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Évaluation, Politique, Recherche

La COVID-19 et le dilemme de la perte d’apprentissage

Le danger de faire du rattrapage pour finir quand même par prendre du retard

Bien que les statistiques varient d’une province à l’autre, les écoles du Canada ont été fermées en moyenne pendant un total de 51 semaines durant la pandémie – ce qui place le pays dans la tranche la plus élevée à l’échelle mondiale quant aux fermetures d’écoles (UNESCO, s.d.). Il n’est donc pas étonnant que les décideurs provinciaux au Canada continuent d’être préoccupés par les impacts négatifs à court et à long terme des perturbations attribuables à ces fermetures sur l’apprentissage des élèves et se concentrent sur l’amélioration de la réussite dans les matières classiques comme la lecture, l’écriture, les mathématiques et la science. Selon le discours politique et médiatique dominant, les élèves ont pris du retard et doivent faire du « rattrapage » dans ces matières de base. La recherche internationale laisse certainement entendre que cette préoccupation est légitime et que l’apprentissage a été considérablement perturbé durant la pandémie.

Perte d’apprentissage au Canada et à l’étranger

Des chercheurs de plusieurs pays commencent à documenter les pertes d’apprentissage ayant touché la population étudiante en raison de la fermeture des écoles, du passage à l’apprentissage en ligne et hybride ainsi que des autres impacts associés aux vagues successives de la pandémie. Bien que les études sur le sujet soient relativement peu nombreuses, quelques nations occidentales comme les Pays-Bas (Engzell et coll., 2021), l’Allemagne (Depping et coll., 2021), la Belgique (Maldonato et De Witte, 2021) et les États-Unis (Bailey et coll., 2021) laissent entendre que l’apprentissage a essentiellement été mis sur pause pendant la pandémie. Ces études donnent également à penser que la pandémie a exacerbé des inégalités existantes, car les apprenants ayant un faible statut socioéconomique accusent un retard encore plus important par rapport à leurs pairs plus fortunés. Dans l’ensemble, la littérature émergente donne à penser que l’apprentissage et la résilience scolaires des apprenants dans le monde entier ont été particulièrement menacés durant la pandémie (Volante et Klinger, 2022a).

Malheureusement, la recherche dans le domaine de l’évaluation à large échelle au Canada, qui sert à élaborer des mesures fiables et comparables de la réussite des apprenants et des évaluations dans tout le système, a été particulièrement restreinte durant la pandémie. En fait, l’administration des évaluations aux niveaux international, national et provincial a été touchée, bon nombre d’entre elles ayant été annulées au cours des premières vagues de la pandémie. De plus, les programmes d’évaluation qui sont allés de l’avant ont présenté des taux élevés de non-participation, ce qui a eu un effet sur les plans d’échantillonnage. Ces défis ont rendu difficile la comparaison de la réussite des élèves dans les différentes provinces. En outre, les études déjà publiées sont propres à des contextes géographiques particuliers, comme Toronto (Conseil scolaire de district de Toronto, 2021), ou présentent des pertes anticipées extrapolées d’une étude sur l’apprentissage estival (Aurini et Davies, 2021). Collectivement, les études accessibles au Canada n’ont pas été en mesure de quantifier, avec un certain degré de certitude, l’impact de la pandémie sur la réussite des apprenants.

Néanmoins, les systèmes d’éducation canadiens, y compris les établissements d’enseignement supérieur, font état d’importantes lacunes sur le plan de l’apprentissage des jeunes à l’école, ce qui donne à penser que les pertes d’apprentissage ont touché les élèves de la maternelle à la 12e année et au-delà. Des organismes internationaux comme l’Organisation de coopération et du développement économiques (OCDE) (2020) et l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (2022) ont également révélé que les apprenants ayant un statut socioéconomique plus faible et leurs familles n’ont pas pu obtenir les ressources nécessaires pour réussir dans un environnement en ligne ou hybride dans le contexte de la crise générée par la pandémie. Ces défis sont également bien documentés dans les reportages des médias grand public au Canada et sont pris en compte dans les interventions stratégiques mises en œuvre par divers gouvernements provinciaux pour essayer de soutenir nos groupes d’apprenants les plus vulnérables. Cependant, le succès relatif de ces efforts et interventions n’a pas été mesuré.

