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Enseignement, Recherche

La mémoire chez l’enfant

Transmettre des outils cognitifs pour apprendre

La qualité des apprentissages scolaires repose notamment sur la capacité de l’élève à mobiliser un système mnésique particulièrement crucial en ce domaine : la mémoire de travail (MDT). Elle lui permet de maintenir l’information active dans l’instant présent, mais surtout d’exercer des traitements sur cette information en vue de l’exécution de la tâche demandée1.

L’efficience de la MDT est notamment prédictive du développement précoce du langage, des performances en résolution de problèmes, en mathématiques, ou encore en compréhension de texte. Elle est le support des processus dits de contrôle cognitif, tels que l’attention sélective, l’inhibition, la flexibilité mentale, ou encore l’autorégulation, ensemble de processus engagés dans le traitement de l’information, nécessaires à la régulation des pensées, et à l’exécution de tout comportement dirigé vers un but2.

On a montré que l’efficience de ces processus, véritables outils cognitifs de l’apprentissage, constitue un meilleur prédicteur de la capacité de l’enfant à s’adapter dès l’école maternelle que son niveau d’intelligence3.

Leur lent développement, qui débute à la première année de vie pour se poursuivre jusqu’au début de l’âge adulte, pourrait s’expliquer au regard de ce que l’on sait aujourd’hui sur la maturation anatomique et fonctionnelle du cerveau. Il n’y a pas de période sensible pour la plasticité cérébrale. Elle s’opère tout au long de notre vie. Enseignants, éducateurs, médiateurs, voilà ici une raison d’être optimiste.

Nous naissons avec 100 milliards de neurones mais seulement 10 % des connections neuronales sont effectives. Les 90 % restant vont se développer avec l’âge. Chez l’adulte, un million de milliard de synapses vont connecter ces 100 milliards de neurones par l’intermédiaire des axones, dont la longueur peut atteindre plus d’un mètre, avec en moyenne 10 000 synapses par neurone. Une fois déployé, notre cerveau pourrait occuper une surface de 2m2. Il présente une certaine plasticité qui renvoie à la capacité qu’a notre cerveau de modifier sa structure et son fonctionnement4.

Sous l’effet de l’âge, mais aussi de l’expérience, les circuits cérébraux vont se remodeler. Le cerveau est, entre autres, constitué de substance grise, les neurones et les cellules gliales qui communiquent grâce aux synapses, et de substance blanche, les axones myélinisés, qui connectent les régions cérébrales.

La substance grise se développera de par la création de nouveaux neurones et connexions synaptiques dans certaines régions du cerveau, entraînant une augmentation de leur volume. Conjointement, le renforcement de certaines de ces connexions, dans ces régions et/ou d’autres entraînera un élagage synaptique, contribuant cette fois-ci à une diminution de volume. La substance blanche se développera de par la prolifération du nombre d’axones mais aussi de l’accroissement de leur myélinisation. Ainsi, les signaux nerveux seront transmis toujours plus rapidement et plus efficacement dans le cerveau, jusqu’à une vitesse pouvant dépasser les 400 km/h.

Les études en imagerie cérébrale ont montré que les capacités de contrôle cognitif reposent largement sur le cortex préfrontal (CPF), partie la plus antérieure de notre cerveau.

Sur le plan anatomique il présente la maturation la plus tardive, aux alentours de l’âge de 20 ans, et ses connexions corticales s’affinent et se renforcent sous l’effet des apprentissages5.

D’un point de vue fonctionnel, le recrutement du CPF est à la fois de plus en plus important avec l’âge, tout en présentant des activations régionales de moins en moins diffuses. On envisage alors que le développement anatomique et fonctionnel du CPF ait une conséquence sur le développement des capacités cognitives nécessaires aux apprentissages scolaires, dont les capacités de contrôle cognitif. Celles-ci nous permettent de jouer mentalement avec les idées, de nous adapter avec souplesse aux changements de l’environnement, de prendre le temps de réfléchir à ce qu’il faut faire ensuite, de résister aux tentations, ou encore de rester concentré.

Au regard de l’importance du contrôle cognitif dans le développement cognitif et social de l’enfant, des interventions pédagogiques permettant, même de façon limitée, d’améliorer son efficacité dès les premiers apprentissages devraient avoir un impact déterminant sur le devenir scolaire.

Les capacités de contrôle cognitif peuvent être améliorées sous l’effet de l’entraînement6. Diverses interventions ont été proposées telles que la pratique du Taekwondo, de l’aérobic, du yoga, ou encore de la méditation de pleine conscience7. Mais la plupart reposent sur un entraînement à la passation d’épreuves cognitives engageant une ou plusieurs fonctions de contrôle cognitif (attention, inhibition, flexibilité).

Il est aujourd’hui démontré qu’il améliore significativement les performances dans des tâches qui impliquent directement la MDT (transfert proche). Il peut aussi induire une amélioration des capacités d’intelligence fluide, de raisonnement, ou de compréhension de texte, qui sont tributaires du bon fonctionnement de la MDT (transfert lointain).

