrices et éducateurs qui font face à toutes sortes de défis liés à la pandémie ou à d’autres obstacles peuvent-ils trouver dans ces moments créatifs, une lueur d’espoir positif d’un monde meilleur que leurs élèves sont en train de construire « dès le moment présent »?
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2021
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Le choix de devenir enseignant ou enseignante est souvent motivé par un désir de faire une différence et d’être là pour nos élèves. Nous nous imaginons entourés d’enfants heureux en train de créer des projets de toutes sortes leur permettant de s’épanouir dans le plus grand bienêtre. Tout de même réalistes, nous nous doutons bien qu’il puisse apparaitre quelques nuages dans ce ciel bleu. Néanmoins, l’idée de devoir un jour parler d’agression sexuelle avec eux ou encore d’accueillir un dévoilement est alors à des années-lumière des raisons qui nous ont conduits là. Pourtant, depuis 2018, il incombe au personnel enseignant d’éduquer à la sexualité et, par le fait même, d’aborder la thématique de l’agression sexuelle et de la violence sexuelle en première, troisième et cinquième année du primaire ainsi qu’en deuxième et troisième (9e et 10e année) secondaire. Cette nouvelle tâche apporte son lot de stress et d’appréhension. C’est d’ailleurs le poids de ce devoir, mais surtout la peur de « devoir » qui fige le personnel enseignant lorsqu’il est question d’aborder la thématique de l’agression sexuelle à l’intérieur de l’éducation à la sexualité.
Aborder ou non la thématique de l’agression sexuelle ne nous préservera pas d’avoir à y faire face à un moment ou à un autre de notre carrière. Comme enseignant ou enseignante, nous sommes souvent aux premières loges des confidences de nos élèves, que ce soit pour les moments heureux comme l’arrivée d’un chien ou pour les situations plus délicates comme lorsqu’il est question de violence conjugale. L’importance du soutien des intervenants et intervenantes scolaires a d’ailleurs été démontrée au début de la pandémie lorsque les signalements ont connu une forte diminution1 avec la fermeture des écoles, isolant encore plus les victimes et réduisant ainsi leurs possibilités d’appel à l’aide.
Au Canada, le taux d’agression sexuelle chez les mineurs est de 205 cas par 100 000 enfants et jeunes2. Ce qui représente un peu plus de la moitié du nombre total des victimes d’agression sexuelle. En d’autres termes, croiser la route d’un élève victime d’agression sexuelle au cours de notre carrière n’est pas seulement une possibilité, c’est plutôt une forte probabilité. En revanche, il se peut très bien que vous ne le sachiez jamais. En effet, environ 5 % seulement des cas d’agression sexuelle sont dénoncés3, les victimes mineures choisissant souvent de garder le silence par peur, par loyauté, par honte ou par ignorance.
Le silence de l’enfant ne veut pas nécessairement dire que son agression ne laissera pas de pistes ou de traces. Dans certains cas, la jeune victime vivra des conséquences qui se manifesteront soit en :
• symptômes de stress post-traumatique (cauchemars, comportements d’évitement, hypervigilance);
• symptômes d’anxiété (peur, nervosité, hypersensibilité);
• symptômes de dépression (difficulté à éprouver du plaisir), en comportements nuisibles;
• idées suicidaires;
• autres.
Ces indications s’avèrent souvent imperceptibles ou indécodables pour l’entourage du jeune. Ce n’est pas comme séparer des cercles parmi des carrés que l’on voit clairement devant soi. Comment y arriver lorsqu’on ignore l’existence des cercles? Comment entendre alors qu’on ne sait pas?
