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Enseignement, Politique, Pratiques prometteuses

L’aptitude à la lecture chez les enfants reprend le droit chemin

Des constatations encourageantes en Alberta après trois ans de COVID-19

Voilà près de trois ans, les gouvernements du monde annonçaient la fermeture des écoles pour protéger les élèves et les enseignants contre la COVID-19. Selon l’UNESCO (2020), plus de 1,5 milliard d’enfants de plus de 190 pays ont été renvoyés à la maison en mars 2020 pour recevoir, tout au plus, un enseignement à distance. Depuis, les éducateurs, les parents et les décideurs politiques cherchent à savoir quels effets ces perturbations ont eus sur les compétences en lecture des enfants. Dans le présent article, nous approfondissons un rapport déjà présenté sur les résultats de lecture des enfants au cours des six premiers mois de la pandémie (Georgiou, 2021) pour intégrer de nouvelles informations provenant d’élèves de vingt écoles albertaines allant de la maternelle à la neuvième année, à partir de septembre 2019 jusqu’au retour à l’enseignement régulier en classe, en septembre 2022.

Constatations dans le reste du monde

La plupart des études publiées dans différents endroits du monde indiquent que la COVID-19 a entraîné des répercussions importantes sur les compétences de lecture des enfants, surtout dans les premières années d’enseignement. Ainsi, dans une récente étude portant sur cinq millions d’élèves de la troisième à la huitième année aux États-Unis, Kuhfeld et coll. (2023) ont signalé que les résultats moyens de lecture à l’automne 2021, évalués selon une mesure normalisée, étaient de 0,09 à 0,17 écarts-types plus faibles que les résultats des mêmes niveaux à l’automne 2019. Si on les compare à la progression que connaissait un élève type à ces niveaux scolaires (avant la pandémie), ces baisses dans les notes d’examen représentent environ le tiers de la progression qui survient en une année. De même, en se fondant sur un échantillon d’enfants finlandais, Lerkkanen et coll. (2022) ont rapporté que la progression de la lecture, de la première à la quatrième année, était plus lente dans la cohorte qu’ils avaient suivie pendant la COVID-19 que dans la cohorte d’avant la pandémie.

Le même corpus de recherche a également dévoilé que les répercussions de la COVID-19 n’ont pas été les mêmes chez différents groupes d’élèves. Par exemple, les élèves de milieux socio-économiques moins favorisés (ou ceux d’écoles très défavorisées) semblent avoir été plus touchés que ceux issus de milieux socio-économiques plus favorisés. Certaines données sembleraient indiquer que les élèves aux prises avec des difficultés de lecture ont été plus touchés que ceux qui n’en avaient pas. Enfin, Kuhfeld et coll. (2022) ont trouvé qu’aux États-Unis, les répercussions de la COVID-19 ont été plus importantes chez les élèves hispaniques, noirs et autochtones (y compris ceux de l’Alaska) que chez les élèves blancs ou de souche asiatique1.

Constatations au Canada

Les données sur l’incidence de la COVID-19 chez les élèves canadiens sont encore lacunaires, et nous ne connaissons que deux études ayant porté sur le sujet, l’une menée en Alberta et l’autre, au Québec.

L’étude albertaine : Georgiou (2021) a comparé les résultats d’environ 4 000 élèves anglophones de la deuxième à la neuvième année en septembre 2020 (immédiatement après la réouverture des écoles) aux résultats d’élèves de mêmes niveaux lors des trois années précédant la fermeture. Il a trouvé que seuls les résultats des élèves plus jeunes (de deuxième et troisième années) avaient baissé, par rapport aux années précédentes. Il est intéressant de constater que les résultats des enfants plus âgés (de la quatrième à la neuvième année) sont restés les mêmes ou se sont améliorés pendant la pandémie. S’inspirant de ces constatations, le ministère de l’Éducation en Alberta a invité les écoles à évaluer la lecture chez tous leurs élèves de la première à la troisième année et a injecté un financement supplémentaire pour aider les établissements scolaires à effectuer des interventions en lecture auprès des enfants des premiers niveaux les plus touchés.

L’étude québécoise : Côté et Haeck (communication personnelle, 3 juin 2022) ont comparé les résultats d’élèves francophones de la quatrième année au Québec en se fondant sur les résultats des examens de lecture du ministère de juin 2019 (avant la pandémie) et ceux de juin 2021 (un an après le début de la pandémie). Ils ont trouvé une baisse significative des résultats moyens des élèves entre les deux points de mesure (77,3 % en 2019, par rapport à 69 % en 2021).

De retour sur les rails?

