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Enseignement

La formation des mentors : Un tournant dans l’évolution du programme de mentorat à la commission scolaire des patriotes

C’est au début des années 2000 que le Sous-comité à l’accompagnement professionnel  (appelé Comité ci-après) de la Commission scolaire des Patriotes (CSP), sur la Rive-Sud de Montréal, formé de directions d’école, d’enseignantes, de représentants du syndicat, des ressources éducatives et des ressources humaines, développe l’idée de soutenir l’insertion professionnelle des nouveaux enseignants. Faisant face à une embauche importante, la CSP est soucieuse d’apporter tout le soutien nécessaire à ces enseignants qui, selon des études récentes, désertent à plus de 20 % la profession enseignante au cours de leurs cinq premières années d’enseignement1. Avec la volonté de fournir des mesures d’appui à l’entrée en carrière, le Comité élabore tout d’abord une trousse d’accueil afin de rendre plus accessibles diverses informations utiles aux débutants. Le désir d’offrir un soutien répondant davantage aux préoccupations de la relève enseignante s’affirme ensuite, mais force est de constater que des ressources financières s’avèrent essentielles pour soutenir ce développement. La créativité des acteurs d’alors mène au financement du programme. En 2004, on confie ainsi à une conseillère pédagogique, cosignataire de ces lignes, la responsabilité du programme d’insertion professionnelle. Celle-ci met alors en place divers ateliers destinés aux débutants, ateliers coanimés par des enseignants expérimentés, formule qui, encore aujourd’hui, plaît grandement aux participants. D’année en année, les ateliers gagnent en popularité et divers sujets sont abordés : l’amorce d’une année scolaire, la gestion de classe, les relations avec les parents, l’évaluation, la différenciation, les différentes clientèles EHDAA (élèves handicapés, en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage), la gestion des situations délicates, la suppléance, etc. Aujourd’hui, 10 ateliers sont offerts aux enseignants ayant moins de cinq ans d’expérience en enseignement.

Faisant face à une embauche importante, la CSP est soucieuse d’apporter tout le soutien nécessaire à ces enseignants qui, selon des études récentes, désertent à plus de 20 % la profession enseignante au cours de leurs cinq premières années d’enseignement.

Bien que ces ateliers continuent de répondre en partie aux besoins d’insertion des débutants, ils ne comblent pas ce que nous appellerons l’apprentissage continu du métier d’enseignant in situ ou sur le terrain. Même si la formation initiale universitaire en enseignement au Québec est composée de quatre années de formation, avec plus de 700 heures de stage, même si elle constitue une excellente base pour enseigner, elle ne peut préparer entièrement à l’enseignement en contexte réel. L’apprentissage continu du métier se poursuit de façon accrue lors des premières années d’enseignement et nécessite, selon plusieurs auteurs,2 et 3 un accompagnement soutenu.

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La création du programme de mentorat

En 2006, l’idée d’offrir un soutien plus personnalisé aux nouveaux enseignants germe au sein du Comité à l’accompagnement professionnel. Le Carrefour national de l’insertion professionnelle en enseignement4 le guide dans l’élaboration d’un programme de mentorat. Il importe alors aux décideurs de rendre l’adhésion à ce programme volontaire, de laisser aux mentorés le choix de leurs mentors pourvu que ces derniers soient des enseignants expérimentés reconnus dans leur milieu. Puisque l’approche d’un accompagnement réflexif est préconisée, il devient important de donner du temps pour faciliter les rencontres en y associant un budget de 500 $ pour chacune des dyades (mentor-mentoré) pour du temps « libéré »; ce montant leur permet de se rencontrer durant les temps de classe.

Une somme est également consentie afin d’offrir une journée de formation aux mentors qui le souhaitent sur temps de classe. La conseillère pédagogique invite alors la professeure Marie-Josée Dumoulin, de l’Université de Sherbrooke, pour susciter la réflexion quant aux réalités de l’insertion professionnelle et pour introduire les nouveaux mentors à ce qu’est ou devrait être un accompagnement réflexif. La présence de cette ressource fait cheminer le milieu et montre l’importance de la formation pour exercer un rôle de mentor. « N’est pas mentor qui veut » traduit bien l’idée qui habite maintenant les membres du Comité. Voilà pourquoi en 2010, lorsque l’Université de Sherbrooke soumet un projet visant à développer les compétences à l’accompagnement mentoral, le Comité s’engage dans cette collaboration. Ce projet, à ce jour, constitue un tournant dans la vie du programme d’insertion professionnelle de la Commission scolaire des Patriotes.