C’est à cette difficulté que bon nombre d’enseignants et d’enseignantes ont dû faire face en étant mandatés pour aborder la thématique de l’agression sexuelle avec leurs élèves. Une majorité s’est sentie démunie et terrorisée devant l’idée d’accueillir un dévoilement en pleine salle de classe. Non pas parce qu’ils ne veulent pas accompagner l’élève, non pas parce qu’ils ne considèrent pas cette prévention comme nécessaire, mais plutôt parce qu’ils ne se sentent pas suffisamment formés pour le faire adéquatement, et pour cause : Aucune procédure uniforme d’accueil d’un dévoilement n’est présentement accessible au Québec (et probablement dans la plupart des autres provinces canadiennes) pour les enseignants. Ces derniers doivent user de leur GBS (gros bon sens) et en matière d’agression sexuelle ce n’est pas suffisant.
Imaginons la situation suivante : Madame Douceur est une enseignante de 3e année. En consultant le programme d’éducation à la sexualité, elle s’aperçoit qu’elle doit voir la thématique de l’agression sexuelle avec ses élèves. N’étant pas très à l’aise avec la thématique, elle décide de lire un peu sur le sujet et d’utiliser la littérature jeunesse comme amorce. Jusque-là, tout va bien.
Madame Douceur débute la lecture de l’album en prenant soin de faire interagir les élèves et de leur demander ce qu’ils feraient à la place du personnage. Les élèves sont intéressés et participent bien. C’est alors que Lucille lève la main et dit : « Moi aussi ça m’arrive quand je me fais garder ». Le cœur de madame Douceur arrête de battre, la crainte qu’elle avait au départ vient de se concrétiser… Comment gérer cette situation?
C’est ce genre d’images qui fait en sorte que plusieurs enseignants et enseignantes ont fait le choix de ne pas aborder la thématique de l’agression sexuelle avec leurs élèves. Ils ne se sentent pas aptes à le faire parce qu’il n’y a pas de ressources d’accompagnement à cet égard dans les centres de services. En Ontario, le personnel enseignant francophone a déjà eu accès à un gabarit de dialogue4 en cas de dévoilement. L’enseignant ou l’enseignante peut y voir des phrases toutes faites pour rassurer l’enfant. Le gabarit comprend également une description des signes physiques et psychologiques pouvant être détectés chez l’élève et même des conseils sur ce qu’il faut faire après la divulgation. Avoir accès à un tel outil permettrait au personnel enseignant de se sentir plus en contrôle lorsqu’il est question d’aborder la thématique de l’agression sexuelle et fournirait probablement l’assise nécessaire pour se lancer dans l’enseignement de cette thématique essentielle.
En attendant l’apparition d’un guide, il est quand même possible de se former grâce aux organismes œuvrant dans le domaine. Plusieurs formations pour le personnel enseignant et d’interventions sont accessibles, que ce soit par la fondation Marie-Vincent, le réseau des CALACS ou encore des organismes comme Bulle et Baluchon à Sherbrooke. Des situations d’enseignement-apprentissage sont également offertes sur la plateforme Récit : https://educationsexualite.recitdp.qc.ca/.
Voici quelques éléments à garder en tête :
Comme lorsqu’un enfant tombe et nous regarde pour savoir s’il doit pleurer. L’enfant victime n’est pas toujours pleinement conscient de l’ampleur de la situation. Garder son calme et se poser pour entendre ce que l’enfant a à nous dire. Sans jugement, sans questions, sans essayer de prévoir la prochaine étape : être là, ici et maintenant.
Surtout éviter de faire des promesses qu’il nous est impossible de tenir. Rassurer l’enfant sur le fait qu’il a eu raison de parler, que ce n’est pas sa faute. Lui dire que nous le croyons, que nous allons nous assurer qu’il soit en sécurité. Le laisser parler, mais sans poser de questions l’amenant à préciser. Il faut éviter de contaminer son témoignage. Les questions, ce sont les intervenants et intervenantes qualifiés qui les poseront. Notre mandat c’est l’accueil, non l’investigation.
Après avoir rassuré l’enfant, il est de notre devoir de signaler la situation à la direction de notre l’école ainsi qu’à la Direction de la protection de la jeunesse. De son côté, la direction a le mandat de chapeauter les intervenants scolaires. Notre rôle sera alors de faire le pont vers l’intervenant en transférant le lien de confiance.
