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Formation professionnelle

Les élèves de moins de 21 ans ont-ils un projet professionnel qui les anime?

« Quel métier souhaites-tu exercer quand tu seras adulte? » LA grande question! LA question piège que la parenté pose aux jeunes au souper du jour de l’An, entre un vœu de « succès dans tes études » et une dernière tournée de tarte aux pommes. Cela dit, la pression que subissent les jeunes pour identifier leur voie professionnelle rapidement et efficacement est forte. Les adolescents sont généralement amenés à se prononcer entre 15 à 17 ans sur leur intention professionnelle. Avec les moyens et les ressources à leur disposition, ils tentent de cerner ce qui leur apparaît être l’orientation la plus pertinente pour eux.

Les défis de l’orientation professionnelle

Les critères qui déterminent ce qui est une « orientation pertinente » peuvent toutefois différer entre les jeunes et les adultes. Aux yeux de l’adulte, le projet du jeune peut comporter des failles. Mais faire un choix pertinent, réaliste, rationnel, bien documenté et adapté à ses aptitudes n’est pas simple. De fait, un jeune peut avoir une vision idéalisée du métier qu’il envisage; il peut avoir un objectif irréaliste qui s’accorde plus ou moins bien avec ses capacités; il peut opter pour un cheminement qui ne reflète pas l’orientation souhaitée. Pourtant, ce choix peut lui permettre de progresser, de se développer et de cheminer vers la vie adulte, et surtout, ce choix est susceptible d’avoir du sens pour le jeune malgré les failles qu’y observent les adultes1 2.

Pour imager les choses, comparons les projets professionnels des jeunes à du gruyère : il y a bien là un fond de fromage, mais il est plein de trous. Devant un jeune en processus d’orientation, la question à se poser alors, en tant qu’adulte bienveillant, mais parfois oppressant, est celui-ci : « est-ce qu’un fromage à trous demeure un fromage valable? » Autrement dit, si le projet du jeune comporte des failles aux yeux des adultes, peut-il tout de même constituer une intention d’avenir valable? Porteuse de sens? Qui mobilise l’élève sur ses apprentissages? Certainement3!

La différence entre un projet bien ferme et une aspiration (un projet à trous) peut se situer à différents endroits. Notamment, l’aspiration qu’un jeune porte peut avoir tout de même du sens dans l’optique où il lui permet de se mobiliser vers un but à atteindre. S’il change d’orientation en cours de route, cette première aspiration aura contribué positivement au développement du jeune. Autrement dit, elle l’aura fait cheminer.

Pourquoi la formation professionnelle (FP)?

Une enquête sur les caractéristiques et les besoins des élèves de FP réalisée en 2019 au Québec auprès de 2 680 élèves nous a permis de répondre, entre autres choses, à des questions concernant les raisons qui poussent les jeunes à s’inscrire dans ce secteur de formation4. Pourquoi se diriger vers cette voie de diplomation, souvent perçue au Québec comme la voie de la dernière chance pour les élèves en difficulté? Plus spécifiquement, pour quelles raisons les jeunes de moins de 21 ans s’inscrivent-ils en formation professionnelle menant à un métier spécialisé?

L’enquête a eu lieu dans les régions de l’Estrie, du Saguenay et du Lac-St-Jean. Pour l’ensemble des répondants, l’âge varie entre 15 et 61 ans. Parmi les répondants, les élèves de moins de 21 ans forment le groupe démographique le plus important, soit 1 134 élèves (42,3 % de l’échantillon). Parmi ces jeunes, 87,7 % étaient inscrits en formation générale (secondaire ou adulte) avant d’entreprendre leurs études professionnelles.

Par ailleurs, alors que la FP est constituée de 21 secteurs d’activité, les jeunes de moins de 21 ans ayant répondu au sondage se concentrent principalement dans trois d’entre eux où ils représentent plus de la moitié des répondants, soit 1) en entretien d’équipement motorisé (60,1 %); 2) en soins esthétiques (56 %); 3) en métallurgie (54,4 %).

Les données recueillies dans cette étude mettent en évidence le fait que pour la plupart des jeunes répondants, le programme auquel ils se sont inscrits constitue leur premier choix. Ces données s’éloignent du portrait plus sombre dressé jusqu’à maintenant des élèves de FP, réputés pour s’y trouver par défaut ou par « incapacité » à poursuivre des études avancées. De façon plus précise, les élèves ont été questionnés sur les raisons à la base du choix de leur programme d’études professionnelles. Les prochaines lignes rendent compte de ces raisons.

Quelques statistiques

La Figure 1 présente le pourcentage de réponses des élèves au regard des raisons qui les ont amenés à leur choix de programme d’études. Puisqu’ils peuvent avoir répondu oui à plus d’une raison dans le sondage, le total dépasse 100 %.

Mais que disent ces données des aspirations et des projets professionnels? Les jeunes inscrits en FP y sont-ils par dépit, par hasard, par défaut? Les raisons ayant motivé leur choix fournissent-elles des indices d’élèves en bonne posture, porteurs d’un projet ou d’une aspiration permettant de se mobiliser sur leurs études, ou non? En fait, ces statistiques signalent quelque chose de très intéressant. En effet, plusieurs des jeunes de 15 à 21 ans interrogés semblent non seulement savoir pourquoi ils s’inscrivent dans une formation professionnelle, mais ils annoncent le faire parce qu’ils se connaissent bien et qu’ils connaissent aussi les débouchés du programme choisi.

Le marché de l’emploi est également en transformation et les débouchés des métiers spécialisés sont plus attrayants.

