L’individualisation scolaire
Pour la réussite de tous et la rétention du personnel enseignant
Intégration, inclusion : problématique
Les statistiques sont criardes, pires, alarmantes : c’est 25 % à 30 % d’enseignants qui abandonnent l’enseignement juste après la première année au Québec ; et ce chiffre grimpe assez rapidement et atteint 40 % à 50 % pour ceux qui abandonnent après 5 ans en enseignement (Kamanzi et al., 2015). Si vous pensez que ceci est une réalité singulière à la province du Québec, détrompez-vous ! C’est aussi le cas dans d’autres provinces au Canada, comme l’Alberta qui compte 40 % de décrochage dans les cinq premières années (Kamanzi et al., 2015). Les causes de ces abandons sont multiples ; et parmi elles, on peut citer la complexité de l’enseignement, son hétérogénéité, une exigence de compétences exogènes aux compétences disciplinaires usuelles (Tardif, 2012, cité par Kamanzi et al., 2015). Cette complexité et hétérogénéité de l’éducation sont les résultats d’une transformation graduelle du système éducatif. Cette transformation du système, associée à l’intégration scolaire et même à une menace d’assimilation, est surtout à la recherche de solutions pour rendre le système d’éducation réellement inclusif. Dans cet article, nous proposons une solution portant sur l’autonomisation des élèves, l’usage stratégique des nouvelles technologies, l’évaluation individualisée et le rôle de l’enseignant-coach.
Si vous vous interrogez sur la différence entre les termes « intégration » et « inclusion », vous n’êtes pas seuls ! Les chercheurs, eux aussi, s’entremêlent dans ces définitions. En effet, le terme intégration implique déjà une exclusion, car il sous-entend qu’on se fixe pour but d’intégrer un élève au courant dominant et l’inclusion vient alors rectifier ce manque à l’intégration, car il considère tout le monde dès le départ (Doré 2001). Effectivement, comme le mentionne Dalley (2014), les provinces et territoires au Canada sont à la recherche permanente d’un système scolaire inclusif, et pas seulement le Canada d’ailleurs, plusieurs autres pays et en majorité les pays développés. Dans cette quête effrénée de l’inclusion, ils émettent des politiques et des programmes qui concourent à toutes fins utiles.
Au Canada, l’intégration scolaire était utilisée pour contrer les pratiques de « ségrégation » des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA), mais graduellement, les pratiques se sont transformées et retransformées comme une ritournelle pour tenter de concourir à un système scolaire inclusif (Dalley, 2014 ; Doré, 2001).
Dalley (2014) définit les termes « intégration », « assimilation » et « inclusion » suivant deux axes : le continuum qui part de la fixité du Soi jusqu’au changement complet du Soi, et l’autre qui part de la fixité de l’Autre jusqu’au changement complet de l’Autre. Le Soi représentant celui ou celle qui prend sa vision du monde comme la règle et qui impose ses normes. Et l’Autre, celui ou celle qui est en position précaire avec peu de pouvoir.
Alors, vue sous cet angle, l’intégration serait l’état des rapports entre le Soi et l’Autre où le Soi et l’Autre demeurent dans la fixité. En classe, cela représenterait un enfant qui entre dans un groupe sans que ni lui ni le groupe ne vivent de changements. Dans le contexte de l’intégration, l’assimilation est un rapport entre le Soi et l’Autre où d’une part le Soi est en position de changement et l’Autre en position de fixité ; ou inversement, c’est-à-dire que le Soi est en position de fixité et l’Autre en position de changement. Un nouvel élève qui fournit des efforts pour s’adapter aux autres élèves de la classe tandis qu’aucun n’essaye de s’adapter à lui serait un exemple d’assimilation, et vice versa, si certains élèves de la classe essayent de s’adapter à un nouvel élève et que celui-ci ne fournit aucun effort pour s’adapter aux autres, là aussi, on parlera d’assimilation. Et finalement, l’inclusion serait l’opposée de l’intégration, car ici le Soi et l’Autre sont tous en position de changement. Par exemple, un enfant qui intègre un groupe vivra des changements selon l’influence du groupe et vice versa pour le groupe.
Ces rapports complexes pouvant rester difficiles à comprendre, nous vous proposons également de définir l’inclusion en présentant certains indicateurs de réussite d’une école inclusive. La plupart des écrits se servent de données d’élèves potentiellement précaires vis-à-vis des élèves « non-identifiés »1 comme indicateurs de réussite. Ces données sont liées :
- au comportement ;
- au taux de réussite ;
- au taux d’adaptabilité ;
- au taux de participation ;
- aux interactions et interrelations sociales.
