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Communauté scolaire, Évaluation, Pratiques prometteuses

Efficacité des systèmes de formation canadiens

Contexte socioéconomique

La transformation de la production du savoir, qui a marqué le début  du  21e siècle, a entraîné des bouleversements dans toutes les sphères d’activités et laisse entrevoir davantage de changements à propos des compétences exigées pour occuper un emploi. Selon le rapport final de Bergeron et al.[1] sur les perspectives du marché du travail canadien, on prévoit que 59.2 % des nouveaux emplois de la main-d’œuvre non étudiante créés au Canada en 2013 se retrouveront dans des professions requérant généralement des compétences de niveau postsecondaires ou faisant partie du groupe de la gestion, et que près d’un tiers (31 %) se retrouveront dans des professions nécessitant des études secondaires. Si ce pronostic se maintient, un manque d’efficacité des systèmes de formation  constitue une menace pour le développement socioéconomique d’un pays. Si rien n’est entrepris pour favoriser la réussite et l’accroissement des compétences, cela se traduira par la rareté d’une main-d’œuvre hautement qualifié.

En outre, la rationalisation des ressources financières dans les domaines prioritaires (santé, éducation, etc.) a modifié la façon de les gérer. Aussi, la nouvelle procédure de gestion due à la rareté des ressources a introduit les dispositifs d’obligation de rendre des comptes sur l’utilisation des fonds publics et des dépenses auprès des administrations centrales et des gouvernements. Le domaine de l’éducation n’a pas échappé à cette obligation et celle-ci a exercé des pressions auprès des systèmes éducatifs en vue d’accroître le niveau de l’éducation et leur capacité à satisfaire les besoins du marché du travail. Ces pressions ont contribué, comme le mentionne Broadfoot[2], « à faire apparaître l’importance de l’accountability et à développer le sentiment que les établissements scolaires devraient être à la fois efficaces et capables d’atteindre réellement les objectifs déterminés au niveau national ».

Tous ces aspects du contexte socioéconomique poussent les intervenants du monde de l’éducation à examiner l’efficacité des systèmes d’éducation et à se questionner à ce sujet.

Efficacité des systèmes de formation

Deux conceptions de l’efficacité des systèmes éducatifs ont été élaborées (Psacharopoulos  et Woodhall)[3] : l’efficacité externe et l’efficacité interne. L’efficacité externe d’un système éducatif est définit par sa capacité à préparer les élèves et les étudiants à leur rôle futur dans la société. Elle se mesure par des critères externes aux systèmes éducatifs tels que la qualité de la main-d’œuvre et sa productivité.

Ainsi, l’efficacité externe des  systèmes de formation canadiens est relativement faible. D’après le Compendium de l’OCDE[4] sur les indicateurs de productivité,  le Canada occupe le 18e rang au classement de la croissance de la productivité de la main-d’œuvre dans le secteur des entreprises, comptant 26 pays membres pour lesquels les données sont disponibles. La productivité de la main-d’œuvre canadienne s’est accrue de 0.9 % seulement de 2000 à 2005. La persistance de ce ralentissement s’expliquerait par le rétrécissement du marché du travail et par une pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans le processus de production, selon Cross[5] : « Les employeurs recherchent et recrutent de plus en plus des travailleurs moins productifs du fait  que  leur expérience, leurs compétences ou leur  formation sont moindres ». Lorsque le Canada est comparé à d’autres pays du G8,  on constate que la productivité de la main d’œuvre progresse moins rapidement que celle des États-Unis (2.6 %), du Royaume-Uni (1.7 %) et de la France (1.3 %). Ce sont l’Allemagne (0.8 %) et l’Italie (0.3 %) qui affichent une croissance de productivité la plus faible par rapport au Canada.

L’efficacité interne se rapporte  aux relations entre les inputs éducatifs et les résultats scolaires. Les inputs éducatifs renvoient aux ressources engagées dans le système éducatif  (niveau initial des élèves, qualité des maîtres, etc.). Par ailleurs, les  résultats des élèves, quand ils sont appréhendées au travers d’une étude internationale, représentent vraisemblablement l’indicateur le plus utile pour juger de l’efficacité interne comparée des systèmes éducatifs, notamment parce que par rapport au taux de diplômés, ils constituent une mesure harmonisée des acquisitions cognitives[6].

