pratiques exemplaires d'évaluation

|
Évaluation, Politique, Recherche

Évaluer les pratiques exemplaires dans les évaluations à grande échelle

Déterminer le but des programmes d’évaluation à échelle provinciale au Canada

Cet article présente les résultats d’une étude portant sur les différents programmes d’évaluations à échelle provinciale au Canada et comment les ministères d’Éducation se questionnent sur les objectifs de ces évaluations et comment elles doivent évoluer afin de mieux refléter l’apprentissage des élèves de leur province.

Toutes les provinces canadiennes élaborent et font passer des programmes d’évaluation à grande échelle dans le cadre de leurs systèmes éducatifs. Divers facteurs doivent être pris en considération lorsque les provinces en sont à la phase d’élaboration de ces programmes puisqu’elles doivent alors considérer quelles données sont requises, comment les recueillir et pour quelles raisons. On retrouve de nombreux points communs entre les différents programmes d’évaluation à grande échelle dans les diverses provinces canadiennes. Toutefois, elles ont récemment choisi d’employer des approches fort dissemblables en ce qui concerne les modifications qu’elles ont effectuées ou qu’elles désirent apporter à ces programmes. Ces changements témoignent des discussions qui se tiennent actuellement au sujet des objectifs des évaluations à échelle provinciale.

En règle générale, les élèves canadiens font l’objet d’évaluations en numératie et en littératie aux premières et aux dernières années du primaire ainsi qu’à l’école secondaire. On retrouve sur les sites Web des différents ministères de l’Éducation diverses explications concernant la passation de ces évaluations. On analyse les données recueillies afin de déterminer les besoins à tous les niveaux, qu’il s’agisse de l’ensemble de la province, des conseils scolaires, des écoles, des salles de classe ou de chaque élève en particulier. À l’école secondaire, dans certaines provinces, on utilise les notes basées sur les examens à grande échelle afin de déterminer la note finale du cours, alors que pour d’autres provinces, les tests de numératie ou de littératie déterminent si les élèves recevront leur diplôme. On rend aussi parfois ces données publiques afin de démontrer l’efficacité du système d’éducation.

L’existence de certains de ces programmes date de plusieurs décennies et ils partagent tous de nombreuses similarités à bien des égards. Les résultats agrégés obtenus sont mis à la disposition des conseils ou régions scolaires et sont aussi souvent affichés publiquement alors que les résultats des élèves sont, quant à eux, communiqués aux écoles, aux élèves ou aux parents.

Changements récents

Au cours des dernières années, de nombreuses provinces ont mis en place ou ont annoncé publiquement leur intention d’instaurer d’importants changements en ce qui concerne leurs programmes d’évaluation à grande échelle. Bien que les changements proposés soient essentiellement différents, ils représentent tous le même désir de clarifier l’objet de ces évaluations et d’en accroitre la valeur dans le contexte d’initiatives liées à des réformes éducatives.

À titre d’exemple au niveau élémentaire, on retrouve en Alberta, depuis 2015, l’Évaluation de l’apprentissage des élèves (EAE) de 3e année que les enseignants peuvent faire passer à leurs élèves, et cela à leur discrétion, durant l’année scolaire ; toutefois, ses résultats ne sont pas pris en compte dans le Pilier de responsabilisation du ministère de l’Éducation de l’Alberta. Cependant, on fait toujours passer les Tests de rendement provinciaux de 6e année et de 9e année à la fin de l’année scolaire et les données correspondantes servent à « communiquer aux Albertains les résultats des élèves en ce qui a trait aux normes provinciales à des moments précis au cours de leur apprentissage scolaire1. » Depuis 2018, l’Évaluation des habiletés de base (ÉHB) de la Colombie-Britannique inclut dans ses évaluations des activités de collaboration et d’autoréflexion en plus de questions écrites plus traditionnelles2.

Au niveau secondaire, le programme d’examens de fin de cours de la Colombie-Britannique sera supprimé progressivement et remplacé par une évaluation en littératie et en numératie qui répondra aux exigences relatives à l’obtention du diplôme3. En Nouvelle-Écosse, les examens de fin de cours en littératie et en numératie de la 12e année se déroulent maintenant à la fin de la 10e année4.

