Du labo à l’école : mission impossible?
Loin de la phrénologie du 19e siècle qui consistait à sonder l’intelligence par la forme du crâne, les sciences cognitives d’aujourd’hui commencent à nous livrer les secrets bien gardés des mécanismes sous-jacents à l’apprentissage.
La recherche en neuro-éducation permet de dégager certains principes généraux qui pourraient avoir un impact favorable sur l’apprentissage des élèves. Cela étant dit, il ne s’agit pas non plus d’une panacée.
Bien que l’école prévoie des périodes d’une heure, je me permets de réaménager mon horaire pour en faire des périodes de 15 à 20 minutes. Par exemple, mes élèves ont des blocs de 20 minutes d’enseignement alternés en français et en mathématiques. Cette notion d’espacement des notions enseignées favorise de meilleurs apprentissages1. La recherche démontre également que les réactivations fréquentes ont un effet bénéfique sur l’apprentissage2,3. Plus une notion est présentée fréquemment, plus les connexions neuronales seront durables.
Concrètement, j’explique aux enfants que leur cerveau est comparable à un champ enneigé sur lequel il neige constamment. Lorsqu’ils font un nouvel apprentissage, c’est comme s’ils traversaient le champ pour la première fois : les enjambées sont laborieuses et souvent lentes. Puis, à force de pratiquer la notion, c’est comme s’ils repassaient à chaque fois sur les mêmes traces. De fil en aiguille, chaque passage crée un chemin de plus en plus accessible et beaucoup moins éreintant à emprunter que la première fois. Je leur fais vivre cette analogie, l’hiver, dans la cour d’école. Les élèves comprennent qu’ils ont un certain pouvoir sur leur cerveau et donc sur leur capacité d’apprendre à lire. De plus, j’évalue mes élèves quelques fois par semaine afin de réactiver constamment leurs apprentissages. Le principe qui me semble être le plus probant, mais également le plus difficile à appliquer en classe, réside en l’adjonction d’entraînements à l’inhibition cognitive4 à mes interventions d’enseignement. Autrement dit, j’essaie d’inculquer à mes élèves l’importance de réfléchir à leurs intuitions ou leurs conceptions erronées de notions vues en classe. Pour ce faire, je crée chez eux des alertes émotives5. Par exemple, je peux leur soumettre une phrase simple sans ponctuation et leur demander si quelque chose cloche quant à ce que j’ai écrit au tableau.
Je pense donc je lis (et j’écris)!
Stanislas Dehaene, professeur émérite au Collège de France, s’impose comme l’un des chercheurs ayant contribué de façon colossale à l’avancement des connaissances en neuroéducation. Ma pratique est très fortement inspirée de ses écrits6.
Considérant que le langage inné des enfants de 6 et 7 ans est le jeu, j’oriente ma pratique vers la création d’activités ludiques que je conçois. Deux marionnettes m’accompagnent dans l’enseignement de la langue. En début d’année scolaire, je planifie majoritairement des activités axées sur le code alphabétique. Par exemple, Cohen7 démontre que notre système visuel couplé de notre cerveau doit nous permettre d’établir une invariance perceptuelle quant aux différents graphèmes utilisés dans l’écriture d’une langue afin de pouvoir lire. L’association des symboles visuels A et a au même phonème nécessite un apprentissage qui est loin d’être automatique. C’est pourquoi, avec 26 berlingots de lait, j’ai créé des maisons qui constituent le village des lettres. Les élèves doivent classer différentes lettres qu’ils découpent dans des journaux dans la bonne « maison ».
Je prépare également des jeux avec des lettres magnétiques que les enfants doivent pêcher et nous utilisons des plaques à biscuits sur lesquelles des lettres aux typographies variées doivent être combinées pour créer des syllabes8.
Je réalise aussi des activités de conscience phonémique dans lesquelles l’enseignement est très explicite quant au concept de correspondance graphophonétique, mais d’abord au concept de fusion phonémique indispensable à la création d’unités lexicales intelligibles.
J’instaure également des stratégies de planification à moyen terme. J’établis certains paramètres nécessaires à un enseignement efficace. Ainsi, je tiens compte de la fréquence des graphèmes et des phonèmes, j’introduis d’abord les voyelles, puis les consonnes continues, comme le l, le m et le r. Je prends soin d’enseigner graduellement, mais dès que possible, les phonèmes formés de graphèmes qui ne peuvent se séparer, comme [̃Ԑ] dans lapin.
Syllabique ou global?
Syllabique, à dominance quasi absolue. Yuliya Yoncheva9 et ses collègues ont clairement démontré que la voie d’apprentissage syllabique était celle à privilégier. Le siège des activités cérébrales liées à la lecture se situe dans le cortex occipito-temporal ventral gauche et c’est la voie syllabique qui l’activerait le plus. C’est pourquoi je montre, à l’aide de mots étiquettes seulement, de très rares mots « outils ».
Somme toute, je reste conscient des limites de la neuroéducation compte tenu de son jeune âge, car malheureusement plusieurs neuromythes10 sont susceptibles de parasiter la pratique de ceux qui s’intéressent au mariage cerveau-éducation. Il serait pertinent que les universités et les différents employeurs permettent aux futurs enseignants et aux titulaires de classe de s’engager sur cette avenue potentiellement très riche en retombées pédagogiques.
Recap – A far cry from the methods used in the past to probe the mysteries of the human brain, today’s brain imaging techniques contribute to the development of neuroscience. By focusing research on the cognitive mechanisms involved in learning, will we be able to establish guidelines for teachers that could have a positive effect on students’ academic success? For the past few years, a Quebec teacher has been trying to apply some of these principles in the classroom. Several general principles for organizing teaching practice, including frequent repetition, cognitive inhibition, and effective strategies for teaching reading, are presented and illustrated with sample classroom activities. In short, although neuroeducation is still in its infancy, it appears to offer promise for guiding teaching practice.
Collage: Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2015
1 Schwartz, B. L. et coll. (2011). Four principles of memory improvement: A guide to improving learning efficiency. IJCPS-International Journal of Creativity and Problem Solving, 21(1), 7.
2 Bliss, T. V., & Lømo, T. (1973). Long-lasting potentiation of synaptic transmission in the dentate area of the anaesthetized rabbit following stimulation of the perforant path. The Journal of physiology, 232(2), 331-356.
3 Hebb, D. O. (2005 c.1949). The organization of behavior: A neuropsychological theory. Psychology Press.
4 Houdé, O. et coll. (2000). Shifting from the perceptual brain to the logical brain: The neural impact of cognitive inhibition training. Journal of cognitive neuroscience, 12(5), 721-728.
5 Cette appellation d’alertes émotives m’a été présentée par le Dr Steve Masson.
6 Dehaene, S. (2011). Apprendre à lire: des sciences cognitives à la salle de classe. Odile Jacob.
7 Cohen, L., Dehaene, S., et coll. (2000). The visual word form area Spatial and temporal characterization of an initial stage of reading in normal subjects and posterior split-brain patients.Brain, 123(2), 291-307.
8 Syllabes de structures variées. ( C-V, V-C, C-C-V etc. )
9 Yoncheva, Y. N. et coll. (2010). Attentional focus during learning impacts N170 ERP responses to an artificial script. Developmental Neuropsychology, 35(4), 423 – 445.
10 Lafortune, S., Brault Foisy, L.-M., & Masson, S. (2013). Méfiez-vous des neuromythes! Vivre le primaire, 26(2), 56-58.