Bien que les statistiques varient d’une province à l’autre, les écoles du Canada ont été fermées en moyenne pendant un total de 51 semaines durant la pandémie – ce qui place le pays dans la tranche la plus élevée à l’échelle mondiale quant aux fermetures d’écoles (UNESCO, s.d.). Il n’est donc pas étonnant que les décideurs provinciaux au Canada continuent d’être préoccupés par les impacts négatifs à court et à long terme des perturbations attribuables à ces fermetures sur l’apprentissage des élèves et se concentrent sur l’amélioration de la réussite dans les matières classiques comme la lecture, l’écriture, les mathématiques et la science. Selon le discours politique et médiatique dominant, les élèves ont pris du retard et doivent faire du « rattrapage » dans ces matières de base. La recherche internationale laisse certainement entendre que cette préoccupation est légitime et que l’apprentissage a été considérablement perturbé durant la pandémie.
Perte d’apprentissage au Canada et à l’étranger
Des chercheurs de plusieurs pays commencent à documenter les pertes d’apprentissage ayant touché la population étudiante en raison de la fermeture des écoles, du passage à l’apprentissage en ligne et hybride ainsi que des autres impacts associés aux vagues successives de la pandémie. Bien que les études sur le sujet soient relativement peu nombreuses, quelques nations occidentales comme les Pays-Bas (Engzell et coll., 2021), l’Allemagne (Depping et coll., 2021), la Belgique (Maldonato et De Witte, 2021) et les États-Unis (Bailey et coll., 2021) laissent entendre que l’apprentissage a essentiellement été mis sur pause pendant la pandémie. Ces études donnent également à penser que la pandémie a exacerbé des inégalités existantes, car les apprenants ayant un faible statut socioéconomique accusent un retard encore plus important par rapport à leurs pairs plus fortunés. Dans l’ensemble, la littérature émergente donne à penser que l’apprentissage et la résilience scolaires des apprenants dans le monde entier ont été particulièrement menacés durant la pandémie (Volante et Klinger, 2022a).
Malheureusement, la recherche dans le domaine de l’évaluation à large échelle au Canada, qui sert à élaborer des mesures fiables et comparables de la réussite des apprenants et des évaluations dans tout le système, a été particulièrement restreinte durant la pandémie. En fait, l’administration des évaluations aux niveaux international, national et provincial a été touchée, bon nombre d’entre elles ayant été annulées au cours des premières vagues de la pandémie. De plus, les programmes d’évaluation qui sont allés de l’avant ont présenté des taux élevés de non-participation, ce qui a eu un effet sur les plans d’échantillonnage. Ces défis ont rendu difficile la comparaison de la réussite des élèves dans les différentes provinces. En outre, les études déjà publiées sont propres à des contextes géographiques particuliers, comme Toronto (Conseil scolaire de district de Toronto, 2021), ou présentent des pertes anticipées extrapolées d’une étude sur l’apprentissage estival (Aurini et Davies, 2021). Collectivement, les études accessibles au Canada n’ont pas été en mesure de quantifier, avec un certain degré de certitude, l’impact de la pandémie sur la réussite des apprenants.
Néanmoins, les systèmes d’éducation canadiens, y compris les établissements d’enseignement supérieur, font état d’importantes lacunes sur le plan de l’apprentissage des jeunes à l’école, ce qui donne à penser que les pertes d’apprentissage ont touché les élèves de la maternelle à la 12e année et au-delà. Des organismes internationaux comme l’Organisation de coopération et du développement économiques (OCDE) (2020) et l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (2022) ont également révélé que les apprenants ayant un statut socioéconomique plus faible et leurs familles n’ont pas pu obtenir les ressources nécessaires pour réussir dans un environnement en ligne ou hybride dans le contexte de la crise générée par la pandémie. Ces défis sont également bien documentés dans les reportages des médias grand public au Canada et sont pris en compte dans les interventions stratégiques mises en œuvre par divers gouvernements provinciaux pour essayer de soutenir nos groupes d’apprenants les plus vulnérables. Cependant, le succès relatif de ces efforts et interventions n’a pas été mesuré.
Tendances sur le plan des politiques au Canada
Une de nos récentes études offre une analyse pancanadienne de l’élaboration, entre janvier 2020 et décembre 2021, de politiques en matière d’éducation spécifiquement liées à la résilience scolaire dans la foulée des premières vagues de la pandémie. Sans surprise, nos observations portent à croire qu’on a consacré davantage d’attention aux enjeux scolaires – plus précisément, les résultats d’apprentissage dans des domaines cognitifs – alors qu’un nombre relativement modeste de politiques et ressources visaient à favoriser la santé mentale et le bienêtre physique en général (Volante et coll., 2022c). Notre analyse laisse aussi entrevoir un manque de différenciation généralisé en ce qui a trait aux politiques touchant l’allocation des ressources et des mesures de soutien spécifiques au sein des instances provinciales responsables de l’éducation pour aider les apprenants à risque. Nous avançons que, sans une telle différenciation, les ressources élaborées ne seront pas pleinement mises à profit et ne parviendront assurément pas à enrayer la croissance des inégalités entre les apprenants à statut socioéconomique faible et ceux à statut socioéconomique élevé, inégalités qui ont été amplifiées par la pandémie.
Dans l’ensemble, notre étude sur les politiques fait également ressortir l’importance de revoir ce que font les systèmes d’éducation provinciaux pour obtenir des résultats positifs pour les élèves et de quelle façon ces résultats peuvent être « mesurés » et évalués. Bien que les autorités provinciales responsables des évaluations aient déjà entrepris d’importants travaux à cet égard, les mesures d’évaluation à large échelle ne fournissent actuellement pas un portrait multidimensionnel du développement des apprenants. À l’inverse, les mesures de réussite internationales comme celles administrées par l’OCDE ou l’Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire comportent des questionnaires de base visant à dégager les facteurs à l’échelle de l’apprenant, de l’école et du système qui peuvent être liés aux résultats scolaires. Par exemple, ces mesures internationales incluent de plus en plus des facteurs et résultats qui pourraient être classés dans la catégorie des compétences non cognitives, ce qui attire l’attention sur l’importance des résultats sur le plan non cognitif et du bienêtre mental et physique.
Remettre en question le discours dominant
Il serait difficile de trouver un groupe d’intervenants du domaine de l’éducation qui ne reconnaît pas l’importance de la réussite dans les matières traditionnelles comme la lecture, l’écriture, les mathématiques et la science. Toutefois, la pandémie a montré que la réussite dans les domaines cognitifs traditionnels brosse un portrait nécessaire, mais incomplet, des défis urgents que doivent surmonter les jeunes du Canada. Comme l’ont mentionné Volante, Klinger et Barrett (2021) dans un article précédemment paru dans la revue Éducation Canada, les enfants canadiens font l’objet de tendances inquiétantes en matière de santé mentale et de bienêtre en général. De la même façon, la promotion de compétences non cognitives, comme un état d’esprit évolutif, représente un cadre de plus en plus important d’attributs clés qui contribuent à la résilience des apprenants, des établissements scolaires et des systèmes d’éducation en général (Volante et Klinger, 2022b).
Ainsi, les décideurs provinciaux font face à un important dilemme. Ils doivent élaborer une vision exhaustive de l’apprentissage et du bienêtre des apprenants qui met l’accent sur les compétences cognitives (c.-à-d., réussite en lecture, écriture, mathématiques et science) et non cognitives (c.-à-d. habitudes d’apprentissage, croyances personnelles, état d’esprit évolutif) et le bienêtre en général, face aux idéologies historiques et politiques dominantes tournées presque exclusivement vers une réforme de l’éducation fondée sur des normes. En fait, les changements fondés sur des normes et la réussite dans les trois matières de base (lecture, écriture, arithmétique) orientent en grande partie les programmes de réforme d’envergure dans la majorité du monde occidental depuis plus d’un demi-siècle (Volante et coll., 2022d). Malgré les préoccupations qui ont été soulevées et les éléments de preuve qui ont été dégagés à propos de l’impact de la pandémie, chaque province et territoire au Canada continue d’adhérer à un modèle de réforme axé sur des normes qui établit une hiérarchie des matières et des résultats liés à la réussite. L’importance des autres facteurs et résultats critiques peut être reconnue, mais ceux-ci reçoivent très peu d’attention formelle, et peu d’efforts sont consacrés à tirer profit de l’information recueillie lors d’évaluations internationales qui comportent désormais de telles mesures.
Repenser la réforme à vaste échelle
On a souvent écrit que l’adversité est un catalyseur de la croissance et du changement. Il est évident que les dernières années ont généré la plus intense adversité à laquelle feront face bon nombre d’apprenants, de familles et d’enseignants au cours de leur vie. Plutôt que de revenir au statu quo qui met de l’avant un ensemble étroit de résultats liés à la réussite, la présente ère de notre histoire collective offre une occasion de revoir nos approches concernant la réforme de l’éducation à vaste échelle pour mettre en place une reconnaissance plus nuancée des compétences et attributs requis pour surmonter les défis que nous réserve l’avenir. Bien sûr, tout apprenant, parent ou enseignant vous dira que la pandémie a entraîné des pertes allant au-delà du contenu scolaire. Pour comprendre la complexité multidimensionnelle de cette « perte » et y répondre, nous avons besoin d’une nouvelle conception de ce à quoi ressemble une éducation de qualité dans un monde post-COVID. Faute de quoi, les élèves pourront sans doute rattraper leur retard scolaire mais, en contrepartie, ils risquent d’être à la traîne sur le plan des compétences non cognitives dont ils ont besoin pour leur réussite future. Il est maintenant temps de chercher des moyens de lier les évaluations et les enquêtes à l’échelle provinciale, territoriale, nationale et internationale afin d’obtenir les données dont nous avons besoin pour examiner la complexité de l’apprentissage qui soutient l’enfant dans son ensemble.
Cette étude est financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).
Aurini, J. et Davies, S. (2020). « COVID-19 school closures and educational achievement gaps in Canada: Lessons from Ontario summer learning research », Canadian Review of Sociology, 58(2), 165-185. doi.org/10.1111/cars.12334
Bailey, D. H., Duncan, G. J., Murnane R. J. et Yeung N. A. (2021). « Achievement gaps in the wake of COVID-19 », Educational Researcher, 50(5), 266-275. doi.org/10.3102%2F0013189X211011237
Depping, D., Lücken, M.et coll. (2021). « KompetenzständeHamburger Schülerinnen vor und während der Corona-Pandemie [Autres mesures des compétences des élèves à Hambourg durant la pandémie de coronavirus] », DDS – Die Deutsche Schule, Beiheft, 17, 51-79. www.pedocs.de/volltexte/2021/21514/pdf/DDS_Beiheft_17_2021_Depping_et_al_Kompetenzstaende_Hamburger.pdf
Engzell, P., Frey, A. et Verhagen, M. D. (2021). « Learning loss due to school closures during the COVID-19 pandemic », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 118(17), 1-7.
www.pnas.org/content/pnas/118/17/e2022376118.full.pdf
Maldonato, J. E. et C. De Witte, C. (2021). « The effect of school closures on standardised student test outcomes », British Educational Research Journal, 18(1), 49-94. doi.org/10.1002/berj.3754
Organisation de coopération et de développement économiques. (2020). The impact of COVID-19 on student equity and inclusion: supporting vulnerable students during school closures and school re-openings. Éditions OCDE. https://oecd.org/education/strength-through-diversity/OECD%20COVID-19%20Brief%20Vulnerable%20Students.pdf
UNESCO. (s.d.). Dashboards on the Global Monitoring of School Closures Caused by the COVID-19 Pandemic. https://covid19.uis.unesco.org/global-monitoring-school-closures-covid19
Volante, L. et Klinger, D. A.(2022a). « PISA, global reference societies, and policy borrowing: The promises and pitfalls of academic resilience », Policy Futures in Education. https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/14782103211069002
Volante, L. et Klinger, D. A. Assessing non-cognitive skills to promote equity and academic resilience (exposé), Advancing Assessment and Evaluation Virtual Conference. (2022b, 27-28 janvier). https://aaec2022.netlify.app/_main.pdf
Volante, L., Klinger, D. A. et Barrett, J. (2021). « Academic resilience in a post-COVID world: a multi-level approach to capacity building », Éducation Canada, 61(3), 32-34.
Volante, L., Lara, C., Klinger, D. A. et Siegel, M. (2022c). « Academic resilience during the COVID-19 pandemic: a triarchic analysis of education policy developments across Canada », Revue canadienne de l’éducation, 45(4), 1112-1140.
Volante, L., S. Schnepf et D. A. Klinger (éd.). Cross-national achievement surveys for monitoring educational outcomes: policies, practices, and political reforms within the European Union, Office des publications de l’Union européenne, 2022d. https://data.europa.eu/doi/10.2760/406165
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Première publication dans Éducation Canada, avril 2023
Depuis mars 2020, la pandémie de COVID-19 a forcé les écoles à délaisser l’enseignement usuel en présence des élèves pour la mise en place d’un enseignement à distance en mode virtuel. Ce contexte inédit représente pour les apôtres des technologies une occasion rêvée de transformer radicalement l’enseignement ordinaire au profit d’une école virtuelle favorisant enfin, soi-disant, le développement des compétences du xxie siècle, une personnalisation accrue du parcours d’apprentissage de l’élève et une véritable différenciation pédagogique (Cavenaghi et Senécal, 2020). Ce discours lyrique accorde aux technologies un pouvoir mirifique qui n’a pourtant pas été observé jusqu’à maintenant lorsqu’elles sont employées en salle de classe, et ce, avant même la Pandémie 2019-… :
[…] même les partisans les plus enthousiastes de l’utilisation de la technologie en éducation commencent à reconnaître que si la technologie peut être utile pour améliorer les résultats de l’apprentissage, elle n’a pas encore eu un impact révolutionnaire sur l’apprentissage de la lecture ou des mathématiques2. (Slavin, 2019, p. 1)
En effet, les résultats compilés par Slavin (2019) montrent que le recours aux technologies en salle de classe a un effet positif sur le rendement des élèves, certes, mais oscillant entre faible et négligeable. Par conséquent, est-ce que l’effet des technologies aurait pu être plus élevé en période de confinements, lorsque l’enseignant est physiquement absent et que l’élève est en ligne?
Un an après la fermeture brutale des établissements scolaires, en mars 2020, des recherches et des rapports d’évaluation des effets du premier confinement de la pandémie et de l’enseignement à distance ont commencé à être publiés. Boyer et Bissonnette (2021) ont recensé 19 études ayant analysé les effets du premier confinement et de l’enseignement virtuel sur le rendement d’environ 13 millions d’élèves provenant d’écoles primaires et secondaires, et ce, un peu partout dans le monde (Angleterre, Australie, Belgique, Canada, États-Unis, France et Pays-Bas). L’organisme Education Endowment Foundation (EEF, 2021) expose également les résultats de 12 des 19 études présentées par Boyer et Bissonnette (2021). Les conclusions de ces deux recensions se recoupent. L’ensemble des recherches tendent à démontrer que les effets du premier confinement de la COVID-19 et de l’enseignement à distance sur les élèves ont tendance à être généralement négatifs en lecture, principalement pour les élèves du primaire, et parfois plus fortement négatifs en mathématique. Les écarts de rendement au primaire entre les élèves à risque et les autres élèves semblent s’accentuer, et ce, même dans l’un des pays les mieux préparés à basculer en enseignement à distance comme les Pays-Bas (Engzell, Frey et Verhagen, 2021). Sur la base des effets observés, Dorn et ses collègues (2020) ont estimé que les élèves pourraient avoir perdu en moyenne de 5 à 9 mois d’apprentissage en juin 2021, et que les élèves plus vulnérables pourraient accuser un retard de 6 à 12 mois.
Sur la base des résultats cités précédemment, qui reposent principalement sur un confinement de 10 à 15 semaines au début de la pandémie, il est possible d’appréhender des résultats encore plus négatifs dans les prochains mois pour l’ensemble des élèves. Dorn, Hancock, Sarakatsannis et Viruleg (2021) manifestent également cette appréhension :
[…] les élèves [de la maternelle à la 12e année] ont en moyenne cinq mois de retard en mathématiques et quatre mois en lecture à la fin de l’année scolaire [en juin 2021] … En mathématiques, les élèves des écoles majoritairement noires ont terminé l’année avec six mois de retard d’apprentissage, les élèves des écoles à faibles revenus avaient sept mois en moyenne de retard d’apprentissage […] (p. 2).
Deux synthèses de recherches plus récentes ont également montré des effets négatifs de la pandémie et de l’enseignement à distance sur le rendement des élèves. L’étude d’Hammerstein, König, Dreisörner et Frey, publiée en septembre 2021, révèle que : « Les résultats indiquent un effet négatif des fermetures d’écoles sur les résultats des élèves, en particulier chez les plus jeunes et les élèves issus de familles à faible statut socio-économique » (p. 1).
Une étude réalisée par Donnelly et Patrino, publiée en novembre 2021, indique pour sa part :
[…] huit études ont été identifiées ; sept d’entre elles présentent des pertes d’apprentissage chez au moins certains participants, tandis qu’une des sept a également trouvé des cas de gains d’apprentissage dans un sous-groupe particulier […] En outre, quatre des études ont observé une augmentation des inégalités, certains groupes démographiques d’élèves ayant subi des pertes d’apprentissage plus importantes que d’autres. (p. 1)
Patrino, l’un des deux chercheurs de cette synthèse, indiquait le 16 novembre 2021 sur son blogue :
Depuis la rédaction de notre analyse systématique, plusieurs nouvelles études ont été entreprises, documentant des pertes d’apprentissage comprises entre 0,08 et 0,32 écart-type. Il s’agit notamment des pays suivants : le Brésil, la Chine, la République tchèque, l’Angleterre, l’Allemagne, le Ghana, l’Italie […] [et pour l’enseignement supérieur] la Norvège et la Russie [… ] Peu ou pas de pertes d’apprentissage ont été détectées au Danemark, en France et au Japon.
Bien qu’il n’y ait, à notre connaissance, aucune étude scientifique publiée au Canada ayant évalué les effets de l’école virtuelle sur le rendement des élèves en temps de pandémie, le chercheur George Georgiou, de l’Université de l’Alberta, a tout de même mesuré le rendement des élèves du primaire en lecture. Les résultats rapportés par le chercheur dans une entrevue accordée en novembre 2020 à la journaliste Elise Stolte du Edmonton Journal, sont inquiétants. Avant la fermeture des écoles en mars 2020, le chercheur disposait des résultats d’évaluations standardisées en lecture provenant de milliers d’élèves de la 2e à la 9e année (environ 4 000 élèves pour chaque année). Les élèves ont passé les mêmes évaluations en septembre 2020. Les élèves de 4e année et des années subséquentes ont généralement amélioré leur rendement en lecture. Toutefois, les élèves de 2e et de 3e année ont montré une baisse du rendement en lecture représentant six à huit mois d’apprentissage. Dans une autre étude, Georgiou indique qu’il a mesuré les habiletés en lecture de 1 560 enfants de 1re année en septembre 2019 et en janvier 2020. De ce nombre, 540 élèves avaient été identifiés en difficulté avant la pandémie et devaient recevoir de l’aide. La fermeture des écoles et le passage en mode virtuel ont mis fin à cette intervention orthopédagogique. Lors de la rentrée des classes en septembre 2020, l’équipe de recherche de Georgiou a retracé et évalué 409 de ces élèves en difficulté, qui sont maintenant en 2e année. Les chercheurs constatent alors que 80 % (327/409) d’entre eux, maintenant en 2e année, ne connaissent toujours pas les sons des lettres, et que plus de la moitié ont des résultats inférieurs à ceux obtenus en janvier 2020, lesquels étaient déjà faibles.
Au Québec, l’enquête de Turcotte, Giguère et Prévost (2021), menée auprès de 175 enseignants du secteur primaire, montre que 78 % d’entre eux estiment que leurs élèves, lors de la rentrée de l’automne 2020, sont arrivés en classe avec des habiletés en lecture plus faibles que celles des élèves des années passées. En écriture, 71 % des enseignants affirment que leurs élèves sont plus faibles que ceux des années précédentes.
En résumé, les effets de l’école virtuelle et des confinements successifs sur le rendement scolaire des élèves sont évidents au niveau du primaire, et encore plus au début de la scolarisation et pour l’ensemble des élèves à risque, tous degrés scolaires confondus. Cela dit, les effets négatifs observés ne se limitent pas au rendement scolaire.
L’Institut National de Santé Publique du Québec (INSPQ, 2021) a montré des effets négatifs de la pandémie sur le développement des enfants de 2 à 12 ans. L’INSPQ a recensé 14 études examinant le domaine du développement social et affectif, principalement en ce qui concerne les problèmes de comportements internalisés et externalisés. La provenance des études est diversifiée : l’Italie, le Royaume-Uni, l’Espagne, les États-Unis, le Brésil, les Pays-Bas, Israël et Hong Kong. Les problèmes de comportements internalisés réfèrent aux difficultés émotionnelles comme la dépression, l’anxiété, etc. Les comportements externalisés sont associés aux problèmes de conduite, à l’irritabilité et la mauvaise humeur, à l’hyperactivité/l’inattention, aux problèmes relationnels avec les pairs, à la manifestation d’agressivité ou à un trouble de l’opposition.
L’INSPQ (2021) indique « [qu’] une majorité d’études rapportent une augmentation significative des problèmes de comportements internalisés et externalisés, comparativement à la période prépandémie, selon différentes manifestations […] » (p. 5). Voici quelques statistiques à ce sujet :
Les confinements répétés entre l’hiver 2020 et le printemps 2021 ont entraîné de multiples conséquences socio-émotionnelles chez les enfants des garderies, les enfants fréquentant l’école primaire ainsi qu’auprès des adolescents du secondaire en ce qui a trait au niveau d’anxiété, au taux de dépression, aux difficultés de concentration, à l’isolation sociale et à la diminution de l’activité physique (dos Reis et al. 2021; Moustafa, Mohamed et El-Houfey, 2021). Le sommeil des enfants et des adolescents semble aussi avoir été perturbé par le contexte de la pandémie (Bruni et al., 2021). Les jeunes adultes au niveau post-secondaire semblent vivre sensiblement les mêmes difficultés que les plus jeunes (Son, Hegde, Smith, Wang et Sasangohar, 2020). Les effets négatifs de la pandémie sur les variables autres que scolaires peuvent varier d’un pays à l’autre, entre autres quant à l’anxiété et aux sentiments dépressifs des enfants. Cela semble directement attribuable au degré de confinement imposé et au stress parental (Borbás et al., 2021; Orgilés et al., 2021).
En somme, les effets socio-émotionnels de l’école virtuelle et de l’apprentissage à distance en temps de pandémie ont tendance à être nettement très néfastes.
L’enseignement virtuel et l’apprentissage à distance, réalisés au cours des deux dernières années, montrent des effets négatifs sur le rendement scolaire et le développement socio-émotionnel des élèves, et ce en particulier auprès des plus vulnérables. Il importe de rappeler et de souligner que des synthèses de recherches ont montré les effets négatifs de l’école virtuelle sur le rendement des élèves, et ce, même en contexte non pandémique (Boyer et Bissonnette, 2021; Prettyman et Sass, 2020). En bref, les effets de l’école virtuelle, en temps de pandémie ou non, sont généralement négatifs (Boyer et Bissonnette, 2021).