L’Ontario a récemment rendu public un document livrant les résultats d’une étude indépendante portant sur les pratiques d’évaluation et de communication du rendement des élèves de la province. Cette étude avait pour but d’analyser de près le travail de l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE), l’organisme responsable de l’élaboration des évaluations à échelle de la province. Le comité d’examen indépendant de l’évaluation résume ainsi ses conclusions dans une lettre incluse en introduction de son rapport : « Nous proposons un système d’évaluation qui privilégie les évaluations en classe pour soutenir l’apprentissage et le développement de chaque élève, susciter la participation des parents et tuteurs ou tutrices de manière significative en leur faisant part des réalisations et du progrès de leur enfant et permettre aux enseignantes et enseignants de perfectionner et de partager leurs méthodes5. » Le rapport recommande d’accorder une attention accrue à l’égard des pratiques d’évaluation diagnostique, formative et sommative de haut niveau afin de mieux fournir de l’information portant sur chaque élève. On y suggère aussi que les écoles et les enseignants ne se réfèrent plus aux données basées sur les évaluations à grande échelle se trouvant sur les rapports individuels des élèves, et cela à des fins diagnostiques : « […] les rapports concernant les élèves devraient clairement indiquer qu’il s’agit d’un aperçu [un “instantané”] du rendement à l’échelle du système et que les données ne devraient pas être employées aux fins de diagnostic ou d’évaluation. » On y propose, de plus, la cessation du programme d’évaluation à grande échelle en 3e année ainsi que l’élaboration d’un nouveau test au niveau secondaire qui ne contribuerait plus à l’obtention de leur diplôme pour les élèves. D’autres recommandations proposent que l’on poursuive la collecte de données basées sur les évaluations à grande échelle de tous les élèves afin de reconnaitre les besoins de certains groupes d’élèves qui requièrent un appui plus important et, de plus, que l’on communique de l’information aux citoyens sur le rendement du système. Un changement fondamental est aussi recommandé en ce qui concerne le rôle des évaluations à grande échelle en Ontario : « Nous proposons des évaluations provinciales à grande échelle qui offrent de l’information d’ordre public sur le rendement du système d’éducation ontarien en général et qui permettent d’orienter des améliorations futures pour favoriser la réussite de tous les élèves, y compris l’identification des iniquités en matière de résultats pour les groupes d’élèves dont les expériences et besoins divers nécessitent davantage d’attention. »

Bien qu’ils présentent des différences, ces exemples de changements dans diverses provinces montrent tous un désir de préciser le rôle des évaluations à grandes échelles et d’appliquer de nouvelles stratégies efficaces, au service du développement cognitif des élèves et des approches pédagogiques, dans le cadre des évaluations des élèves à grande échelle.

« S’il est vrai que de nombreux Canadiens confèrent une valeur aux évaluations provinciales à grande échelle, ils apprécient tout autant le travail des enseignants. »

Clarification de l’objectif des évaluations à grande échelle

Deux points de vue différents deviennent apparents lorsqu’on considère la fréquence des discussions portant sur la valeur des évaluations à grande échelle ainsi que les projets de réformes pédagogiques que contemplent les gouvernements provinciaux.

D’une part, on retrouve les partisans des évaluations provinciales qui estiment qu’elles offrent des avantages importants puisqu’elles permettent de responsabiliser les systèmes scolaires et qu’elles offrent des pistes d’appui pédagogique servant à améliorer l’apprentissage des élèves. Les plans d’affaires des divers ministères de l’Éducation présentent les données basées sur les évaluations provinciales comme une importante mesure du succès de leurs principaux projets éducatifs. Ces données servent aussi à mesurer l’amélioration scolaire. De plus, le public peut être informé à propos des résultats des efforts des systèmes éducatifs à l’aide de rapports provinciaux de données agrégées. Finalement, les tests provinciaux fournissent des données spécifiques expliquant comment chaque élève répond aux objectifs pédagogiques provinciaux.

D’autre part, on retrouve ceux qui considèrent que ce sont les enseignants qui connaissement le mieux leurs élèves, et que les données basées sur les évaluations à grande échelle n’offrent qu’une représentation ponctuelle qui ne reflète pas nécessairement le rendement individuel de chaque élève. De plus, certains jugent aussi que les évaluations à grande échelle restreignent l’attention et le temps requis à la véritable tâche d’enseignement en classe puisque les enseignants doivent consacrer trop de temps à préparer leurs classes et à faire passer ces tests, ce qui ne reflète pas nécessairement les meilleures pratiques pédagogiques. Finalement, les enseignants se sentent poussés d’améliorer les résultats des élèves à ces évaluations et ils ne perçoivent pas nécessairement une corrélation évidente entre l’amélioration de ces résultats et l’enrichissement de l’apprentissage des élèves.