Dans ce processus d’inclusion, on va très souvent omettre de prendre en compte l’élève qui n’a pas été catégorisé pour un défi d’apprentissage ou de comportement. Or, il est reconnu que l’inclusion scolaire ne devrait en aucun cas pénaliser ou freiner le progrès de l’élève non identifié ; elle ne devrait pas non plus faire régresser le comportement de ceux-ci. De façon indirecte, d’autres indicateurs sur l’inclusion des élèves en situation précaire sont reliés au personnel enseignant, notamment le climat de coopération au sein même de l’établissement, la participation aux projets scolaires internes sur l’inclusion, le taux de satisfaction au travail, le taux d’utilisation des congés de maladie, la capacité de mobiliser les élèves et d’encourager l’inclusion, peuvent servir d’indicateurs de réussite d’une école inclusive.
Effectivement, une école inclusive devrait prendre en compte tout le monde. Ce qui se passe habituellement, selon notre expérience en tant qu’enseignant, est que la considération du bonheur de l’enseignant est négligeable, et les besoins de certains élèves non identifiés sont noyés au profit des élèves ayant un programme ou des attentes particuliers. Avec peu de ressources et un défaut de formation adéquat en inclusion scolaire, les enseignants se retrouvent en situation d’épuisement professionnel et d’abandon. Mais aussi, certains parents soucieux de l’avenir de leur enfant vont choisir de changer d’école, vu qu’ils sont influencés négativement ou freinés par les difficultés de la course à l’inclusion scolaire.
Attention, il n’est pas pour autant question de renoncer à une école inclusive, mais plutôt d’ouvrir le débat et d’apporter des pratiques authentiques à une école inclusive qui prend en compte les besoins de tout le monde ; plus principalement ceux des élèves et du personnel enseignant. Dans les paragraphes qui suivent, nous explorons en quatre volets une solution pour faire face aux difficultés de l’inclusion.
Des pratiques autonomisantes pour l’ensemble des élèves
Le premier volet de notre proposition touche l’indépendance de l’élève. L’enseignant qui veut réussir le projet de l’école inclusive doit être prêt à reconsidérer l’indépendance de l’élève. Cette indépendance passe par des pratiques pédagogiques autonomisantes se traduisant « sous forme d’attitudes et de comportements du personnel enseignant visant à favoriser le vécu autonomisant et la satisfaction des besoins fondamentaux des élèves. » (Godin, Landry et Allard, 2022). Par exemple en classe, cela signifie de bien connaitre les compétences et les intérêts des élèves afin de mieux concevoir un programme leur permettant de réinvestir leurs compétences de manière autonome dans l’apprentissage de nouvelles connaissances.
« Cela peut se faire en rendant les tâches proposées aux élèves authentiques et signifiantes, en leur expliquant les raisons des objectifs d’apprentissage visés, en laissant des choix aux élèves dans les activités, en valorisant leurs efforts et accomplissements, en favorisant le travail en groupe, l’accueil et l’appartenance de tous et de toutes » (Landry et coll., 2010, cité dans Godin, Landry et Allard, 2022).
Donner son indépendance à l’apprenant, c’est donc une façon d’individualiser son enseignement ; c’est surtout « s’insurger contre les dangers d’un enseignement qui ignore les spécificités individuelles et contraint tous les enfants à entrer dans un même moule » (Meirieu,1991). Notamment, l’indépendance de l’élève est une révolution à l’encontre des héritiers du projet de Ferry, ce projet qui, Meirieu nous le rappelle, était de « transformer à l’École le sujet de fait – avec toutes ses particularités et ses adhérences psychologiques, culturelles et sociales – en sujet de droit, réceptif à l’expression de la raison encyclopédique qui s’expose » (1991). Placé en situation d’autonomie, chaque élève pourra trouver son compte et continuer à cheminer dans ses apprentissages. Le personnel enseignant qui exploite des modèles d’apprentissage tels que la pédagogie par projet, l’apprentissage expérientiel, la pédagogie ouverte pourront en témoigner.
On peut penser, par exemple, proposer aux élèves de 6e année de travailler avec des élèves de la 2e année dans le cadre d’une foire. Ainsi, les élèves peuvent se regrouper par équipes d’intérêt afin de trouver et d’organiser une activité pour les élèves de 2e année. La responsabilité du personnel enseignant sera alors d’accompagner les groupes d’élèves dans la délégation des tâches individuelles en s’assurant de la pertinence dans les apprentissages de chacun.