Quoiqu’en disent les apôtres des technologies, l’école du xxie siècle, si cela peut exister, doit être en mode présence pour être optimale. Toutefois, en cas de fermeture des écoles en situations d’urgence, nous considérons quand même qu’il est nettement préférable d’offrir aux élèves un enseignement à distance plutôt que rien afin que l’école demeure en contact minimalement avec ses élèves.
Puisse les élèves fréquenter des écoles de briques et de mortier pour assurer leur réussite scolaire et favoriser un développement socio-émotionnel harmonieux et plus humain!
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2022
1 Ce texte constitue un extrait d’un chapitre de livre : Boyer et Bissonnette (à paraître). Quels sont les effets des technologies et de l’enseignement virtuel sur le rendement des élèves, avec ou sans pandémie? Dans Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Marie Bocquillon. Questions théoriques et pratiques sur l’enseignement explicite. Québec : Presses Université du Québec.
2 Nous soulignons.
Borbás, R., Fehlbaum, L. V., Dimanova, P., Negri, A., Arudchelvam, J., Schnider, C. B., & Raschle, N. M. (1er février 2021). Mental well-being during Covid-19 in adults, mothers and children: behavioral evidence and neural premarkers. https://doi.org/10.31234/osf.io/pdj7n
Boyer, C., et Bissonnette, S. (2021). Les effets du premier confinement, de l’enseignement à distance et de la pandémie de COVID-19 sur le rendement scolaire – Après la pandémie, faudrait-il généraliser l’usage de l’école virtuelle à toutes les clientèles et en toutes circonstances? Montréal : Éditions de l’apprentissage. https://tinyurl.com/f8aszks
Bruni, O., Malorgio, E., Doria, M., Finotti, E., Spruyt, K., Melegari, M. G., Villa, M. P., & Ferri, R. (2021). Changes in sleep patterns and disturbances in children and adolescents in Italy during the Covid-19 outbreak. Sleep medicine, S1389-9457(21)00094-0. Advance online publication. https://doi.org/10.1016/j.sleep.2021.02.003
Cavenaghi, U., Senécal, I. (2020). Osons l’école d’après. Montréal : Éditions Château d’encre. 66 pages.
Dorn, E., Hancock, B., Sarakatsannis, J., et Viruleg, E. (2020). COVID-19 and learning loss—disparities grow and students need help. https://mckinsey.com/industries/public-and-social-sector/ourinsights/covid-19-and-learning-loss-disparities-growand-students-need-help
Donnelly, R., Patrinos, H.A. Learning loss during Covid-19: An early systematic review. Prospects (2021). https://doi.org/10.1007/s11125-021-09582-6
Dorn, E., Hancock, B., Sarakatsannis, J., et Viruleg. E. (2021). COVID-19 and education: The lingering effects of unfinished learning. McKinsey & Company. https://www.mckinsey.com/industries/public-and-social-sector/our-insights/covid-19-and-education-the-lingering-effects-of-unfinished-learning
dos Reis, F. P., Amaro, R., Silva, F. M., Pinto, S. V., Barroca, I., Sá, T., Carvalho Ferreira, R., Cartaxo, T. et Boavida, J. (2021). The Impact of Confinement on Children and Adolescents. Acta Médica Portuguesa, 34(4), 245-246.
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Stolte, E. (27 novembre 2020). Alberta must keep elementary schools open, online learning was a disaster for struggling kids. Edmonton Journal. https://edmontonjournal.com/opinion/columnists/elise-stolte-alberta-must-keep-elementary-schools-open-online-learning-was-a-disaster-for-struggling-kids
Turcotte, C., Giguère, M. H., et Prévost, N. (2021). Rapport d’enquête. Le point de vue des enseignantes et des enseignants du primaire sur la compétence à lire et à écrire de leurs élèves en contexte pandémique depuis septembre 2020. Département d’éducation et formation spécialisées, UQAM. https://adel.uqam.ca/wp-content/uploads/2021/02/D-18096%20-%20Document_Point-de-vue-enseignant_VF-Web.pdf?_t=1614448101&fbclid=IwAR1etwFo7uqgxNENNleP58pKn3iI8AO3QQf6owjHnahC_AXKlZ1j3DaoW_Y
L’environnement scolaire constitue, dans des circonstances normales, un milieu hautement prévisible et sécuritaire avec ses horaires réguliers et son lot de routines et de règles de vie qui en font un milieu propice à l’apprentissage et à la socialisation (Vienneau, 2011). En situation de pandémie, cet environnement change considérablement selon les situations sanitaires vécues, les nouvelles règles pour y faire face et le mode de poursuite du cursus scolaire en classe conformément aux nouvelles modalités, en ligne ou en alternance. Tous les élèves ne réagissent pas de la même manière à ces changements. Certains s’y adaptent, d’autres plus ou moins avec des conséquences non négligeables pour leur apprentissage. La pandémie peut avoir pour effet de renforcer les inégalités déjà présentes tant sur le plan cognitif que sur les plans émotionnel et social, d’où l’importance pour les enseignants d’être vigilants et sensibles aux différences entre élèves et d’en tenir compte tant dans l’enseignement que dans l’évaluation.
Même sans crise sanitaire, l’évaluation des apprentissages est souvent considérée comme une source d’inégalités. C’est en effet elle, lorsqu’elle est terminale, qui révèle les écarts, voire qui les accentue par le recours à des pratiques discriminantes, non professionnelles. Pourtant, lorsqu’elle est acceptée par les enseignants comme un soutien à l’enseignement et à l’apprentissage et qu’elle est menée dans ce sens, l’évaluation peut non seulement tenir compte des écarts entre les élèves, mais aussi les réduire. Pour y parvenir, toutes les pratiques d’évaluation ne sont pas efficaces. Dans le contexte particulier d’une pandémie, l’objectif est de parvenir à faire progresser tous les élèves tout en réduisant les écarts qui pourraient se creuser entre eux du fait des inégalités causées par cette situation. Pour y parvenir, il importe de reconsidérer les pratiques d’évaluation qui pourraient contribuer à ces écarts et rééquilibrer les deux fonctions principales de l’évaluation scolaire : celle qui vise à faire le bilan et la certification des apprentissages (évaluation sommative/certificative) et celle qui vise à soutenir l’apprentissage de manière continue (évaluation formative). C’est en articulant judicieusement ces deux fonctions et en faisant de l’évaluation un outil d’apprentissage qui permet aux élèves d’améliorer leurs habiletés et habitudes d’études qu’elle pourra devenir une source d’équité et d’autonomie accrue.
Déjà en temps normal, l’enseignant doit trouver, tel un funambule, un équilibre entre les deux missions évaluatives qui lui incombent : évaluer pour faire progresser tous ses élèves ; évaluer pour certifier la maîtrise des acquis. Le premier épisode de la pandémie de COVID-19 aura permis aux enseignants de mettre leurs efforts essentiellement sur la première mission. En effet, la plupart des administrations scolaires ont mis l’évaluation certificative sur pause pour éviter de creuser les inégalités entre les élèves. Néanmoins, ce n’était qu’une parenthèse. Même avec une pandémie persistante, les systèmes scolaires ont déjà remis la certification en route, sous des formes plus ou moins atténuées. Ainsi, quel doit être le rôle de l’évaluation en classe lors de ce retour à la « normalité » ? Quel équilibre trouver pour les enseignants-funambules ?
Avec des classes constituées d’élèves aux prérequis inégaux dus à la période de confinement, mais aussi en prévision de futures mises en quarantaine d’élèves ou de futures situations difficiles liées à la COVID-19, l’évaluation (tant formative que sommative) est plus que jamais appelée à jouer son rôle de soutien à l’apprentissage et à l’enseignement afin de développer le potentiel de tous les élèves. Ceci semble signifier pour l’instant de continuer à temporiser (ou à oublier pour de bon !) un certain nombre de pratiques traditionnelles, et surtout à innover et à adapter les pratiques aux circonstances nouvelles qui risquent de se présenter. Afin de ne pas creuser les écarts et pour être davantage « juste » — dans le double sens de ce mot, c’est-à-dire appropriée et équitable, l’évaluation doit absolument être critériée (c.-à-d. qu’elle se réfère aux programmes d’études avec des critères descriptifs) et non normative (c.-à-d. qu’elle ne s’appuie pas sur la comparaison entre les élèves avec un cumul de points). Et surtout, l’évaluation doit être considérée par les enseignants comme un moyen d’intervenir de manière différenciée selon les besoins de chacun (équité) et non comme une intervention standardisée pour donner la même chose à chacun (égalité de traitement).
Par où commencer pour que l’évaluation soit une source d’équité, qu’elle soutienne l’apprentissage des élèves en répondant de manière différenciée aux besoins des élèves ? Voici quatre suggestions décrivant comment mettre l’accent sur le soutien à l’apprentissage :
Utiliser une évaluation critériée suppose que les objectifs et les exigences soient transmis clairement à l’élève pour lui permettre de se faire une représentation adéquate du résultat attendu à divers degrés (p. ex., Supérieur, Excellent, Bon…). La clarté des critères de réussite d’apprentissage est d’autant plus importante que l’élève travaille en ligne ou à la maison, avec ou sans l’assistance de ses parents ou de tuteurs à distance. L’utilisation d’exemples de travaux d’élèves (copies-types) permet à l’enseignant de fournir à l’élève des productions qui satisfont aux exigences à différents degrés.
Évaluer de façon continue ne signifie pas que l’élève doive être évalué continuellement, surtout si l’enseignant est déjà en mesure d’anticiper les résultats à partir de ses observations et s’il s’agit d’exercer des apprentissages au moyen d’activités de consolidation. Par évaluation continue, il faut comprendre que celle-ci intervient à des moments cruciaux de l’acquisition de nouveaux apprentissages, notamment lorsque la maîtrise des prérequis devient nécessaire à la progression de l’élève.
Fournir une rétroaction efficace, différenciée, descriptive et détaillée permet d’assurer la continuité des apprentissages. À cet égard, toutes les rétroactions ne sont pas également utiles. Celles portant sur la personne de l’élève font très peu pour l’aider à mieux comprendre ce qui va ou ne va pas. Les rétroactions correctives qui se limitent à signaler les bonnes réponses ou les erreurs à éviter, ne sont guère plus aidantes. Les rétroactions les plus efficaces sont celles qui reviennent sur les processus avec lesquels l’élève traite l’information et sur les stratégies qu’il met en œuvre pour réguler son apprentissage.
Engager l’élève dans l’évaluation sommative et formative. Afin qu’elle soit équitable, l’évaluation (formative et sommative) doit être « alignée » à la fois sur les programmes d’études et les activités d’apprentissage. Le bilan du progrès de l’élève ou de la classe doit être fait en fonction des activités et des observations réalisées tout au long du processus d’enseignement/apprentissage et non présenter une unique mesure froide d’une performance, sur un temps T et un contenu C. De plus, l’évaluation doit engager les élèves dans le processus. C’est ce dont il sera question dans la section suivante.
L’évaluation réalisée par l’enseignant n’est pas toujours à la disposition de l’élève aux moments où il en aurait besoin pour soutenir son apprentissage. Que ce soit en ligne ou en classe, les habiletés et les habitudes d’étude de l’élève acquièrent de ce fait une plus grande pertinence. En Ontario, le bulletin scolaire rapporte entre autres : fiabilité, sens de l’organisation, autonomie, sens de l’initiative et autorégulation. Au Québec, on retrouve : exercer son jugement critique, organiser son travail, savoir communiquer.
Jusqu’à présent, même si une grande partie de la réussite scolaire dépend de la maitrise de ces compétences qui touchent tous les domaines (transversales) et qui sont utiles dans des contextes nouveaux (transférables), ces apprentissages n’ont pas reçu la même attention que les principales matières scolaires. Les critères et les objectifs d’amélioration de ces compétences sont peu précis. Pourtant, celles-ci sont essentielles pour que l’élève « apprenne à apprendre ». Le rôle de l’enseignant est d’observer et d’améliorer ces capacités. La rétroaction de l’enseignant sur les processus et stratégies utilisés par l’élève peut en faciliter l’acquisition, mais celle-ci doit aussi aboutir sur une participation active de l’élève au processus même d’évaluation. La capacité de l’élève à réfléchir par lui-même sur ses productions, à être attentif aux processus qu’il met en œuvre pour en évaluer l’utilité et l’efficacité – la métacognition – fait partie de ce qu’il a été convenu d’appeler l’évaluation en tant qu’apprentissage (Earl, 2003), une composante essentielle de l’autorégulation des apprentissages (Laveault et Allal, 2016). Elle fait écho au « Connais-toi toi-même » de Socrate et à la pédagogie de Montessori « Aide-moi à faire par moi-même ».
L’évaluation scolaire va donc bien au-delà de la correction des erreurs. Les rétroactions correctives font bien peu pour améliorer la connaissance et l’estime de soi en plus de constituer une tâche fastidieuse pour les enseignants et les élèves. À la limite, trop de rétroactions correctives permet difficilement à l’élève en difficulté de s’améliorer. L’évaluation des apprentissages est un outil pour enseigner et apprendre, à plus forte raison en contexte de pandémie. Elle doit permettre de soutenir tous les élèves, en les aidant à devenir de meilleurs apprenants.
Au personnel scolaire qui se demande par où commencer, une réponse peut provenir de ce proverbe africain : « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour ; si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours ». Il existe dans nos écoles des élèves qui doivent apprendre à pêcher. Leur fournir toujours plus de poissons n’est pas une solution à long terme pour réduire les écarts entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas pêcher. L’évaluation-soutien d’apprentissage peut aider l’élève à apprendre à pêcher et à développer son sentiment d’efficacité personnelle, un atout pour toute la vie.
Pour en connaître davantage sur le sujet, le lecteur est invité à lire les articles suivants déjà parus dans Éducation Canada : Évaluation des apprentissages : pour être à la hauteur et se dépasser ainsi que Comment évaluer les apprentissages grâce à l’autoévaluation.
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Earl, L. (2003). Assessment as learning. Thousand Oaks, CA : Corwin Press.
Laveault, D. et Allal, L. (2016). Assessment for learning : Meeting the challenge of implementation. Cham, CH : Springer.
Vienneau, R. (2011). Apprentissage et enseignement. Montréal : Gaëtan Morin.
Yerly, G. et Laveault, D. (sous presse). « Évaluer les apprentissages en contexte de pandémie : aller au-delà de la notation pour soutenir la réussite de tous les élèves ». Formation et Profession : revue scientifique internationale en éducation.
Yerly, G. et Issaieva, E. (sous presse). « Évaluer les apprentissages au postsecondaire en temps de crise : défis, opportunités et dangers lors de la pandémie de COVID-19 ». Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire.
Cet article offre des pistes pédagogiques pratiques permettant aux enseignants, tout comme à leurs élèves, d’apprendre à utiliser l’évaluation pour prendre conscience et exercer un meilleur contrôle de leurs activités d’apprentissage, et ce à toutes les étapes. Le but visé est d’améliorer l’aptitude des élèves à s’autoévaluer et à s’autoréguler de manière efficace.
L’autoévaluation vient naturellement à l’élève, un peu comme le personnage de Molière, M. de Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir. Avant d’entreprendre une tâche, pendant ou après, l’élève en a déjà évalué plusieurs aspects et estimé ses chances de réussir : est-ce que la tâche l’intéresse, est-ce qu’il croit pouvoir réussir, est-il sur la bonne piste, est-il certain de ses réponses, etc. ? L’élève, cependant, ne se pose pas toujours les questions qu’il faudrait et le résultat de son questionnement ne le conduit pas toujours à prendre les bonnes décisions. Par exemple, une partie importante de la réussite à un examen dépend de la capacité à anticiper correctement les questions et à s’y préparer en conséquence. L’élève qui réussit ne connait pas seulement les réponses, mais il sait aussi quelles questions sont les plus susceptibles de lui être posées. Même en connaissant ce qu’il lui faudrait savoir, l’élève peut surestimer ses connaissances et négliger de se préparer. Pendant l’examen, il peut sous-estimer la difficulté des questions et négliger de réviser son travail. Bref, une grande partie de la capacité de l’élève à démontrer ses apprentissages dépend de sa compétence à évaluer ce qu’il lui faut savoir et son degré de préparation.
L’enjeu n’est donc pas de savoir si l’élève s’autoévalue et s’il en est capable. La question est de déterminer si cette capacité à s’autoévaluer peut être développée afin de le soutenir dans la réussite de ses apprentissages. Comme le dit si bien Mark Twain, « ce n’est pas ce que nous ignorons qui nous nuit, c’est ce que nous savons et qui est faux. »
Un enseignant en photographie me mit au jour au défi de « faire l’évaluation formative de la créativité ». Selon lui, ce n’était pas possible. Pour que je comprenne comment se manifestait la créativité, je lui ai demandé à quoi il reconnaissait une photo « créative » en lui posant cette question : « Dans un portfolio de dix photos, pourriez-vous identifier celle qui se démarque sur le plan de la créativité ? » L’enseignant répondit par l’affirmative. Alors je lui demandai : « Ne croyez-vous pas qu’il serait important que vous et vos élèves soyez en mesure d’identifier à l’avance quelles photos sont les plus créatives et pourquoi elles le sont afin que tout soit clair dès le départ ? »
De ce bref échange est ressortie l’importance d’entamer un dialogue avec les élèves sur les attentes et les exigences. Pour développer la créativité, il fallait tout d’abord s’assurer que professeur et élèves aient une représentation commune de ce qui était attendu. Il s’ensuit une activité d’évaluation où les élèves, individuellement, puis en équipes, devaient déterminer les photos les plus créatives d’un portfolio, confronter leur point de vue avec l’enseignant et s’entendre ensemble sur quels critères devrait se fonder leur jugement. Ces photos sont alors devenues autant de « copies types » de différents niveaux de créativité permettant de guider les élèves vers les cibles d’apprentissage à atteindre. Comment, en effet, peut-on connaitrela créativité, sans d’abord savoir la reconnaitre ?
Il est illusoire de croire que l’élève va apprendre à s’autoévaluer uniquement en remplissant des listes de vérification et des grilles d’appréciation ou en s’attribuant lui-même une note. Pour leur apprendre à bien s’autoévaluer et les aider à prendre conscience de leur démarche métacognitive, il faut impliquer les élèves à toutes les étapes de l’évaluation, que ce soit le choix des objectifs et de la cible à atteindre, l’identification des critères qui serviront à juger de leur performance, le choix du type de feedback et comment mettre celui-ci à profit. Bref, il ne suffit pas de fournir des instruments développés d’avance, aussi bons soient-ils. L’élève doit pouvoir s’impliquer dans les différentes étapes de l’évaluation, que ce soit pour bien apprécier les efforts requis pour atteindre par lui-même la cible à atteindre, que pour s’autocorriger. L’objectif de l’évaluation en tant qu’apprentissage n’est pas seulement d’améliorer l’évaluation, mais d’améliorer les évaluateurs. Pour Earl, il ne suffit pas de faire de l’élève un collaborateur du processus d’évaluation, mais un acteur critique qui fait le lien entre évaluation et apprentissage1.
L’impact de l’autoévaluation n’est pas le même chez tous les élèves. Sauf pour ceux qui ont le plus de succès académique, la tendance est généralement à la surestimation et ceux qui ont tendance à se surestimer le plus sont ceux-là mêmes qui réussissent le moins bien. Lorsque le rendement n’est pas au rendez-vous, il est plus facile pour l’élève d’attribuer la faute à des circonstances extérieures hors de son contrôle que de se mobiliser et de s’engager cognitivement dans son apprentissage. C’est ce qu’illustre la fable de Lafontaine suivante :
Le Renard et les Raisins
Certain Renard Gascon, d’autres disent Normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d’une treille
Des Raisins mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
Le galand en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n’y pouvait atteindre :
« Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. »
Fit-il pas mieux que de se plaindre ?
Cette fable décrit une situation de décrochage fréquente en milieu scolaire. À la suite d’une série de tentatives infructueuses, le renard préfère dévaloriser la cible et préserver son estime personnelle. Tout comme le renard, l’expérience répétée de l’échec peut amener l’élève à dévaloriser le but à atteindre. On peut presque entendre l’élève décrocheur dire : « L’école, c’est pas cool, c’est juste bon pour les losers. » L’autoévaluation, en situation de difficultés répétées, déclenche chez l’élève des mécanismes similaires de protection de l’égo.
L’autoévaluation doit prendre en considération non seulement les aspects cognitifs de la tâche, mais aussi ses aspects affectifs et motivationnels. Nous savons que l’élève motivé augmente graduellement son seuil de réussite, se fixe des buts plus élevés et dépasse ses limites. Mais l’élève qui ne se croit pas en mesure de venir à bout d’une tâche voit diminuer sa motivation et ses efforts pour répondre aux exigences requises. L’autoévaluation doit donc servir non seulement à permettre de revenir en arrière sur les résultats d’apprentissage, mais aussi de projeter son regard devant soi afin de se fixer des cibles réalistes de dépassement de soi.
L’implantation de pratiques d’évaluation pour soutenir l’apprentissage soulève de nombreux défis2. L’enseignant n’est pas en présence d’un seul renard, mais de toute une meute et qui plus est, tous ces renards ne sautent pas tous à la même hauteur dès le départ. À quelle hauteur doit-on situer la cible pour que la meute entière puisse l’atteindre ? La tentation est forte de fixer une hauteur cible « moyenne » qu’une majorité de renards serait en mesure d’atteindre au prix d’efforts ou d’apprentissages suffisants. Par contre, en agissant de la sorte, la cible restera trop difficile pour certains renards qui ne parviendront jamais à l’atteindre et se décourageront. Pour d’autres cependant, la cible deviendra trop facile, générant peu d’intérêt.
Si les attentes des programmes d’étude sont les mêmes pour tous les élèves, la hauteur de la cible — le niveau d’exigence — doit être ajustée en fonction de la progression de chaque élève. On ne peut parler de différenciation sans avoir recours à des stratégies d’évaluation adaptées qui permettent de fixer à l’élève des cibles individuelles et réalistes. De là l’importance d’impliquer l’élève dans le choix de cibles d’apprentissage à sa hauteur.
Un meilleur apprentissage de la compétence à évaluer et à s’autoévaluer entraine des avantages non seulement pour l’élève, mais également pour l’enseignant. Par un effet de feedback inversé, l’évaluation des apprentissages des élèves peut également devenir un instrument de dialogue avec l’élève et de développement professionnel pour guider l’enseignant dans sa pratique. Il n’est pas surprenant alors que l’évaluation formative soit la variable reliée à l’enseignement qui possède le plus grand impact sur l’apprentissage des élèves3.
Nombreuses sont les professions qui reconnaissent à l’autoévaluation un rôle important. Pour être à la hauteur des défis de sa profession, l’enseignant doit être en mesure de développer tant les capacités d’autoévaluation de l’élève que les siennes. C’est ce dont témoignent Eva & Regehr dans ce passage paru dans une revue médicale : « Cette capacité in situ de reconnaitre quand les choses vont bien, quand on doit ralentir, quand s’arrêter et regarder, c’est en partie ce phénomène qui fait naitre l’intuition que nous sommes capables d’autoévaluer nos forces et nos faiblesses plus largement définies4. »
C’est à un tel exercice d’autoévaluation que, sous forme de questionnaire, l’activité de discussion L’évaluation en tant qu’apprentissage. Est-ce que j’en tiens compte ? qui accompagne cet article, convie les enseignants. Disponible en ligne avec cet article, cette activité complémentaire vous permettra de réfléchir aux pratiques d’enseignement et d’évaluation, qui, œuvrant séparément ou de concert, contribuent à soutenir l’apprentissage chez l’élève et à guider la pratique enseignante. Autoévaluation bien ordonnée commence par soi-même !