Lorsque l’enfant est de retour dans notre classe et que des spécialistes en interventions s’occupent de son dossier, le laisser redevenir un élève et avoir accès autant que possible à la normalité. Il se peut que son contexte familial ait changé, qu’il vive des situations anormales comme celle d’aller témoigner ou encore qu’il soit retiré de son milieu. Sa classe sera peut-être alors son oasis lui permettant de s’échapper quelques heures de son quotidien plus complexe. Conserver la même façon de faire avec cet élève, la même façon de lui parler, de l’encadrer. La cohérence et la prévisibilité sont rassurantes pour un enfant.
N’oublions jamais qu’en tant qu’enseignant ou enseignante, nous avons une arme secrète, notre relation avec chacun de nos élèves. Si un élève nous choisit pour faire son dévoilement, c’est qu’il a confiance en nous. Ayons confiance en notre capacité d’écoute, de résolution de problèmes, de gestion. Il est toujours préférable d’intervenir même maladroitement que de fermer les yeux consciemment. L’impact à long terme d’un dévoilement non accueilli est bien plus grand et plus dommageable qu’une phrase malhabile.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2021
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2 Cotter, A. et Beaupré, P. (2014). Les infractions sexuelles commises contre les enfants et les jeunes déclarées par la police au Canada, 2012. (publication no 85-002-X). Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique. www.statcan. gc.ca/pub/85-002-x/2014001/article/14008-fra.pdf
3 Gravel, M-A. (2015). La victimisation de la population québécoise: victimisation criminelle et cyberintimidation. (publication Institut de la statistique du Québec.
4 Gouvernement de l’Ontario (s.d). 3. 1 Signes comportementaux d’agression sexuelle. www.mrar.qc.ca/documents/partage/agression-sexuelle-enfant.pdf
L’école se trouve être le milieu où l’élève passe la plupart de son temps. Ainsi, cet endroit s’avère une voie cruciale pour favoriser le bienêtre des élèves, mais là n’est pas sa seule mission. Promouvoir le bienêtre à l’école est une affaire dans laquelle interviennent plusieurs groupes de personnes : personnel enseignant, personnel administratif et même parents.
Débutant en fin 2019, la pandémie de COVID-19 que nous suivions dans les médias partout dans le monde est vite devenue la réalité de la planète entière. Aux quatre coins du monde, la pandémie a bousculé le système d’éducation. La fermeture d’écoles à répétition et l’enseignement à distance ont quant à eux bouleversé le quotidien des élèves, des enseignant.e.s et du personnel scolaire qui devaient, chacun de leur côté, s’adapter à cette nouvelle réalité jusqu’à une date indéterminée. Pour ce faire, plusieurs initiatives prometteuses ont vu le jour afin de permettre la continuité de l’école et des activités d’enseignement : réaménagement des espaces de cours; division des groupes d’élèves; formation à distance; planification des cours et adaptation des contenus; trousses d’enseignement à la maison, etc.
Par ailleurs, la pandémie a occasionné du stress et du mal-être généralisés sur la planète. La situation impose jusqu’à présent des ajustements pour chacun et chacune : télétravail, enseignement et apprentissage à distance, garde des enfants à la maison, licenciement d’employé.e.s, etc. Face à cette situation et à la pression vécue collectivement, le bienêtre des personnes s’avère l’enjeu attirant l’attention particulièrement en milieu scolaire.
Adopter la psychologie positive pour comprendre le bienêtre
Parler de bienêtre semble corréler avec l’essor de la psychologie que l’on appelle positive, d’où les termes « science du bienêtre » ou « champ d’investigation du bienêtre » qu’on lui donne dans les écrits. Bien que l’idée de s’intéresser au positif remonte à plusieurs années, le courant est en émergence depuis une vingtaine d’années et, tout récemment, même si la fin de la pandémie de COVID-19 semble difficile à prédire, la psychologie positive post-pandémique semble gagner du terrain.
