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Apprentissage autochtone, Engagement, Évaluation

Le chii kayeh, un programme d’éducation à la santé sexuelle pour les élèves des Terres-Cries-de-la-Baie-James (Eeyou Istchee)

Remerciements 

Nous tenons à remercier tous les élèves qui ont participé au programme chii kayeh ainsi que les enseignants et enseignantes, les parents, les directeurs et directrices, les infirmiers et infirmières, les médecins, les aînés et aînées et tous les membres des communautés qui les ont accompagnés entre 2006 et 2008. Cette étude a été subventionnée par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), Programme de recherche communautaire, volet autochtone.

La légitimité de l’éducation à la santé sexuelle à l’école repose notamment sur le fait que sa mission est compatible avec le développement de compétences qui  rendent l’élève apte à faire des choix éclairés et responsables en matière de santé sexuelle ainsi que sur l’existence d’un lien entre la santé et la réussite scolaire.

Le programme d’éducation à la santé sexuelle vise à réduire l’incidence des ITS, du VIH et des grossesses non planifiées chez les jeunes.

Face à certaines données épidémiologiques inquiétantes caractérisant la santé sexuelle des adolescents et adolescentes des Terres-Cries-de-la-Baie-James (MSSS)[1], le Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James et la Commission scolaire crie ont uni leurs efforts de manière à mettre en place un programme d’éducation à la santé sexuelle visant à réduire l’incidence des ITS (infections transmissibles sexuellement), du VIH (Virus de l’immunodéficience humaine) et des grossesses non planifiées chez les jeunes. Cet article présente une initiative prometteuse menée à titre de projet-pilote entre 2006 et 2009 dans les écoles secondaires de deux communautés de l’Eeyou Istchee, le programme chii kayeh, dont la version révisée a été proposée à l’ensemble des communautés à l’automne 2009.

Le nom chii kayeh, qui veut dire Toi aussi, a été donné au programme par un membre cri du comité qui a initié le projet-pilote en 2005. Les raisons pour lesquelles ce nom a été donné au programme sont présentées aux jeunes dès le premier cours du chii kayeh, de manière à ce qu’ils se sentent concernés. On leur explique alors que la santé sexuelle est le gage d’un individu, d’un couple, d’une famille et d’une Nation en santé et que c’est la responsabilité de toutes et tous d’y contribuer, par conséquent, Toi aussi.

L’objectif du programme chii kayeh est d’outiller les élèves de troisième ou quatrième secondaire afin qu’ils puissent faire des choix éclairés en matière de sexualité. Les choix explorés dans ce programme sont : 1) attendre à plus tard pour avoir des relations sexuelles avec un nouveau partenaire; 2) utiliser le condom,  si sexuellement actif. Les enjeux entourant ces options sont abordés avec les élèves de manière à ce qu’ils se fassent une opinion raisonnée, prennent une décision éclairée et aient les moyens de l’assumer. Le programme vise aussi le développement de l’estime de soi des élèves et de leurs aptitudes à utiliser un style de communication affirmatif et à appliquer diverses stratégies pour résister à la pression négative des pairs. Une dernière aptitude visée est la capacité à coopérer par le biais d’un projet élaboré en équipe, sur un des thèmes abordés dans le programme, et qui sera éventuellement partagé  avec les autres élèves de l’école.

Ce programme d’éducation à la santé sexuelle a le mérite d’être l’un des premiers développés par et pour les communautés cries du Québec.

