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Chemins, Communauté scolaire, Enseignement, Équité, Évaluation

Lorsque le rêve d’une personne devient le projet de toute une communauté

Nommée doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal en juin 2010, je caresse un rêve depuis ce temps: celui de mettre sur pied un centre pour élèves présentant des difficultés d’apprentissage. Un tel centre permettrait à nos étudiants du baccalauréat en adaptation scolaire et à la maîtrise en orthopédagogie de développer une expertise en intervention individuelle auprès d’élèves du primaire et du secondaire et même d’étudiants au post-secondaire. Mon rêve était alors d’établir un centre en milieu défavorisé et pluriethnique car les parents de ces quartiers n’ont pas les moyens de payer des services orthopédagogiques en clinique privée alors que les écoles et les commissions scolaires ne sont pas toujours en mesure d’offrir de tels services à tous les élèves en difficulté. Or, on sait aussi que le nombre d’élèves en difficulté va en augmentant. Depuis près de 15 ans, l’école québécoise s’est engagée à favoriser la réussite pour tous. Cette volonté se traduit entre autres par des politiques, services et ressources dont l’orthopédagogue qui intervient auprès des apprenants présentant des difficultés d’apprentissage. L’idée d’un centre installé en milieu défavorisé où nous pourrions offrir divers services accessibles et qui serait lieu de formation novateur pour nos étudiants prenait forme.

Ma posture de doyenne m’a permis de partager ce rêve avec des collègues de la faculté et ce rêve accepté par ces derniers est devenu un projet facultaire.

Il nous fallait trouver un quartier pour établir ce centre. Notre choix s’est porté sur le quartier voisin de l’Université de Montréal, situé à deux stations de métro de la faculté : le quartier Parc-Extension. Parc-Extension est le quartier le plus défavorisé du Québec. Pas moins de 41 % de sa population vit sous le seuil du faible revenu (17 239 $/an), comparativement à 23 % à Montréal et 13 % dans l’ensemble de la province. Un nombre important des jeunes du quartier soit 35 % des jeunes n’obtiennent aucun diplôme ni qualification alors que ce pourcentage est de 20 % pour l’ensemble de la ville de Montréal1.

Depuis 2010, l’implication de la faculté dans ce quartier s’est développée que ce soit par des interventions dans ses écoles ou encore la participation à des conseils d’administration d’organismes œuvrant dans le quartier afin de nous aider à mieux comprendre les besoins de la population de Parc-Extension. Ces diverses activités nous ont permis de rencontrer des acteurs du quartier, dont les directions d’école et de partager avec eux notre projet et la vision sous-jacente. Une de ces écoles de la Commission scolaire de Montréal, l’école Barclay, venait de réaliser elle aussi un rêve celui d’une annexe lui permettant de mieux accueillir le nombre sans cesse croissant d’élèves. Par le fait même, deux salles se sont libérées. Depuis octobre 2014, grâce à la généreuse collaboration de la commission scolaire, nous occupons ces lieux pour rencontrer des élèves après la classe. Ces élèves sont référés par l’équipe-école.

Le quart des enfants vivent avec des problèmes oculaires ou visuels au Québec.

Nous croyons en une approche de petits pas; cette année une dizaine d’élèves de l’école reçoivent nos services. Au fil du temps, ces services seront offerts aux autres écoles primaires du quartier ainsi qu’aux élèves du secondaire. À terme, nous prévoyons suivre 200 élèves par année. Ainsi, suite à une évaluation de leurs besoins, les élèves seront rencontrés individuellement pendant 15 semaines. À la fin de cette période, chaque élève sera évalué afin de déterminer un plan de suivi. Des consultations additionnelles au centre pourront être proposées au besoin. Les activités se dérouleront après les heures de classe, nous ne voulons en aucun cas remplacer ce qui est fait dans les écoles, mais bien le compléter. De plus, des capsules vidéo pour les parents seront produites. Ces capsules vidéo qui seront traduites en plusieurs langues expliqueront certaines difficultés d’apprentissage et présenteront des activités à faire à la maison avec leurs enfants en soutien et en prévention (tant d’un point de vue pédagogique que d’un point de vue santé).

Depuis quatre ans, j’ai beaucoup parlé de notre projet à l’équipe de direction de l’Université de Montréal à tel point que deux collègues ont levé la main pour dire présents : le doyen de la faculté de médecine dentaire et le directeur de l’école d’optométrie et ce projet a pris une toute nouvelle dimension : un centre en pédagogie et en santé. Un centre unique en son genre, un centre de pédagogie sociale avec au milieu l’élève et sa famille, l’élève et ses besoins sur lesquels nous allons travailler pour lui donner le plus de chance de réussite. C’est ainsi qu’en plus des services en orthopédagogie, des services de soins dentaires et d’optométrie seront assurés dès ce printemps par des étudiants en formation dans ces deux domaines.