Considérant la psychologie comme une discipline ayant préconisé pendant longtemps le travail sur les faiblesses et les aspects négatifs de la personne, la psychologie positive met la lumière sur les aspects positifs de l’être humain et tout ce qui va bien chez lui (Gaucher, 2010). Elle va en effet à l’encontre de l’idée stipulant l’existence d’une psychologie totalement tournée vers les souffrances.
Pour bien comprendre les deux aspects liés à la psychologie positive, Gable et Haidt (2011) l’ont comparée à une médaille qui a deux côtés, soit un négatif et un positif. Cet exemple met en relief le fait que les personnes opérant dans ce champ reconnaissent entièrement l’existence d’aspects désagréables, mais sont attentives à l’autre côté prometteur de la médaille qui fonctionne bien. Plus concrètement, il s’agit de se tourner vers les personnes épanouies et qui ressentent de la joie au lieu de ne se préoccuper que de celles qui souffrent. Cela rejoint les propos de Lecomte (2014) selon lesquels le fait d’adopter la psychologie positive ne consiste pas à voir le monde avec des lunettes roses dans le sens où l’attention ne devrait pas être mise que sur ce qui est idéal et parfait.
Depuis quelques années, tant la communauté de la pratique que celle de la recherche ne cessent de s’intéresser à la question du bienêtre à l’école en vue de promouvoir une santé mentale positive en milieu scolaire. On parle désormais d’éducation positive qu’on perçoit comme une approche fondée sur les compétences psychosociales des élèves autant que scolaires, considérant ces multiples avantages documentés dans les recherches comme susceptibles de promouvoir le bonheur, de favoriser la satisfaction à l’égard de la vie, de l’apprentissage, de la réussite, de la créativité et, à long terme, d’avoir une bonne santé physique. À titre d’exemple, il est admis que les enfants réussissent le mieux quand ils sont encouragés et reçoivent des compliments de leurs parents.
L’Organisation mondiale de la Santé considère une bonne santé mentale comme un état de bienêtre qui permet à la personne de surmonter les tensions quotidiennes de la vie, d’accomplir du bon travail et de servir sa collectivité. De fait, à n’importe quel moment, toute personne peut faire face à un élément perturbateur ou à une difficulté qui affecte son bienêtre. La santé mentale peut être envisagée comme un continnum1 de couleur à trois zones :
Ainsi, il semble que globalement les élèves passent à un moment ou à un autre en zone jaune et parviennent à regagner la zone verte par la suite. Cela dit, ils peuvent se trouver à un moment donné en période difficile qui s’avère généralement passagère du fait qu’ils arrivent à surmonter la situation et ressentent à nouveau du bienêtre, processus qu’on nomme dans les écrits « l’adaptation » ou « l’ajustement ». Pour comprendre ces situations, il s’avère incontournable de se pencher sur ce qui a aidé l’élève à éprouver du bienêtre par le biais d’une observation approfondie visant à démystifier les changements qui ont pu avoir lieu entre-temps. Plus spécifiquement, il s’agit de cibler les stratégies personnelles employées par l’élève pour traverser la situation stressante. À titre d’exemple, un élève pourrait se contenter d’évitement ou de repli sur soi pour oublier la situation et passer à autre chose alors qu’un autre pourrait demander l’aide de son enseignant ou enseignante ou de ses parents.
D’après le conseil supérieur de l’éducation du Québec2, les nombreux et sérieux facteurs impliqués dans la santé mentale exigeraient la planification de mesures comblant les différents domaines d’influence soit l’école, la collectivité, le/la jeune, ses camarades et sa famille tout au long du cheminement scolaire. Ainsi, écoles et / ou parents doivent trouver les meilleures façons de soutenir le bienêtre des élèves. Pour ce faire, voici quelques pistes d’action :
Considérant le nombre grandissant d’initiatives et de pistes prometteuses en ce qui concerne le bienêtre des élèves dont quelques-unes sont citées plus haut, l’école constitue un lieu clé pour assumer ce rôle. Surtout dans un contexte de pandémie, il devient de plus en plus urgent de se mobiliser pour favoriser le bienêtre. Ainsi, il ressort que le bienêtre est la priorité de tous mais surtout la responsabilité de tous. C’est donc en travaillant ensemble, familles et écoles, que nous pourrons envisager le bienêtre de chacun, celui des élèves et de leur entourage.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2021
Gable, S. et Haidt, J. (2011). Qu’est-ce que la psychologie positive (et pourquoi) ? Dans C. Martin-Krumm et C. Tarquinio, Traité de Psychologie Positive: fondements théoriques et implications pratiques (pp. 30-40). Bruxelles : De Boeck.