En outre, rendre indépendant c’est aussi ce que Meirieu cherche à traduire par « l’ouverture de lieux de négociations, d’espaces de confrontation, de moments de prise de risque où l’élève peut s’engager et réfléchir ensuite sur ses engagements. » Et ce risque n’est possible que si l’enseignant pratique la retenue. La retenue « c’est cette manière de donner de la place à l’autre sans y paraitre, c’est une sorte de rétractation confiante, une manière de s’éclipser en encourageant, de ne pas s’imposer parce qu’on sait que l’autre, maintenant, va pouvoir aller jusqu’au bout de lui-même » (1991). Ces stratégies d’autonomisation des élèves permettent au personnel enseignant de mieux gérer son temps d’enseignement et de soutenir davantage les élèves qui en ont besoin pour compléter leurs tâches et appuyer ceux qui ont besoin d’encouragement à trouver de manière individuelle des solutions aux difficultés rencontrées dans leurs activités. Ainsi, les élèves en difficulté, tout comme ceux dits réguliers, contribuent à la réalisation du projet d’équipe et augmentent leur sentiment d’appartenance et leur capacité d’apprendre seul.
Le salut des nouvelles technologies
Même si certains enseignants ont encore du mal à se servir des outils technologiques, ou plutôt ne sont pas toujours convaincus des bienfaits des technologies de l’information et de la communication (TIC), il faut reconnaitre que ces outils font désormais partie de façon inconditionnelle du mode de vie de notre génération. Pour éviter d’abandonner l’élève, jeune et parfois naïf, à la merci des vautours de la désinformation ou de le livrer aux multiples dangers de l’internet et des réseaux sociaux, l’enseignant se doit d’initier l’élève à l’utilisation des TIC.
De plus, n’oublions pas que l’utilisation des TIC peut contribuer énormément à l’apprentissage autonome de tous les élèves, quel que soit leur potentiel d’apprentissage. Mieux encore, certaines recherches à l’instar de Lebrun (2004), montrent que l’une des finalités de la formation des enseignants à l’utilisation des TIC est de mieux les outiller pour favoriser le développement des compétences requises chez les apprenants.
Manifestement, l’utilisation des TIC étant relativement récente dans le domaine de l’éducation, il sera surtout recommandé aux enseignants de l’utiliser de façon réfléchie, optimale, en préservant le bienêtre physique et mental de tous les apprenants.
Fini la compétition. Place à l’évaluation individualisée
La compétition en milieu scolaire a toujours fait l’objet de discussions (Saillot, 2019). L’évaluation qui a pour fin de classer et de mettre en compétition les élèves peut être malsaine pour le progrès et la santé mentale de ceux-i-ci. Il convient de repenser de façon utile à notre façon d’évaluer : à mettre l’évaluation au service du progrès de l’élève pris individuellement. Les évaluations à privilégier sont celles qui comparent les compétences de l’élève d’hier et d’aujourd’hui. Ce sont les évaluations qui s’assurent de respecter ce que Vygotsky qualifie de Zone Proximale de Développement (ZPD) de l’élève. Ce sont aussi des évaluations associées aux stratégies d’apprentissages révisables, car comme le dit Meirieu (1991), on ne devrait pas avoir une pédagogie « où tout serait prévu et/ou un diagnostic rigoureux porté sur chaque apprenant permettrait de lui affecter un travail individuel précis ». Comme Meirieu (1991), nous préférons une pédagogie et une évaluation « individualisée tâtonnante où l’on cherche ensemble, avec les apprenants, des modalités de regroupement provisoires, où l’on examine les difficultés rencontrées, où il reste de «l’ouvert» dans l’organisé, où l’organisé est constamment repensé et reconstruit en fonction de ce qui se passe dans cet «ouvert». »
Le coaching fait grandir l’élève et le maître
Si nous nous trouvons désormais à cette phase où l’élève est indépendant des enseignements de son maitre, il faut signaler cependant que le rôle du maitre reste crucial plus que jamais, mais en tant que guide. Ce qui nous amène à rappeler la notion de coaching.
C’est quoi le coaching ? Eh bien, comme le dit Barreau (2017, cité par Machouart, 2020) le coaching est « un processus progressif au cours duquel la demande du coaché est analysée, puis l’objectif précis est formulé par le coaché lui-même et l’utilisation d’outils ou de pratiques est ensuite proposée par le coach ». En d’autres termes, c’est une pratique où le maitre-coach guide l’élève de façon stratégique et astucieuse en laissant l’élève être maitre de lui-même. On peut voir les avantages d’une telle approche notamment pour les élèves en difficulté qui ont besoin de prendre confiance en eux-mêmes. Il se trouve très souvent que juste en donnant de l’attention à l’élève, celui-ci remet en question lui-même certains de ses comportements. Afin de mieux soutenir nos propos, en voici un petit extrait illustrant un coaching avec un élève ayant des défis à respecter les règles de classe.