Les trois quarts des élèves de moins de 21 ans ont dit avoir choisi leur programme d’étude parce qu’il conduit au métier qu’ils veulent exercer dans la vie. Ensuite, deux autres raisons rejoignent pratiquement la moitié des jeunes : c’est parce que le programme correspond à leurs forces, leurs qualités et leurs aptitudes et qu’ils aiment le côté manuel du métier qu’ils exerceront qu’ils l’ont choisi. Puis, 42 % des jeunes élèves ont indiqué que le choix du programme était en lien avec une satisfaction personnelle, une curiosité et la soif de nouvelles connaissances.

On peut donc considérer que de nombreux jeunes de moins de 21 ans inscrits en FP s’y trouvent pour de « bonnes raisons », du moins, pour des raisons qui sont en lien avec qui ils sont et ce qu’ils veulent faire comme métier. Ces motifs sont susceptibles de faciliter la mobilisation des élèves sur l’apprentissage et leur permettre de cheminer progressivement malgré les obstacles.

En contrepartie, pour certains jeunes, les raisons qui les ont poussés à s’inscrire dans leur programme d’études professionnelles signalent qu’il y a surtout des trous dans leur fromage. Ces élèves sont possiblement porteurs d’une aspiration professionnelle. Certaines de ces aspirations, bien que moins solides, peuvent être porteuses de sens pour les élèves, mais dans d’autres cas, elles sont plutôt le symptôme d’une indécision professionnelle ou de difficultés personnelles.

Ainsi, 19 % des jeunes de moins de 21 ans sont inscrits en FP parce qu’ils n’avaient pas envie ou ne pouvaient pas faire des études au cégep ou à l’université. Certains pourraient avoir envisagé ou tenté d’entreprendre des études postsecondaires sans mener le projet à terme. Puis, dans le cas de 10 % des élèves de moins de 21 ans, c’est une personne de l’entourage qui a fait des démarches pour les inscrire en FP ou les a incités à le faire. Le choix de programme ne semble donc pas provenir initialement des élèves, du moins, pas complètement, ce qui est susceptible de compliquer la mobilisation sur l’apprentissage. D’autres jeunes (7 %) se sont inscrits en considérant que n’importe quel programme faisait l’affaire. Cette raison témoigne de l’absence de projet professionnel défini, cependant, ces élèves se maintiennent en formation et poursuivent leur progression. Quelques élèves (5 % des jeunes) disent que c’est pour suivre leurs amis qu’ils se sont inscrits en FP. Dans leur cas également, se note une impression de choix par défaut et peu réfléchi ou du moins d’un choix éloigné d’un projet professionnel. Enfin, à peine 3 % des élèves annoncent s’être inscrits à un programme en attendant de pouvoir accéder à un autre programme de formation.

Ainsi, même si certains jeunes inscrits en FP présentent un portrait plus sombre en termes de choix professionnel, leur situation demeure peu fréquente si elle est comparée à l’ensemble des répondants du même âge. Ces contextes plus éloignés du projet ou des aspirations porteuses de sens ne concernent en effet que moins d’un élève sur cinq.

Conclusion

En somme, quatre élèves sur cinq de moins de 21 ans inscrits en FP y sont pour des raisons qui témoignent de l’actualisation d’une aspiration ou d’un projet professionnel liée à une connaissance de soi et des métiers sur lesquels déboucheront leurs études. Nous sommes donc loin du portrait négatif souvent brossé au sujet de la formation professionnelle et des personnes qui s’y inscrivent. Ces jeunes ne se sentent pas, pour la grande majorité, dans une impasse, mais en route vers la réussite et l’exercice du métier qu’ils ont choisi. Certes, un certain nombre d’élèves ont une posture plus incertaine face à leur choix de programme et de carrière, mais ils sont nettement moins nombreux que ce qui s’observait il y a quelques années. La réputation de voie de la dernière chance qu’a longtemps portée la formation professionnelle semble ainsi être de moins en moins méritée. Cette situation est probablement liée au fait que le paysage du marché de l’emploi est également en transformation et que les débouchés des métiers spécialisés sont plus attrayants. Ainsi, dans le processus d’orientation professionnelle des jeunes, les parents et les enseignants gagneraient à soutenir leur exploration des métiers spécialisés ; ils risquent en effet de rencontrer des oreilles bien attentives.


Photo : Gracieusé de les auteurs Chantale Beacher et Stéphanie Breton

Première publication dans Éducation Canada, juin 2020

1 Beaucher, C. et Dumas, I. (2008). Les intentions d’avenir d’adolescents de cinquième secondaire : aspirations ou projets professionnels? Carriérologie11(3-4).

2 Beaucher, C. (2004). La nature du rapport au Savoir d’adolescents de cinquième secondaire au regard des aspirations ou projet professionnels. Thèse de doctorat non publiée en sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal. Montréal : UQAM.

3 Beaucher, C. (2004). La nature du rapport au Savoir d’adolescents de cinquième secondaire.

4 Beaucher, C. (2004). La nature du rapport au Savoir d’adolescents de cinquième secondaire.

Apprenez-en plus sur

Chantale Beaucher, Ph.D.

Professeure au Département de pédagogie de l’Université de Sherbrooke

Chantale Beaucher est professeure au Département de pédagogie de l’Université de Sherbrooke depuis 2003 où elle est rattachée aux programmes d’enseignement professionnel. Ses recherches actuelles se penchent sur le concept de rapport au savoir ainsi qu’aux problématiques des élèves à besoins particuliers en formation professionnelle. Elle est également directrice de l’Observatoire de la formation professionnelle du Québec.

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Stéphanie Breton, Ph.D.

Professeure, Université de Sherbrooke

Stéphanie Breton est professeure au Département de pédagogie de l’Université de Sherbrooke, intervient dans les programmes d’enseignement professionnel. Ses intérêts de recherche portent sur les adultes en formation qui éprouvent des difficultés d’apprentissage, notamment en formation professionnelle.

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