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Design technopédagogique, Pratiques prometteuses

Le leadership par le milieu

Une stratégie visant les systèmes

Cet article est aussi disponible en anglais ici.

Depuis notre évaluation de la stratégie britannique sur la littératie et la numératie de 1998-20021, mes collègues et moi nous sommes penchés sur le « changement à l’échelle des systèmes » (comment la totalité des écoles d’une province, d’un État ou d’un pays peut s’améliorer). Par la suite, nous avons mis en application les leçons tirées de l’Angleterre à la stratégie de réforme de l’Ontario qui a commencé en 2003. Dans un article précédent pour l’ACE2, j’avais précisé les « grandes lignes » suivantes :

  1. Tous les enfants peuvent apprendre.
  2. Un petit nombre de priorités principales.
  3. Un leadership résolu.
  4. Une capacité collective.
  5. Des stratégies faisant preuve de précision.
  6. Une reddition de comptes intelligente.
  7. Tous veut dire tous.

Nous en avons appris beaucoup sur le changement à l’échelle des systèmes, grâce à une étude de cas exhaustive sur l’Ontario échelonnée de 2003 à 20153. Au cours de notre examen et de nos travaux portant sur des systèmes de partout dans le monde, dont certains étaient relativement centralisés et d’autres relativement décentralisés, nous avons commencé à chercher une méthode plus efficace pour assurer la réussite du système tout entier, peu importe le point de départ.

La réponse, dont le présent article fait l’objet, est le « leadership par le milieu » (LpM), un concept qui a tout d’abord fait surface dans l’évaluation de la mise en œuvre d’une initiative sur l’enfance en difficulté en Ontario, effectuée par Hargreaves et Braun4. Le gouvernement avait octroyé 25 millions de dollars au Council of Ontario Directors of Education, pour qu’il dirige la mise en place de cette initiative dans les 72 commissions scolaires de la province. En quelque sorte, le gouvernement avait donc demandé au « milieu » – les commissions scolaires – de diriger le changement au sein du système.

Le LpM et sa raison d’être

Au sein des systèmes d’éducation, le haut correspond à l’État, le milieu aux commissions scolaire ou aux régions et le bas aux écoles et aux collectivités. Même lorsque la plupart des éléments sont pertinents, le leadership du haut vers le bas ne dure pas, parce qu’il est trop difficile d’obtenir, et tout particulièrement de soutenir, un appui généralisé du bas. À bien des égards, la stratégie de l’Ontario était dirigée par le haut (le gouvernement). Même si elle comportait plusieurs notions de solides partenariats, elle n’était pas assez intégrée, au bout du compte, pour instaurer un changement de système durable (voir « Nouvelles pédagogies pour l’apprentissage approfondi (NPAA) et l’Ontario » ci-dessous). De même, le changement du bas vers le haut (par exemple, l’autonomie des écoles) ne se traduit pas par une amélioration générale du système. Certaines écoles s’améliorent, d’autres non, et l’écart entre les écoles plus performantes et moins performantes se creuse davantage.

La question primordiale qui se pose alors est la suivante : comment pouvons-nous atteindre le plus haut niveau de cohérence, de capacité et d’engagement au sein du système qui produira une amélioration soutenue?

On peut définir brièvement le leadership par le milieu comme suit : une stratégie délibérée qui rehausse la capacité et la cohérence interne du milieu, lequel devient ainsi un partenaire plus efficace vers le haut en direction de l’État et vers le bas en direction de ses écoles et de ses collectivités, pour obtenir un meilleur rendement du système. Le but du LpM est d’augmenter la cohérence générale du système en donnant au milieu le moyen d’accorder plus d’importance aux buts du système et aux besoins locaux. Ce n’est donc pas une stratégie indépendante, mais plutôt une stratégie constituée d’interrelations. L’approche est un outil puissant parce qu’elle mobilise le milieu (les commissions scolaires et les réseaux d’école), développant ainsi une capacité généralisée, alors que le milieu travaille plus efficacement avec ses écoles et devient un partenaire plus important et plus influent vers le haut, en direction du centre.

Même lorsque la plupart des éléments sont pertinents, le leadership du haut vers le bas ne dure pas, parce qu’il est trop difficile d’obtenir, et tout particulièrement de soutenir, un appui généralisé du bas.

La stratégie du LpM est utilisée par de nombreux systèmes autour du monde. À l’heure actuelle, mes collègues et moi participons à des initiatives en Californie (commissions scolaires travaillant ensemble sur les buts du système), au Connecticut (commissions scolaires travaillant en cohortes) et au Québec (à nouveau, des commissions scolaires qui travaillent ensemble à réaliser des priorités de portée locale et provinciale). Dans le présent article, j’aurai recours à deux exemples : l’un tiré du système relativement décentralisé de la Nouvelle-Zélande, l’autre de celui de la province de l’Ontario, qui est relativement centralisé.