Télécharger la séance 1.3 – L’autoévaluation : repenser nos connaissances
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
1 Earl, L. (2003). Assessment as Learning: Using classroom assessment to maximize student learning. Thousand Oaks, CA: Corwin Press.
2 Laveault, D. & Allal, L. (éds.) (2017). Assesment for Learning: Meeting the Challenge of Implementation. Cham, CH: Springer, 393 pages.
3 Hattie, J. (2009). Visible learning: A synthesis of over 800 meta-analyses relating to achievement. Oxon: Routledge.
4 Eva, K.W. & Regehr, G. (2007). Knowing when to look it up: A new conception of self-assessment ability. Academic Medicine, 82(10), 581-584.
En référence à l’article Évaluation des apprentissages : pour être à la hauteur et se dépasser
Par Dany Laveault
S’il est un facteur qui entre en considération lorsque les spécialistes en évaluation insistent sur le fait que les pratiques évaluatives des enseignants doivent évoluer de la simple mise de notes à une appréciation équitable de l’apprentissage des compétences des élèves, c’est bel et bien celui de la différenciation. En effet, les pratiques exemplaires courantes en évaluation valorisent une approche individuelle lorsque vient le temps d’appuyer la progression académique personnelle de chaque élève.
C’est ce qu’illustre avec brio Judith Dodge dans la version française de son ouvrage. Judith Dodge est une pédagogue experte en différenciation et au sujet des stratégies d’apprentissages. C’est à la suite de ses recherches sur le cerveau qu’elle privilégie désormais des stratégies pédagogiques qui correspondent à tous les types d’apprentissages et d’habiletés.
Son ouvrage offre des pistes pédagogiques aux enseignants d’élèves de 8 à 12 ans dans l’ensemble des matières scolaires et porte sur la conception d’activités différenciées, non seulement pour soutenir les élèves qui ont des besoins particuliers, mais aussi pour lancer des défis aux élèves plus avancés. Elle présente dans son ouvrage quatre types d’évaluations, soit a) les résumés et les réflexions ; b) les listes, les tableaux et les organisateurs graphiques ; c) les représentations visuelles de l’information ; et d) les activités collaboratives. Les 25 activités annoncées dans le titre se divisent selon ces quatre approches qui permettent d’utiliser des évaluations variées, qu’elles soient individuelles, en dyades, en équipe et en grands groupes. Elles sont de plus accompagnées d’une trentaine de fiches reproductibles. Elles incluent une introduction, une démarche et des applications précises, ainsi que des conseils de différenciation et d’intégration de la technologie. Ces outils offrent l’occasion aux élèves de se responsabiliser en vérifiant leur propre compréhension et permettent aux enseignants de leur offrir une rétroaction qui les aidera à améliorer leurs compétences.
Comme les tâches multiples des enseignants ne leur permettent pas toujours de consacrer tout le temps requis, soit quotidiennement, pour assurer une évaluation continue et véritablement individualisée, les activités proposées dans cet ouvrage leur permettront d’assurer un suivi régulier des données recueillies sur chacun de leurs élèves. Judith Dodge précise effectivement au sujet des activités d’évaluation formative différenciées, proposées dans son ouvrage, que « plusieurs sont rapides et faciles à mettre en œuvre sur une base quotidienne. Tout compte fait, le temps qu’elles soustraient aux leçons vaut bien l’information qu’elles vous permettent d’obtenir et les gains en apprentissage qu’elles offrent aux élèves. »
Chenelière Éducation
ISBN 978-2-7650-5465-8
Cet article pose une question fondamentale en ce qui concerne les évaluations à grande échelle (ou externes), soit, si elles ont pour but d’évaluer les compétences des élèves ou d’appuyer les pratiques d’évaluation des enseignants. L’auteur propose que ces évaluations doivent assurer une boucle de régulation basée sur le but, le contrôle, la rétroaction et l’action.
Avec l’avènement des nouveaux modes de gouvernance des systèmes éducatifs, l’évaluation des apprentissages des élèves n’est aujourd’hui plus uniquement l’affaire de l’enseignant dans sa classe (évaluation interne), elle est devenue également celle de la politique (évaluation externe). Les évaluations externes des acquis des élèves ne sont pas nouvelles dans le paysage éducatif, servant depuis longtemps à garantir une évaluation plus objective ou égale à des moments charnières du cursus des élèves. Mais aujourd’hui, on leur confère également, voire surtout, le devoir de « réguler » les pratiques des enseignants, sur le terrain.
La littérature scientifique1 montre que les épreuves externes ont des effets importants sur la vie éducative des établissements et sur la profession enseignante. Dans mes recherches2, j’ai notamment eu l’occasion d’interroger l’expérience d’une cinquantaine d’enseignants du primaire issus de différents contextes francophones (au Québec, en Ontario, en Suisse et en Belgique). Des politiques différentes ont été développées dans ces contextes, néanmoins les constats observés sont très semblables3.
Bien que l’évaluation externe ait un impact sur l’ensemble du métier des enseignants, mes recherches ont démontré qu’elle touche particulièrement leurs pratiques d’évaluation des apprentissages des élèves. Elles sont pour eux des indications opérationnelles sur les contenus à évaluer et sur la manière de les évaluer. Pourtant, s’ils souhaitent s’inspirer des contenus et des méthodes des épreuves, les enseignants ne mobilisent généralement que très peu les résultats produits pour faire leur autoévaluation. Aussi, les changements de pratiques opérés sont très souvent instrumentaux, surtout lorsque les résultats des évaluations ont des conséquences importantes pour les élèves, les écoles ou les enseignants. Ils servent alors à faire réussir les élèves aux tests et consistent donc en un enseignement en fonction des tests. Enfin, les tests ne sont pas toujours reconnus comme de bons exemples par les enseignants.
Même si j’ai pu constater les nombreux effets négatifs des évaluations externes dans différents contextes, je reste persuadé que ce genre de dispositif représente une formidable occasion de « faire dialoguer » la classe et le système. Elle peut servir, parmi d’autres moyens, à soutenir les pratiques évaluatives des enseignants. Néanmoins, certaines conditions doivent être réunies. Selon mes différents travaux, il parait nécessaire de travailler sur deux points : faire baisser la pression pour les acteurs de la vie éducative et optimiser les opportunités de formation. Dans cet article, je centre mon propos sur le second point4.
« Bien que l’évaluation externe ait un impact sur l’ensemble du métier des enseignants, mes recherches ont démontré qu’elle touche particulièrement leurs pratiques d’évaluation des apprentissages des élèves. »
Si l’on attend qu’elle soutienne les pratiques des enseignants, l’évaluation externe — comme toute évaluation ! – devrait assurer une « boucle de régulation » (but, contrôle, rétroaction, action) 5.
L’objectif de l’évaluation et les critères de réussite doivent être clairs. Les finalités de l’évaluation externe doivent être communiquées régulièrement aux différents acteurs (directions, enseignants, élèves, parents). J’ai pu constater que les finalités ne sont souvent pas claires pour les enseignants (Qui est évalué ? Pourquoi ?). Souvent, elles ne sont pas communiquées de manière explicite ou pas assez régulièrement. Pour une meilleure appropriation de l’outil, il est également nécessaire que les enseignants soient initiés au processus évaluatif (conception, passation, correction, traitement des données), voire y être impliqués.
L’évaluation doit permettre de constater l’atteinte ou non des objectifs (fournir une mesure fiable et valide). Comme exposé plus haut, les enseignants accordent souvent peu de valeur aux résultats produits à large échelle. Afin d’éviter cette situation, l’évaluation externe doit être exemplaire au niveau méthodologique et scientifique, en lien avec les théories de l’apprentissage, de l’enseignement et de l’évaluation. Elle doit être alignée avec les plans d’études et les moyens d’enseignement, mais aussi avec les pratiques du terrain. Aussi, les résultats devraient permettre aux enseignants d’observer l’évolution des performances de manière longitudinale (comparaison sur plusieurs années), pour éviter, par exemple, d’attribuer les résultats aux caractéristiques d’une seule cohorte d’élèves.
L’évaluation doit fournir de l’information afin de rendre compte de l’écart entre le but et la mesure initiale. Les enseignants devraient avoir accès aux différents résultats de leur classe, de manière détaillée. Une interprétation critériée (par rapport à des critères et non à une norme) et détaillée permet d’observer plus spécifiquement les réussites et les difficultés des élèves. Malheureusement, dans certains cas, les enseignants n’ont accès qu’à un résultat global (une note, un pourcentage de réussite) ou doivent eux-mêmes en faire le détail. Ils devraient être soutenus dans la compréhension et l’analyse des résultats des épreuves externes, par leurs pairs et par des experts (p. ex. des conseillers pédagogiques).
L’évaluation devrait aboutir à des actions afin de réduire l’écart entre le but et la mesure initiale ou afin de redéfinir le but à atteindre. Sur la base des résultats, des pistes didactiques doivent être fournies aux enseignants ou, idéalement, être élaborées avec eux. Ceci est rendu possible s’ils ont l’occasion de travailler en équipe, avec leurs pairs, mais aussi avec le soutien d’experts (p. ex. conseillers pédagogiques). Différentes formes de « modération sociale » sont possibles6. Toutefois, mes diverses expériences montrent qu’il est nécessaire que ces moments de formation soient menés de manière réflexive et professionnalisante pour les enseignants. Ils doivent engager les enseignants à développer leurs propres outils, et non les maintenir dans un état de dépendance ou leur imposer des pratiques. La mise en réseau des établissements est également une piste à poursuivre (au contraire de les mettre en concurrence). Enfin, il parait important que l’impact des dispositifs d’évaluation externe sur le terrain soit évalué régulièrement par leurs promoteurs. De telles procédures sont, à ma connaissance, très rares, voire inexistantes.
Finalement, si l’on souhaite créer, grâce à l’évaluation externe, un véritable « dialogue » entre la classe et le système, certaines questions importantes restent en suspens. Comment l’évaluation des apprentissages des élèves réalisée par les enseignants peut-elle, dans le sens inverse (dans l’idée d’un dialogue multilatéral), contribuer au pilotage du système ? Il me parait en effet primordial de reconnaitre et de faire confiance au jugement professionnel des enseignants. D’autre part, les évaluations à grande échelle pourront-elles contribuer à soutenir les enseignants dans les grands défis des prochaines décennies en matière d’évaluation : évaluation au service de l’apprentissage (assessment for learning), évaluation des compétences ? En définitive, j’ai traité dans cette contribution de l’impact de l’évaluation externe sur les enseignants. Toutefois, le bienfondé de ce genre de dispositif devrait aussi être remis en question en observant son impact sur le vécu et les apprentissages des élèves. En fin de compte, c’est bien leur réussite que tout le monde souhaite. Encore faut-il savoir quel type de réussite ?
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
1 Au, W. (2007). High-Stakes Testing and Curricular Control: A Qualitative Metasynthesis. Educational Researcher, 36(5), 258–267.
Mons, N. (2009). Effets théoriques et réels des politiques d’évaluation standardisée. Revue française de pédagogie, 16 (9), 99-140.
Rozenwajn, E., et Dumay, X. (2014). Les effets de l’évaluation externe sur les pratiques enseignantes : une revue de la littérature. Revue française de pédagogie, 189 (4), 105-138.
2 Yerly, G. (2014). Les effets de l’évaluation externe des acquis des élèves sur les pratiques des enseignants. Analyse du regard des enseignants du primaire. Thèse de doctorat en Sciences de l’éducation, Université de Fribourg, Fribourg.
Yerly, G. (2017 a). Évaluation des apprentissages en classe et évaluation à large échelle. Quel est l’impact des épreuves externes sur les pratiques évaluatives des enseignants ? Mesure et Évaluation en éducation, 40 (1), 33-60
Yerly, G. (2017 b). Les raisons du faible usage des résultats d’évaluation externe par les enseignants. Étude croisée dans trois contextes éducatifs. Contextes et Didactiques, 9, 60-71
3 Yerly, G., & Maroy, C. (2017). La gouvernance par les résultats est-elle un mode de régulation de l’école légitime aux yeux des enseignants ? Une enquête qualitative dans 4 systèmes scolaires. Revue française de pédagogie, 198, 93-108.
4 Pour ce qui est de faire baisser la pression, voir Yerly (2014).
5 Allal, L. (2007). Régulations des apprentissages : Orientations conceptuelles pour la recherche et la pratique en éducation. In L. Allal & L. Mottier Lopez (Eds.), Régulations des apprentissages en situation scolaire et en formation (pp. 7-23). Bruxelles : De Boeck.
6 Laveault, D. & Yerly, G. (2017). Modération statistique et modération sociale des résultats scolaires. Approches opposées ou complémentaires ? Mesure et évaluation en éducation, 40 (2), 91-123
Dans cet article, l’auteure partage ses multiples expériences comme enseignante dans divers pays en se concentrant particulièrement sur l’aspect de l’évaluation. Elle décrit des approches qui parfois se distinguent l’une de l’autre assez radicalement, mais qui ont le plus souvent des points communs. En se basant sur son parcours pédagogique comme élève et comme enseignante, elle offre des conseils qui ont pour but d’assurer le meilleur succès académique des élèves.
Je me souviens de ce moment d’attente après une évaluation et de cette question posée à l’enseignant concernant nos copies : « Madame est-ce que vous avez corrigé nos examens ? » Et de la déception sur nos visages lorsque ceux-ci n’avaient pas fait l’objet de l’évaluation tant attendue de tous. Cependant, le stress montait lorsque l’enseignant nous disait : « Oui, ils sont dans mon sac, je vous les donnerai à la fin du cours. » Le suspense restait complet. Avions-nous réussi ? La note allait-elle être à la hauteur de nos attentes ? Quelle allait-être la réaction de nos parents face à cette fameuse note ? Qui se souvient de ces enseignants qui plaçaient les copies par ordre croissant ? Si bien que plus l’attente était longue, plus la note était élevée. Ou encore des enseignants qui mettaient un point pour l’encre utilisée lors de l’écriture du travail pour ne pas mettre zéro. Il s’agissait bien entendu d’une boutade, d’un point totalement fictif et qui n’avait aucune valeur sinon celle de l’usure du crayon. Cette note, symbole de réussite pour certains et d’humiliation pour d’autres. Cette note tant redoutée, mais, en même temps, tant attendue. Alors, en 2019, la note fait encore débat. Doit-on noter nos élèves ? Que noter ? Quand noter ? Pourquoi noter ? Tant de questions qui restent en suspens. Alors des notes… Pour qui et pourquoi ?
Je suis le fruit d’une éducation à la française, un système dans lequel la note est le symbole de la réussite ou de l’échec. Il n’y a pas de seconde mesure ; tout est quantifié, évalué. Les élèves travaillent pour avoir des notes et l’enseignant se sent récompensé lorsque ses élèves réussissent. Un système de compétition se construit dans les salles de classe entre les élèves. Chacun veut « battre » la note de l’autre. Les enfants et les parents ont besoin de savoir ce qu’ils « valent ». D’ailleurs, lors des réunions parents/enseignants, il n’est pas rare que le parent demande que l’enseignant inscrive sur toutes les copies la note la plus haute, la note la plus basse et la moyenne du groupe dans le but de situer leur enfant dans une certaine moyenne et mesurer le niveau de la classe.
A contrario, certaines sociétés telles que le Québec ou la Finlande choisissent d’enlever ce système de notation qu’elles jugent trop compétitif. Les enfants progressent à leur rythme et se mesurent à eux-mêmes. Lors de la réforme de l’Éducation au Québec en 2001, puisque le ministère de l’Éducation du Québec n’avait alors donné que de grandes lignes de ce qui devait être évalué et n’avait pas publié de politique d’évaluation, les parents ont vu apparaitre dans plusieurs écoles un nouveau type de bulletin sur lequel étaient inscrites des émoticônes, sourire rouge, jaune ou vert, à la place de la fameuse note. Les parents avaient perdu tous leurs repères… Que voulaient dire ces couleurs. Il était important de lire la légende et là on pouvait lire : « en difficulté », « réussi bien », ou « réussi au-delà des attentes ». Certains parents ne voulaient même plus lire le bulletin et même les enseignants avaient beaucoup de mal à se retrouver dans ce nouveau système…
Cependant, quelle que soit la façon de noter, une des responsabilités de l’enseignant reste d’évaluer. Alors, si l’enfant est doué, la note devient un motivateur. Il cherchera toujours à obtenir le point qu’il lui manque et regardera attentivement sa copie pour voir où se trouvait sa fameuse erreur et il ne la refera pas deux fois.
L’évaluation fera toujours débat dans nos sociétés si semblables et si différentes, car la réussite c’est aussi une question de culture.
Cependant, la note rend certains enfants en état de stress intense. Le fait d’être noté réduit leurs performances. En Corée du Sud, les étudiants sont tellement stressés par leurs études qu’ils commettent parfois l’irréparable en se suicidant. Lorsque j’enseignais au Népal, je voyais des enfants ne plus dormir pour étudier et réussir à tout prix malgré les coupures d’électricité et le manque de ressources matérielles. Les notes des enfants représentaient des sacrifices financiers pour les parents. L’échec n’était donc pas une option. Certaines sociétés sont donc intransigeantes concernant la réussite.
Quand l’enfant échoue et qu’il voit sa copie barbouillée de rouge, la note devient le symbole de la démotivation. Au cours de ma carrière d’enseignante, j’ai souvent vu des enfants ne pas vouloir regarder leurs copies, car ils savaient pertinemment qu’ils avaient échoué. Alors, à quoi bon regarder chaque erreur une par une lorsqu’il y a en a des dizaines. L’échec est écrit dans le regard de ces enfants qui ne réussissent pas dans le système purement académique. Je me rappelle un élève de quatrième année qui échouait constamment à ses évaluations. Cependant, un jour, j’ai donné à ma classe le défi de fabriquer un instrument météorologique. Pour une fois, cet élève a réussi avec brio cet exercice qui n’était pourtant pas facile. Il avait enfin trouvé sa voie, il n’était peut-être pas doué pour les exercices purement académiques, mais il excellait dans les travaux manuels. Cette fierté dans son regard restera à jamais gravée dans ma mémoire. Et c’est à cet instant que j’ai réalisé que le métier d’enseignant n’était pas seulement d’évaluer, mais aussi, et surtout, de révéler les forces de nos élèves. Il est important de voir l’enfant de manière holistique. L’élève n’est pas seulement une note, mais une personne qui est forcément compétente.
Alors, comment trouver le juste milieu, lorsqu’on a vécu, comme moi, les deux extrêmes concernant la note ? En allemand, je voulais toujours avoir la meilleure note et nous étions deux dans la classe à se battre pour l’obtenir. Cela devenait un jeu. Cependant, mes résultats en mathématiques laissaient à désirer et, cette fois, ce même jeu se transformait à celui qui aurait la note la plus basse. Nous nous tirions vers le bas et cela nous faisait rire. Cette note redoutée devenait une blague, elle n’avait plus aucune importance à mes yeux ni à ceux de mes camarades, d’ailleurs… Alors, vous me direz, que faire ?
Certaines sociétés choisissent le contrôle continu comme mode d’évaluation. Il s’agit de mesurer l’évolution des apprentissages en tenant compte de tous les travaux réalisés sans vraiment faire de contrôle sommatif. Ce système convient particulièrement aux élèves toujours présents et dont l’évaluation sommative amène des contreperformances.
Lorsque j’enseignais en maternelle, j’avais la liberté d’évaluer les apprentissages de mes élèves en construisant un bulletin personnalisé. Les enfants prenaient en charge leur évaluation et les défis qu’ils avaient à relever. Cela permettait de motiver les élèves et de les rendre responsables de leurs apprentissages. L’autonomie était développée et ils prenaient conscience de leurs forces et de leurs lacunes sans pour autant être découragés. Ils avaient compris que chacun était différent et que chacun devait avancer à son propre rythme. En ce qui me concerne, je préfère que l’enfant soit présent lors des rencontres avec les parents au sujet du bulletin, car on parle alors de lui et il doit être au courant de ce que l’on dit de lui. Ainsi, il peut poser des questions au même titre que le parent. Il devient un membre actif de ses apprentissages et de son évaluation.
Le portfolio, qu’il soit en version papier ou électronique, est un bon moyen de voir l’évolution des apprentissages des élèves, car il brosse le portrait de l’enfant en colligeant des travaux signifiants. Cette méthode est très pratique et permet à l’enfant de s’exprimer au sujet de ses apprentissages. Il est intéressant d’inviter les parents à regarder le portfolio avec son enfant pour qu’il l’écoute et lui pose des questions. Le parent n’étant pas en classe, il ne peut pas tout comprendre et l’enfant devient un expert face à ses parents.
Pour conclure, je dois admettre que je n’ai pas vraiment de réponse à ma question de départ : des notes pour qui, pour quoi ? Cependant, il est important de tenir compte de l’enfant que l’on a devant soi en créant un bulletin individualisé représentant le fruit d’autoévaluations, de portfolios et de discussions. Il faut surtout arrêter de comparer l’incomparable ; la différenciation se fait aussi en évaluation.
Au fond, quoi que nous fassions, nous passons notre temps à être évalués non seulement dans la salle de classe, mais à l’extérieur. Que voulons-nous pour nos enfants ? Chacun a un désir de réussite. Cependant, la réussite n’aura pas le même sens pour tout le monde. Finalement, je ne pense pas qu’il y ait une solution unique lorsqu’on considère l’évaluation en général, car, en ce qui me concerne, cela dépend des enfants que nous avons devant nous et de la société dans laquelle nous vivons. L’évaluation fera toujours débat dans nos sociétés si semblables et si différentes, car la réussite c’est aussi une question de culture. Chaque pays établit ses propres règles et ce qui est applicable en Finlande, ne le sera pas forcément en France ou au Canada. Je pense que la solution réside dans le fait de reconnaitre ce que nous sommes et ce que nous désirons en tant que société. Cherchons nos valeurs dans le but de savoir ce que nous devons ou non évaluer et noter. Cherchons ensemble à quoi ressemblera notre société de demain et peut-être aurons-nous la solution face à l’évaluation.
Collage : Natacha Roudix
Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
Cet article invite les enseignants à réfléchir sur de nombreux aspects qui influencent leurs pratiques d’évaluation. On y revoit les véritables objectifs de l’acte pédagogique d’évaluer ainsi que la valeur et la fiabilité des notes. Les auteurs offrent en réponse une marche à suivre efficace en ce qui concerne une pratique d’évaluation juste, motivante et représentative des compétences des élèves.
Qui ne se souvient pas d’avoir été accueilli à la maison avec cette question : « Et puis, cet examen, combien as-tu eu ? » On se rappellera le sourire d’un parent devant une note de 100 %. À l’inverse, on préfèrera oublier la réaction de l’autre à un 44 % ! Quelles prennent la forme d’un pourcentage de 0 à 100 comme dans le système scolaire québécois, d’un résultat de 0 à 20 ou de 1 à 5, les notes ont depuis longtemps fait la navette entre l’école et la maison, au bonheur ou au malheur des enfants et… de leurs parents.