Tendances sur le plan des politiques au Canada

Une de nos récentes études offre une analyse pancanadienne de l’élaboration, entre janvier 2020 et décembre 2021, de politiques en matière d’éducation spécifiquement liées à la résilience scolaire dans la foulée des premières vagues de la pandémie. Sans surprise, nos observations portent à croire qu’on a consacré davantage d’attention aux enjeux scolaires – plus précisément, les résultats d’apprentissage dans des domaines cognitifs – alors qu’un nombre relativement modeste de politiques et ressources visaient à favoriser la santé mentale et le bienêtre physique en général (Volante et coll., 2022c). Notre analyse laisse aussi entrevoir un manque de différenciation généralisé en ce qui a trait aux politiques touchant l’allocation des ressources et des mesures de soutien spécifiques au sein des instances provinciales responsables de l’éducation pour aider les apprenants à risque. Nous avançons que, sans une telle différenciation, les ressources élaborées ne seront pas pleinement mises à profit et ne parviendront assurément pas à enrayer la croissance des inégalités entre les apprenants à statut socioéconomique faible et ceux à statut socioéconomique élevé, inégalités qui ont été amplifiées par la pandémie.

Dans l’ensemble, notre étude sur les politiques fait également ressortir l’importance de revoir ce que font les systèmes d’éducation provinciaux pour obtenir des résultats positifs pour les élèves et de quelle façon ces résultats peuvent être « mesurés » et évalués. Bien que les autorités provinciales responsables des évaluations aient déjà entrepris d’importants travaux à cet égard, les mesures d’évaluation à large échelle ne fournissent actuellement pas un portrait multidimensionnel du développement des apprenants. À l’inverse, les mesures de réussite internationales comme celles administrées par l’OCDE ou l’Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire comportent des questionnaires de base visant à dégager les facteurs à l’échelle de l’apprenant, de l’école et du système qui peuvent être liés aux résultats scolaires. Par exemple, ces mesures internationales incluent de plus en plus des facteurs et résultats qui pourraient être classés dans la catégorie des compétences non cognitives, ce qui attire l’attention sur l’importance des résultats sur le plan non cognitif et du bienêtre mental et physique.

Remettre en question le discours dominant

Il serait difficile de trouver un groupe d’intervenants du domaine de l’éducation qui ne reconnaît pas l’importance de la réussite dans les matières traditionnelles comme la lecture, l’écriture, les mathématiques et la science. Toutefois, la pandémie a montré que la réussite dans les domaines cognitifs traditionnels brosse un portrait nécessaire, mais incomplet, des défis urgents que doivent surmonter les jeunes du Canada. Comme l’ont mentionné Volante, Klinger et Barrett (2021) dans un article précédemment paru dans la revue Éducation Canada, les enfants canadiens font l’objet de tendances inquiétantes en matière de santé mentale et de bienêtre en général. De la même façon, la promotion de compétences non cognitives, comme un état d’esprit évolutif, représente un cadre de plus en plus important d’attributs clés qui contribuent à la résilience des apprenants, des établissements scolaires et des systèmes d’éducation en général (Volante et Klinger, 2022b).

Ainsi, les décideurs provinciaux font face à un important dilemme. Ils doivent élaborer une vision exhaustive de l’apprentissage et du bienêtre des apprenants qui met l’accent sur les compétences cognitives (c.-à-d., réussite en lecture, écriture, mathématiques et science) et non cognitives (c.-à-d. habitudes d’apprentissage, croyances personnelles, état d’esprit évolutif) et le bienêtre en général, face aux idéologies historiques et politiques dominantes tournées presque exclusivement vers une réforme de l’éducation fondée sur des normes. En fait, les changements fondés sur des normes et la réussite dans les trois matières de base (lecture, écriture, arithmétique) orientent en grande partie les programmes de réforme d’envergure dans la majorité du monde occidental depuis plus d’un demi-siècle (Volante et coll., 2022d). Malgré les préoccupations qui ont été soulevées et les éléments de preuve qui ont été dégagés à propos de l’impact de la pandémie, chaque province et territoire au Canada continue d’adhérer à un modèle de réforme axé sur des normes qui établit une hiérarchie des matières et des résultats liés à la réussite. L’importance des autres facteurs et résultats critiques peut être reconnue, mais ceux-ci reçoivent très peu d’attention formelle, et peu d’efforts sont consacrés à tirer profit de l’information recueillie lors d’évaluations internationales qui comportent désormais de telles mesures.