Le développement et la validation du programme chii kayeh : un processus participatif

Suivant les principes de l’approche participative, l’élaboration du programme chii kayeh a nécessité l’implication des membres des communautés à toutes les étapes. Dans le but de développer un programme culturellement adapté, plusieurs groupes de discussion ont été réalisés en avril 2005 auprès de 26 informateurs-clés venant du secteur tant de la santé que de l’éducation ou de la communauté. Une étude exploratoire a été menée auprès de 52 adolescents et adolescentes de 4ième et 5ième secondaire afin de recueillir leurs croyances à l’égard de la sexualité, du report des relations sexuelles et de l’usage du condom. Le programme a ensuite été développé à partir des orientations et contenus identifiés lors de ces consultations et en s’inspirant du Programme Express Protection (PEP), un programme de formation par les pairs  évalué et jugé efficace en Montérégie, région au sud de Montréal (Caron, Godin, Otis & Lambert)[2].  La première version du programme comportait alors 44 cours répartis sur une année et les derniers étaient réservés à la préparation du projet d’équipe. Une présentation de cette première version du programme a eu lieu et  les commentaires de 21 représentants des deux communautés choisies pour le projet-pilote ont été recueillis.

Le programme a été implanté au cours des années scolaires 2006-2007 et 2007-2008 auprès de quatre classes d’élèves dans chacune des communautés pilotes, Waskaganish et Waswanipi. Les enseignants de chaque communauté ont été accompagnés par une facilitatrice crie ainsi que par l’équipe de recherche de la Chaire de recherche du Canada en éducation à la santé, nouveau partenaire associé pour réaliser l’évaluation formative du chii kayeh. Cette évaluation a permis de procéder à la validation  culturelle du programme ainsi qu’à préciser les aspects logistiques de son implantation. Pendant ces deux années, les enseignants devaient remplir un journal de bord après chaque cours dispensé (208 journaux de bord remis et analysés), les élèves ont complété un questionnaire d’appréciation (n=79) et des entrevues ont été réalisées auprès d’élèves (n=12), d’enseignants, de parents et d’autres acteurs ayant gravité autour du programme (n=39). Ce dispositif a permis de tirer des leçons sur la pertinence des activités proposées, la structure du programme, les moyens pédagogiques utilisés et les facteurs contextuels qui en ont affecté l’implantation. L’ensemble de ce projet pilote a permis d’adapter le programme chii kayeh pour qu’il réponde davantage aux façons d’être et d’apprendre des jeunes cris et à la structure dans laquelle il s’insère.

Quelques leçons tirées du projet-pilote

À la première année d’implantation, entre 20 et 37 cours sur les 44 prévus à l’origine ont pu être dispensés par les enseignants et 41 % des élèves rapportent avoir assisté à plus de la moitié des cours offerts. La façon dont le programme était conçu au départ n’a pas permis aux élèves d’avoir le temps de préparer une présentation pour les autres élèves de l’école. À la lumière de ce constat, la structure du programme a été révisée de manière à ce que les cours dévolus au projet d’équipe soient davantage définis et arrivent plus tôt dans l’année plutôt qu’à la fin. Dans la deuxième année, sur les 45 cours prévus et réaménagés, entre 34 et 42 cours ont été dispensés et 50 % des élèves disent avoir assisté à plus de la moitié des cours. En outre, les élèves de 3 classes sur 4, soit 39 élèves, ont été en mesure de présenter leur projet d’équipe aux autres élèves.

L’analyse des données des journaux de bord et des entretiens a permis d’identifier plusieurs facteurs qui expliquent ce degré d’implantation imparfait sur les deux années. Une première catégorie de facteurs relève de l’environnement physique et socioculturel. Les conditions climatiques et des événements culturels (semaines de relâche pour la chasse à l’orignal ou à l’outarde) ou sociaux (funérailles, mariages) significatifs dans la communauté ont entraîné à la fois un nombre élevé de jours de fermeture de l’école et un haut taux d’absentéisme des élèves ou des enseignants. Sur le plan organisationnel, le roulement important du personnel enseignant (jusqu’à quatre enseignants différents dans la première année pour certains groupes) a été un facteur majeur ainsi que le moment réservé à l’agenda pour offrir le programme. Les cours prévus pour la première heure du matin ont plus souvent été annulés compte tenu du faible nombre d’élèves présents. La leçon était alors reportée créant un décalage dans le calendrier du programme.