« Élément de discours par lequel on communique, en le condensant, le résultat d’un jugement appréciatif1 », la note peut aussi bien figurer dans le haut d’un examen que vis-à-vis du libellé « mathématique » sur le bulletin. Dans un cas comme dans l’autre, on souhaite qu’elle témoigne le plus justement de l’apprentissage qui a eu lieu chez l’élève. C’est pourquoi, comme nous le rappellent les docimologues, il vaut mieux « évaluer […] le rendement de l’élève, sans tenir compte de ses comportements (effort, participation, respect des règles de classe, etc.)2. »
À la façon d’un feu de circulation, les notes signalent dans le courant de l’année scolaire si l’élève peut avancer vers les apprentissages suivants ou s’il doit s’arrêter un instant pour remédier aux notions mal assimilées. Si un résultat de 80 % à un examen n’a pas à inquiéter l’enseignant, il lui faut en revanche réagir vivement dès qu’un élève se trouve en difficulté : reprendre les explications de départ, jumeler l’élève avec un pair aidant, lui offrir un exercice additionnel, etc. En fin d’année scolaire, les notes sont dédiées à d’autres fonctions : passage ou non à l’année supérieure, diplomation ou non, etc.
L’importance qu’on leur accorde aussi bien à l’école que dans les familles rend légitime la question de leur fiabilité. Les notes sont-elles fiables ? La réponse à cette question en décevra plus d’un : des études docimologiques déjà anciennes ont démontré que « la notation de copies n’est jamais stable ni constante […] et que de nombreux facteurs, souvent connus sous le terme de “critères parasites de la fidélité”, y contribuent3 ».
Pour s’en convaincre, imaginons Nina, une élève de 5e année, qui obtient une note de 77 % à une épreuve d’écriture corrigée par Mme Victoire, son enseignante. Aurait-elle eu le même résultat si Mme Christine, l’enseignante de la classe voisine, avait été responsable de la correction ? Si sa composition n’avait pas été précédée d’une copie exceptionnelle dans la pile de correction ? Et le questionnement va bien au-delà. Si Nina avait passé l’épreuve un lundi matin plutôt qu’un vendredi après-midi ? Si Mme Victoire avait choisi un autre thème que « mon animal préféré » pour faire écrire les élèves ? Dans chacun des cas de figure, il est probable que la note de Nina aurait fluctué à la hausse ou… à la baisse.
Avec le manque avoué de fiabilité de la notation, que faire des notes ? Les remplacer par des émoticônes (smileys) (J), lettres (A+) ou couleurs (Vert : c’est réussi !) ? Dans les systèmes d’éducation où les notes sont encore les « points de repère commodes4 » prescrits par les autorités pour renseigner sur les apprentissages des élèves, la solution réside plutôt dans une série d’actions que l’enseignant peut mettre en place pour améliorer la qualité de la notation. En voici parmi les plus fécondes qui peuvent d’ailleurs s’appliquer aux autres façons « alternatives » de noter, énoncées précédemment :
Pour conclure au sujet des notes des élèves, voici peut-être le plus profitable des conseils à partager : il faut que l’enseignant se fasse confiance au moment de noter. N’est-il pas le mieux placé pour témoigner des apprentissages de l’élève ? Poser la question, c’est y répondre !
Illustration : Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
1 Hadji, C. (2014). L’évaluation est-elle condamnée à être une calamité sociale ? Dans P. Maubant, D. Groux et L. Roger (dir.), Cultures de l’évaluation et dérives évaluatives (p. 181-209). Paris, France : L’Harmattan, p. 203.
2 O’Connor, K. (2012). 15 solutions pour améliorer nos pratiques évaluatives (M. Ouellet et I. Dommange, Trad.). Saint-Laurent, Canada : ERPI, p. 10.
3 Tagliante, C. (2005). L’évaluation et le Cadre européen commun. Paris, France : CLE international, p. 12.
4 Hadji, C. (2015). L’évaluation à l’école pour la réussite de tous les élèves. Paris, France : Nathan, p. 27.
Cet article propose une approche pédagogique s’éloignant des pratiques d’enseignements et d’évaluations traditionnelles en classe de langue. L’auteure présente en effet ce qu’elle nomme des projets passions, c’est-à-dire des projets créés et élaborés par les élèves à partir de champs d’intérêt dans le but de développer les compétences du 21e siècle. Elle y présente une approche renouvelée d’accompagnement et d’évaluation individuelle et coopérative des projets des élèves.
On dit souvent qu’il faut repenser l’évaluation et l’école. Effectivement, je crois que l’une est conditionnelle à l’autre. Même mes élèves sont d’accord pour dire que les examens ont des limites. La plupart du temps, ils ne permettent pas de voir si l’élève a réellement appris ce qu’il devait apprendre, mais servent plutôt à mesurer sa capacité à mémoriser le contenu pour une durée déterminée. Je crois que la plupart des enseignants s’entendent pour dire qu’on ne peut évaluer aussi formellement toutes les matières ou divers projets de la même façon. Cependant, la plupart s’entendent aussi pour dire qu’il n’est pas si facile de faire autrement. Devons-nous complètement éliminer les examens pour faire place à une évaluation centrée sur l’élève et sur son cheminement individuel? Je propose ici une option que j’applique en ce moment dans mes cours de langue seconde dans le but de mieux préparer mes élèves à faire face au monde du travail.
Depuis l’an dernier, les projets passions, c’est-à-dire des projets créés et élaborés par les élèves à partir de champs d’intérêt dans le but de développer les compétences du 21e siècle et de travailler avec la communauté, font partie de mes cours de langues. D’ailleurs, cette année, ils en sont le point central, s’ils ne composent pas, en fait, la totalité du cours. J’agis en tant que guide; mon rôle est de soutenir et d’accompagner mes élèves du secondaire dans leur quête de sujets à explorer, dans leur progrès langagier et dans le développement de ces compétences dites du 21e siècle. L’apprentissage dépasse largement les murs de l’école et il y a pour les élèves tout autant d’options à explorer que de moyens de démontrer ce qu’ils ont appris. Selon ce modèle d’apprentissage, il m’est impossible d’évaluer tous les élèves de la même façon et également impossible d’être une experte dans ne serait-ce que la moitié des projets qu’ils ont initiés. Si l’on considère que certains élaborent un journal étudiant portant sur toutes les fêtes et occasions spéciales à notre école alors que d’autres créent des sites Web et des jeux vidéos, il est évident que mes stratégies d’évaluation doivent refléter individuellement ce que les élèves ont projeté dans chacun de leur projet. Mon rôle comme enseignante est avant tout d’aider les élèves à s’améliorer en langue anglaise en leur offrant un bain culturel et langagier. Ils doivent aussi avoir l’occasion d’explorer les sujets qui les passionnent et de développer des habiletés indispensables, peu importe le métier qu’ils choisiront.
Mais comment évaluer équitablement mes élèves et suivre chacun d’eux dans leurs progrès individuels alors qu’ils travaillent sur des projets différents? C’est en vérité bien difficile et certains jours, cela me semble impossible. Tout enseignant doit avoir un excellent sens de l’organisation afin de jongler avec les dates de remises, l’assurance de la remise des travaux de chacun des élèves, une certaine assiduité dans le retour des travaux corrigés, en plus de s’adapter à corriger toutes sortes de travaux différents. Je ne planifie pas réellement les évaluations. Les élèves choisissent ce qu’ils vont présenter et la manière dont ils vont le faire. Je dois suivre ce qu’ils font (ce qui est déjà un très grand défi!) ainsi que m’assurer qu’ils se fixent des objectifs et qu’ils utilisent des outils efficaces pour continuer de s’améliorer en faisant bon usage de la langue.
Il est important de considérer qu’on traite ici seulement de l’évaluation des apprentissages. Travailler ainsi requiert tout un processus de désapprentissage et de mise en pratique avant que la classe soit fonctionnelle et encore, elle ne ressemble en rien à un cours traditionnel. La très grande majorité des élèves ont l’habitude d’entendre leurs enseignants leur imposer quoi faire et comment le faire. Afin de leur apprendre à penser indépendamment et de les inviter à exploiter leur créativité, et non pas seulement produire machinalement des travaux dont la seule motivation est qu’ils doivent être remis à l’enseignant, il est nécessaire de prendre tout le temps qu’il faut pour s’entretenir avec chacun des élèves afin de les aider à préciser quel est leur principal objectif. Une fois que nous avons ensemble clairement établi cet objectif, les compétences et habiletés à développer, la planification du projet ainsi que sa présentation finale deviennent plus évidentes pour l’élève et son enseignante. Et tout au long de l’année scolaire, ce processus doit se répéter pour chaque nouvel apprentissage en s’assurant que de nouvelles approches seront explorées par les élèves afin qu’ils puissent appliquer de la créativité dans leur résolution de problème.
Bien qu’il soit important pour les enseignants d’accorder tout le temps nécessaire avec leurs élèves pour la planification de leurs divers projets d’apprentissage et pour établir clairement tous les critères requis pour la réussite de chaque élève, il me semble évident qu’une approche individualisée, quoiqu’exigeant parfois des efforts herculéens, est le seul moyen de vraiment appuyer nos élèves dans le développement des compétences requises afin qu’ils puissent bien s’adapter aux réalités changeantes du marché du travail qui les attend. À long terme, leur meilleure connaissance de soi, leur capacité à penser indépendamment, le développement de leur esprit critique et de bonnes capacités de résolution de problèmes, leur apprentissage par l’erreur, leur persévérance et leurs habilités communicatives s’amplifieront afin de permettre à ces futurs citoyens d’accomplir efficacement et en collaboration des projets d’envergure.
À ceux et celles qui souhaiteraient adopter cette approche dans leur cours, il faut comprendre que cela requière de la patience, l’engagement nécessaire afin d’être prêt à offrir autant d’efforts que vos élèves, et des révisions quotidiennes afin de mieux aider vos élèves à bien s’adapter à une telle approche pédagogique. Il faut se rappeler que la seule façon pour que cela échoue réellement est d’arrêter d’essayer. Soyez honnête avec les élèves ; dites-leur que vous aussi, vous êtes également en apprentissage. Affirmez-leur que c’est pour eux que vous adoptez cette nouvelle approche parce que le statuquo pédagogique ne leur permettra plus de vraiment être bien prêts à faire face aux exigences d’un monde changeant et d’un avenir incertain.
Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
L’auteur de cet article présente en détail une approche ainsi que divers scénarios qu’un enseignant d’éducation physique pourrait utiliser afin de respecter des pratiques d’évaluation qui valorisent les compétences et les projets personnels des élèves.
« Quand on ne sait pas où l’on va, tous les chemins mènent à nulle part ». Cette pensée de Henry Kissinger, diplomate, politologue et scientifique, montre bien toute l’importance d’être guidé pour être sûr de prendre une direction identifiée. Si l’on resitue ce point de vue dans le contexte de l’enseignement, le retour des enseignants sur la pratique de leurs élèves apparait comme essentiel pour que ces derniers prennent le chemin qui les mène vers leur réussite.
Cependant, l’enseignant pourra proposer une rétroaction à ses élèves qu’à partir du moment où il aura observé et évalué leur prestation. Il apparait alors la question relative au « quoi évaluer ». Selon nous, ce sont les compétences des élèves qui devraient faire l’objet d’évaluation de la part des enseignants. Les compétences sont appréhendées par Perrenoud1 comme « une capacité d’action efficace face à une famille de situations, qu’on arrive à maitriser parce qu’on dispose à la fois des connaissances nécessaires et de la capacité de les mobiliser à bon escient, en temps opportun, pour identifier et résoudre de vrais problèmes ». Pour aller plus loin, il affirme qu’il s’agit de « faire face à une situation complexe, de construire une réponse adaptée sans la puiser dans un répertoire de réponses préprogrammées1 ». Pour faire suite à ce point de vue, on s’aperçoit effectivement qu’en développant des compétences, les élèves sont mieux en mesure de s’adapter à une situation complexe, alors que le simple fait d’avoir simplement acquis des savoirs serait insuffisant pour répondre à divers problèmes rencontrés.
Cette capacité d’adaptation que doivent acquérir les élèves semble essentielle pour leur vie professionnelle et personnelle future. En effet, au niveau professionnel, M’Barek2 met en évidence l’importance de cette capacité en affirmant que « l’organisation de l’ère des compétences cherche à donner à l’acteur toute sa capacité d’agir sans retard et au bon moment aux différentes situations rencontrées dans le contexte du travail. C’est un nouveau paradigme qui s’invente aujourd’hui comme déjà le phénomène de la qualité, basé sur la réactivité du moment, l’adaptabilité à toute éventualité et le dépassement de la gestion selon le poste du travail à une gestion dynamique des compétences ». En ce qui concerne le niveau personnel de l’apprenant, Howatt3 fait le lien entre la capacité d’adaptation et la santé. Il précise que « les personnes ayant de faibles capacités d’adaptation courent plus de risques de souffrir de problèmes de santé mentale et de maladies mentales de celles qui en ont des bonnes. Des capacités d’adaptation insuffisantes inhibent l’aptitude à résoudre les problèmes et à prendre des décisions saines et efficaces. » Ces raisons renforcent notre idée selon laquelle il est judicieux que les enseignants évaluent une variété de compétences chez leurs élèves.
D’ailleurs, en France, les plus récents programmes au niveau du collège4 encouragent définitivement l’utilisation de l’évaluation par compétence. En effet, ceux-ci mettent en lumière pour tous les enseignants quelles compétences doivent être développées. Par exemple, au cycle 3 du collège, les enseignants de français doivent permettre à leurs élèves de « comprendre et s’exprimer à l’oral ». En Éducation physique et sportive (EPS), les enseignants sont responsables de faire valider la compétence qui vise à « développer sa motricité et construire un langage du corps » ou celle qui incite à « partager des règles, [à] assumer des rôles et des responsabilités ». Une question émerge alors : Comment les enseignants peuvent-ils évaluer les compétences des élèves, tout en respectant les caractéristiques de ces dernières ?
Afin de concevoir une évaluation qui soit en cohérence avec la logique de compétence, il nous semble essentiel de nous interroger sur les écueils à éviter. Selon nous, l’évaluation des compétences serait dénuée de sens si celles-ci sont observées dans une « situation fermée » pour deux raisons.
Premièrement, nous pensons que si la compétence est exclue du contexte dans lequel elle est susceptible d’apparaitre, l’élève est alors potentiellement en mesure de valider cette compétence, mais cela ne témoigne en rien de sa capacité de l’utiliser en situation réelle. Plus concrètement, en EPS, si l’enseignant, en badminton, place ses élèves dans une situation de partenariat avec un adversaire de même niveau pour évaluer la compétence d’« être capable de varier le placement du volant », alors il manquerait selon nous les deux aspects de la situation réelle suivants, soit « l’adversité » et « l’enjeu » qui contribuent à l’objectif de gagner le match. Lorsque présente, l’adversité peut être porteuse d’émotions, mais si elle est absente, il est alors possible que le stress engendré par l’enjeu, soit de gagner le match, empêche l’élève d’exprimer sa compétence.
Deuxièmement, nous émettons l’hypothèse selon laquelle si l’évaluation de la compétence s’effectue dans le même contexte dans lequel elle a été apprise (même environnement, même horaire, même adversaire), alors les élèves développent des repères liés à ce contexte, ce qui « facilite » alors la validation de la compétence démontrée.
De ce fait, nous suggérons, pour évaluer les compétences des élèves, de les placer dans un contexte d’évaluation réellement différent de celui de l’apprentissage tout en préservant toutefois la complexité de la situation à laquelle l’enseignant confronte l’élève. Plus concrètement en EPS, l’enseignant, au moment d’évaluer ses élèves, pourrait tout d’abord, les convoquer à un horaire différent ; si la leçon d’EPS se déroulait habituellement entre 15 h 30 et 17 h 30, l’évaluation pourrait être réalisée le matin suivant entre 10 h 10 et 11 h 55 par exemple. De plus, il serait intéressant d’évaluer les élèves dans un autre gymnase que celui de l’établissement dans lequel ont été apprises les compétences. Enfin, l’enseignant d’EPS pourrait confronter ses élèves à des élèves d’un autre établissement de même niveau scolaire contre qui ils ne se sont encore jamais confrontés. En réunissant toutes ces conditions d’évaluation, l’enseignant d’EPS efface les repères « de surface » de ses élèves qui sont contraints alors, de s’appuyer uniquement sur leurs compétences pour réussir. C’est en ce sens-là que nous pensons que la proposition que nous faisons pour évaluer les élèves serait davantage révélatrice d’une réelle évaluation des compétences de ces derniers.
Cependant, la contrainte d’emploi du temps permet très difficilement la mise en œuvre de cette proposition. Il s’avère complexe de modifier l’emploi du temps de deux établissements scolaires pour réaliser ce type d’évaluation. Tout d’abord, il serait nécessaire d’intervertir des leçons entre deux disciplines d’enseignement au sein d’un même établissement. Ensuite, il faudrait que le gymnase de l’autre établissement soit disponible. Enfin, il serait nécessaire qu’une classe d’un même niveau scolaire dans cet établissement doive elle aussi avoir vécu un type d’apprentissage similaire.
Malgré ces difficultés, nous pouvons tout de même apporter certaines solutions pour effectuer une évaluation par compétence, sans que celle-ci soit dénuée de sens. Nous allons encore une fois nous appuyer sur l’EPS pour illustrer nos propos et nous envisagerons des solutions relativement à son enseignement au niveau de l’équipe pédagogique EPS.
Les enseignants de l’équipe pédagogique EPS peuvent intégrer une évaluation commune au sein de leur projet pédagogique disciplinaire. En effet, il serait intéressant de prévoir, dans la programmation EPS, que les enseignants proposent les mêmes Activités physiques, sportives et artistiques (APSA) pour un niveau de classe au cours d’un trimestre.
Le niveau de la 6e année nous parait être le plus intéressant parce que les élèves pratiquent généralement deux différentes APSA hebdomadairement par trimestre, sauf dans le cas d’une organisation particulière au sein de l’établissement. Les enseignants pourraient éventuellement enseigner parallèlement des APSA relevant du deuxième et du quatrième « champ d’apprentissage » issus des programmes au niveau du collège, soit respectivement, « s’exprimer devant les autres par une prestation artistique et/ou acrobatique » avec des APSA comme la gymnastique, la danse ou l’acrosport par exemple, et « conduire et maitriser un affrontement collectif ou interindividuel », avec des activités telles que la lutte, le badminton ou le basketball, entre autres. Selon nous, le fait que les élèves réalisent un enchainement d’exercices de gymnastique devant des élèves différents de ceux de leur classe amène une « pression » supplémentaire, qui peut être dépassée si les élèves maitrisent bien leur enchainement en démontrant les compétences qu’ils ont développées au cours de leur séquence d’enseignement.
De la même façon, lorsque les élèves en lutte ou en badminton vont se confronter à des adversaires qu’ils n’ont jamais rencontrés, les enseignants d’EPS contraignent les élèves à s’adapter à de nouveaux comportements de la part de ces adversaires. Concrètement, les enseignants d’EPS pourraient fixer une demi-journée dans l’emploi du temps des élèves, pour les évaluer en EPS. Ainsi, lors de cette évaluation en fin de séquence, c’est en plaçant les élèves dans ce nouveau contexte que les enseignants d’EPS présentent réellement à leurs élèves une situation d’adaptation, selon la définition de compétence.
Toutefois, un aménagement horaire de cet ordre, même ponctuel, n’est pas toujours envisageable au sein de l’établissement. Il sera alors question de trouver des solutions pour que l’évaluation par compétences réalisée par l’enseignant d’EPS au sein de sa classe puisse néanmoins respecter les caractéristiques d’une compétence. Pour cela, rappelons-le, il apparait nécessaire que l’évaluation des compétences des élèves soit effectuée dans des situations complexes où toutes les contraintes de la situation d’évaluation sont préservées, ce qui nécessite alors, une grande adaptation de la part des élèves. Alors, lors d’un cycle de demi-fond (course de moyenne distance) pour une classe de 6e, nous faisons la proposition d’accompagner les élèves tout au long de la séquence en leur permettant de s’autoévaluer au regard des compétences demandées par l’enseignant d’EPS en leur donnant des repères concrets et faciles à manipuler.
Concrètement, l’enseignant d’EPS propose à ses élèves de courir, en groupe, la distance d’un marathon, équivalente donc à 42,195 kilomètres, ou une autre distance type ultrasentier (course à pied en milieu naturel, soit forêt, plaine ou montagne sur très longue distance), qu’il définit préférablement avec ses élèves. Dès le début de ce travail, il choisit le nombre d’élèves dans le groupe, le temps de course et le nombre de séances, en fonction du niveau de pratique et du niveau de classe de ses élèves. Lors des leçons d’EPS, chaque élève du groupe inscrit dans un tableau récapitulatif « leur nombre d’arrêts » et « le temps au tour » réalisés. Le nombre d’arrêts est le critère utilisé pour témoigner de la compétence des élèves à « courir de manière continue » ; quant au critère relatif au temps au tour, il permet aux élèves de juger de leur capacité à « courir à allure régulière ». La relève de ces informations est possible par des élèves observateurs qui regardent leurs pairs et prennent des notes basées sur ces deux critères durant leur course.
Cette organisation de la séquence permet aux élèves d’évaluer de manière systématique leurs compétences. Si les élèves observateurs ne notent pas d’arrêts pendant la course, alors cela signifie que les coureurs sont capables de courir en continu et s’ils mettent le même temps pour réaliser chacun de leur tour, alors cela veut dire qu’ils sont capables de courir à vitesse régulière. Toutefois, les élèves devront tout de même exprimer leurs compétences lors de l’évaluation de fin de séquence.
L’enseignant d’EPS a le souci de « modifier » les repères de ses élèves de sorte qu’ils s’adaptent, afin de respecter le principe de compétence, aux contraintes prévues par la situation d’évaluation et qu’ils démontrent les compétences qu’ils ont acquises au cours de la séquence d’apprentissage. Pour cela, il peut, par exemple, amener sa classe courir sur une autre installation, ou si cette option est impossible, rester sur l’installation initiale, mais demander aux élèves de courir dans le sens inverse de celui qu’ils ont l’habitude de courir. Ainsi, avec une telle organisation pendant et en fin de séquence, l’enseignant d’EPS confronte ses élèves à une situation qui se rapproche le plus possible d’une situation complexe, car celle-ci est globale, c’est-à-dire, que la seule contrainte qui est imposée aux élèves est de courir en respectant le temps imparti. Toutefois, même si cette proposition tente de respecter le principe de compétence, nous pensons qu’évaluer les compétences dans le même contexte que celui de l’apprentissage de celles-ci limite la pertinence de leur évaluation.
En conclusion, nous pouvons dire que placer les compétences et leur évaluation au cœur des préoccupations des enseignants nous semble être essentiel afin que les élèves sachent ce qu’ils sont capables de réaliser ; cela leur permettra de bénéficier d’une meilleure connaissance d’eux-mêmes, ce qui est nécessaire, voire indispensable, afin de construire leur identité.
Cependant, il appert que les compétences acquises n’ont réellement de sens pour les élèves que si elles permettent de répondre à un projet, qui de plus, leur est personnel. Les élèves doivent pouvoir reconnaitre une utilité à leurs compétences, puisqu’elles seront mises au service de l’évolution de leur projet. Ainsi, les enseignants ne pourraient-ils pas mettre leurs propres compétences « au service » des interrogations et des aspirations des élèves dans le cadre de projets proposés par les élèves ou, à défaut, suggérés par les enseignants responsables de les accompagner, de les aider, mais aussi de les guider dans leur cheminement personnel ? Nous souhaitons émettre l’idée de créer une école qui permettrait aux élèves de choisir les compétences à développer par le biais de projets où les disciplines seraient éclatées. Les enseignants seraient ainsi considérés comme des personnes-ressources favorisant l’évolution cumulative des projets de leurs élèves. Dans un tel contexte, nous pouvons nous interroger sur la pertinence d’évaluer des compétences, qui seraient, finalement, validées automatiquement dès lors où le projet de l’élève évolue.