Repenser la réforme à vaste échelle

On a souvent écrit que l’adversité est un catalyseur de la croissance et du changement. Il est évident que les dernières années ont généré la plus intense adversité à laquelle feront face bon nombre d’apprenants, de familles et d’enseignants au cours de leur vie. Plutôt que de revenir au statu quo qui met de l’avant un ensemble étroit de résultats liés à la réussite, la présente ère de notre histoire collective offre une occasion de revoir nos approches concernant la réforme de l’éducation à vaste échelle pour mettre en place une reconnaissance plus nuancée des compétences et attributs requis pour surmonter les défis que nous réserve l’avenir. Bien sûr, tout apprenant, parent ou enseignant vous dira que la pandémie a entraîné des pertes allant au-delà du contenu scolaire. Pour comprendre la complexité multidimensionnelle de cette « perte » et y répondre, nous avons besoin d’une nouvelle conception de ce à quoi ressemble une éducation de qualité dans un monde post-COVID. Faute de quoi, les élèves pourront sans doute rattraper leur retard scolaire mais, en contrepartie, ils risquent d’être à la traîne sur le plan des compétences non cognitives dont ils ont besoin pour leur réussite future. Il est maintenant temps de chercher des moyens de lier les évaluations et les enquêtes à l’échelle provinciale, territoriale, nationale et internationale afin d’obtenir les données dont nous avons besoin pour examiner la complexité de l’apprentissage qui soutient l’enfant dans son ensemble.

Cette étude est financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).

Références

Aurini, J. et Davies, S. (2020). « COVID-19 school closures and educational achievement gaps in Canada: Lessons from Ontario summer learning research », Canadian Review of Sociology, 58(2), 165-185. doi.org/10.1111/cars.12334

Bailey, D. H., Duncan, G. J., Murnane R. J. et Yeung N. A. (2021). « Achievement gaps in the wake of COVID-19 », Educational Researcher, 50(5), 266-275. doi.org/10.3102%2F0013189X211011237

Depping, D., Lücken, M.et coll. (2021). « KompetenzständeHamburger Schülerinnen vor und während der Corona-Pandemie [Autres mesures des compétences des élèves à Hambourg durant la pandémie de coronavirus] », DDS – Die Deutsche Schule, Beiheft, 17, 51-79. www.pedocs.de/volltexte/2021/21514/pdf/DDS_Beiheft_17_2021_Depping_et_al_Kompetenzstaende_Hamburger.pdf

Engzell, P., Frey, A. et Verhagen, M. D. (2021). « Learning loss due to school closures during the COVID-19 pandemic », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 118(17), 1-7.
www.pnas.org/content/pnas/118/17/e2022376118.full.pdf

Maldonato, J. E. et C. De Witte, C. (2021). « The effect of school closures on standardised student test outcomes », British Educational Research Journal, 18(1), 49-94. doi.org/10.1002/berj.3754

Organisation de coopération et de développement économiques. (2020). The impact of COVID-19 on student equity and inclusion: supporting vulnerable students during school closures and school re-openingsÉditions OCDEhttps://oecd.org/education/strength-through-diversity/OECD%20COVID-19%20Brief%20Vulnerable%20Students.pdf

UNESCO. (s.d.). Dashboards on the Global Monitoring of School Closures Caused by the COVID-19 Pandemichttps://covid19.uis.unesco.org/global-monitoring-school-closures-covid19

Volante, L. et Klinger, D. A.(2022a). « PISA, global reference societies, and policy borrowing: The promises and pitfalls of academic resilience », Policy Futures in Education. https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/14782103211069002

Volante, L. et Klinger, D. A. Assessing non-cognitive skills to promote equity and academic resilience (exposé), Advancing Assessment and Evaluation Virtual Conference. (2022b, 27-28 janvier). https://aaec2022.netlify.app/_main.pdf

Volante, L., Klinger, D. A. et Barrett, J. (2021). « Academic resilience in a post-COVID world: a multi-level approach to capacity building », Éducation Canada, 61(3), 32-34.

Volante, L., Lara, C., Klinger, D. A. et Siegel, M. (2022c). « Academic resilience during the COVID-19 pandemic: a triarchic analysis of education policy developments across Canada », Revue canadienne de l’éducation, 45(4), 1112-1140.

Volante, L., S. Schnepf et D. A. Klinger (éd.). Cross-national achievement surveys for monitoring educational outcomes: policies, practices, and political reforms within the European Union, Office des publications de l’Union européenne, 2022d. https://data.europa.eu/doi/10.2760/406165

Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, avril 2023

Apprenez-en plus sur

Louis Volante, Ph. D.

Professeur, Université de Brock et UNU-MERIT

Louis Volante, Ph. D., est professeur en gouvernance et en analyse des politiques de l’éducation à l’U...

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Don A. Klinger, Ph. D.

Vice-chancelier, Division de l'Éducation, Université de Waikato

Don A. Klinger, Ph. D., est pro-vice-recteur du département de l’éducation Te Wā...

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