Nous étudions depuis vingt ans la progression et les difficultés en lecture en Alberta. C’est pourquoi nous disposions de mesures dans de multiples écoles pour nous pencher sur les répercussions de la COVID-19. Aux fins du présent article, nous avons évalué :

  •  20 écoles répertoriées dans trois divisions en Alberta.
  •  environ 6 500 élèves de la première à la neuvième année en septembre 2019, en septembre 2020, en septembre 2921 et en septembre 2022.
  •  les données de trois évaluations fondées sur des mesures normalisées (test d’habileté en lecture de mots-2, test de fluidité en lecture silencieuse de mots-2, test d’efficacité et de compréhension en lecture silencieuse).

Pour mieux comprendre l’incidence de la COVID-19, il faut diviser sa durée en trois périodes distinctes. La première s’étend de septembre 2019 à septembre 2020, c’est le moment où les écoles ont fermé pour une durée indéterminée après l’éclosion de la COVID-19, et que les enfants avaient seulement accès à l’enseignement à distance. La deuxième période (de septembre 2020 à septembre 2021) est l’année scolaire de la réouverture des écoles, où les enfants devaient rester de 10 à 14 jours en quarantaine s’ils avaient la COVID-19, et que des classes entières passaient du présentiel à l’enseignement à distance selon le nombre de cas positifs qu’elles renfermaient. Enfin, la troisième période (de septembre 2021 à septembre 2022) est celle où l’enseignement se déroulait surtout en présentiel, couplé d’interruptions relativement moins fréquentes.

  •  De septembre 2019 à septembre 2020 : Les résultats de lecture des élèves de la première à la troisième année ont baissé dans toutes les tâches. Les résultats des élèves de la quatrième à la neuvième année sont restés les mêmes ou ont connu une légère amélioration. Ces constatations reproduisent celles qu’a signalées Georgiou (2021).
  •  De septembre 2020 à septembre 2021 : Les résultats ont baissé à tous les niveaux scolaires, et de façon plus marquée en efficacité et en compréhension de lecture qu’en compétences de base en lecture. Des constatations semblables ont été rapportées par Kuhfeld et coll. (2022) auprès d’élèves aux États-Unis en employant différentes mesures d’aptitude à la lecture.
  •  De septembre 2021 à septembre 2022 : Les résultats se sont améliorés chez les élèves de tous les niveaux, pour se comparer à ceux obtenus pour les mêmes tâches avant la pandémie (en septembre 2019).

Ces constatations suggèrent qu’après trois ans de pandémie, les élèves de ces 20 écoles sont de retour sur la bonne voie.

Quatre clés pour le rattrapage

Quatre facteurs ont, à notre avis, aidé les élèves de cet échantillon à se remettre sur les rails. Ils sont résumés ci-dessous.

Des pratiques fondées sur des données probantes dans les écoles participantes
De toute évidence, nous n’aurions pas de données à présenter dans le présent document si ces écoles ne les recueillaient pas chaque année au moyen d’évaluations normatives. En outre, le personnel enseignant de ses écoles participe à nos séminaires continus de perfectionnement professionnel portant sur les meilleures pratiques d’enseignement de la lecture et nous a fait part de son expérience lors d’essais sur le terrain menés dans le cadre des communautés de pratique (voir Georgiou et coll., 2020, pour plus de précisions). Les directions d’école se sont réunies régulièrement pour discuter des résultats de leurs évaluations et repérer les domaines dans lesquels le personnel enseignant gagnerait à se perfectionner davantage. Précisons que les pratiques fondées sur les données probantes étaient en place dans ces écoles bien avant la COVID-19. Aussi, quand le ministère de l’Éducation en Alberta a invité les enseignantes et enseignants de la province à concentrer leur formation sur les capacités de base en apprentissage de la lecture (c.-à-d. la conscience phonologique, la phonétique, la fluidité en lecture), ceux de ces écoles n’ont pas eu à changer ce qu’ils pratiquaient déjà avec succès. Ces pratiques ont sans aucun doute eu un effet positif sur les capacités de lecture des élèves et a contribué à la rapidité de leur retour sur la bonne voie.

Dépistage précoce et intervention
Le ministère de l’Éducation en Alberta a exigé un dépistage auprès d’élèves de la première à la troisième année en pratiquant des évaluations fiables et valides de leurs capacités de base en lecture. Normalement, la plupart des divisions scolaires de la province se servaient de diverses évaluations comparatives pour dépister les élèves éprouvant des difficultés de lecture, en dépit de recherches démontrant qu’elles n’étaient ni fiables ni précises (Burns et coll., 2015; Parker et coll., 2015). Le ministère n’approuvait pas ces évaluations comme critère de financement supplémentaire. De plus, il a transmis un programme d’intervention en lecture à toutes les écoles de la province, comprenant 80 leçons de conscience phonologique et de phonétique, et il a invité les écoles à signaler la progression des élèves au fil du temps. À notre connaissance, il s’agit de la première instance où une province a mandaté toutes les écoles à procéder à un dépistage précoce en littéracie et leur a fourni du matériel d’intervention pour le faire. Ces deux politiques devraient se poursuivre à l’avenir.