Il ressort de deux sondages portant sur les attitudes du public envers l’éducation que ces deux points de vue démontrent une inutile polarisation. On apprend dans L’éducation publique au Canada — faits, tendances et attitudes, le rapport d’une enquête nationale portant sur les attitudes envers l’éducation, que 77 pour cent des Canadiens croient que les compétences des élèves au niveau secondaire doivent être évaluées à l’aide d’évaluations à échelle provinciale6. Dans une enquête plus récente portant sur l’attitude de la population ontarienne envers l’éducation, soit Public Attitudes Towards Education in Ontario, on apprend que 66 pour cent de la population appuie la décision d’évaluer chaque élève du secondaire à l’aide d’un test à échelle provinciale7. En ce qui concerne ces évaluations, cette enquête démontre toutefois moins d’appui au niveau élémentaire qu’au niveau secondaire, bien que la majorité de la population appuie toujours le maintien des évaluations au niveau élémentaire puisque 49 pour cent croient que « tous les élèves doivent être évalués » et 19 pour cent croient « qu’un échantillon de la population étudiante doit être testé ».

S’il est vrai que de nombreux Canadiens confèrent une valeur aux évaluations provinciales à grande échelle, ils apprécient tout autant le travail des enseignants. 70 pour cent des Canadiens sont satisfaits du travail accompli par les enseignants. 60 pour cent croient que les notes au niveau secondaire devraient refléter les évaluations des enseignants. 58 pour cent des Ontariens sont plutôt satisfaits ou satisfaits du travail accompli par les enseignants au niveau élémentaire alors que 50 pour cent sont plutôt satisfaits ou satisfaits du travail que font les enseignants au niveau secondaire. Il est intéressant de noter que 20 pour cent des répondants au sondage ont indiqué qu’ils ne sont ni satisfaits ni insatisfaits du travail accompli par les enseignants. 55 pour cent des Ontariens croient que les notes finales des élèves au niveau secondaire devraient principalement refléter les évaluations d’enseignants et non les résultats basés sur les évaluations à échelle provinciale. Une fois de plus, 20 pour cent des répondants ne sont ni d’accord ni en désaccord.

En règle générale, les Canadiens confèrent une valeur aux évaluations à grande échelle et en même temps, ils acceptent le jugement professionnel des enseignants lorsqu’ils apprécient les compétences des élèves. Chacune de ces approches a un rôle important à jouer et elles ne sont pas nécessairement incompatibles. C’est précisément le rôle des évaluations à grande échelle de fournir des données provinciales uniformes qui peuvent être analysées au fil du temps ; de plus, au niveau secondaire, elles permettent de mesurer le niveau de rendement de chaque élève dans les matières de base pour l’ensemble de la province. En ce qui concerne l’importance des pratiques d’évaluation en classe par les enseignants, elles fournissent, quant à elles, de l’information détaillée sur les résultats scolaires qui leur permettra de concevoir des stratégies pédagogiques pour chacun de leurs élèves au cours de l’ensemble d’une année ou d’un terme scolaires. « Tant les évaluations à grande échelle que les évaluations en classe faites par les enseignants contribuent puissamment à l’amélioration continue en éducation. Il est important que nous continuions d’appuyer les deux approches et que nous nous assurions que les deux formes d’évaluation fournissent des renseignements de qualité fiables que le public valorisera à titre de justes représentations des apprentissages des élèves », écrit Lorna Earl. Ce sentiment est aussi manifeste dans l’étude ontarienne : « Bien que la majorité préfère que l’on préserve les évaluations de l’OQRE comme outil de mesure des apprentissages, il semble y avoir peu d’appui pour les enjeux très élevés représentés par les évaluations à échelle provinciale requises pour l’obtention de diplôme pour chaque élève. Autrement dit, les évaluations à échelle provinciale et celles faites en classe par les enseignants sont toutes deux valorisées, mais pour différentes raisons [Traduction libre]. »