Changement de système en Nouvelle-Zélande

En 1989, la Nouvelle-Zélande a adopté une loi radicale (à l’époque). Du nom de Tomorrow’s Schools (L’avenir des écoles), elle abolissait les administrations régionales et instaurait l’autonomie des écoles, chacune étant dotée de son propre conseil d’école. L’évaluation des répercussions de cette loi dépasse la portée de cet article, mais nous pouvons affirmer que, dans l’ensemble, elle n’a pas entraîné d’amélioration générale de la performance du système (par exemple, l’écart entre les écoles plus performantes et moins performantes s’est accru). En 2014, le gouvernement actuel a adopté une autre initiative. Investing in Educational Success (Investir dans la réussite scolaire) prévoyait un nouveau budget d’un montant appréciable de 369 millions de dollars néo-zélandais, pour mettre sur pied des réseaux d’école qui collaboreraient afin de susciter l’amélioration. La Nouvelle-Zélande compte environ 2500 écoles et on s’attendait à ce que toutes les écoles participent à des réseaux de 5 à 20 écoles. Au tout début, la proposition fut imposée au système et fut accueillie par une opposition généralisée.

Au cours des dix-huit derniers mois, le système a travaillé à une résolution du problème que je qualifierais avant tout de solution de LpM. Par exemple, le gouvernement et les fédérations d’enseignants et de directeurs d’écoles primaires ont défini ensemble les lignes directrices d’une « initiative conjointe ». En voici les cinq principes fondamentaux5 :

  1. Les enfants sont au cœur d’un itinéraire d’apprentissage intégré et harmonieux, du palier primaire aux options tertiaires.
  2. Informés et engagés, les parents participent à l’éducation de leur enfant et font partie d’une communauté qui a des attentes élevées pour ces enfants et attend beaucoup de la part de ces derniers.
  3. Soutenus par leur propre apprentissage et leur propre perfectionnement professionnels, et ceux de leurs collègues, les enseignants et les dirigeants de l’éducation collaboreront systématiquement pour améliorer les résultats d’apprentissage de leurs élèves.
  4. Les enseignants et les dirigeants de l’éducation pourront rendre compte des progrès mesurables des défis d’apprentissage et de réussite particuliers de leurs élèves.
  5. Les enseignants et les dirigeants de l’éducation acquerront des compétences et graviront les échelons de leur profession en suivant des parcours professionnels clairement définis pour le perfectionnement et l’avancement.

Dans le cadre de ces principes globaux, la Nouvelle-Zélande élabore d’autres exigences, afin d’encadrer les travaux des réseaux en émergence. Ces lignes directrices se conforment aux huit critères que Santiago Rincon-Gallardo et moi avons formulés au sujet des réseaux d’écoles ou de commissions scolaires qui font preuve de LpM. Nous avons défini les huit éléments essentiels des réseaux efficaces6 :

  1. Établir des relations de confiance
  2. Se consacrer à des buts d’apprentissage élevés pour les élèves, liés à des résultats mesurables
  3. Améliorer continuellement la pratique pédagogique
  4. Avoir recours à un leadership délibéré et à une facilitation chevronnée
  5. Se tourner « vers l’intérieur » fréquemment, pour échanger et apprendre
  6. Se tourner vers l’extérieur pour apprendre des autres
  7. Former de nouveaux partenariats entre élèves, enseignants et familles
  8. Obtenir les ressources adéquates pour soutenir le travail

Il est trop tôt pour évaluer l’impact de la stratégie de LpM de la Nouvelle-Zélande, mais elle fournit un exemple clair de tentative délibérée de mobiliser le milieu du système pour en assurer la réussite.

Nouvelles pédagogies pour l’apprentissage approfondi (NPAA) en Ontario

L’Ontario constitue un cas particulièrement intéressant, parce que son utilisation d’une stratégie affirmative émanant du gouvernement, combinée à des partenariats avec ses districts, a remporté un franc succès. La province a obtenu de bons résultats sur les évaluations de base de la littératie et de la numératie (moins impressionnants, cependant), ainsi que pour le taux de diplomation d’études secondaires. Ce qui devient manifeste est qu’un tel modèle pourrait ne pas convenir à l’innovation et aux compétences connexes pour le XXIe siècle.