Financement
Le ministère de l’Éducation en Alberta a fourni aux écoles un financement supplémentaire de 45 millions de dollars pour remédier aux pertes des acquis. À ce que nous sachions, il s’agit là de la plus grande aide financière au pays qui, si elle a servi aux fins proposées (des interventions), pourrait expliquer pourquoi les élèves des écoles que nous avons échantillonnées se sont rattrapés facilement. Le ministère a aussi subventionné des projets de recherche sur les interventions précoces, qui ont fourni de l’information utile sur les façons de remédier aux pertes des acquis. Dans l’un de ces projets, nous avons effectué des interventions auprès de 365 élèves de deuxième et troisième année éprouvant des difficultés en lecture. Au bout de 4 mois et demi, 80 % des élèves participants avaient progressé d’environ un an et demi en lecture. Certains de ces enfants fréquentaient les écoles ayant fait l’objet de l’étude signalée précédemment. Le financement d’interventions fondées sur les données probantes, jumelé à un contrôle fréquent du progrès des élèves au moyen de mesures fiables et précises, devrait se poursuivre à l’avenir.

Discussions sur les pratiques fondées sur des données probantes
Les discussions menées au pays sur les façons de remédier aux pertes des acquis ont attiré l’attention des enseignantes et enseignants sur les pratiques fondées sur les données probantes pour l’apprentissage de la lecture. Ainsi, l’une des recommandations données sur divers médias répondait à ce que souhaitent depuis longtemps les chercheurs en lecture : fournir un enseignement systémique et explicite de la phonétique dès les premières années scolaires. Cette recommandation fait désormais partie, elle aussi, du nouveau programme d’apprentissage de la langue anglaise en Alberta pour les premières années du primaire.

Les bons résultats de rattrapage proviennent d’écoles qui emploient des pratiques d’enseignement précoce de la littéracie fondées sur les données probantes et qui fournissent à leur personnel enseignant du perfectionnement professionnel sur ces pratiques qui ne sont peut-être pas abordées dans les programmes de formation. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas de renseignements fiables sur le rattrapage postpandémique des écoles qui tardent à adopter des programmes de littéracie précoce fondés sur des données probantes. En dernier lieu, les résultats encourageants dont témoignent nos écoles en Alberta rejaillissent positivement sur la politique mise en œuvre par le ministère de l’Éducation de la province. En instaurant le dépistage précoce, en finançant des interventions supplémentaires, en donnant aux écoles un accès à des évaluations fiables et à des programmes d’intervention efficaces, le ministère albertain a essentiellement donné suite au rapport de la Commission ontarienne des droits de la personne intitulé Le droit de lire.

Références

Burns, M. K, Pulles, S. M. et coll. (2015). « Accuracy of student performance while reading leveled books rated at their instructional level by a reading inventory », Journal of School Psychology53, 437-445.

Georgiou, G. (2021). « Has COVID-19 impacted children’s reading scores? », The Reading League Journal(2), 34–39.

Georgiou, G., Kushnir, G. et Parrila, R. (2020). « Moving the needle on literacy: Lessons learned from a school where literacy rates have improved over time »Alberta Journal of Educational Research, 66 (3), 347-359. doi.org/10.11575/ajer.v66i3.56988

Kuhfeld, M., Lewis, K. et Peltier, T. (2023). « Reading achievement declines during the COVID-19 pandemic: Evidence from 5 million U.S. students in Grades 3–8. », Reading and Writing36, 245-261doi.org/10.1007/s11145-022-10345-8

Lerkkanen, M. K., Pakarinen, E. et coll. (2022). « Reading and math skills development among Finnish primary school children before and after COVID-19 school closure », Reading and Writing. https://link.springer.com/article/10.1007/s11145-022-10358-3

Parker, D. C., Zaslofsky, A. F. et coll. (2015). « A brief report of the diagnostic accuracy of oral reading fluency and reading inventory levels for reading failure risk among second- and third-grade students. », Reading & Writing Quarterly, 31(1), 56-67.

UNESCO. Éducation : de la fermeture des écoles à la reprise2020 https:// unesco.org/fr/covid-19/education-response

Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, avril 2023
1 Ce sont les descriptions employées dans l’étude.

Apprenez-en plus sur

George K. Georgiou, Ph.D.

Professeur, université de l'alberta

George K. Georgiou, Ph.D., est professeur à la Faculté d’éducation de l’Université de l’Alberta et membre ...

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Rauno Parrila, Ph.D.

Professeur et directeur, Australian Centre for the Advancement of Literacy

Rauno Parrila, Ph.D., est le directeur fondateur du Australian Centre for the Advancement of Literacy à la Australian Catholic University, Sydney.  Découvrir

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