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
1 Perrenoud, P. (1997). Construire des compétences dès l’école. Pratiques et enjeux pédagogiques. Paris : ESF éditeur.
2 M’barek, E. le développement des compétences et la mobilité professionnelle. Une, 32(138), 170.
3 Howatt, W. (2017). Développement des capacités d’adaptation et de la résilience des employés : Une bonne affaire pour les organisations.
4 Programmes d’enseignement du collège, BO spécial n° 11 du 26 novembre 2015
« Les formations et les carrières se dessinent à partir de bilans individuels de compétences, de l’évaluation des potentiels personnels1. »
Cet extrait d’un article portant sur la citoyenneté et les malaises ouvriers en France lors des élections présidentielles françaises de 2002 est pour le moins prophétique lorsqu’on le considère dans le contexte des pratiques exemplaires en évaluation instruites par les compétences citoyennes idéales requises au 21e siècle. Bien que subsistent encore dans certaines classes des approches évaluatives pénalisantes basées sur la mémorisation de connaissances, il est heureusement admis que les stratégies d’évaluation équitables, motivantes et différenciées d’aujourd’hui reposent sur une étroite collaboration entre les enseignants et chacun de leurs élèves. De nos jours, les élèves se doivent d’être effectivement responsabilisés en ce qui concerne leur propre évaluation au point d’être même impliqués dans la planification, la reconnaissance, la compréhension et l’anticipation de la démonstration requise de leurs compétences et de leurs habiletés, et cela bien sûr de concert avec leurs enseignants.
C’est du moins ce que prônent dans ces pages les généreux témoins et spécialistes d’une évaluation dont l’objectif est, sans la moindre équivoque, de mesurer l’apprentissage des apprenants afin de mieux pouvoir les guider à l’aide d’une approche qui mènera au meilleur développement possible des compétences de chacun de leurs élèves, et cela que ce soit au cœur d’une salle de classe ou dans le contexte d’évaluations à grande échelle. Et à ce sujet, je vous invite à consulter, entre autres, l’article de Monique Lachance, intitulé Pour une réévaluation de l’évaluation, publié sur le site du Réseau ÉdCan. Cet article résume de nombreuses perles pédagogiques que vous retrouverez dans ces pages, reflétant toutes une réflexion approfondie sur la nécessité de revoir complètement comment les pratiques d’évaluation doivent inévitablement évoluer.
Ce que vous retirerez de la lecture de tous ces articles, c’est que l’évaluation ne constitue pas une fin en soi. L’élève n’apprend pas pour être évalué, mais il est évalué pour mieux apprendre. Le geste pédagogique d’évaluer requiert donc aujourd’hui autant d’apprentissages et de compétences de la part des pédagogues que de celle des élèves !
Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
1 Danielle Linhart, « Travail en miettes, citoyens déboussolés », Le Monde diplomatique, juin (2002) : 4 et 5.
Cet article offre une réflexion profonde sur le rôle renouvelé de l’évaluation de chaque élève. Selon les auteurs, les pratiques exemplaires mettent l’accent sur les aspects qualitatifs, différenciés, collaboratifs et ils encouragent une conscientisation quotidienne de la part des enseignants et de leurs élèves en ce qui concerne leur apprentissage personnalisé menant à un succès académique significatif.
C’est dans un esprit de mentalité de croissance que doivent être abordées toutes les questions relatives à l’évaluation. La notion même du mot réussite doit être redéfinie dans une perspective plus large et davantage axée sur la progression globale de l’enfant en considérant chaque individu dans son développement global. Cette conception fait appel à une autre compréhension de la dynamique d’apprentissage. D’ailleurs, les limites de l’évaluation sont bien présentes et connues.
Puisque les attentes envers l’école comme institution sociale sont en transformation, comment pouvons-nous ajuster nos pratiques et les rendre plus cohérentes ?
L’évaluation réfère évidemment à plusieurs conceptions, fort différentes les unes des autres, en fonction de l’expérience de chacun, mais est également solidement reliée à la conception du rôle de l’enseignant. L’évaluation normalisée ou sommative a encore une place importante à certains moments spécifiques du cheminement scolaire individuel des élèves puisqu’elle permet d’établir des standards d’apprentissage en fonction des programmes d’études. Elle donne des renseignements en lien avec les finalités des programmes scolaires. Toutefois, le fait d’utiliser les évaluations pour sanctionner ou classer les élèves en cours de cycle d’apprentissage devient de plus en plus aberrant. De plus en plus souvent, de nombreux enseignants reconnaissent une incohérence entre le mode d’évaluation actuel et l’apprentissage des élèves. La notion de différenciation, de rythme et de sens fait plus que jamais partie des discours pédagogiques. Mais puisque nous observons des changements marqués dans la façon dont l’enseignant perçoit son rôle et l’actualise pour favoriser les apprentissages de tous, quel impact cela doit-il avoir sur l’évaluation ?
Plusieurs croyances sont associées aux pratiques évaluatives et, au fil des ans, l’évaluation était devenue une étape qui servait à « boucler la boucle » d’une période d’apprentissage. Mais quel en était son sens ? Nous notons actuellement une mutation de l’évaluation au sein des équipes de nos organisations. Plus que jamais, le rôle de l’enseignant se transforme. L’enseignement différencié et explicite, par lequel l’enseignant modélise et guide par étayage, invite à une transformation de la posture de l’enseignant qui guide et accompagne l’apprentissage des élèves au fur et à mesure que sa compréhension des contenus se précise. Lorsqu’il est dans cette posture, l’enseignant se rapproche du progrès de chacun de ses élèves en lien avec l’apprentissage, et sa lunette change. Il considère ainsi mieux comment les changements s’opèrent et comment évolue le niveau d’apprentissage de chacun.
Lorsque la réflexion émerge de discussions concernant l’évaluation entre les membres d’une équipe pédagogique, on remarque que l’enseignant tend à adopter une posture d’observateur et d’analyste du progrès de l’élève plutôt que juge d’une performance. Il observe donc les changements qui s’opèrent, au fur et à mesure, chez les élèves. En se rapprochant d’eux, il peut donc suivre leur développement de manière plus fine et ainsi percevoir les limites, mais aussi l’étendue de leur compréhension. L’évaluation est donc, de plus en plus, en symbiose avec l’enseignement et sert de moteur à l’apprentissage. Elle fait partie de l’apprentissage et devient un outil qui le sert.
Ce type de changement incite à une remise en question des pratiques d’évaluation qui sont issues des anciens modèles d’enseignement en classe.
Ainsi, la finalité de l’évaluation est remise en question par plusieurs enseignants qui eux seuls connaissent bien les progrès, les limites et les défis de chacun de leurs élèves. Parallèlement, on voit le développement d’une culture de données au sein de nos écoles.
Nous assistons donc à un passage de l’évaluation « en bout de ligne », à une évaluation continue du progrès des élèves. Le sens de l’évaluation se précise également. Dans un esprit de mentalité de croissance, le résultat des observations et des microdonnées sert à dépister les besoins spécifiques de chaque enfant et à mettre en place les conditions de son progrès à venir. L’évaluation tend à devenir un outil au service de l’apprentissage. Il sert à planifier l’intervention, à prioriser les actions à venir, à encourager le travail d’intervention en équipe pour mieux cibler les meilleures stratégies à mettre en place afin d’assurer un progrès continu des enfants.
Les évaluations servent à la classe, à l’enseignant, aux équipes des écoles qui cheminent ensemble et collaborent à l’amélioration de l’apprentissage. La mise en place des pratiques collaboratives et des communautés d’apprentissages professionnelles dans les écoles est un moyen de plus en plus reconnu pour soutenir l’adaptation des moyens au niveau de l’élève.
Il est de plus en plus habituel d’entendre les enseignants qui ressentent une certaine pression lorsqu’arrive l’étape de l’évaluation formelle ou du bilan de fin d’étape. Les temps d’évaluation formelle n’ont plus la même utilité dans ce contexte où l’enseignant accompagne le changement quotidien et soutient la construction du savoir en tenant compte du rythme de chaque élève.
Mais l’évaluation doit tout de même y trouver sa place. Elle offre des balises qui peuvent être comparées ensemble. À la fin du cycle, elle permet de statuer sur la capacité d’un élève à entreprendre les apprentissages à un autre niveau de complexité. Les notions de progrès, d’apprentissage et de pistage des améliorations favorisent le développement du sentiment d’efficacité de l’élève et de l’enseignant, mais aussi de toute l’équipe académique d’une école.
Dans cet esprit de mentalité de croissance, on apprend dans une dynamique évolutive, on apprend ensemble, en équipe collaborative. L’élève progresse parce qu’il est à même de voir son propre progrès. Il comprend que les stratégies qu’il utilise ont un impact sur ses apprentissages et il reconnait ses vulnérabilités. On doit prioriser une forme de rétroaction qui sert à l’élève et qui lui permet de prendre les moyens nécessaires à sa réussite.
L’évaluation utilisée pour fin de mesure et de création de données ne doit pas être extraite de la classe, mais, puisqu’elle ne sert pas au développement de nos élèves ni à la planification de l’enseignement quotidien, elle ne doit donc pas être présente dans le cycle d’apprentissage. Elle sert au système, à la mise en œuvre de nos programmes et au processus de normalisation. Elle est utile à nos organisations, en matière d’outil d’analyse, mais elle ne sert pas nécessairement l’enfant et l’équipe qui l’accompagne au quotidien.
Notre monde éducatif est en mutation. Plus que jamais les intervenants ne désirent donner plus de place aux données qualitatives et de progrès de leurs élèves. Ce type d’information est présent dans les discussions, il prend cette place puisqu’il est utilisé pour favoriser la croissance des élèves, des équipes et des structures mises en place.
Mais quel est l’impact réel de ces nouvelles perspectives de la relation entre l’apprentissage et l’évaluation ?
Pour ceux et celles qui désirent approfondir la réflexion portant sur l’évaluation, voici quelques pistes :
Si tous peuvent apprendre, à un rythme adéquat, nous verrons une émergence de l’intérêt pour l’apprentissage et un plus grand engagement de nos élèves. Ils pourront mieux comprendre qu’apprendre c’est possible, c’est accessible, et qu’en réalité ils sont maitres du jeu !
Anne Julien (directrice adjointe aux Services éducatifs)
Vincent Lemieux (coordonnateur aux Services éducatifs)
Karina Roy (directrice des Services éducatifs)
Pierre-Olivier Boivin (conseiller pédagogique)
Shirley Vir (enseignante libérée en accompagnement pédagogique)
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
Cet article présente les résultats d’une étude portant sur les différents programmes d’évaluations à échelle provinciale au Canada et comment les ministères d’Éducation se questionnent sur les objectifs de ces évaluations et comment elles doivent évoluer afin de mieux refléter l’apprentissage des élèves de leur province.
Toutes les provinces canadiennes élaborent et font passer des programmes d’évaluation à grande échelle dans le cadre de leurs systèmes éducatifs. Divers facteurs doivent être pris en considération lorsque les provinces en sont à la phase d’élaboration de ces programmes puisqu’elles doivent alors considérer quelles données sont requises, comment les recueillir et pour quelles raisons. On retrouve de nombreux points communs entre les différents programmes d’évaluation à grande échelle dans les diverses provinces canadiennes. Toutefois, elles ont récemment choisi d’employer des approches fort dissemblables en ce qui concerne les modifications qu’elles ont effectuées ou qu’elles désirent apporter à ces programmes. Ces changements témoignent des discussions qui se tiennent actuellement au sujet des objectifs des évaluations à échelle provinciale.
En règle générale, les élèves canadiens font l’objet d’évaluations en numératie et en littératie aux premières et aux dernières années du primaire ainsi qu’à l’école secondaire. On retrouve sur les sites Web des différents ministères de l’Éducation diverses explications concernant la passation de ces évaluations. On analyse les données recueillies afin de déterminer les besoins à tous les niveaux, qu’il s’agisse de l’ensemble de la province, des conseils scolaires, des écoles, des salles de classe ou de chaque élève en particulier. À l’école secondaire, dans certaines provinces, on utilise les notes basées sur les examens à grande échelle afin de déterminer la note finale du cours, alors que pour d’autres provinces, les tests de numératie ou de littératie déterminent si les élèves recevront leur diplôme. On rend aussi parfois ces données publiques afin de démontrer l’efficacité du système d’éducation.
L’existence de certains de ces programmes date de plusieurs décennies et ils partagent tous de nombreuses similarités à bien des égards. Les résultats agrégés obtenus sont mis à la disposition des conseils ou régions scolaires et sont aussi souvent affichés publiquement alors que les résultats des élèves sont, quant à eux, communiqués aux écoles, aux élèves ou aux parents.
Au cours des dernières années, de nombreuses provinces ont mis en place ou ont annoncé publiquement leur intention d’instaurer d’importants changements en ce qui concerne leurs programmes d’évaluation à grande échelle. Bien que les changements proposés soient essentiellement différents, ils représentent tous le même désir de clarifier l’objet de ces évaluations et d’en accroitre la valeur dans le contexte d’initiatives liées à des réformes éducatives.
À titre d’exemple au niveau élémentaire, on retrouve en Alberta, depuis 2015, l’Évaluation de l’apprentissage des élèves (EAE) de 3e année que les enseignants peuvent faire passer à leurs élèves, et cela à leur discrétion, durant l’année scolaire ; toutefois, ses résultats ne sont pas pris en compte dans le Pilier de responsabilisation du ministère de l’Éducation de l’Alberta. Cependant, on fait toujours passer les Tests de rendement provinciaux de 6e année et de 9e année à la fin de l’année scolaire et les données correspondantes servent à « communiquer aux Albertains les résultats des élèves en ce qui a trait aux normes provinciales à des moments précis au cours de leur apprentissage scolaire1. » Depuis 2018, l’Évaluation des habiletés de base (ÉHB) de la Colombie-Britannique inclut dans ses évaluations des activités de collaboration et d’autoréflexion en plus de questions écrites plus traditionnelles2.
Au niveau secondaire, le programme d’examens de fin de cours de la Colombie-Britannique sera supprimé progressivement et remplacé par une évaluation en littératie et en numératie qui répondra aux exigences relatives à l’obtention du diplôme3. En Nouvelle-Écosse, les examens de fin de cours en littératie et en numératie de la 12e année se déroulent maintenant à la fin de la 10e année4.
L’Ontario a récemment rendu public un document livrant les résultats d’une étude indépendante portant sur les pratiques d’évaluation et de communication du rendement des élèves de la province. Cette étude avait pour but d’analyser de près le travail de l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE), l’organisme responsable de l’élaboration des évaluations à échelle de la province. Le comité d’examen indépendant de l’évaluation résume ainsi ses conclusions dans une lettre incluse en introduction de son rapport : « Nous proposons un système d’évaluation qui privilégie les évaluations en classe pour soutenir l’apprentissage et le développement de chaque élève, susciter la participation des parents et tuteurs ou tutrices de manière significative en leur faisant part des réalisations et du progrès de leur enfant et permettre aux enseignantes et enseignants de perfectionner et de partager leurs méthodes5. » Le rapport recommande d’accorder une attention accrue à l’égard des pratiques d’évaluation diagnostique, formative et sommative de haut niveau afin de mieux fournir de l’information portant sur chaque élève. On y suggère aussi que les écoles et les enseignants ne se réfèrent plus aux données basées sur les évaluations à grande échelle se trouvant sur les rapports individuels des élèves, et cela à des fins diagnostiques : « […] les rapports concernant les élèves devraient clairement indiquer qu’il s’agit d’un aperçu [un “instantané”] du rendement à l’échelle du système et que les données ne devraient pas être employées aux fins de diagnostic ou d’évaluation. » On y propose, de plus, la cessation du programme d’évaluation à grande échelle en 3e année ainsi que l’élaboration d’un nouveau test au niveau secondaire qui ne contribuerait plus à l’obtention de leur diplôme pour les élèves. D’autres recommandations proposent que l’on poursuive la collecte de données basées sur les évaluations à grande échelle de tous les élèves afin de reconnaitre les besoins de certains groupes d’élèves qui requièrent un appui plus important et, de plus, que l’on communique de l’information aux citoyens sur le rendement du système. Un changement fondamental est aussi recommandé en ce qui concerne le rôle des évaluations à grande échelle en Ontario : « Nous proposons des évaluations provinciales à grande échelle qui offrent de l’information d’ordre public sur le rendement du système d’éducation ontarien en général et qui permettent d’orienter des améliorations futures pour favoriser la réussite de tous les élèves, y compris l’identification des iniquités en matière de résultats pour les groupes d’élèves dont les expériences et besoins divers nécessitent davantage d’attention. »
Bien qu’ils présentent des différences, ces exemples de changements dans diverses provinces montrent tous un désir de préciser le rôle des évaluations à grandes échelles et d’appliquer de nouvelles stratégies efficaces, au service du développement cognitif des élèves et des approches pédagogiques, dans le cadre des évaluations des élèves à grande échelle.
« S’il est vrai que de nombreux Canadiens confèrent une valeur aux évaluations provinciales à grande échelle, ils apprécient tout autant le travail des enseignants. »
Deux points de vue différents deviennent apparents lorsqu’on considère la fréquence des discussions portant sur la valeur des évaluations à grande échelle ainsi que les projets de réformes pédagogiques que contemplent les gouvernements provinciaux.
D’une part, on retrouve les partisans des évaluations provinciales qui estiment qu’elles offrent des avantages importants puisqu’elles permettent de responsabiliser les systèmes scolaires et qu’elles offrent des pistes d’appui pédagogique servant à améliorer l’apprentissage des élèves. Les plans d’affaires des divers ministères de l’Éducation présentent les données basées sur les évaluations provinciales comme une importante mesure du succès de leurs principaux projets éducatifs. Ces données servent aussi à mesurer l’amélioration scolaire. De plus, le public peut être informé à propos des résultats des efforts des systèmes éducatifs à l’aide de rapports provinciaux de données agrégées. Finalement, les tests provinciaux fournissent des données spécifiques expliquant comment chaque élève répond aux objectifs pédagogiques provinciaux.
D’autre part, on retrouve ceux qui considèrent que ce sont les enseignants qui connaissement le mieux leurs élèves, et que les données basées sur les évaluations à grande échelle n’offrent qu’une représentation ponctuelle qui ne reflète pas nécessairement le rendement individuel de chaque élève. De plus, certains jugent aussi que les évaluations à grande échelle restreignent l’attention et le temps requis à la véritable tâche d’enseignement en classe puisque les enseignants doivent consacrer trop de temps à préparer leurs classes et à faire passer ces tests, ce qui ne reflète pas nécessairement les meilleures pratiques pédagogiques. Finalement, les enseignants se sentent poussés d’améliorer les résultats des élèves à ces évaluations et ils ne perçoivent pas nécessairement une corrélation évidente entre l’amélioration de ces résultats et l’enrichissement de l’apprentissage des élèves.
Il ressort de deux sondages portant sur les attitudes du public envers l’éducation que ces deux points de vue démontrent une inutile polarisation. On apprend dans L’éducation publique au Canada — faits, tendances et attitudes, le rapport d’une enquête nationale portant sur les attitudes envers l’éducation, que 77 pour cent des Canadiens croient que les compétences des élèves au niveau secondaire doivent être évaluées à l’aide d’évaluations à échelle provinciale6. Dans une enquête plus récente portant sur l’attitude de la population ontarienne envers l’éducation, soit Public Attitudes Towards Education in Ontario, on apprend que 66 pour cent de la population appuie la décision d’évaluer chaque élève du secondaire à l’aide d’un test à échelle provinciale7. En ce qui concerne ces évaluations, cette enquête démontre toutefois moins d’appui au niveau élémentaire qu’au niveau secondaire, bien que la majorité de la population appuie toujours le maintien des évaluations au niveau élémentaire puisque 49 pour cent croient que « tous les élèves doivent être évalués » et 19 pour cent croient « qu’un échantillon de la population étudiante doit être testé ».
S’il est vrai que de nombreux Canadiens confèrent une valeur aux évaluations provinciales à grande échelle, ils apprécient tout autant le travail des enseignants. 70 pour cent des Canadiens sont satisfaits du travail accompli par les enseignants. 60 pour cent croient que les notes au niveau secondaire devraient refléter les évaluations des enseignants. 58 pour cent des Ontariens sont plutôt satisfaits ou satisfaits du travail accompli par les enseignants au niveau élémentaire alors que 50 pour cent sont plutôt satisfaits ou satisfaits du travail que font les enseignants au niveau secondaire. Il est intéressant de noter que 20 pour cent des répondants au sondage ont indiqué qu’ils ne sont ni satisfaits ni insatisfaits du travail accompli par les enseignants. 55 pour cent des Ontariens croient que les notes finales des élèves au niveau secondaire devraient principalement refléter les évaluations d’enseignants et non les résultats basés sur les évaluations à échelle provinciale. Une fois de plus, 20 pour cent des répondants ne sont ni d’accord ni en désaccord.
En règle générale, les Canadiens confèrent une valeur aux évaluations à grande échelle et en même temps, ils acceptent le jugement professionnel des enseignants lorsqu’ils apprécient les compétences des élèves. Chacune de ces approches a un rôle important à jouer et elles ne sont pas nécessairement incompatibles. C’est précisément le rôle des évaluations à grande échelle de fournir des données provinciales uniformes qui peuvent être analysées au fil du temps ; de plus, au niveau secondaire, elles permettent de mesurer le niveau de rendement de chaque élève dans les matières de base pour l’ensemble de la province. En ce qui concerne l’importance des pratiques d’évaluation en classe par les enseignants, elles fournissent, quant à elles, de l’information détaillée sur les résultats scolaires qui leur permettra de concevoir des stratégies pédagogiques pour chacun de leurs élèves au cours de l’ensemble d’une année ou d’un terme scolaires. « Tant les évaluations à grande échelle que les évaluations en classe faites par les enseignants contribuent puissamment à l’amélioration continue en éducation. Il est important que nous continuions d’appuyer les deux approches et que nous nous assurions que les deux formes d’évaluation fournissent des renseignements de qualité fiables que le public valorisera à titre de justes représentations des apprentissages des élèves », écrit Lorna Earl. Ce sentiment est aussi manifeste dans l’étude ontarienne : « Bien que la majorité préfère que l’on préserve les évaluations de l’OQRE comme outil de mesure des apprentissages, il semble y avoir peu d’appui pour les enjeux très élevés représentés par les évaluations à échelle provinciale requises pour l’obtention de diplôme pour chaque élève. Autrement dit, les évaluations à échelle provinciale et celles faites en classe par les enseignants sont toutes deux valorisées, mais pour différentes raisons [Traduction libre]. »
Les diverses instances pédagogiques canadiennes tentent de relever le défi de clarifier l’objet des évaluations à grande échelle de diverses façons. Les modifications proposées à ces programmes varient selon les provinces. D’une part, certaines provinces mettent en exécution de nouveaux programmes d’évaluation à grande échelle servant à l’obtention du diplôme, tandis que d’autres envisagent l’abandon progressif d’évaluations de longue date ayant le même objectif. Et lorsqu’une province met en œuvre des modifications majeures à son programme d’évaluation en 3e année, une autre envisage plutôt l’élimination totale de son programme d’évaluation en 3e année en place depuis vingt ans. Il est plus que probable que la plupart des provinces s’entretiennent de façon interne au sujet des objectifs de leurs programmes et explorent ensemble des avenues de changement. Comme les provinces envisagent d’apporter des changements, il faut se rappeler qu’au fil des années s’accroit la valeur des données basées sur les évaluations à grande échelle. En effet, les données recueillies au cours d’une vingtaine d’années recèlent une richesse d’informations puisque des tendances ne peuvent se dégager, être vérifiées et mener à des plans d’action que lorsqu’on dispose de données à la suite de nombreuses années. C’est la raison pour laquelle les modifications à un programme d’évaluation à grande échelle doivent faire l’objet d’une planification soignée et doivent tenir compte de sa valeur à long terme.