Mes collègues et moi travaillons à une stratégie que nous appelons « nouvelles pédagogies pour l’apprentissage approfondi » (www.npdl.global) dans sept pays, dont le Canada. Les nouvelles pédagogies renvoient à l’établissement de partenariats d’apprentissage entre les élèves, les enseignants et les familles. Nous sommes présentement en train de définir et de raffiner les détails de ces partenariats, qui reposent essentiellement sur des rôles proactifs d’apprentissage assumés par les élèves et les enseignants, en recourant aux pratiques pédagogiques les plus récentes.

L’apprentissage approfondi respecte six critères qu’on peut appeler les six C : l’éducation du caractère, la citoyenneté, la collaboration, la communication, la créativité et la pensée critique. Je réitère que nous en sommes à définir et à raffiner des instruments qui évaluent et soutiennent ces résultats.

À l’heure actuelle, quelque 15 commissions scolaires de l’Ontario et du Manitoba s’affairent à mettre ces idées en œuvre et à les disséminer dans leurs pratiques. Permettez-moi d’expliciter clairement en quoi cela représente le leadership par le milieu :

  • Les commissions scolaires et les écoles constituent le centre de gravité des NPAA, et non pas la province. Les idées sont compatibles avec les politiques du gouvernement, mais ne sont pas menées par la province. Cela est particulièrement intéressant en Ontario, parce qu’après environ huit ans de leadership central (2003-2011), les commissions scolaires ont plus de possibilités de mener le changement. Je ne peux affirmer qu’il s’agit là d’une politique délibérée, mais je peux souligner que plusieurs commissions scolaires font montre d’esprit d’initiative de leur propre chef, qu’elles font équipe avec d’autres commissions scolaires, et que les NPAA en sont un exemple par excellence.
  • Les éléments essentiels de ce travail de LpM sont l’innovation et la dissémination. Après avoir établi une capacité pédagogique fondamentale d’enseignement de la littératie, un grand nombre d’écoles et de commissions scolaires retiennent de nouvelles pédagogies qui engagent les élèves et les enseignants dans des problèmes de la vie réelle.
  • Ce modèle de changement en est un que Maria Langworthy et moi avions formulé dans A Rich Seam. Voici comment nous avons décrit le processus : « Avoir une vision directionnelle, lâcher prise et ralentir7. » À l’évidence, cela représente un modèle dynamique, mais il nécessite aussi un certain degré de « discipline ». Premièrement, le fait d’avoir une vision directionnelle oriente la direction (notre définition des NPAA, par exemple). Deuxièmement, le fait de lâcher prise encourage les gens à faire les choses autrement, mais en tenant compte de la nouvelle direction générale. Nous sommes en train de documenter des exemples de ce travail en action, par exemple alors que les élèves et les enseignants s’attaquent à des problèmes locaux et travaillent ensemble pour trouver des solutions novatrices. Troisièmement, le fait de ralentir s’intègre au processus du coapprentissage. Nous sommes également en train de documenter les formes que cela peut prendre, mais pouvons dire que cela consiste à utiliser des questions et des protocoles ciblés pour en arriver à un nouveau sens et à une nouvelle évaluation8. Comme ce modèle est fortement doté de transparence, de précision d’action, d’évaluation des apprentissages – dont les résultats d’apprentissage–, d’échanges continus et de délibération, les bonnes idées sont repérées et retenues. Le modèle n’est pas linéaire, mais plus ou moins simultané. Il engendre et il évalue un fort volume d’innovation. Ces idées peuvent être davantage raffinées, en lien avec les politiques-cadres et les évaluations provinciales.

Dans les NPAA que nous évaluons, on apprend l’assimilation des connaissances et leur diffusion. Cela semble désordonné et ce l’est, dans une certaine mesure. Mais cela promet de produire de meilleures idées, plus rapidement, ainsi qu’avec une capacité et une responsabilité locales accrues. Et, parallèlement, le tout s’inscrit dans une disposition d’esprit que nous avons qualifiée de « systémalité » : un engagement à contribuer au système général et à bénéficier de ce dernier. Le LpM cultive des activités et un coapprentissage qui placent constamment les gens dans un contexte d’interactions à leur propre niveau, et également au-delà de ce niveau, alors que les idées sont raffinées dans le cadre d’échanges régionaux, provinciaux et, pour ce qui est des NPAA, internationaux.

Bref, les NPAA constituent un exemple percutant et précis de LpM axé sur l’innovation et sur l’avenir de l’apprentissage

La promesse du LpM

Il est crucial de souligner que, chaque fois que le milieu se mobilise, ce n’est pas automatiquement une bonne chose. Auparavant, nous avons mentionné nos huit critères sur la collaboration9. Ainsi, avoir un but moral puissant, travailler sur les nouvelles pédagogies qui approfondissent l’apprentissage ainsi que sur les résultats d’apprentissage, changer le système dans son ensemble, et ainsi de suite, constituent des composants essentiels.