 D’autres facteurs relèvent des caractéristiques du programme lui-même et de celles des enseignants. Les thèmes abordés, la structure du programme, le grand nombre de cours et la complexité de plusieurs d’entre eux ont influencé le degré d’implantation. Pour ce qui est des enseignants, les caractéristiques sont leur motivation, leur confort et leur expérience dans l’enseignement ou avec la thématique du programme, la concordance avec leurs propres valeurs, leurs connaissances de la culture crie et le soutien qu’ils ont reçu des autres ressources de l’école. Les caractéristiques des élèves ont aussi joué un rôle important. S’il a semblé clair que le contenu du programme était pertinent, apprécié des élèves et adapté culturellement sur plusieurs points, quelques techniques éducatives proposées au départ ne semblaient pas correspondre à leur façon d’apprendre. Ils ne semblaient ni familiers, ni à l’aise, avec le travail d’équipe, les discussions de groupe, les présentations orales et les exercices où l’écrit est important. Rappelons que le programme était dispensé en anglais ou en français et la plupart du temps, par un enseignant non autochtone. En revanche, le recours aux historiettes et aux exercices plus personnels semblait les rejoindre davantage. Le programme a été modifié en conséquence.

Malgré ce degré d’implantation que nous aurions souhaité plus élevé, l’appréciation des enseignants et des élèves y ayant participé a été favorable et a permis de repérer plusieurs points forts au programme. Plus de 60 % des élèves ont rapporté avoir trouvé le programme intéressant et se sont dits satisfaits des apprentissages réalisés. Pour la première année, les thèmes qui reçoivent la cote d’apprentissage la plus élevée sont : le condom (77 %), les conséquences de l’abus d’alcool (73 %), les stratégies de résistance à la pression des pairs (69 %), l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (ETCAF) (63 %) et le contrôle abusif (61 %). La structure du programme ayant été réajustée pour la deuxième année, les élèves rapportent avoir davantage appris sur les thèmes suivants : le condom (90 %), les ITS et le VIH (74 %), les grossesses non planifiées (71 %), les stratégies de résistance à la pression des pairs (62 %) et l’affirmation de soi (60 %). Pour les deux années, environ 54 % des élèves rapportent avoir fait des apprentissages relatifs à la décision de remettre à plus tard les relations sexuelles. Quelques extraits tirés des entretiens réalisés auprès des jeunes illustrent bien leurs réactions au programme :

« Je pense que oui [qu’il devrait être offert dans les autres communautés], parce que ça m’a vraiment aidé encore, pour l’estime que j’ai de moi-même, et comment dire aux gens que je pense que c’est une bonne idée ». « Alors, les jeunes vont apprendre à propos du respect de soi et autres choses à propos de grandir ». « J’ai appris à m’affirmer ». « Maintenant je comprends ce qu’est la pression des pairs et comment dire non ».

Dans la deuxième année, 39 élèves ont été en mesure de réaliser et présenter leur projet d’équipe aux autres élèves.  Ainsi, dans les deux communautés, 14 kiosques ont-ils été montés sur les thématiques du condom (5), du report des relations sexuelles (4), de l’affirmation de soi (3) et des ITS/VIH (2). Leur appréciation de cette expérience est éloquente : ce qu’ils retirent d’abord, c’est une grande fierté (65 %), le sentiment d’avoir été en mesure de relever un défi (53 %), le sentiment que c’était utile pour les autres (53 %) et pour eux-mêmes (50 %). Pour plusieurs, ce fut l’occasion de recevoir des commentaires positifs d’adultes (50 %) et des autres élèves (37 %). Les élèves de secondaire 2 interrogés semblent avoir apprécié le travail des plus grands.

Ces leçons ont servi à renforcer l’adaptation culturelle du programme, à produire sa version  finale, le chii kayeh iyaakwaamiih (Toi aussi, fais attention), un programme sur les relations interpersonnelles et la santé sexuelle, avec tous ses outils pédagogiques et à rédiger le guide à l’intention des enseignants ainsi que le guide d’implantation qui permettra son déploiement vers les autres communautés cries.