Ainsi, d’après une étude de l’OCDE[7], les systèmes de formation canadiens enregistrent des pourcentages d’élèves les plus performants en sciences (12 %), en mathématiques (13.6 %) et en compréhension écrite (14.5 %) pour l’année 2006 qui dépassent ceux des autres pays du G8 (Japon, Allemagne, France, Italie, États-Unis, Royaume-Uni et Russie). Par ailleurs,  l’enquête de Statistique Canada et du Conseil des ministres de l’Éducation du Canada[8] révèlent que le pourcentage des élèves âgés de 16 ans ayant obtenu au moins le niveau de rendement attendu (niveau 3) atteint une moyenne nationale de 64 % en sciences (évaluation écrite) pour l’année 2004, 49.7 % en mathématiques (contenu) pour l’année 2001 et 60.6 % en écriture pour l’année 2002. L’Alberta détient le record en sciences avec un pourcentage de 72.4, le Manitoba, celui en mathématiques avec 63.2 % et le Québec, celui en écriture avec 74.5 %. C’est l’Ontario qui enregistre le pourcentage  d’élèves ayant atteint  le niveau de rendement le plus faible en sciences (48.2 %),  suivi de la Nouvelle-Écosse, en écriture (42.8 %) et de Terre-Neuve-et-Labrador (36 %), en mathématiques. Toutes les provinces maritimes (Terre-Neuve : 58.2 %; Îles-du-Prince-Édouard : 51.8 %; Nouvelle-Écosse : 42.8 %; Nouveau-Brunswick : 56.4 %), les provinces de l’ouest (Manitoba : 42.3 %; Saskatchewan : 57.1 %; Alberta : 59.2 %; Colombie-Britannique : 57.0 %) et l’Ontario (44.8 %) enregistrent des pourcentages d’élèves ayant atteint le niveau de rendement attendu en écriture en deçà de la moyenne canadienne (60.6 %).

Les statistiques reproduites ici démontrent bien l’ampleur des faibles pourcentages d’élèves ayant atteint le niveau de rendement attendu dans plusieurs provinces au Canada et  rend compte du manque relatif d’efficacité des systèmes de formation canadiens. Cette prise de conscience amène tous les intervenants à se questionner : Comment peut-on améliorer les systèmes éducatifs pour accroître leur efficacité?

Amélioration des  systèmes de formation

D’abord, il faut  savoir que les chercheurs utilisent les termes « amélioration », « innovation » et « changement » comme s’ils étaient identiques. Pourtant, les trois termes diffèrent. L’amélioration désigne une modification impliquant trois éléments essentiels pour que son utilisation soit adéquate : 1) le changement d’une situation initiale inadéquate; 2) le changement en vue d’un modèle attendu et 3) l’évaluation des résultats obtenus par rapport à la situation initiale.  Le « changement » signifie la modification de la situation initiale. Quant au terme « innovation », il représente « une modification qui conduit à introduire des éléments nouveaux » (Demeuse et al.)[9]. Le terme retenu ici est celui de l’amélioration. Appliquée à l’éducation, l’amélioration des écoles désigne « un effort systématique visant à changer les conditions d’apprentissage ainsi que les autres conditions qui y sont liées dans une ou plusieurs écoles, dans le but ultime de réaliser plus efficacement les objectifs éducatifs » (Van Velzen et al.)[10].

Plusieurs projets d’amélioration scolaire ont été mis de l’avant pour amener les  écoles à un niveau de rendement supérieur, mais les effets de très peu ont été évalués. Aussi, les recherches à ce sujet se concentrent davantage sur la description des projets (études de cas particuliers) et sur la formulation des conseils pratiques destinés aux agents de l’amélioration plutôt que sur le développement et la vérification systématique de théories concernant l’objet de l’amélioration et la manière de l’améliorer[11]. Rares aussi sont les recherches longitudinales concernant  l’amélioration scolaire à travers des sites multiples qui ont examiné les trajectoires de changement et les conditions de leur production  (Earl et al.)[12]. Néanmoins, un programme intégrant « efficacité » et « amélioration scolaire » centré sur un processus de planification de style collaboratif ressort de la littérature : le programme d’amélioration des écoles du Manitoba (PASM), au Canada, , on a évalué, à différents moments, les écoles et leur efficacité une fois qu’elles ont été changées.