Ici, l’adaptation au niveau d’efficience de l’enfant semble être un des facteurs majeurs de la qualité de l’entraînement. Lorsque la difficulté des tâches proposées n’augmente pas, l’activité peut devenir ennuyeuse et l’enfant perd de l’intérêt pour les exercices. Ainsi, il semble qu’il soit nécessaire pour l’enfant de constater ses progrès pour s’améliorer. Toutefois, la question de la durée des effets de transfert est cruciale et encore très peu investie chez l’enfant.

Nous défendons l’idée d’une transmission des outils de contrôle cognitif en situation scolaire visant à amener l’élève à prendre conscience de ses erreurs et de ce dont il dispose en lui pour parvenir à les surmonter. Il ne s’agit pas d’entraîner les capacités de contrôle cognitif par l’expérience répétée de tâches ou encore de proposer aux élèves un programme d’entraînement cérébral.

Nous souhaitons pouvoir contribuer au développement de la métacognition de l’élève, en suivant pas à pas une méthode concrète d’apprentissage à l’autocontrôle8, qui repose sur une connaissance de son propre fonctionnement cognitif et neurocognitif9.

L’objectif est d’amener l’enseignant à créer une culture du contrôle cognitif en classe et de l’inscrire dans la durée de façon à permettre la généralisation des stratégies apprises.

Si les enseignants reconnaissent la pertinence d’exercer ces capacités auprès de leurs élèves, ils ne sont pas toujours formés aux concepts manipulés, faisant part de leur incapacité à utiliser correctement les outils proposés10.

Cette nouvelle forme d’éducation semble également particulièrement cruciale pour les enfants présentant un trouble d’apprentissage qui manifestent des difficultés à identifier les stratégies de résolution adéquates et les processus nécessaires à leur réalisation11.

Recap – The quality of academic learning depends on the student’s ability to mobilize a memory system that is particularly crucial in this area: working memory. The cognitive control processes that are engaged with working memory help students mentally manipulate ideas, flexibly adapt to changes in the environment, take time to think about what has to be done next, resist temptations, and remain focused. We support the idea of using school settings to teach cognitive control tools designed to help students become aware of their mistakes and how they can overcome them. This new form of education also seems apt for children who have difficulty identifying appropriate problem-solving strategies and the processes needed to carry them out.

 

 

Illustration: Dave Donald

Première publication dans Éducation Canada, septembre 2015


1 Baddeley, A., Eysenck, M. W., and Anderson, M. C. (2009). Memory. Psychology Press.

2 Mischel, W. (2014). The Marshmallow Test. Little, Brown and Company.

3 Blair, C., & Razza, R. P. (2007). Relating Effortful Control, Executive Function, and False Belief Understanding to Emerging Math and Literacy Ability in Kindergarten. Child Development, 78, 647-663.

4 Huttenlocher, P. R. (2002). Neural plasticity. The effects of environment on the developement of the cerebral cortex. Harvard University Press.

5 Gogtay, N., Giedd, J. N., Lusk, L., Hayashi, K. M., Greenstein, D., Vaituzis, A. C., Nugent, T. F., Herman, D. H., Clasen, L. S., Toga, A. W., Rapoport, J. L., & Thompson, P. M. (2004). Dynamic mapping of human cortical development during childhood through early adulthood. Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 101, 8174-8179. 

6 Morrison, A. B., & Chein, J. M. (2011). Does working memory training work ? The promise and challenges of enhancing cognition by training working memory. Psychonomic Bulletin and Review, 18, 46-60. 

7 Diamond, A. (2013). Executive functions. Annual Review of Psychology, 64, 135-168.

8 Rossi, S., Lubin, A., Lanoë, C. et Pineau, A. (2012). Une pédagogie du contrôle cognitif pour l’amélioration de l’attention à la consigne chez l’enfant de 4-5 ans. Neuroeducation, 1, 29-54. 

9 Lanoë, C., Rossi, S., Froment, L., & Lubin, A. (2015). À la découverte de mon cerveau : Un programme pédagogique neuroéducatif. Quels bénéfices pour les élèves d’école élémentaire?Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant, 134, 001-008. 

10 Ansari, D., Smedt, B., & Grabner, R. H. (2012). Neuroeducation – A Critical Overview of an Emerging Field. Neuroethics, 5, 105-117.

11 Gagné, P. P., Longpré, L. P., et Rossi, S. (2014). Trousse de remédiation cognitive MémoAction. Chenelière Éducation. Montréal : Canada. www.memoaction.com

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Sandrine Rossi

Sandrine Rossi, Ph.D., spécialisée en psychologie cognitive, est enseignante-chercheuse à l’Université de Caen Basse-Normandie (France). Elle défend l’idée d’une pédagogie du contrôle cognitif comme une des clefs de l’apprentissage. https://sites.google.com/site/sandrinerossipsycho/home

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