Les défis du chii kayeh iyaakwaamiih pour les années à venir

Le déploiement du nouveau programme dans les neuf communautés cries à l’automne 2009 et sa pérennisation à plus long terme soulève plusieurs défis. Outre les contraintes géographiques qui sont d’emblée un défi quand il faut couvrir un si vaste territoire, la formation des enseignants très tôt en début d’année scolaire aux fondements et à l’application du programme est essentielle, mais compromise par la difficulté pour le milieu scolaire à stabiliser son personnel dès les premières semaines.

Un autre défi relève du développement dans chaque école d’une façon de s’approprier le programme et de l’inclure dans les disciplines et les activités hors classe. Dans chaque école, le chii kayeh iyaakwaamiih doit avoir son porteur de dossier qui verra à mettre en commun des ressources motivées, de l’école et de la communauté, capables de travailler en équipe ou en partenariat, de manière à ce que les élèves participent à l’ensemble des leçons proposées.

D’autre part, ce qui se fait à l’école doit être en lien avec les services offerts aux jeunes dans le réseau de la santé et dans la communauté. Il doit y avoir complémentarité entre ce que le chii kayeh iyaakwaamiih véhicule et les services provenant d’autres sources à l’intention des jeunes à l’échelle locale. Ces conditions demandent un soutien organisationnel explicite au programme tant du milieu scolaire que du réseau de la santé et des services sociaux et une visibilité de ce dernier auprès des parents et dans la communauté.

Espérant que le chii kayeh iyaakwaamiih contribue à l’amélioration de la santé sexuelle et du bien-être des jeunes de l’Eeyou Istchee dans les prochaines années et que la méthodologie développée pour le concevoir, l’implanter et le déployer inspire d’autres initiatives d’éducation à la santé à l’école auprès des jeunes cris.

RECAP – Providing sexual health education programs at school is legitimate not only because it helps develop skills in students that will enable them to make informed and responsible choices in terms of their sexual health; but also because there is a direct connection between health and school results/success. Confronted with worrisome trends in teenagers’ sexual health in the Terres-Cries-de-la-Baie-James region, the Cree Board of Health and Social Services of James Bay and the Cri School Board worked together to implement a Sexual Health Education program: the goal is to reduce the incidence of Sexually Transmitted Infections, HIV, and unplanned pregnancies among youth. This paper presents the “chii kayeh programme”, a promising initiative that was led as a pilot project between 2006 and 2009 in secondary schools of two First Nations communities in the Eeyou Istchee region; the revised was programme was then proposed to all communities of that region in the fall of 2009. 


[1] Ministère de la santé et des services sociaux (2007). Portrait des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) au Québec – Année 2006 (et projections 2007). Collection Analyses et surveillance, Gouvernement du Québec.

[2] Caron, F., Godin, G., Otis, J. & Lambert, L.D. (2004). Evaluation of a theoretically-based AIDS/STD peer education program on postponing sexual intercourse and on condom use among adolescent attending high school. Health Education Research, 19(2), 185-197.

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Sara Mathieu-Chartier

Sara Mathieu-Chartier, bachelière en sexologie, a réalisé les analyses des données recueillies dans les deux dernières années alora que Mélanie Gagnon, sexologue, a coordonné les activités de recherche de la première année du projet-pilote.

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Mélanie Gagnon

Mélanie Gagnon, sexologue, a coordonné les activités de recherche de la première année du projet-pilote alors que Sara Mathieu-Chartier, bachelière en sexologie, a réalisé les analyses des données recueillies dans les deux dernières années.

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Joanne Otis

Joanne Otis, chercheure principale de cette étude, est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation à la santé de la faculté des Sciences de l’éducation de l’UQAM.

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Isabelle Duguay

Isabelle Duguay, infirmière et étudiante au doctorat en santé publique de l’Université de Montréal, travaille aussi pour le CSSSBJ. Elle a collaboré à la production des dernières versions du programme.

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Françoise Caron

Françoise Caron, sexologue, travaille pour le CSSSBJ et a participé à l’ensemble de la démarche comme co-chercheure y compris la production des multiples versions du programme.

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