Il est aussi important de souligner que les couts associés à l’élaboration d’évaluations à grande échelle ne correspondent pas à la quantité d’élèves qui passent les tests. Les ressources requises à l’élaboration d’outils d’évaluation de qualité sont les mêmes pour toutes les provinces, sans égard à leur taille. Ces exigences comprennent bien sûr les matières visées, mais aussi de l’expertise psychométrique ainsi qu’une solide mise en place de procédures de production de banques de questions, de mises à l’essai sur le terrain et d’établissement de normes. Plus de deux années sont requises afin de produire une évaluation de qualité, qu’elle vise 10 000 élèves ou 130 000 élèves. Qui plus est, ces procédures doivent être mises à jour régulièrement afin de créer de nouvelles questions pour chaque nouvelle passation d’un test.
Puisque les provinces envisagent d’apporter des changements, il vaudrait la peine de relever les pratiques exemplaires associées aux évaluations à grande échelle afin que tous les élèves canadiens puissent tirer profit de pratiques novatrices d’évaluation adaptées à leurs besoins particuliers et de façon que les citoyens de chaque province puissent miser sur des données de grande qualité portant sur leurs systèmes d’éducation. Comme les systèmes éducatifs canadiens envisagent de mesurer de manière fiable et valide l’apprentissage qui a lieu dans les salles de classe de nature de plus en plus complexe et diversifiée de leurs provinces, il importe qu’un partage et une étude des idées, des expériences, des connaissances et des recherches issues de toutes les régions du pays puissent avoir lieu.
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2019
1 https://education.alberta.ca/tests-de-rendement-provinciaux/
2 www2.gov.bc.ca/gov/content/education-training/administration/kindergarten-to-grade-12/assessment/foundation-skills-assessment
3 https://curriculum.gov.bc.ca/provincial-assessment/graduation/literacy
4 https://plans.ednet.ns.ca/
5 L’Ontario : Une province en apprentissage : Constats et recommandations de l’Examen indépendant de l’évaluation et de la communication du rendement des élèves. Carol Campbell, Jean Clinton, Michael Fullan, Andy Hargreaves, Carl James, Kahontakwas Diane Longboat, Mars 2018, pages 3 et 79.
6 L’éducation publique au Canada – faits, tendances et attitudes 2007, Le Réseau ÉdCan, www.edcan.ca/articles/leducation-publique-au-canada-faits-tendances-et-attitudes-2007/?lang=fr, pages 7 et 8
7 Public Attitudes Towards Education in Ontario 2018: The 20th OISE Survey of Educational Issues: 40 Years of the OISE Surveys, Hart, Doug and Kempf, Arlo. www.oise.utoronto.ca/oise/UserFiles/Media/Media_Relations/OISE-Public-Attitudes-Report-2018_final.pdf, pages 9, 30 et 31.
Cet article présente une réflexion approfondie sur la nécessité de revoir complètement comment les pratiques d’évaluation doivent nécessairement évoluer afin qu’elles passent d’une élémentaire mise de notes datant du siècle dernier à une appréciation continue de l’apprentissage menant au développement des compétences requise au 21e siècle. L’auteure présente, à l’appui, un historique détaillé de l’évolution de la vision du ministère de l’Éducation du Québec depuis la période précédant les années 1960 jusqu’à aujourd’hui.
NDLR : Une première version de cet article a été publiée en automne 2018 dans le magazine L’École branchée. Vous retrouverez ici une version légèrement modifiée du même article.
L’évaluation chiffrée… Il y a tant à dire à son sujet ! Le poids que l’on attribue arbitrairement à une question par rapport à une autre dans un examen et qui varie d’un enseignant à un autre, le nombre d’étapes où cette même compétence est évaluée et qui fluctue d’une école à une autre, sans compter les disparités entre le nombre et la valeur des travaux que chaque enseignant consigne. Il n’y a qu’à placer des enseignants en discussion autour d’une évaluation pour réaliser combien la valeur accordée aux différents objets d’apprentissage inhérents au développement d’une compétence diffère.
C’est malheureusement ce qui se produit lorsqu’on évalue la progression des apprentissages de façon éclatée en ciblant les connaissances plutôt qu’en évaluant la présence (ou absence) de ces dernières à l’intérieur de la manifestation (ou non) d’une compétence. Ce sont là les dérives liées au fait d’évaluer la progression du développement d’une compétence en utilisant des chiffres au détriment d’une évaluation commentée. Et c’est sans compter les dommages irréparables que l’évaluation chiffrée crée sur la motivation à apprendre des élèves. Les tenants de la note considèrent cette forme d’évaluation comme étant objective, mais elle nous apparait tout aussi subjective, sinon davantage, que l’évaluation commentée en cours d’apprentissage (doublée d’une cote lorsque vient le temps des bilans) qui porte un jugement beaucoup plus raffiné et complet.
Le Québec l’a compris en prenant naguère la décision d’abolir les notes chiffrées, mais cela n’a pas duré. Que s’est-il donc passé ? Pour bien comprendre les forces actuellement en jeu, il faut procéder à une brève rétrospective de l’horizon éducatif au Québec de la dernière moitié du siècle dernier jusqu’à aujourd’hui.
Avant que ne se tienne dans les années 1960 la Commission royale d’enquête sur l’enseignement au Québec (mieux connue sous le nom de Commission Parent), la province se trouvait dans un état fort inquiétant quant à l’éducation de sa population. Les écoles étaient désuètes parce que le gouvernement n’y investissait pas assez d’argent (déjà vu, dira-t-on), l’Église maintenait une position ferme sur ce qui devait y être enseigné et à peine 13 % de la population francophone du Québec finissaient leur 11e année. À l’époque, il y avait plus de 1500 commissions scolaires dirigées par le Département de l’Instruction publique et chacune gérait comme elle l’entendait les programmes et la diplomation. Avant la crise démographique qui a secoué le Québec au début des années 60, la fréquentation des collèges classiques était majoritairement réservée à une élite principalement masculine.
Le Rapport Parent, dont les conclusions ont ouvert la voie au droit à l’éducation pour tous, à sa démocratisation et à l’arrivée de la population dans le monde moderne, a permis au Québec de rattraper de lourds retards en matière de scolarisation durant les années qui ont suivi. Dès lors, certains comportements qui étaient de mise au début du 20e siècle, ont perdu du terrain avec l’augmentation massive de la fréquentation scolaire et la modification profonde du rapport à l’enseignement et à l’apprentissage et, par conséquent, à l’évaluation. Il en va ainsi de la note chiffrée qui, au début du 20e siècle, pouvait se substituer aux châtiments corporels en tant que sanction morale ou encore de la pédagogie en vigueur à l’époque des collèges classiques où, selon Maulini1, « la discipline, la répétition et la concurrence perpétuelle entre les élèves » régnaient en permanence. « C’est dans le but de trouver une alternative à cette note-sanction qu’est apparue au cours des dernières décennies la notion de compétences, et la possibilité d’une alternative à la note. »
L’héritage du 20e siècle n’a pas totalement disparu toutefois. Encore aujourd’hui, des élèves demeurent assis sur des chaises droites pendant de longues heures, en rangs bien formés, à effectuer du travail intellectuel répétitif, et des cloches sont là pour réguler les horaires, comme à l’époque où cette discipline astreignante s’est avérée utile pour répondre aux besoins d’une société marquée par la révolution industrielle.
Après la mise en place des programmes d’études par objectifs des années 1980-1990, dans lesquels on faisait la promotion d’habiletés et d’aptitudes par la mise en évidence de savoir-être et de savoir-faire, ce fut au tour de La Commission des États généraux sur l’éducation d’amorcer, en 1996, un large débat sur l’efficacité du système éducatif.
Le rapport qui a suivi a donné lieu à un projet éducatif collectif auquel plusieurs centaines de personnes du milieu de l’enseignement ont contribué. Ce projet, c’est l’actuel programme de formation de l’école québécoise avec une approche par compétences et une évaluation à l’origine conçue pour s’adapter à cette approche.
Dès son entrée en vigueur, ce programme n’a cessé d’être critiqué. Il faut admettre qu’il a été en quelque sorte parachuté dans les milieux et qu’il y a eu un manque flagrant de formation et de temps d’appropriation pour ces enseignants qui se retrouvent quotidiennement sur la ligne de front avec les élèves. Le changement de posture pédagogique était sans précédent et aurait nécessité un accompagnement soutenu et échelonné sur plusieurs années par le ministère de l’Éducation pour en assurer l’implantation. En raison de sa lourdeur et de sa complexité, plusieurs ont conclu que cette nouvelle approche se résumait à faire de la pédagogie par projets et que les connaissances avaient été évacuées du programme. Pourtant, ces connaissances que doivent acquérir les élèves sont les constituants des notions, concepts, processus et stratégies qui noircissent les feuilles de ce programme. Afin de bien clarifier la place accordée aux connaissances, elles ont plus tard été reprises dans les progressions des apprentissages disciplinaires, des documents de prolongement des programmes où l’on retrouve, échelonnés sur toutes les années scolaires, les objets d’apprentissage propres aux disciplines qui doivent être acquis par les élèves.
Bref, le fait de ne pas être formé suffisamment a conduit de nombreuses personnes du milieu scolaire et de la population en général à entretenir une opinion négative à l’égard du programme, à croire que les élèves n’apprenaient rien à l’école, ces gens s’ajoutant à ceux qui, même s’ils en maitrisaient toute l’idéologie et les concepts, n’étaient tout simplement pas en accord avec cette approche.
Devant les nombreuses difficultés et les récriminations amenées par le Renouveau pédagogique, on a démantelé, morceau par morceau, toute la partie relevant de l’évaluation. Échelles des niveaux de compétences ? Disparues ! Évaluation par cotes ? Même sort. Évaluation des compétences transversales, qui, soit dit en passant, relèvent des compétences nécessaires pour demeurer compétitifs dans un monde marqué par l’évolution et les changements ? Disparue aussi ! En 2011-2012, le bulletin unique chiffré s’imposait dans les écoles et avec lui, les nouveaux cadres d’évaluation remettant en évidence la place des connaissances dans l’évaluation et sacrifiant dès lors tout l’esprit de régulation des apprentissages constituant le moteur du Programme de formation de l’école québécoise.
Nous avons choisi de nous doter d’un programme par compétences tout à fait novateur au Québec parce que cette approche correspond davantage à nos valeurs et parce que nous avons compris que le monde actuel vivait une profonde mutation et qu’il nous fallait trouver une voie pour préparer nos citoyens à faire face à tous ces nouveaux défis qui s’offrent à eux. La transformation la plus fondamentale qui s’est opérée est le changement de paradigme de la relation-apprentissage :
« Viser le développement d’un pouvoir d’action éclairé et personnalisé pose les limites évidentes d’une pédagogie de la transmission de savoirs. En ce sens, le concept de compétence retenu pour le Programme de formation appelle un regard différent sur la relation entre l’enseignement et l’apprentissage. Définie comme un savoir-agir, la compétence dépasse la simple addition ou juxtaposition d’éléments. Elle se manifeste dans des contextes d’une certaine complexité et son degré de maitrise peut progresser tout au long du parcours scolaire et même au-delà de celui-ci. Privilégier les compétences, c’est donc inviter à établir un rapport différent aux savoirs et à se recentrer sur la formation de la pensée et le développement de l’autonomie2. »
Cette nouvelle posture, dont les avantages et les bénéfices continuent de se préciser avec les recherches-actions et les données probantes, n’est pas unique au Québec et s’avère une proposition éducative à laquelle de plus en plus de gens adhèrent.
Ainsi, l’enseignement, qui a jusqu’ici été basé sur la transmission du savoir (l’enseignant qui transfère ses connaissances et l’élève qui tente de les assimiler) et la notation chiffrée de l’acquisition de ces savoirs ne peuvent plus continuer d’exister tels qu’on les a connus étant donné que la connaissance est partout. Et c’est celle-ci qu’il faut gérer. Puisque l’élève, et plus tard l’adulte qu’il deviendra, évolue dans un monde totalement transformé, l’école doit s’adapter à cette réalité et lui permettre de se développer pleinement et de se réaliser.
Cette pédagogie, c’est celle prônée par le PFÉQ. Elle vise le développement des compétences de l’élève. Mais une compétence ne peut se développer que par le recours à une pédagogie active, c’est-à-dire par des apprentissages construits par l’élève lui-même, avec l’aide de ses pairs et de son entourage, mais d’abord et avant tout avec l’aide de ses enseignants qui en connaissent tous les constituants et qui s’avèrent des ressources essentielles pour apporter à l’élève tous les éléments dont il a besoin pour façonner ses compétences.
En 2015, le Forum économique mondial publiait un rapport dans lequel il s’attardait sur les problèmes urgents engendrés par la 4e révolution industrielle. Selon ce rapport, et aussi paradoxal que cela puisse paraitre au premier abord, l’un des moyens les plus surs de remédier aux lacunes en matière de compétences devant cette révolution qui frappe à nos portes est de miser sur le développement des compétences dites sociales et émotionnelles (Tableau 1).
En milieu scolaire, cela se traduit par le développement d’aptitudes pour la collaboration (favoriser entre autres le travail d’équipe), la communication (créer un climat propice aux échanges), la curiosité (encourager le questionnement), la persistance (donner le droit à l’erreur) et l’initiative (construire la confiance dans la capacité à réussir) (Tableau 2).
Si ces compétences sont farouchement de mise, le fait de placer nos jeunes en perpétuelle compétition pour des points ne peut avoir d’autre effet que d’en étouffer le développement.
On peut mesurer facilement et rapidement l’acquisition de connaissances (en fait, c’est bien souvent la mémoire à court terme que l’on mesure), mais il en va autrement d’une compétence qui ne peut être réduite à une connaissance : elle implique des alliances plus complexes et plus complètes.
Selon Raymond Vienneau3, « [l]’apprentissage scolaire est un processus interne, dont la manifestation n’est pas toujours directement observable (il ne faut pas confondre apprentissage et performance). En tant que processus interne, il n’est pas transmissible. » Si, comme il l’explique, « [la] compétence intègre et transcende les savoirs et les savoir-faire d’ordre intellectuel associés aux connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles, de même qu’elle intègre un certain nombre d’attitudes et de valeurs associées aux savoir-être de l’apprenant », on peut mieux comprendre pourquoi l’évaluation chiffrée est une forme d’évaluation qui ne convient pas pour mesurer les apprentissages qui mènent au développement d’une compétence.
Ainsi, parce qu’une compétence est plus qu’une connaissance, on ne peut en évaluer le résultat, mais plutôt la progression et l’état du développement. Il ne s’agit pas ici de masquer les performances, puisqu’il y a, somme toute, toujours une trace d’évaluation à la fin d’une année scolaire, qu’elle soit chiffrée ou par cote. Il faut plutôt redonner sa fonction première à l’évaluation, c’est-à-dire la régulation des apprentissages. Le ministère de l’Éducation l’exprimait ainsi lors de la parution du Programme de formation du 1er cycle du secondaire en 20064:
« L’évaluation ne constitue pas une fin en soi. L’élève n’apprend pas pour être évalué, mais il est évalué pour mieux apprendre. Devant les défis mis en lumière par le présent programme, il importe de rappeler que l’évaluation doit d’abord être conçue comme un levier permettant d’aider l’élève à apprendre et d’aider l’enseignant à le guider dans sa démarche. Développée et utilisée dans cet esprit, l’évaluation permet de mieux assoir les décisions et les actions qui régulent les apprentissages de l’élève, dans le quotidien comme aux moments plus stratégiques que sont, par exemple, les transitions entre les cycles. En aidant l’enseignant à faire le point sur les acquis antérieurs des élèves, à suivre leur évolution et à juger de l’efficacité de ses stratégies pédagogiques, elle constitue une ressource essentielle dans la poursuite de l’objectif de la réussite scolaire. »
Et poursuivait dans la même veine lors de la publication du Programme de formation du 2e cycle du secondaire en 20075 :
« La volonté de favoriser la réussite de tous les élèves et le choix de centrer le Programme de formation sur le développement de compétences conduisent le Ministère à réaffirmer l’importance de faire de l’évaluation un levier pour l’apprentissage. C’est dans cette foulée qu’il a adopté, en 2003, une politique d’évaluation des apprentissages, qui attribue à l’évaluation deux grandes fonctions : – l’aide à l’apprentissage ; – la reconnaissance des compétences. L’idée majeure qui en ressort est que l’évaluation ne constitue pas une fin en soi. En effet, l’élève n’apprend pas pour être évalué : il est évalué pour mieux apprendre. Envisagée comme un moyen qui aide l’élève à apprendre et qui aide l’enseignant à le guider dans sa démarche, l’évaluation permet de mieux assoir les décisions et les actions qui régulent les apprentissages, dans le quotidien comme à des moments plus stratégiques. »
Le but premier de l’évaluation n’est donc plus de classer, comme ce fut le cas jusqu’au milieu du 20e siècle, les élèves triés sur le volet parmi l’élite, mais bien d’aider l’élève à progresser. Et une progression, ça se fait en répétant, en expérimentant ; c’est un processus itératif bien souvent échelonné sur le moyen et le long terme. Si nous voulons des enfants et des adolescents qui apprennent, ces derniers doivent comprendre que l’évaluation sert à cela et non pas à les réprimer ou à les placer en constante position de compétition.
Laisser de l’espace à l’apprentissage et au développement des compétences, c’est le choix qu’a fait Julie Chandonnet, enseignante à l’école Saint-Denys-Garneau, choix qu’elle explique dans son billet de blogue Bien plus que des chiffres6 :
« Il y a deux ans, j’ai pris la décision de ne plus donner de notes chiffrées à mes élèves en dehors de l’obligation d’en mettre sur le bulletin. Pas de notes, mais beaucoup de commentaires précis sur leurs apprentissages : ce qui va bien, ce qui s’est amélioré et ce qui représente un défi. […] Maintenant, quand je remets travaux et examens, je n’assiste plus à la traditionnelle comparaison des notes entre les élèves. Fini les “Tu as eu quoi toi ?” Quand je remets les évaluations corrigées, ma classe devient étrangement silencieuse, les élèves tournent les pages et lisent les commentaires écrits à l’encre colorée qui n’est jamais rouge. Les élèves ne sont plus en mode notes, ils sont en mode apprentissage. »
À un certain moment, chacun doit être mesuré, mais pas à chaque semaine. Passer tant de temps sur l’évaluation plutôt que de parfaire et de consolider les apprentissages n’est pas heureux. Ne nous le cachons pas, préparer une évaluation, l’administrer, la corriger et faire un retour constructif auprès des élèves prend du temps. Sans compter que les élèves sont différents et qu’ils n’ont pas tous besoin de rétroaction sur les mêmes objets d’apprentissage.
Même les élèves plus forts ne peuvent pas réellement progresser dans ces tests normalisés puisque, même s’ils les réussissent bien, cela ne veut pas dire qu’ils ont appris quelque chose depuis le dernier test ou qu’ils ont eu à travailler leurs lacunes. Ces élèves, parce qu’ils ont du succès, ne reçoivent que très peu d’attention et n’apprennent pas à se dépasser. L’une des clés de la réussite scolaire est la différenciation pédagogique puisqu’elle permet aux compétences de chacun de germer, de croitre et de s’affirmer. Pour y arriver toutefois, il faut laisser du temps. Cela, certains pays l’ont bien compris.
« La plupart des institutions scolaires persistent à vouloir attribuer une note chiffrée à toute production scolaire. Pourtant, de nombreuses recherches suggèrent que le système d’évaluation par notation est loin d’être fiable et objectif7. »
Dans le cadre d’une formation professionnelle intitulée La pondération… avec modération, Monsieur Yves Boucher, consultant en éducation et chargé de cours à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, présente l’exemple de ces deux étudiants qui veulent développer des compétences en pliage de parachutes. Pour cet exemple, le formateur reprend la pondération du bulletin unique en vigueur dans les écoles du Québec. L’évaluation des compétences est donc échelonnée sur trois étapes qui valent respectivement 20 %, 20 % et 60 %, tel que le prescrit l’article 30.2 du Régime pédagogique. Les étudiants ont douze cours pour développer leurs compétences et en faire la preuve par l’intermédiaire d’évaluations. Voyons ce que cela donne (Tableau 3) :
Nous constatons que, lors de la première évaluation, l’étudiant A plie correctement deux fois plus de parachutes que l’étudiant B. À la deuxième évaluation, l’étudiant A est toujours en avance sur l’étudiant B, mais les deux ont progressé de 20 %. À la troisième et dernière évaluation, l’étudiant A n’a pas progressé tandis que l’étudiant B a doublé son pourcentage de réussite comparativement à la deuxième étape. Par rapport à lui-même, c’est l’étudiant B qui a le plus progressé dans ses apprentissages entre la première et la dernière étape et, à la fin des apprentissages (troisième étape), c’est également l’étudiant B qui a obtenu le meilleur résultat. Pourtant, les deux obtiennent exactement le même résultat chiffré au final, soit 76 %.
Si les premières évaluations avaient fait l’objet d’une évaluation par cote plutôt que d’une évaluation chiffrée, avec une liste des compétences (voir Tableau 4) et des éléments descriptifs détaillés (absents dans le tableau) pour fournir des renseignements sur ce que représentent les cotes, le résultat final aurait été fort différent. De plus, si la dernière étape avait fait l’objet d’un bilan de l’acquisition des compétences, l’étudiant B se serait démarqué parce que l’évaluation aurait permis d’illustrer qu’il a toujours continué de progresser jusqu’à atteindre un niveau d’excellence.
En fait, que cherche-t-on à mesurer ici ? Le niveau de compétence de l’étudiant au terme de ses apprentissages. Est-ce que cette note chiffrée, 76 % dans les deux cas, nous renseigne réellement à ce sujet ? Non. Est-ce que ces deux personnes ont le même degré de compétence ? Non. À qui confieriez-vous le pliage de votre parachute si vous aviez à faire du parachutisme ? Au deuxième étudiant (B) sans hésitation !
Prenons maintenant un exemple au secondaire en français. Le bulletin unique prévoit qu’un résultat final pour l’année, transmis avec le dernier bulletin, sera calculé en tenant compte des résultats des trois étapes :
1re étape = 20 % ; 2e étape = 20 % ; 3e étape = 60 %
Au premier cycle de la discipline Français, langue d’enseignement, chacune des compétences en lecture et en écriture vaut 40 % du résultat global alors que la compétence en communication orale en vaut 20 %. De son côté, le Régime pédagogique prévoit qu’au moins une des trois compétences en français doit être évaluée au premier et au deuxième bulletin, mais qu’elles doivent toutes faire l’objet d’une évaluation à la troisième étape (bilan). Cela signifie, dans les faits, que des écoles pourraient prendre la décision de n’évaluer qu’une des trois compétences, par exemple la lecture, à la 3e et dernière étape puisque seulement deux compétences sur trois ont l’obligation d’être évaluées lors des deux premiers bulletins.