Programme d’amélioration de l’école du Manitoba (PASM)

Le PASM a été implanté en 1991 par la Fondation canadienne Walter et Ducan Gordon. Cette fondation caritative a choisi la province du Manitoba comme site pilote du projet de réforme de l’enseignement secondaire canadien. Le projet a pour mission d’améliorer les expériences d’apprentissage et les résultats des élèves du secondaire, en particulier ceux à risque, en renforçant les capacités des écoles à participer activement à l’apprentissage des élèves[13]. Pour accéder au financement du PASM, chaque école doit proposer un programme spécifiant les objectifs de développement, les ressources, un budget et une méthodologie d’évaluation. Les propositions soumises sont évaluées selon plusieurs critères : initiative des enseignants, intégration d’une approche collaborative et participative au sein de l’école, emphase sur la résolution de problèmes fondamentaux de l’éducation et de l’apprentissage, identification des besoins des élèves adolescents, potentiel d’application à d’autres écoles, potentiel du projet pour un impact à long terme sur l’école et volet d’évaluation appropriée. D’après le PASM, l’école peut sélectionner son propre pôle de développement en autant qu’elle porte un intérêt particulier au soutien des élèves à risque et qu’elle implique  sa communauté éducative dans le processus de communication  touchant l’amélioration. Une fois son programme  accepté, l’école peut obtenir un financement et un soutien durant des années. L’approche d’amélioration du PASM est centrée sur le renforcement des capacités et le processus mis en place par chaque école résulte du postulat selon lequel le changement à une plus forte probabilité de se manifester si les enseignants se prononcent sur son orientation et son rythme, si l’école crée ses propres initiatives et si le personnel externe participant au projet procure un appui.

L’évaluation du PASM réalisée par Earl et ses collaborateurs a montré que le programme a eu des effets positifs sur le rendement et l’apprentissage des élèves. Dans toutes les écoles du groupe 1 qui ont adhéré au programme entre 1991 et 1997, on a révélé une augmentation de la proportion d’élèves qui réussissent. La proportion d’élèves à risque qui réussissent  bien s’est maintenue, sauf dans deux écoles où l’on rapporte une diminution de 1997 à 2002. Tous les élèves des écoles du groupe 1 ont indiqué des notes plus élevées en 2002 qu’en 1997 et cette augmentation s’est révélée significative dans deux écoles. Les données suggèrent qu’il n’y a pas eu de changement  concernant le taux de diplômation du cycle supérieur de 19971998 à  20012002, mais que le pourcentage d’élèves qui ont passé les examens provinciaux de mathématiques et d’anglais s’est accru durant la période. Dans les écoles du groupe 2 admises au programme en 1998-1999, les élèves d’une école ont signalé des notes plus élevées en 2002 qu’en 2000. On indique aucun changement dans la proportion d’élèves réussissant, dans le taux de diplômation et le pourcentage d’élèves qui ont passé les examens provinciaux d’anglais, sauf pour les examens de mathématiques l’on souligne  une diminution du pourcentage d’élèves de 2000 à 2002. Par ailleurs, en comparant quelques indicateurs de rendement entre les  écoles du groupe 2 et celles du groupe 3 qui se sont jointes au programme en 2000-2001, les élèves des écoles du groupe 3 (2002) rapportent de plus fortes notes que ceux des écoles du groupe 2 (2000).

Le rapport d’évaluation des auteurs a permis de déceler quelques éléments de succès du travail  d’amélioration scolaire menant à des  résultats plus élevés. On note l’accès à toute une gamme de soutien (par ex. : le financement, le soutien technique d’évaluation, l’assistance consultative, le perfectionnement du personnel) et l’implantation de réseaux cohérents de personnes, d’écoles et d’organisations axés sur l’amélioration scolaire et qui permettent le partage des idées et des actions dans et entre les écoles par le biais de contacts directs, de rapports annuels, de conférences et d’ateliers. Les écoles qui ont connu du succès ont tiré profit du processus d’enquête, rendant ainsi leur personnel apte à collecter des données sur le changement, à les interpréter et à reconnaître qu’il faut s’appuyer  sur des données relevant d’un processus continue d’enquête et de réflexion dans la prise de décision. Le fait que le programme ait contribué à accélérer le rythme du changement dans les écoles, ait encouragé les écoles à faire participer les élèves et à tenir compte de leur opinion  dans la prise de décision a aussi  favoriser le succès des efforts d’amélioration scolaire, ainsi que l’implantation de services de renforcement des capacités des écoles.

En définitive, il existe des indications que le programme d’amélioration scolaire a eu des effets positifs sur le rendement et l’apprentissage des élèves, mais ces effets sont relativement faibles et sont assujettis à la présence de conditions  favorables comme le soutien.

Le défi premier des systèmes de formation canadiens de demain est d’accroître leur efficacité.