Le LpM est un nouveau concept, qui n’a pas été complètement mis à l’épreuve et évalué. Mais son caractère très prometteur repose sur au moins trois excellentes raisons :

  1. Il plaît instantanément à une masse critique de gens qui veulent jouer un rôle et n’ont pas été en mesure, jusqu’ici, de voir comment ils pouvaient apporter leur contribution. Lorsque les gens prennent connaissance des idées du LpM, ils s’identifient rapidement avec son potentiel, parce que cette stratégie donne enfin aux personnes qui sont au milieu un rôle important à jouer.
  2. Il se prête à d’innombrables utilisations et convient tout particulièrement aux innovations capitales qui font cruellement défaut dans les systèmes d’éducation publique. Pour les élèves et les éducateurs, les systèmes scolaires traditionnels sont devenus barbants et ennuyants. Le LpM suscite et accueille les innovations grandement nécessaires à grande échelle et, en même temps, aide à repérer et à évaluer ce qui devrait être retenu et diffusé.
  3. Par définition, il met en cause le système tout entier, à partir du milieu, vers le haut et vers le bas. Outre notre application du concept au sein de systèmes, le LpM peut et devrait aussi être utilisé selon d’autres optiques. Par exemple, selon l’optique d’une commission scolaire, les écoles représentent le milieu. Et, selon l’optique intrascolaire et communautaire, les enseignants, les élèves et les familles constituent le milieu.

Conclusion

Les gouvernements sont devenus de moins en moins efficaces pour ce qui est de mener le changement au sein des systèmes.

Le vieux modèle – prioriser et mettre en œuvre – n’est plus viable. Il ne peut engendrer l’innovation et l’apprentissage assez rapidement pour répondre aux demandes du XXIe siècle. Pour ce qui est de ces dernières, ce qui s’impose est l’innovation continue en temps réel, engendrée et évaluée au moyen du coapprentissage (latéralement au sein des salles de classe, des écoles et des commissions scolaires, ainsi qu’entre elles; et hiérarchiquement, des écoles à leur commission scolaire, et des commissions scolaires à la province). Pour ce type d’innovation, le milieu est essentiel.

Le leadership par le milieu représente une façon de pensée nouvelle et puissante, qui nous libère des modèles désuets et limités qui dépendent de la pensée descendante du haut vers le bas, comparativement à la pensée ascendante, du bas vers le haut. Il libère une masse plus nombreuse de gens qui peuvent participer au changement pertinent du système et, ultimement, être responsables des changements qu’ils créent ensemble.

 

 


Illustration : iStock

Première publication (en anglais) dans Education Canada (décembre 2015)

 

1 L. Earl, M. Fullan, K. Leithwood, et N. Watson, Watching & Learning: OISE/UT evaluation of the national literacy and numeracy strategies (Londres, Angleterre : Ministère de l’Éducation et de la Formation, 2003).

2 M. Fullan, « Big Ideas Behind Whole System Reform », Education Canada, vol. 50, no 3 (2010), p. 24-27.

3 M. Fullan et S. Rincon-Gallardo, « Developing High Quality Education in Canada: The case of Ontario », dans Adamson, Astrand, et Darling-Hammond, (dir.), (Londres : Routledge, sous presse).

4 A. Hargreaves et H. Braun, Leading for All (Ontario : Council of Ontario Directors of Education, 2010). www.ontariodirectors.ca/downloads/Essential_FullReport_Final.pdf

5 New Zealand Education Institute, Ministère de l’Éducation, Joint Initiative Agreement (Wellington, N.-Z. : (2015).

6 S. Rincon-Gallardo et M. Fullan, «Essential Features of Effective Networks and Professional Collaboration », Journal of Professional Capital and Community (sous presse).

7 M. Fullan et M. Langworthy, A Rich Seam: How new pedagogies find deep learning (Londres : Pearson, 2014), p. 48.

8 M. Fullan, « Leadership in a Digital Age », présentation au Deep Learning Hub (octobre 2015). www.npdl.global

9 Voir aussi notre « cadre de cohérence » : M. Fullan et J. Quinn, Coherence: Putting the right drivers in action (Thousand Oakes, CA : Corwin Press, 2015).

Apprenez-en plus sur

Michael Fullan Author Education Canada magazine

Michael Fullan

Advisor to the Premier and Minister of Education in Ontario

Michael Fullan, Order of Canada, is the former Dean of the Ontario Institute for Studies in Education of the University of Toronto and currently serves as an Advisor to the Premier and Minister of Education in Ontario.

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