De plus, chaque école décide de la pondération qui sera attribuée à l’épreuve de lecture finale dont le résultat est calculé à l’intérieur de l’étape 3. Imaginez les possibilités… et les disparités !
Observons l’impact de la fréquence d’évaluation des compétences et de la pondération accordée à une épreuve finale locale sur la valeur relative de chaque étape (voir Tableau 5).
Un enseignant peut faire le choix d’évaluer chaque compétence à chaque étape et d’attribuer un poids de 50 % à l’examen final de la 3e étape en lecture (donc 12 % de la note totale de l’année, selon l’exemple du Tableau 1).
Toutefois, un autre peut plutôt décider de ne pas évaluer la compétence en lecture à l’étape 1 et de donner un poids de 75 % à l’épreuve finale (donc 22,5 % de la note totale de l’année selon le Tableau 2). On voit que ceci ne donnera pas du tout le même résultat pour une « performance » équivalente (voir Tableau 6).
Que se passe-t-il dans ce cas ? Puisque rien ne se perd et rien ne se crée, les points normalement attribués à la première étape sont distribués aux 2e et 3e étapes. On obtient donc ici une 2e étape qui vaut 10 % (8 % dans le Tableau 5) et une troisième qui vaut 30 % (24 % dans le Tableau 5). De plus, tout ce qui a été accumulé à la colonne Bilan de l’étape 3 (l’étape la plus importante puisqu’elle est celle où l’on consolide les apprentissages et qu’elle vaut 60 % de l’année) ne compte que pour 7,5 % de l’étape, soit 19 % de la note disciplinaire totale de l’année. L’impact est considérable. Malgré l’apparente impartialité de l’évaluation chiffrée, force est d’admettre qu’elle s’apparente davantage à un dispositif trompeur. C’est aussi une preuve que, sous le régime actuel, on peut difficilement comparer les résultats d’élèves de différentes écoles entre eux, et encore moins tirer des conclusions.
« Le système d’évaluation actuel est un instrument de sélection incompatible avec la lutte contre l’échec scolaire. […] L’institution doit donc aujourd’hui rompre avec une incohérence : demander aux enseignants de faire réussir chaque enfant tout en exigeant l’échec de certains par le maintien d’une évaluation notée9. »
Nous ne le dirons jamais assez, l’évaluation ne peut se réduire à la mise de notes. Elle est davantage un comportement inhérent à l’apprentissage, nécessaire à l’enseignement et à la gestion du système éducatif. Si nous ne faisons pas de l’école un lieu où la place à l’erreur est reconnue et valorisée (dans la mesure où elle est un tremplin à l’amélioration), un espace où règne un esprit de saine collaboration et d’entraide et où nos enfants ont envie de se retrouver quotidiennement, si nous ne réduisons pas la pression exercée par les évaluations trop nombreuses, trop fréquentes et souvent mal adaptées à ce que nous voulons réellement évaluer, jamais nous ne réussirons à atteindre cet idéal de réussite pour tous que s’est donné notre système d’éducation.
C’est le constat auquel de nombreux professionnels de l’éducation sont arrivés. C’est le cas de Daniel Griggio qui, devant la baisse de motivation générale des élèves au fur et à mesure de leur cheminement scolaire, a expérimenté l’abandon de la note chiffrée au profit d’un dispositif mettant en œuvre la régulation des apprentissages (approche par compétence) :
« Le système de notation actuel crée une très forte pression scolaire et stigmatise les élèves les plus fragiles. Démotivantes, les mauvaises notes sont vécues comme une sanction et ne disent rien des connaissances et des compétences acquises par les élèves. Les conséquences de ce système sur les élèves les plus fragiles sont importantes : perte de confiance en soi, refus du travail scolaire, détérioration des relations avec les enseignants, conflits dans la famille, et à terme, souffrance scolaire voire décrochage scolaire. C’est pourquoi l’action consiste à abandonner la note et à évaluer par compétences10 . »
L’insuccès populaire du programme actuel, sous la pression des parents, des médias et des syndicats (voir notamment l’article du Devoir du 1er juin 2007, Le retour du bulletin chiffré11 unique et la campagne Des apparences trompeuses12 de la Fédération autonome de l’enseignement), en a conduit plusieurs à dire que la Réforme de l’éducation a été un échec quand, pourtant, un très grand pourcentage d’enseignants n’a jamais eu l’occasion de s’approprier ce programme très complexe, mais non moins adapté à la réalité du 21e siècle. On peut donc supposer que ce n’est pas la Réforme qui est un échec, mais bien son implantation. Le gouvernement a présenté des solutions pour tenter de satisfaire les uns et les autres. Par exemple, les parents ont maintenant accès à un bulletin beaucoup plus compréhensible et rassurant pour eux, notamment parce qu’ils y voient des chiffres et des moyennes de groupe. Toutefois, rien n’est idéal et nous nous retrouvons avec un programme dénaturé : d’un côté, des apprentissages déclinés en matière de compétences et de l’autre, un dispositif d’évaluation destiné à mesurer des connaissances.
Depuis les 50 dernières années, le paysage québécois a été jalonné par des lois, des programmes, des politiques et des stratégies visant à contrer le décrochage scolaire et à valoriser l’accès à l’éducation et la réussite pour tous. Ces objectifs ne peuvent cohabiter avec une évaluation chiffrée qui n’est ni plus ni moins qu’un système de classement et de hiérarchisation et qui n’a plus lieu d’être dans la mesure où l’éducation vise la réussite et l’actualisation du plein potentiel de chacun. Puisqu’une compétence n’est pas une connaissance et qu’on ne peut pas la mesurer par l’accumulation de notes; parce que la note n’est pas l’individu et que la note chiffrée est une impasse et, surtout, puisque que la problématique de l’évaluation va bien au-delà de la note chiffrée, il faut réévaluer l’évaluation.
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2018
1 Maulini, O. (1996). Qui a eu cette idée folle, un jour, d’inventer (les notes à) l’école? www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/note.html
2 Ministère de l’Éducation du Québec. (2011). Programme de formation de l’école québécoise. www.education.gouv.qc.ca/enseignants/pfeq/
3 Vienneau, R. (2011). Apprentissage et enseignement : Théories et pratiques (2e édition). Boucherville, Gaëtan Morin.
4 http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/PFEQ/prfrmsec1ercyclev2.pdf; p.10
5 http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/PFEQ/5-pfeq_gc_dom5.pdf; p. 15
6 http://sdgjulie.wixsite.com/blog-de-mme-jooly/single-post/2018/03/17/Bien-plus-que-des-chiffres
7 Castillo, A. (2017, 14 déc.). À l’école, supprimons les notes. Le Temps. www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes
8 Critères d’évaluation tirés du site Fédération française de parachutisme
9 Vellas E., Baeriswyl E., Les cycles pédagogiques : un adieu aux notes ? Vers le changement… espoirs et craintes, Actes du premier Forum sur la rénovation de l’enseignement primaire, Genève, DIP, 1995, p. 87-90
10 Daniel GRIGGIO Évaluer sans Dévaluer, abandon de la note chiffrée http://eduscol.education.fr/experitheque/fiches/fiche9118.pdf
11 Robitaille, A. (2007, 1er juin). Le retour du bulletin chiffré, unique. Le Devoir. www.ledevoir.com/politique/quebec/145724/le-retour-du-bulletin-chiffre-unique
12 Fédération autonome de l’enseignement (FAE). (2012). Des apparences trompeuses. www.lafae.qc.ca/wp-content/uploads/2012/06/bulletin-unique_trompeuses_depliant_20101.pdf
Cet article présente le point de vue d’enseignant expérimenté sur l’usage de divers outils numériques. On y présente diverses stratégies pédagogiques touchant la recherche, la littératie, le travail collaboratif et l’évaluation.
Enseignant de français depuis 15 ans, Sylvain Bérubé a aussi enseigné de nombreuses autres matières. Très impliqué dans l’intégration du numérique aux apprentissages, il a développé une expertise en ce domaine et fait, entre autres, partie du comité organisateur du colloque Clair, au Nouveau-Brunswick, depuis ses débuts en 2010. Sylvain est également musicien professionnel depuis toujours, blogueur depuis 2006, et rédacteur pigiste pour diverses organisations en lien avec l’éducation.
S’il est un sujet qui me turlupine depuis un bon moment déjà, c’est l’éducation au numérique dans les écoles. Depuis plus de dix ans, je constate que l’identité numérique est un concept bien réel avec lequel chacun doit, chaque jour, de plus en plus composer. Je crois sincèrement qu’il faut en parler et développer des savoirs concernant ce sujet. Évidemment, je suis loin d’être le seul à réfléchir à la question, et c’est tant mieux, car cette facette de notre identité est de plus en plus présente, puisqu’on se définit partiellement par elle : le numérique fait partie de notre vie et de notre identité.
Avec le temps, nous sommes à même de faire quelques constats à propos du numérique et de l’abondance d’informations de toutes sortes qu’il suscite. L’information et l’opinion se confondent comme jamais auparavant. Il pleut des chroniqueurs de tous acabits, certains établissant des liens pertinents avec de vraies informations, d’autres créant des liens douteux avec diverses rumeurs ou autres fausses nouvelles. Plusieurs se retrouvent aussi entre les deux camps, peinant parfois, ou même souvent, à distinguer le vrai du faux. Tout ceci est sans compter chaque personne qui peut désormais s’exprimer haut et fort, avec ou sans discernement, sur cette place publique que sont devenus les réseaux sociaux, en partageant toutes sortes d’éléments d’information, certains étant des faits vérifiables et d’autres, de prétendues nouvelles… On retrouve aussi les vidéos qui font rire et d’autres qui font réfléchir, et cela, selon nos habitudes et ce que les algorithmes nous donnent à « consommer » par la suite.
En considérant tous ces changements, diverses initiatives naissent à gauche et à droite, afin de sensibiliser nos élèves à ces diverses réalités. J’écris « réalités », car tout cela est bien réel, même si cela se produit souvent dans un monde dit virtuel. Ce sont des gens bien réels qui tapent sur leur clavier, et les répercussions de leurs propos sont bien réelles, elles aussi.
Pour aider les élèves à prendre conscience de la réalité du monde numérique, j’ai vu des intervenants, policiers-éducateurs ou autres, présenter des conférences afin de sensibiliser les jeunes aux dangers d’Internet. Ils y partagent beaucoup d’informations pertinentes et utiles, mais souvent présentées sous un angle n’offrant que très rarement les aspects positifs que peuvent offrir les réseaux sociaux.
Afin d’outiller nos élèves, une équipe de l’Université Laval propose des méthodes de recherche, s’adressant d’abord aux élèves du primaire, puis, plus récemment, à ceux dusecondaire. On y aborde la formulation d’une question de recherche, la validation des sources, l’évaluation de leur crédibilité, etc. On y retrouve beaucoup d’informations, des capsules vidéos, et autres ressources. De bons outils à mettre entre les mains des enseignants… et des élèves ! (Pour plus de resources)
Chaque année, de nouvelles ressources pédagogiques apparaissent, permettant aux élèves de s’approprier les réseaux sociaux et d’en faire un usage intelligent. Je pense ici à des activités de grammaire en utilisant Instagram, aux concours de twittérature (littérature en 140, et maintenant 280 caractères, sur Twitter), et à bien d’autres.
Certains enseignants, dont je suis, invitent leurs élèves à réaliser un blogue qui, en y incorporant divers textes, comptes rendus et autres réflexions, constitue, alors, un portfolio numérique. On leur apprend ce qu’on appelle le savoir-publier, tout en leur permettant de pratiquer leur écriture.
Parallèlement, d’autres outils sont parfois utilisés en milieu scolaire sur un réseau en circuit fermé et sécurisé. Certains sont purement une transposition numérique de cahiers d’exercices papier. On n’y retrouve, à mon humble avis, aucune valeur ajoutée. D’autres offrent un environnement imitant certains réseaux sociaux, mais se retrouvant sur une plateforme sécurisée, afin d’offrir une meilleure sécurité pour un jeune public. Cela représente une bonne occasion, surtout pour les plus jeunes, de s’entrainer afin de mieux naviguer dans le monde numérique. Sans compter les laboratoires créatifs qui commencent à apparaitre ici et là…
Relativement à tout cela, il est important de se questionner au sujet de la meilleure façon d’assurer une cohérence parmi une multitude d’outils fort différents. Nous devons aussi faire en sorte que tous ces changements ne soient pas perçus par les enseignants comme une corvée supplémentaire et du surplus à ajouter à leurs tâches d’enseignement déjà considérables. Il s’agit plutôt pour eux de développer eux-mêmes, ainsi que chez leurs élèves, l’état d’esprit pertinent requis et la juste disposition à adopter. Il est alors évident qu’il devient nécessaire d’aider nos élèves à développer les compétences indispensables afin de s’adapter sainement au numérique. En effet, nos élèves doivent apprendre à naviguer dans une mer d’informations qui comprennent des faits, des opinions, de vraies et fausses nouvelles, les avis de tout un chacun, des rumeurs, ainsi que des manipulations, volontaires ou non, de certaines personnes influentes. On pourrait ajouter ici la publicité ciblée que l’on reçoit à partir des traces qu’on « veut » bien laisser lors de nos pérégrinations sur Internet.
Comme enseignant de français, la mission que je perçois, c’est primordialement d’aider mes élèves à développer les compétences requises en lecture, car seule la lecture intelligente, attentive et consciente, qui fait appel à diverses compétences informationnelles de discernement et d’analyse, permettra à nos élèves d’éviter de tomber dans divers pièges et de profiter pleinement de cette manne d’informations qui est désormais devenue beaucoup plus accessible qu’autrefois, situation dont certains profitent malheureusement pour polluer l’atmosphère numérique.
Cette connectivité, qui engendre la collaboration, il faut arriver à mieux l’intégrer à l’évaluation, mais en la remaniant afin de la rendre vraiment pertinente.
Comme enseignant dans le sens global, il devient pour moi de plus en plus évident que le carcan actuel dans lequel évolue tout ce que je considère comme « évaluation des apprentissages » devra être fortement remanié. Je ne propose pas ici une transposition numérique de la façon traditionnelle d’évaluer en ne faisant que changer l’outil utilisé. Actuellement, certaines expériences tentent de faire cela dans un environnement sécurisé, en débranchant l’outil numérique bien que, depuis son apparition, l’outil numérique ne fonctionne à son plein potentiel que lorsque les participants travaillent en collaboration sur des tâches quand ils sont connectés. C’est justement cette connectivité, qui engendre la collaboration qu’il faudra arriver à mieux intégrer à l’évaluation, mais en la remaniant de fond en comble afin de la rendre vraiment pertinente. Mais ça, c’est un tout autre dossier, fort gigantesque, qu’il faudra avoir le courage d’aborder plus tôt que tard.
Qui plus est, tout ce qui concerne les équipements numériques devra aussi être rapidement reconsidéré, et cela avec discernement et un « gros bon sens ». Les écoles privées peuvent demander aux parents d’acheter un outil technologique pour leur enfant. Toutefois, les écoles publiques n’ont, en principe, pas le droit d’exiger ce genre de contribution. On a qu’à penser à la saga du recours collectif survenue récemment au Québec, recours mené par un groupe de parents, et d’avocats, à propos du « petit » matériel scolaire, et à tout ce que cela a impliqué comme questionnements et réajustements dans les commissions scolaires et écoles du Québec pour la rentrée 2018. (Voir à ce sujet les sites suivant : Économies et cie et ministère de l’Éducation). Alors, que faire pour la majorité des élèves qui fréquentent l’école publique ? Le BYOD (Bring your own device) ou AVAN (apportez votre appareil numérique) ? Il y aura forcément des élèves qui n’auront pas les moyens d’acheter leur propre appareil. Le leur fournir (grâce au PAN, au Québec, le Plan d’action pour le numérique) pourrait être une solution moins onéreuse que de fournir un appareil à l’ensemble des élèves. L’autre bémol que certains voient au BYOD/AVAN est le fait que la flotte d’appareil n’est alors plus uniforme ; mais est-ce que cette uniformité est vraiment nécessaire ? Pour les techniciens en informatique, elle l’est. Pour les enseignants qui veulent conserver une approche traditionnelle centrée sur l’enseignant qui gère tout, elle l’est aussi. Selon moi, le rôle de l’enseignant est avant tout d’exercer ses compétences pédagogiques. L’uniformité du parc d’appareil n’est pas nécessaire si on utilise des outils d’apprentissage multiplateformes. Mais il faut être prêt à composer avec des situations qui ne seront forcément pas linéaires, ni toujours tranquilles ou paisibles. Bref, on n’a pas fini de parler de ce sujet-là non plus.
En conclusion, je dirais que quiconque arrive à vivre dans ce monde complexe aux multiples réalités (et fictions !), et aussi à le comprendre, pourra parvenir à avoir, tout d’abord, du pouvoir sur sa propre vie et il saura de plus comment influencer autrui, au lieu de simplement subir ce qu’on lui dira de penser. Développer un esprit critique et le pouvoir de penser par soi-même est devenu essentiel au 21e siècle, même si cela a toujours été un idéal à atteindre à toutes les époques. C’est tout simplement devenu encore plus primordial aujourd’hui, alors que la démocratie est parfois mise à dure épreuve dans nos sociétés.
Photo : Gracieuseté de l’auteur Sylvain Bérubé
Première publication dans Éducation Canada, décembre 2018
Avant même de s’apprêter à une mission de formation des nouveaux enseignants, il est essentiel d’être au clair sur la finalité de l’enseignement, sur l’être que nous avons à former et sur la manière de le faire. Pour cela, il est essentiel de s’arrêter sur le concept « d’intention ». Cet article présente ce concept dans le cadre de la formation d’un enseignant d’éducation physique.
S’interroger sur la question de la formation des enseignants semble intimement lié, voire indissociable d’une réflexion philosophique sur l’éducation. Nous pensons qu’avant même de s’apprêter à une mission de formation, il est essentiel d’être au clair sur la finalité de l’enseignement, sur l’être que nous avons à former et sur la manière de le faire. Pour cela, il nous semble intéressant de nous arrêter sur le concept « d’intention ». Anscombe1 fait le lien entre action et intention pour situer ce concept en disant qu’« en gros, l’intention d’un homme, c’est son action ». Carfantan2 précise que l’intention est comme « une flèche dirigée du sujet vers l’objet ». L’intention d’une personne serait donc personnelle puisqu’elle part du sujet et il serait possible de la repérer par l’analyse des actions de cette même personne. Pour aller plus loin, nous pensons qu’en fonction de l’intention avec laquelle nous nous engageons en tant que formateurs, les méthodes utilisées et les conséquences sur l’apprenant peuvent être diamétralement différentes. Pour prendre un exemple concret dans le domaine de l’éducation physique et sportive (EPS) à l’école, l’enseignant d’une classe, qui se situe en position de formateur, peut avoir comme intention de faire courir vite ou longtemps ses élèves. En fonction de cette intention, les charges d’entraînement, qui sont à associer aux moyens mobilisés, seront différentes. Lors de la course de vitesse, l’enseignant d’EPS insistera beaucoup sur la technique de course, tandis que dans le cas de la course longue, il recherchera davantage le développement de la capacité aérobie par du travail intermittent, en référence aux procédés d’entraînement aérobie présentés par Bosquet3 et des séances où l’apprenant court longtemps. Si dans le cas de la course de vitesse, les contenus appris sont plutôt techniques, dans le cas de la course longue, même s’ils ne sont pas exclusifs, les contenus portent davantage sur un maintien de l’allure de course, sur la capacité à trouver un rythme respiratoire régulier par exemple. Nous voyons ici qu’il semble important de connaître l’intention qui nous motive afin d’en percevoir les conséquences pratiques.
Il nous semble que se préoccuper des intentions de l’apprenant peut être intéressant, car selon nous, elles semblent être le reflet de son système de valeurs et témoigner d’une étape d’un cheminement personnel et professionnel. S’appuyer sur les intentions de l’apprenant, c’est en quelque sorte, prendre en compte son identité profonde, sur ce qu’il est au fond de lui-même. Il nous paraît judicieux de respecter les intentions de l’apprenant, car dans le cas contraire, l’intervention du formateur risque de ne pas faire sens chez lui. Les informations qu’il va lui donner risquent de « rebondir » sur lui, car, formateur et apprenant ayant deux intentions différentes, la communication risque d’être difficile du fait d’une incompréhension de l’un envers l’autre et inversement. Il risque d’apparaître un « formatage » de l’apprenant et moins une « formation » de celui-ci. Si nous pensons que le formatage consiste à « tirer » l’apprenant vers des exigences et à le « recadrer » lorsqu’il s’en éloigne, une formation par les intentions insiste davantage sur la fonction de guidage du formateur qui va accompagner l’apprenant dans son cheminement personnel et professionnel. Dans les deux cas apparaît une volonté de réduire l’écart qu’il y a entre un niveau initial et des exigences professionnelles et institutionnelles. Cependant, l’approche de la formation est bien différente; si dans le cas du formatage, elle est davantage axée sur le savoir, dans le cas d’une formation basée sur les intentions, elle est plutôt basée sur l’apprenant. D’ailleurs, certains auteurs encouragent l’action de former et moins de formater en se préoccupant véritablement de l’apprenant, à l’image des propos de Claparède4 qui affirmait qu’« apprendre ce n’est pas accumuler des connaissances, mais exercer son intelligence et acquérir des méthodes de pensée », de Prost5 qui, en 1985, nous a dit que « les savoirs ne se transmettent pas, ils se construisent et chacun le fait pour son compte, à sa façon, et suivant son propre rythme » et de Meirieu6, qui se positionne au niveau du rôle du formateur en précisant que « le travail de l’enseignant n’est pas d’enseigner, c’est de permettre d’apprendre ».
Pour expliciter ces propos, nous allons nous situer dans le cadre de la formation d’enseignant stagiaire (ES) au cours de leur première année d’enseignement, puisque le rôle du maître de stage (MS) est important pour les ES, car Brau-Anthony et Mieusset7 précisent que « les recensions de Chaliès, Cartaux, Escalié et al.8 et de Moussay, Étienne et Méard9 sur le tutorat en formation initiale d’enseignants montrent le rôle fondamental joué par les MS dans le développement des compétences pour enseigner ». Pour Brau-Anthony et Mieusset (op cité), « accompagner des ES nécessite d’être capable de faire face à de multiples tâches telles que l’observation du stagiaire quand il fait cours, la conduite de l’entretien post-leçon, l’évaluation… Ces actes professionnels renvoient plus largement à ce que Maubant10 appelle l’accompagnement réflexif ». Selon nous, l’un des actes professionnels dont devrait faire preuve le formateur consisterait à être capable d’identifier les intentions de l’ES afin de les prendre en compte pour les faire évoluer ou les changer.