Ainsi, l’élève ne se sent pas puni, mais est invité à réfléchir à ses comportements, il ressent sans doute qu’on lui accorde de l’attention. Il ressent une appartenance au groupe à travers cet instant de discussion et cette inclusion se traduit par un sentiment d’appartenance.
Certains apprenants vivent des événements qui nécessitent l’assistance de l’enseignant-coach. Il peut s’agir de nouveaux arrivants, d’élèves vivant des défis d’ordre culturel, économique ou même de ceux en pleine construction identitaire linguistique, culturelle, sexuelle. À titre d’exemple, Dalley (2013 ; 2014) pose plusieurs cas d’élèves ayant soit des conflits identitaires ou des conflits assimilationnistes, qui requièrent l’aide d’un l’enseignant-coach. Le coach ne donne pas de leçon et encore moins de solution à l’élève, mais il le guide à trouver lui-même ses solutions.
Également, et comme le rappelle Machouart, 2020, l’enseignant-coach va surtout aider l’élève à se retrouver dans le flux d’information croissant qui l’entoure.; il offre aussi la chance d’avoir un face-à-face avec chaque élève et l’occasion aux élèves réservés et timides de s’exprimer. Surtout, il se rend disponible pour un élève ou un groupe d’élèves afin de les accompagner dans la recherche des nouvelles connaissances.
D’ailleurs, n’est-ce donc pas dans Dalley (2013) que des auteurs disaient que « Chaque enfant a une voix ; c’est l’adulte qui doit apprendre à l’écouter » ? Le coaching offre l’occasion d’écouter ces enfants. C’est encore Dalley qui remet en question l’éducation en salle de classe en disant qu’« il devient important de reconsidérer les conditions sous lesquelles les enfants se disent en classe. » (2013). Ceci se traduit par remettre en question nos pratiques en salle de classe et tendre plus l’oreille aux enfants, par qui très souvent vient la solution.
Manifestement, l’enseignement ici est au service du coaching, tout comme le coaching est au service de l’enseignement. En d’autres termes, c’est la réalité vécue comme enseignant qui permettra au coach de poser les bonnes questions à l’élève et de l’accompagner d’une part ; mais c’est aussi l’expérience vécue durant le coaching qui permettra à l’enseignant d’adapter ses stratégies d’enseignement.
Pour le personnel enseignant, la motivation de demeurer dans la profession viendra de plusieurs choses. Grâce au coaching, les enseignants sauront mieux contenir les élèves qui ont des difficultés. Mais aussi, rendre les élèves autonomes libère du temps à l’enseignant pour encadrer les autres et cela augmente son sentiment d’efficacité personnel de réaliser des changements autour de lui et de voir des élèves réussir tout en étant mentalement forts.
Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2022
Notes
1 l’élève qui n’a pas été catégorisé pour une difficulté d’apprentissage ou de comportement.
Références
Dalley, P. (2014). Assimilation, intégration ou inclusion : Quelle vision pour l’éducation de langue française en contexte minoritaire. La francophonie dans toutes ses couleurs et les défis de l’inclusion scolaire en milieu minoritaire francophone canadien, 13-35.
Dalley, P. et M. Cotnam-Kappel (2013). Vers une pédagogie des droits et de la citoyenneté mondiaux de l’enfant en Ontario français. Revue d’éducation, 3(2), 4-5. http://education.uottawa.ca/assets/revue_edu_fr_automne_2013.pdf
Doré, R. (2001). Intégration scolaire. Document consulté le 20 novembre 2010.
Godin, G., Landry, R. et Allard, R. (2022). Conscientisation, engagement communautaire et pratiques pédagogiques du personnel enseignant en contexte francophone minoritaire. Minorités linguistiques et société / Linguistic Minorities and Society, (18), 3–36. https://doi.org/10.7202/1089178ar
Lebrun, M. (2004). La formation des enseignants aux TIC : allier pédagogie et innovation. Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 1(1), 11-21. https://doi.org/10.18162/ritpu.2004.9
Machouart, M. (2020). Réveil des talents à l’université et place de l’enseignant-coach. Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, 36(1).
Meirieu, P (1991). Individualisation, différenciation, personnalisation : De l’exploration d’un champ sémantique aux paradoxes de la formation. Association des enseignants et chercheurs en sciences de l’éducation (AECSE).
Saillot, É. (2019). Évaluation par compétences : les préoccupations des enseignants en matière d’évaluation au cours d’une expérimentation des « classes sans notes » dans un collège français. Mesure et évaluation en éducation, 42(2), 35–61. https://doi.org/10.7202/1071515ar