Conclusion

Le défi premier des systèmes de formation canadiens de demain est d’accroître leur efficacité. L’école, en particulier, devra s’efforcer d’augmenter le niveau de rendement des élèves, de former des travailleurs qualifiés et compétents, tout en s’assurant de répondre aux nouvelles ouvertures d’emploi. Pour atteindre ces objectifs éducatifs, le recours à l’implantation de programmes d’amélioration scolaire augmentée serait approprié. Il conviendrait aussi d’évaluer dans le temps l’efficacité des écoles une fois qu’elles ont changé, y compris la façon des améliorer.

RECAP – The purpose of this paper is to provide a general description of Canadian educational systems’ efficiency. Diane Lafond first provides some background looking at socioeconomic aspects that have led to a nationwide fundamental rethinking about the efficiency of Canada’s education. The author then explores this trend in Canada based on indicators such as school success, offering interesting comparisons with other OCDE countries. Looking forward, Lafond presents one of the strategies that aim at improving students’ results: Manitoba School Improvement program.


[1] Bergeron L. P., Dunn K., Lapointe M., Roth W., & Tremblay-Côté N. (2004). Perspectives du marché du travail canadien pour la prochaine décennie, 2004–2013. p. 57. (No de cat. : SP 615 10 04F). Ottawa : Ressources humaines et développement social Canada. Direction de la recherche en politiques et coordination. Politique stratégique et planification. (En ligne). Disponible : http://www.hrsdc.gc.ca/fra/sm/ps/rhdc/rpc/publications/recherche/2004-002750/page04.shtml

[2] Broadfoot, Patricia. (2000). « Un nouveau mode de régulation dans un système décentralisé : l’État évaluateur ». Revue française de pédagogie. 130. p. 45.

[3] Psacharopoulos, G., et Woodhall, M. (1988). L’éducation pour le développement; une analyse des choix d’investissements. Paris : Economica. p. 218

[4] OCDE (2006). Compendium of productivity Indicators. Paris : Organisation de Coopération et de Développement Économiques. (En ligne). Disponible : http://www.oecd.org/dataoecd/4/22/37574961.pdf

[5] Cross, Philip. (2007). Tendances récentes de la production et de la l’emploi : Comptes des revenus et dépenses-Série technique (No de cat. : 13-604-MIF2007054, no 54), p. 17. Ottawa : Statistique Canada. (En ligne). Disponible : http://www.statcan.gc.ca/pub/13-604-m/13-604-m2007054-fra.pdf

[6] Orivelle, Estelle (2001). Les indicateurs de l’OCDE. Situation comparée. Paris : Organisation de Coopération et de Développement Économiques.

[7] OCDE (2009). Regards sur l’éducation.2009 : Les indicateurs de l’OCDE. Paris : Organisation de Coopération et de Développement Économiques. P. 94. (En ligne). Disponible : http://www.oecd.org/document/62/0,3343,fr_2649_39263238_43597502_1_1_1_1,00.html

[8] Statistique Canada et Conseil des ministres de l’Éducation (Canada). (2007). Indicateurs de l’éducation au Canada : Rapport du Programme d’indicateurs pancanadiens de l’éducation. (No de cat. 81-582-XIF). Ottawa : Statistique Canada. (En ligne). Disponible : http://www.statcan.gc.ca/pub/81-582-x/81-582-x2007001-fra.pdf.

[9] Demeuse M., Baye A., Straeten M-H., Nicaise J., Matoul, A., (2005). Vers une école juste et efficace. 26 contributions à l’analyse des systèmes d’enseignement et de formation, p. 23-24. Bruxelles : De Boeck Université.

[10] Van Velzen, W.G., Miles, M.B., Ekolm, M., Hameyer, U. et Robin, D. (1985). Making School Improvement Work. A conceptual guide to practice. Leuven, Acco.

[11] Demeuse M., Baye A., Straeten M-H., Nicaise J., Matoul, A., (2005). Op.cit.

[12] Earl, L., Torrance, N., Sutherland, S., Fullan, M., and Ali, A.S. (2003). Manitoba School Improvement Program Final Evaluation Report. OISE/UT. (En ligne). Disponible : http://www.peecworks.org/PEEC/PEEC_Research/0068D419-007EA7AB.1/earl%20MSIP%20eval%20final%202003.pdf

[13] Ibid.

Apprenez-en plus sur

Dianne Lafond

Diane Lafond, Ph.D., administration et politique scolaires. Ses intérêts de recherche portent entre autres sur l'échec et le décrochage scolaire des jeunes, leurs facteurs explicatifs, les programmes de retour aux études et les mesures préventives de l'échec scolaire.

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