Nous pensons que ce guidage par les intentions peut s’envisager en plusieurs étapes. La première consiste à mettre en relation l’intention que précise l’ES et les moyens mis en place pour l’opérationnaliser, car s’il y a incohérence entre intention et moyens, alors le formateur veillera à rétablir une certaine cohérence, sans quoi, il sera difficile pour l’ES de percevoir les réelles conséquences de l’intention qu’il suggère. En seconde étape, le formateur identifie si l’intention organisatrice de l’ES est positive pour la classe et correspond à une source d’apprentissages chez les élèves. Si tel est le cas, il s’agit pour le formateur dans un dernier temps, de faire évoluer l’ES quant à cette intention en lui proposant des moyens concrets de sorte que son intervention soit encore plus efficace et ce, jusqu’à qu’il ressente le besoin de changer d’intention, du fait des limites de celle-ci, toujours dans le dessein de faire progresser ses élèves. Si toutefois l’ES maintien son intention, qui montre ses limites, alors le formateur peut proposer à l’ES de s’appuyer sur une autre intention qui entraînerait des conséquences différentes et peut-être plus positives sur les apprentissages des élèves.
Tout d’abord, arrêtons-nous sur la relation entre l’intention de l’ES et les moyens qu’il utilise pour l’opérationnaliser. Le formateur pour aider l’ES à formuler son intention, propose de répondre à la question suivante : « qu’attends-tu de la leçon que tu vas animer? » Cette question contraint le futur enseignant à se positionner sur ce qui va l’organiser tout au long de la séance.
En début de carrière, souvent, les ES sont préoccupés par la gestion de la classe. Ainsi, en guise d’un exemple, nous pourrions répondre à ce souci en leur suggérant de « cadrer la classe ». Si telle est l’intention de l’enseignant, alors il devra mettre en place des moyens concrets pour y arriver. Il a la possibilité de cadrer sa classe sur la forme et sur le fond. Au niveau d’une gestion de la classe sur la forme, nous pouvons mettre en lumière la gestion du temps par des périodes d’apprentissage déterminées dans le temps. En ce qui concerne une gestion de la classe sur le fond, nous pouvons mettre en exergue l’idée de proposer des problèmes ou des situations qui captiveraient les élèves au point où ces derniers voudraient vraiment s’impliquer dans celles-ci.
Dans le cas où l’ES serait en difficulté pour gérer le temps du fait, par exemple, qu’il soit occupé par l’intervention au sein d’un groupe d’élèves, ou encore, que ses propositions de situations d’apprentissage ne soient pas suffisamment attrayantes pour les élèves, il y aurait un écart entre ce qu’il organise (ou son intention) et ce qu’il fait.
Le rôle du formateur est donc de rétablir une certaine cohérence entre ce qui anime l’ES et les moyens qu’il met en place. Ensemble, formateur et ES reviennent sur les difficultés qui sont apparues au cours de la leçon, relatives à l’intention initiale, et le formateur apporte des possibilités de remédiations. Par exemple, dans le cas d’un cadrage de la classe sur la forme, l’ES voulant bien gérer son temps s’est vu « dépassé » et pris par le temps du fait d’une intervention trop longue auprès de certains élèves en difficulté. L’intervention de l’ES était en incohérence avec son intention initiale. Le formateur peut ainsi, lors du retour sur la leçon avec l’ES, lui proposer comme solution éventuelle, de ne plus donner de conseils peu de temps avant la fin du temps alloué à l’exercice et de placer les élèves en autonomie à ce moment-là; ceci pour faire l’objet d’une règle qui serait transmise aux élèves. Ainsi, l’ES pourra respecter les temps d’apprentissage prévu initialement et être en cohérence avec son intention.
« S’appuyer sur les intentions de l’apprenant, c’est en quelque sorte, prendre en compte son identité profonde, sur ce qu’il est au fond de lui-même. »
Une fois une cohérence mise en place entre l’intention de l’ES et les façons de la faire vivre, le formateur identifie ensuite si cette intention est positive pour les élèves, c’est-à-dire, si celle-ci est porteuse d’investissement et de progrès chez ces derniers. Si tel est le cas, alors le formateur accompagne l’ES en lui proposant d’autres moyens qui viennent accentuer son intention afin d’encourager celle-ci, qui semble source de progrès chez les élèves. Par exemple, au sein d’une leçon d’EPS, l’ES, organisé par son intention de cadrer sa classe, peut animer une leçon de demi-fond en proposant une alternance des rôles de coureur et d’observateur. Un élève court, un élève l’observe pendant cinq minutes, puis cinq minutes de pause sont laissées et les élèves inversent les rôles jusqu’à que chacun d’eux court quinze minutes, soit trois courses de cinq minutes. Les élèves sachant exactement ce qu’ils ont à faire et n’étant pas dans le flou du fait d’une organisation rigoureuse de la séance, entrent bien dans l’activité. Pour aller plus loin dans l’intention de cadrer la classe de l’ES, le formateur peut lui proposer de demander aux futurs observateurs de prévenir les futurs coureurs trente secondes avant le début de la course afin d’être sûr de commencer au signal de départ. Cependant, il est possible que les élèves, du fait d’un temps limité de course, ne soient pas en mesure d’exprimer tout leur potentiel, ce qui peut freiner la progression des élèves. Ainsi, une démotivation à plus ou moins long terme peut apparaître et freiner voire empêcher des apprentissages chez les élèves.
Ainsi, dans un dernier temps, il s’agira donc, pour le formateur, d’aider l’ES à changer d’intention pour maintenir une dynamique au sein de la classe, soit une source d’implication et de progrès, grâce à l’identification des limites du choix d’une intention. Nous pensons que chaque intention a des effets différents. Ainsi, dans le cas de la leçon de demi-fond, le formateur peut inviter l’ES à passer d’une intention plutôt « fermée » qui se manifeste par une organisation rigoureuse de la séance à une intention plutôt « ouverte » où les élèves auraient, dans le fonctionnement mis en place par l’ES, plus de marge de liberté et où ils seraient davantage en mesure d’exprimer leur potentiel. Pour cela, il peut proposer, par exemple, de placer les élèves par équipe de trois et de les laisser courir durant quinze minutes. Seul un des trois élèves a la possibilité de s’arrêter le temps qu’il veut dans une zone nommée « gare » délimitée à l’extérieur de la piste de course. Les élèves d’une équipe ayant un maillot de la même couleur, il est très facile de savoir si l’un de ses coéquipiers est dans la gare ou non. Le formateur, en proposant une intention différente, favorise des comportements différents chez les élèves et participe de ce fait, à faire évoluer l’expérience de l’ES. Toutefois, il est difficile de changer d’intention, car celle-ci renvoie à notre fonctionnement et à nos repères. Pour l’ES, il s’agira d’effectuer un réel travail sur soi pour accepter de changer ses habitudes et d’adopter un regard différent sur le déroulement de sa leçon, sur les élèves, sur sa pratique.
Pour résumer notre position, nous pensons que la formation des enseignants, et notamment celle des ES, peut être appréhendée sous l’angle des intentions. En prenant appui sur celles-ci, nous suggérons le fait que l’enseignement est davantage teinté d’humanisme puisque les formateurs se préoccupent en premier lieu des apprenants, via l’analyse de leur(s) intention(s), avant de se poser la question du/des savoir(s) qu’il serait judicieux de permettre d’apprendre à ces derniers. La démarche d’enseignement présentée se différencie, d’une part, d’une démarche axée sur une transmission descendante du/des savoir(s), en suivant, par exemple, les cours magistraux et, d’autre part, d’une démarche où le formateur se préoccupe prioritairement du contenu à apprendre. Dans cette approche par les intentions, plutôt que s’efforcer de rapprocher l’apprenant des exigences, le formateur tente de conduire l’apprenant vers la connaissance dont il a besoin en partant de ce qui l’organise, de ses intentions.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2018
1 Anscombe, G. L’intention. Paris : Gallimard, Collection Bibliothèque de Philosophie, 2002.
2 Carfantan, S. Cinq leçons sur la perception. Philosophie et spiritualité. CreateSpace Independent Publishing Platform. 2014.
3 Assadi, H. Réponses physiologiques au cours d’exercices intermittents en course à pied. (Université de Bourgogne : Dissertation doctorale). 2012.
4 Claparède, E. Psychologie de l’enfant et pédagogie expérimentale (1905). Paris : Éditions L’Harmattan. 2017.
5 Prost, A. Éloge des pédagogues. Paris : Éditions du Seuil. 1985.
6 Meirieu, Philippe et col. Le plaisir d’apprendre. Paris : Éditions Autrement, 2014.
7 Brau-Antony, S., & Mieusset, C. « Accompagner les enseignants stagiaires : une activité sans véritables repères professionnels ». Recherche et formation, 72, 27-40 (2013)
8 Chaliès, S., Cartaut, S., Escalié, G., & Durand, M. « L’utilité du tutorat pour de jeunes enseignants : la preuve par 20 ans d’expérience ». Recherche et formation, 61, 85-129. (2009)
9 Moussay, S., Étienne, R., & Méard, J. « Le tutorat en formation initiale des enseignants : orientations récentes et perspectives méthodologiques ». Revue française de pédagogie, 1, 59-69. (2009)
10 Maubant, P. « Sens et usages de l’analyse des pratiques d’enseignement : entre conseil et accompagnement réflexif des enseignants en formation ». L’évaluation-conseil en éducation et formation, 18. (2007)
Sous la direction de Mesdames Kanouté et Lafortune, ce collectif d’auteurs touche une problématique complexe, celle de la réussite du projet migratoire de familles immigrantes. Il vise également à cerner, pour les principales institutions concernées, l’importance et la nécessité de répondre d’une façon adaptée aux mécanismes de résilience des individus immigrants.
Les thèmes abordés en 11 chapitres demeurent variés et les réflexions, globales, ce qui permet de brosser un large tableau. Les deux premiers chapitres concernent la voix et l’histoire de familles immigrantes dans différentes institutions. Le 3e explore la thématique de la transmission religieuse à travers l’exemple de jeunes musulmans pratiquants. Le 4e, dans le souci de mener une réflexion sur les processus de transition à l’âge adulte, se penche sur les conditions de l’insertion socioéducative d’enfants d’immigrants africains et le 5e est développé sous l’angle de leur corésidence. Les auteurs des autres chapitres s’intéressent aux rôles et responsabilités de l’institution éducative dans le processus de migration : les modes de fonctionnement des directions d’établissement; certaines pratiques d’expression en théâtre qui permettent de faciliter les apprentissages; l’expérience de réfugiés en région, leurs appréhensions et leur façon d’interagir avec l’école; l’expérience de migrants à l’éducation des adultes, dont certains aspects de leur trajectoire sociale, migratoire et scolaire; la persévérance scolaire, selon l’appartenance ethnoculturelle et la prise en considération de la diversité ethnoculturelle à l’université.
Un point fort de l’ouvrage consiste à faire prendre conscience au lecteur de la transversalité des thèmes et de faire admettre, à travers l’étude des points de vue de plusieurs acteurs, la nécessaire convergence des interventions, de même que l’importance des alliances, de la collaboration et surtout de l’ouverture des intervenants quant aux divers aspects des parcours migratoires. En se recoupant, les thèmes mettent en lumière l’importance de l’éducation à tous les niveaux pour ces migrants, leurs difficultés d’insertion socioprofessionnelle, leur manque d’acceptation, leur importante résilience et leur force.
Bref, si les auteurs nous livrent une réflexion globale sur les parcours migratoires marqués par des circonstances difficiles, ils poussent également cette réflexion vers de nombreuses questions pertinentes et décrivent judicieusement certains paradoxes de l’intégration de ces individus.Émilie Deschênes, Ph.D., est consultante experte auprès des Autochtones. Elle fait actuellement un Postdoctorat en management et est détentrice d’un MBA.
Photo : Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, mars 2017
Les Presses de l’Université de Montréal, 2011 ISBN : 978-2-7606-2281-4
La classe d’accueil demeure méconnue au sein des commissions scolaires et du grand public au Québec, bien qu’elle existe depuis une trentaine d’années. Elle est absente de plusieurs quartiers et peu de profs possèdent une expertise dans ce domaine. Les collègues du secteur régulier ont d’ailleurs une idée très vague du travail effectué par les enseignantes et les enseignants de l’accueil. De plus, les structures qui régissent le secteur de la francisation pour les jeunes (comme certaines parties du programme, des évaluations du niveau de langage à l’arrivée, des examens de fin d’étape, etc.) sont encore au stade de l’élaboration.
Malgré cette méconnaissance, le secteur de l’accueil constitue un service essentiel pour l’école montréalaise puisque la métropole accueille la majorité des immigrants du Québec, souvent non francophones. La classe d’accueil devient alors un outil majeur d’intégration, car elle incarne souvent le premier contact de la famille immigrante avec la société québécoise.
Les groupes au primaire sont idéalement organisés selon l’âge des enfants quand le nombre de classes d’accueil, dans une même école, est suffisant. Fréquemment, les groupes comptent des enfants de deux niveaux (1re et 2e année, 3e et 4e année, etc.), mais il arrive de plus en plus souvent que les groupes soient composés d’élèves de trois niveaux et plus. Dans les cas où il n’y a qu’une seule classe d’accueil dans une école, on peut même voir cohabiter des élèves de 6 à 12 ans! Il faut aussi prendre en compte les arrivées, en cours d’année, de nouveaux élèves n’ayant souvent aucune connaissance du français.
Au secondaire, les groupes sont organisés en fonction de leur niveau d’acquisition de la langue, non de l’âge des élèves. Il y a aussi des groupes avancés où les élèves suivent deux ou trois cours au secteur régulier, selon leurs besoins et leurs capacités. Notons que les classes du secondaire comptent de plus en plus d’élèves en grand retard scolaire ou présentant diverses difficultés comme l’autisme, la dyslexie, la déficience intellectuelle légère, etc. Il n’existe toutefois pas de classe d’adaptation scolaire au secteur de l’accueil. Ces élèves demeurent alors dans les groupes d’accueil, mais sans services adaptés.
Il est frappant de mesurer le contraste entre l’image projetée par les différents paliers de gouvernement d’un Canada accueillant, mettant tout en œuvre pour soutenir les nouveaux arrivants, et la réalité constatée dans les écoles. Le quotidien n’est pas aussi idyllique : les élèves nouvellement arrivés sont souvent entassés dans des locaux de fortune avec des profs sans matériel ni soutien scolaire. Il est par ailleurs difficile d’évaluer les élèves qui présentent des troubles d’apprentissage ou de grands retards scolaires. Quand, par chance, le diagnostic tombe enfin, l’argent manque pour des services suffisants et adéquats. De plus, on force souvent les élèves à intégrer prématurément une classe régulière pour des raisons d’économie. Ces élèves se retrouvent alors souvent en échec et leurs chances de réussite sont compromises.
La classe d’accueil doit quotidiennement relever le défi de franciser et d’intégrer des enfants venant de tous les coins du monde dans des délais très courts et des conditions pas toujours idéales. Des enfants qui fréquentent une même classe peuvent avoir des profils de scolarisation très différents et des parcours migratoires aussi contrastés que parsemés d’embûches. Il faut aussi prendre en compte que les enfants sont souvent anxieux et déstabilisés d’être scolarisés dans une langue et un pays inconnus.
Malgré ces constats, beaucoup d’élèves issus des classes d’accueil réussissent dans le système scolaire. Il arrive souvent que ces élèves obtiennent de meilleurs résultats que les élèves nés ici. Les succès vécus au secteur de l’accueil des immigrants sont dus pour la plupart au dévouement des enseignantes et enseignants ainsi qu’à la résilience des élèves, bien plus qu’à un système éducatif bien structuré.
Un investissement important en ressources financières et en temps permettrait d’organiser le secteur de la francisation de façon efficace. Cela conduirait vers une réelle égalité des chances pour tous les élèves, peu importe leur origine et leur parcours.
Recap: In this article, the author explains the challenges faced by welcome classes as they try to teach French to children from all over the world and integrate them into society within a very short period of time. Major investments are needed to improve the organization, resources and teacher supports in this sector, to ensure that newcomer children are well prepared to integrate into mainstream schooling.
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2017
Les élèves réfugiés syriens ont une trajectoire scolaire perturbée, souvent interrompue, et certains présentent un grand retard scolaire ou ne sont jamais allés à l’école. C’est donc un défi pour les commissions scolaires d’accueillir ces jeunes, de faciliter leur intégration et de leur permettre des apprentissages et la réussite scolaire. Le récit constitue alors un outil privilégié pour mieux comprendre le vécu spécifique des Syriens et pour accompagner les intervenants scolaires dans leur enseignement.
Le concept de Bibliothèque vivante
Initié au Danemark, le concept de Bibliothèque vivante[1] permet à des personnes présentant un handicap de raconter leur parcours et leur ressenti à un public curieux d’en savoir davantage sur cette problématique. Les bibliothèques vivantes se fondent sur le principe que l’échange direct, par la métaphore du livre qui se raconte, serait le meilleur moyen pour partager des savoirs et pour déconstruire des préjugés à l’égard d’une population vulnérable et stigmatisée. Dépassant la problématique exclusive du handicap, notre projet auprès de jeunes Syriens et de leurs familles s’inspire, d’une part, des principes de la Bibliothèque vivante et, d’autre part, fait suite au recueil de récits de réfugiés, en 2015, au cœur du bidonville « La jungle de Calais », dans le nord de la France.
À la suite des demandes des intervenants scolaires de ce milieu, Lilyane Rachédi et Florence Prudhomme, présidente de Rwanda Avenir, ont travaillé sur un modèle de questions pour recueillir des récits d’histoire migratoire auprès de ces réfugiés. À l’intersection de ces deux expériences, au regard de nos travaux antérieurs et de la littérature actuelle, nous partons de trois constats :
Le projet Bibliothèque vivante[2] repose également sur les acquis en lien avec les Récits de familles réfugiées, la transmission, l’insertion et l’écriture. Nous nous appuyons essentiellement sur les trois aspects ci-dessous :
1. La narration et la transmission des histoires familiales de migration soutiennent l’intégration des parents comme des enfants dans la société d’accueil et contribuent à leur construction identitaire.
En effet, les familles réfugiées développent des rapports spécifiques à l’histoire en fonction de la trajectoire de leur exil, des types de conflits qu’elles ont vécus dans leur pays d’origine et, enfin, de la médiatisation dont ces conflits ont fait l’objet. Les travaux de groupe de type « histoires familiales » mettent en évidence un travail de construction, spécifiquement dans un contexte de changement de culture et face à un exil initial, à des discontinuités, à des ruptures, à des changements; l’histoire devient alors le socle d’une mémoire référentielle et du développement identitaire. Aussi, l’histoire familiale, lorsqu’elle est déposée dans l’espace public, permet une extériorisation des expériences difficiles, mais aussi une reconnaissance des stratégies développées, de la résilience et des forces des personnes.
Pour les réfugiés des guerres, les expériences de guerre constituent aussi un réservoir de ressources et de résilience[3], mais peuvent obstruer temporairement la disponibilité aux apprentissages[4]. En ce sens, ce projet de Bibliothèque vivante laisse la liberté aux jeunes et à leur famille de se raconter à leur façon et selon des paramètres méthodologiques et éthiques rigoureux, en travaillant avec des approches plurilingues de la littératie et en mettant l’accent sur l’identité comme composante centrale de l’apprentissage. Cela ajoute un élément significatif de partage et de meilleure collaboration entre les parents et l’école.
2. La narration des histoires familiales constitue un précieux outil pour les enseignants pour l’adaptation de l’élève à son nouvel environnement et aux changements nécessaires à ses nouveaux apprentissages linguistiques et scolaires.
Ce processus permet une situation d’apprentissage et de communication authentique et signifiante, qui correspond aux principes fondamentaux du programme Intégration Linguistique, Scolaire et Sociale[5]. Ainsi, en classe, plusieurs moyens pédagogiques peuvent être utilisés pour «oser» l’histoire de migration et la langue maternelle. Différents outils, issus des recherches antérieures, sont déjà disponibles : exercices brise-glace pour autoriser l’histoire personnelle, séquences didactiques alternées d’activités basées sur les connaissances antérieures, textes identitaires plurilingues, cartographie des souvenirs, utilisation de multiples médiums dont les médias sociaux, etc.[6]
Pour les réfugiés des guerres, les expériences de guerre constituent aussi un réservoir de ressources et de résilience.
3. La finalité de l’évènement Bibliothèque vivante permet un espace d’échanges et de dialogue.
D’abord, ce dialogue peut avoir lieu avec d’autres classes régulières au sein des écoles et toujours en interaction avec les différents intervenants scolaires, par le biais de Journées interculturelles, déjà instaurées dans plusieurs établissements. Cela peut ensuite être étendu à la société civile et complété sous forme d’exposition temporaire dans des bibliothèques de la Ville sur le modèle de l’exposition permanente Repères au Musée de l’immigration à Paris (exposition de récits-témoignages, vitrines d’objets significatifs).
Conclusion
Notre projet de formation Bibliothèque vivante, qui sera mis en œuvre à la Commission scolaire de Laval (CSDL), consiste donc à donner la parole devant un auditoire pour que des réfugiés, notamment syriens, racontent leur histoire de migration mouvementée. Il se déroulera auprès d’enseignants des écoles primaires et secondaires de la CSDL qui ont accueilli en 2015-2016, 735 élèves en classe d’accueil, dont 320 Syriens entre mi-décembre 2015 et fin juin 2016. Cette intensification de l’accueil d’immigrants à Laval s’inscrit notamment dans le phénomène qualifié de « banlieuisation »[7] qui caractérise ainsi l’implantation de l’immigration dans les couronnes de la métropole montréalaise, au Québec. Il nous paraissait donc important de commencer le projet à cet endroit.
Recap: The Living Library project is collecting the migration stories of Syrian refugees. By giving students the chance to share their family’s experience, and writing their stories in both their mother tongue and in French, the program aims to strengthen the young newcomers’ identities while building their French skills. It also enables school-based workers to better understand the young people in their care, so they can improve the support provided.
Photo : Lilyane Rachédi
Première publication dans Éducation Canada, mars 2017
[1] Abergel R., Rothemund A., Titley G., Wootsch P. (2005). La couverture ne fait pas le livre! Le guide de l’organisateur de la Bibliothèque vivante. Les éditions du Conseil de l’Europe.
[2] Rachédi, L. Halsouet, B. Montgomery, C. Armand F. et Gonin A. ( concours 2016). Récits de familles réfugiées : projet de bibliothèque vivante à l’école pour mieux comprendre le vécu spécifique des syriens et pour accompagner les intervenants scolaires dans leur enseignement. Financement Institut SHERPA.
[3] Vatz Laaroussi, M. et Rachédi, L. (2001). Familles immigrées des guerres en Estrie. De la connaissance au soutien. Rapport de recherche présenté au ministère de la Famille et de l’Enfance, Université de Sherbrooke et Rencontre Interculturelle des Familles de l’Estrie (RIFE).
[4] Papazian-Zohrabian, G. (2016). Les jeunes réfugiés et les enfants de la guerre à l’école québécoise. Dans Potvin, M. et Magnan, M.-O. (dir), L’éducation en contexte de diversité 183-196. Montréal : Éditions Fides.
[5] Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement primaire (2014) Enseignement secondaire (2006). Intégration Linguistique, Scolaire et Sociale. Québec : Gouvernement du Québec.
[6] Vatz Laaroussi, M., Armand, F., Rachédi, L., Stoïca, A., Combes, É. et Koné, M. (2013). Des histoires familiales pour apprendre à écrire! Un projet École-Familles-Communauté. Guide d’accompagnement. 2013. (FQRSC-MELS). www.elodil.umontreal.ca/guides/des-histoires-familiales-pour-apprendre-a-ecrire/
[7] Vatz Laaroussi, M. et Bezzi, G. (2010). La régionalisation de l’immigration au Québec : des défis politiques aux questions éthiques, Nos diverses cités, 7, page 33.