En effet, la santé buccodentaire des enfants issus de milieux défavorisés est souvent négligée. Dans la région de Montréal, le pourcentage d’enfants participant au programme de gratuité des services dentaires pour les 0 à 9 ans est de seulement 40 %, l’un des plus bas au pays et qui plus est en diminution2. De plus, l’ampleur des problèmes de santé buccodentaire est plus marquée chez les personnes vivant dans un contexte de pauvreté. Ainsi, au Québec, le taux de caries chez les enfants de 5 et 6 ans issus de familles à faible revenu est deux fois supérieur au taux observé chez les enfants provenant de familles mieux nanties3.

Quant à la corrélation entre une bonne vision et la capacité d’apprentissage, elle n’est plus à faire : 80 % de l’apprentissage passe par les informations reçues par notre système visuel. Or, le quart des enfants vivent avec des problèmes oculaires ou visuels au Québec4. Au-delà de la détection et de la correction de troubles de la vue pouvant avoir un impact sur l’apprentissage, l’examen de la vue peut également favoriser le dépistage de troubles neurologiques : par exemple, de nombreux signes et symptômes du trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention sont similaires à ceux des problèmes de coordination des yeux. Dans ces deux cas, l’élève peut éprouver des difficultés à se concentrer et à lire. À nouveau, les différents services seront offerts par les étudiants de l’école d’optométrie sous la supervision des professeurs de l’école.

Notre projet ne s’arrête pas là. Au fil du temps, d’autres collègues de la santé seront appelés à intervenir afin d’offrir une gamme plus large de services en pédagogie et en santé pour l’élève et sa famille. Mais cela demandera un lieu plus vaste nous permettant d’offrir cette gamme de services. C’est ici qu’un autre pan de la communauté, la communauté des affaires est appelée à intervenir car les coûts associés à un tel projet sont importants et dépassent nos capacités. Nous avons besoin de soutien financier. En novembre dernier, le projet de L’extension a été présenté aux gens d’affaires dans le cadre de l’événement « Je vois Montréal », sous le parapluie du projet « Adopter une école » (dans notre cas, il s’agit de tout un quartier!).

C’est ainsi que le projet d’abord pensé par une personne puis adopté par une faculté puis par la communauté universitaire est devenu le projet de toute une communauté! L’inauguration officielle du centre a eu lieu le 18 février 2015. À cette occasion, de nombreuses personnes de divers horizons ont répondu à l’invitation : des élus, des gens représentant des organismes du quartier, des écoles et de la commission scolaire, de l’Université de Montréal (recteur, vice-recteurs, doyens, professeurs, personnel non enseignant, étudiants). Tous y étaient pour soutenir un projet qui est devenu le leur, le projet d’une communauté.

 

Recap – this article discusses the development and implementation of an inter-faculty centre – Centre l’Extension – combining education and health in Parc-Extension, one of the country’s most disadvantaged neighbourhoods. This centre provides services and care to neighbourhood students and their families. Created by the Université de Montréal’s Faculty of Education, Faculty of Dentistry and School of Optometry, Centre l’Extension has two key mandates: to serve the community (through remedial education for elementary, high school and even college students, and basic and preventive services in dentistry and optometry) and to train our students. The project is being rolled out in two phases. For Phase I, the centre has been set up in Barclay Elementary School, located in the area. However, the small facilities in the school will limit the dentistry and optometry services provided. In the planned Phase II, the Centre will have its own permanent space where it will be able to offer a wider range of services.

Illustration: public domain

Première publication dans Éducation Canada, mai 2015


 


 

1 Portrait sociodémographique et économique de l’arrondissement (2014) CÉDEC Centre-nord.

2 Source : Ministère de la santé et des services sociaux du Québec (2011). Portrait de santé du Québec et de ses régions : les statistiques.

3 Brodeur JM, Olivier M, Benigeri M, Bedos C, Williamson S. Étude 1998-1999 sur la santé buccodentaire des élèves québécois de 5-6 ans et de 7-8 ans. Québec : Ministère de la Santé et des Services sociaux. Gouvernement du Québec; 2001 Rapport No 18. Collection analyses et surveillance.

4 Source : Association des optométristes du Québec.

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Louise Poirier

Louise Poirier, Ph.D., est doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal

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