Gaucher, R. (2010). La psychologie positive: Ou l’étude scientifique du meilleur de nous-mêmes. Éditions L’Harmattan.
Lecomte, J. (2014). Introduction à la psychologie positive. Dunod.
Dans le cadre de notre étude sur les besoins de formation des enseignants et enseignantes à l’éducation préscolaire réalisée en 2020-2021, les participants et participantes ont souligné l’importance de développer leurs propres compétences sociales et émotionnelles pour favoriser leur bienêtre et celui des enfants. Nous avons alors ciblé des besoins spécifiques au développement de ces compétences et ainsi nous avons mis l’accent sur les contenus à aborder dans la formation initiale ou continue. Par exemple, des besoins de formation en vue d’assurer la sécurité émotionnelle des enfants ont émergé dans un contexte où l’affectif est essentiel à la relation avec les enfants de 4 ou 5 ans. Cet article amène donc des réflexions quant aux interventions en contexte scolaire qui favoriseraient le développement des compétences sociales et émotionnelles des enfants et qui contribueraient à leur bienêtre.
Pouvant être définies comme des savoirêtre acquis, enseignés et évalués et qui prédisent le bienêtre individuel et social (Minichiello, 2017), les compétences sociales et émotionnelles contribueraient à une relation de qualité avec les tout-petits (Coutu et Bouchard, 2019). Pour développer les compétences sociales et émotionnelles des enfants, l’enseignant doit donc les avoir développées lui-même. Faute de consensus sur une définition précise des compétences sociales et émotionnelles, nous proposons qu’elles touchent l’expression, la compréhension et la régulation de ses émotions et de celles des autres (Denham et Brown, 2010).
La promotion de ces compétences auprès des enfants peut prévenir l’apparition des difficultés liées à la santé mentale et les interventions concernant le développement de celles-ci sont efficaces dès la maternelle (Durlak et coll., 2011). En effet, la petite enfance représente une période où les enfants acquièrent les habiletés de base reliées aux émotions et ces dernières sont déterminantes pour leur adaptation sociale et scolaire future (Fredriksen et Rhodes, 2004).
Comme en témoigne une enseignante interrogée dans notre étude, pour développer les compétences sociales et émotionnelles des enfants et ainsi favoriser leur bienêtre, il importe d’avoir une relation de qualité avec eux et de connaitre avant tout le développement des enfants de leur âge. L’enseignante affirme qu’à 5-6 ans, les enfants n’ont pas tous les mots pour dire ce dont ils ont besoin et que ce sont des petites boules d’émotions : « On met la technicienne en éducation spécialisée là-dessus et c’est beau. On met un plaster, mais ça saigne toujours en dessous ». Elle ajoute que l’enseignant ou l’enseignante doit être conscient.e que c’est un être humain que l’on accueille.
Les compétences sociales et émotionnelles reposent effectivement sur la conscience de soi. En tant qu’adulte qui intervient auprès de l’enfant, il convient de considérer que nos réactions, nos paroles, nos gestes ont beaucoup d’impact sur les situations émotionnelles futures que vivra l’enfant. Il importe aussi de se questionner sur nos compétences sociales et émotionnelles en tant qu’intervenants et intervenantes, plus précisément quant à notre propre vocabulaire émotionnel. Comme en témoigne une autre enseignante, nos interventions face à des situations émotionnelles vécues chez les enfants peuvent grandement influencer leur bienêtre. Elle trouve que la sécurité émotionnelle, c’est-à-dire le bienêtre des enfants, se sentir respecté et accepté par le personnel enseignant est tout aussi important que la sécurité physique. Elle ajoute qu’il importe que l’enfant puisse être accompagné par quelqu’un de fort, qui est à sa place, qui se sent bien et efficace pour accueillir tout ce qu’il est émotivement.