Considérations pour l’avenir

Les diverses instances pédagogiques canadiennes tentent de relever le défi de clarifier l’objet des évaluations à grande échelle de diverses façons. Les modifications proposées à ces programmes varient selon les provinces. D’une part, certaines provinces mettent en exécution de nouveaux programmes d’évaluation à grande échelle servant à l’obtention du diplôme, tandis que d’autres envisagent l’abandon progressif d’évaluations de longue date ayant le même objectif. Et lorsqu’une province met en œuvre des modifications majeures à son programme d’évaluation en 3e année, une autre envisage plutôt l’élimination totale de son programme d’évaluation en 3e année en place depuis vingt ans. Il est plus que probable que la plupart des provinces s’entretiennent de façon interne au sujet des objectifs de leurs programmes et explorent ensemble des avenues de changement. Comme les provinces envisagent d’apporter des changements, il faut se rappeler qu’au fil des années s’accroit la valeur des données basées sur les évaluations à grande échelle. En effet, les données recueillies au cours d’une vingtaine d’années recèlent une richesse d’informations puisque des tendances ne peuvent se dégager, être vérifiées et mener à des plans d’action que lorsqu’on dispose de données à la suite de nombreuses années. C’est la raison pour laquelle les modifications à un programme d’évaluation à grande échelle doivent faire l’objet d’une planification soignée et doivent tenir compte de sa valeur à long terme.

Il est aussi important de souligner que les couts associés à l’élaboration d’évaluations à grande échelle ne correspondent pas à la quantité d’élèves qui passent les tests. Les ressources requises à l’élaboration d’outils d’évaluation de qualité sont les mêmes pour toutes les provinces, sans égard à leur taille. Ces exigences comprennent bien sûr les matières visées, mais aussi de l’expertise psychométrique ainsi qu’une solide mise en place de procédures de production de banques de questions, de mises à l’essai sur le terrain et d’établissement de normes. Plus de deux années sont requises afin de produire une évaluation de qualité, qu’elle vise 10 000 élèves ou 130 000 élèves. Qui plus est, ces procédures doivent être mises à jour régulièrement afin de créer de nouvelles questions pour chaque nouvelle passation d’un test.

Puisque les provinces envisagent d’apporter des changements, il vaudrait la peine de relever les pratiques exemplaires associées aux évaluations à grande échelle afin que tous les élèves canadiens puissent tirer profit de pratiques novatrices d’évaluation adaptées à leurs besoins particuliers et de façon que les citoyens de chaque province puissent miser sur des données de grande qualité portant sur leurs systèmes d’éducation. Comme les systèmes éducatifs canadiens envisagent de mesurer de manière fiable et valide l’apprentissage qui a lieu dans les salles de classe de nature de plus en plus complexe et diversifiée de leurs provinces, il importe qu’un partage et une étude des idées, des expériences, des connaissances et des recherches issues de toutes les régions du pays puissent avoir lieu.

Photo : iStock

Première publication dans Éducation Canada, mars 2019


1 https://education.alberta.ca/tests-de-rendement-provinciaux/

2 www2.gov.bc.ca/gov/content/education-training/administration/kindergarten-to-grade-12/assessment/foundation-skills-assessment

3 https://curriculum.gov.bc.ca/provincial-assessment/graduation/literacy

4 https://plans.ednet.ns.ca/

5 L’Ontario : Une province en apprentissage : Constats et recommandations de l’Examen indépendant de l’évaluation et de la communication du rendement des élèves. Carol Campbell, Jean Clinton, Michael Fullan, Andy Hargreaves, Carl James, Kahontakwas Diane Longboat, Mars 2018, pages 3 et 79.

6 L’éducation publique au Canada – faits, tendances et attitudes 2007, Le Réseau ÉdCan, www.edcan.ca/articles/leducation-publique-au-canada-faits-tendances-et-attitudes-2007/?lang=fr, pages 7 et 8

7 Public Attitudes Towards Education in Ontario 2018: The 20th OISE Survey of Educational Issues: 40 Years of the OISE Surveys, Hart, Doug and Kempf, Arlo. www.oise.utoronto.ca/oise/UserFiles/Media/Media_Relations/OISE-Public-Attitudes-Report-2018_final.pdf, pages 9, 30 et 31.

Apprenez-en plus sur

vera_graysonkocay

Vera Grayson Kocay, Ph. D.

Literacy Evaluation Coordinator, Nova Scotia Department of Education and Early Childhood Development / Coordinatrice d'évaluation en littératie, Ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance de la Nouvelle-Écosse

Il vous reste 5/5 articles gratuits.

Mon compte Rejoignez notre réseau