On constate que les enfants de la maternelle n’ont pas nécessairement acquis le vocabulaire émotionnel qui leur permettrait d’exprimer ce qu’ils désirent ou ressentent. Verbaliser ses émotions n’est pas quelque chose qui apparait spontanément chez les enfants. Il s’avère important de leur donner les outils pour mieux communiquer leurs émotions. Un enfant apprendra alors à utiliser des mots associés à ses états affectifs (Coutu et Bouchard, 2019), ce qui contribuera à son bienêtre. De plus, il ne s’agit pas uniquement de recevoir l’expression émotionnelle, mais il faut aussi y répondre. Rimé (2009) soutient alors l’importance du réconfort non verbal (p.ex. poser la main sur le bras, s’en rapprocher physiquement). Il y a donc lieu de se questionner sur la place de l’affectif dans cette relation avec les tout-petits sachant qu’en période de la COVID, des enseignants interrogés dans notre étude rapportaient ne pas pouvoir « toucher » aux enfants, même pour les consoler. Sachant que les enfants ont pu présenter pendant la pandémie des difficultés psychologiques comme la peur d’être infectés ou même la tristesse de ne pas être en contact avec leurs amis ou leur enseignant ou enseignante (Wang et coll., 2020), il convient plus que jamais de se rappeler de l’importance de les accompagner en leur apprenant à nommer leurs émotions (Carignan et coll., 2020).
C’est par le questionnement des adultes entourant les enfants qu’il sera possible d’amorcer un échange avec eux (Grossenbacher et Riva, 2018). Ainsi, l’enseignant ou l’enseignante doit leur faire reconnaitre leurs propres émotions, ce qui est à la base des apprentissages socio-émotionnels. Puis, au fur et à mesure de leur développement, ce partage se fera plus spontanément. Il y aurait donc un apprentissage autour de la verbalisation des émotions et ces apprentissages se font par le soutien des adultes et les relations qui entourent l’enfant (Grossenbacher et Riva, 2018). Outre la qualité de la relation et le soutien de l’adulte, quels moyens peuvent alors être concrètement mis en place pour contribuer au développement des compétences sociales et émotionnelles des tout-petits?
Voici quelques pistes d’intervention pour développer les compétences sociales et émotionnelles des enfants du préscolaire tout en contribuant à leur bienêtre.
Les enseignants et enseignantes interrogés se disent préoccupés par la sécurité émotionnelle des tout-petits pour qui une relation de qualité est essentielle à leur développement. Ils reconnaissent d’ailleurs que leurs propres compétences sociales et émotionnelles s’avèrent essentielles pour contribuer non seulement au bienêtre des enfants, mais aussi à leur propre bienêtre. Dans le cadre de nos recherches actuelles, nous constatons qu’il existe peu de programmes de formation qui se concentrent sur le développement des compétences sociales et émotionnelles des futurs enseignants et même des enseignants en exercice. Nous avons ici présenté des besoins plus spécifiques au développement de ces compétences pour mieux outiller le personnel enseignant, mais également les personnes qui interviennent dans le cadre de la formation initiale ou même continue. Le personnel enseignant doit reconnaitre ses propres forces et défis par rapport aux situations émotionnelles qui pourraient se vivre dans la classe. Un enseignant ou une enseignante qui ne se connait pas émotionnellement de l’intérieur peut manquer de vigilance quant à son propre comportement (Latry, 2004). Reprenant les propos de Lacourse et Leroux (2016), il convient de se rappeler qu’un enfant de 4 ou 5 ans ne veut pas déplaire, mais il ou elle cherche peut-être plutôt à répondre à un besoin.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2021
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