Un programme de mentorat qui évolue grâce au partenariat école-université 

Ce projet de partenariat intitulé « Un mentorat pour l’insertion professionnelle : une double opportunité de formation continue », subventionné par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), piloté par les professeures Céline Garant et Marie-Josée Dumoulin, en collaboration avec la conseillère pédagogique du milieu, Marie-Hélène Fréchette, permet ainsi à 37 mentors de développer leurs compétences mentorales. L’objectif des six journées de formation, basées sur un projet de recherche-action-formation, est d’explorer une démarche d’analyse en groupe de situations authentiques d’accompagnement et de développer des outils et des ressources pédagogiques qui supporteront la formation d’autres mentors, tels des récits de pratiques, des grilles d’observation, etc. Cette expérience modifie l’image que plusieurs enseignants mentors ont de leur rôle. Plutôt que se voir seulement comme des « experts de la pratique » qui initient leurs jeunes collègues, ils apprennent graduellement à « faciliter » l’apprentissage continu de l’enseignement, par un accompagnement réflexif qui exige entre autres l’habileté à poser les bonnes questions et à être à l’écoute du mentoré, de ses besoins et de ses valeurs. Le développement de l’intelligence pratique du mentoré prévaut sur la remise d’outils tout faits ou sur les conseils et trucs du mentor qui bien souvent invitent moins le nouvel enseignant à apprendre à juger en contexte. Le mentor devient un copenseur dont le savoir d’expérience enrichit la réflexion professionnelle du mentoré sur sa pratique de l’enseignement.

Le mentor devient un copenseur dont le savoir d’expérience enrichit la réflexion professionnelle du mentoré sur sa pratique de l’enseignement.

Au terme de deux années de partenariat avec l’Université de Sherbrooke, 37 mentors ont développé leurs compétences mentorales. Les répercussions sur le programme de mentorat sont multiples. Ainsi, il est maintenant obligatoire, lorsqu’un enseignant devient mentor, de s’inscrire à une journée de formation offerte par la conseillère pédagogique, responsable du programme; le développement professionnel de cette dernière représente d’ailleurs un autre impact de la collaboration avec les chercheuses. Elle est actuellement en mesure de soutenir les mentors dans leur rôle. De plus, ce milieu distingue plus clairement les caractéristiques du mentor de celui du maître associé (qui accompagne les étudiantes et étudiants universitaires en formation) et du collègue aidant. Une réflexion est aussi amorcée sur le jumelage mentor-mentoré. En effet, le Comité s’interroge sur le libre-choix du jumelage (au choix du mentoré) qui a prévalu jusqu’à ce jour alors que le milieu possède maintenant des enseignants expérimentés formés expressément à l’accompagnement. Il souhaite que les nouveaux enseignants bénéficient de cette expertise. Enfin, au-delà de tous ces impacts, la plus importante répercussion se révèle auprès des enseignants débutants. En profitant d’un accompagnement réflexif, les nouveaux enseignants continuent d’apprendre leur métier et sont soutenus dans le développement de leur savoir d’expérience.

La plus importante répercussion se révèle auprès des enseignants débutants. En profitant d’un accompagnement réflexif, les nouveaux enseignants continuent d’apprendre leur métier et sont soutenus dans le développement de leur savoir d’expérience.

Considérant les difficultés inhérentes à l’entrée en carrière, un programme d’insertion professionnelle s’avère essentiel en enseignement. À la Commission scolaire des Patriotes, sa mise en place s’est développée graduellement et a su profiter de l’expertise du milieu universitaire afin d’offrir un accompagnement de meilleure qualité aux enseignants entrant en carrière. Certes, pour élaborer et maintenir un tel programme, un soutien financier apparaît essentiel. La recherche de formules gagnantes pour son milieu exige volonté, créativité et leadership de tous les acteurs gravitant autour des nouveaux enseignants. Une telle préoccupation révèle non seulement le souci de soutenir la relève dans son intégration dans la profession enseignante, mais aussi celui de favoriser la qualité de l’enseignement. Au bout du compte, ce sont les élèves qui profitent d’enseignants se sentant appuyés dans leur entrée en carrière.

RECAP – This article describes the experience of the Commission scolaire des Patriotes (CSP) [Patriots School Board], which has supported new teacher induction since 2000. In 2010, the CSP joined forces with Université de Sherbrooke to offer training to 37 mentors. This training, part of an action research in education project, builds upon the analysis of authentic mentoring situations in order to develop teaching tools and resources that will support other mentors’ training. This experience changed several mentors’ previous views about their role. Instead of seeing themselves only as “expert practitioners” initiating their young colleagues, they gradually learned to facilitate their continuous professional development through reflective mentoring that requires the ability to ask the right questions and to be receptive to mentees and to their needs and values.


1  Comité d’orientation de la formation du personnel enseignant (2002). Offrir la profession en héritage – Avis du COFPE sur l’insertion dans l’enseignement. Québec: Gouvernement du Québec.

2 Desgagné, S. (1995). Pour lancer le forum sur l’insertion professionnelle: une mise en perspective. In C. Garant, F. Lacourse et M. Scholer (dir.), Nouveaux défis pour la formation des maîtres (p. 77-89). Sherbrooke: Éditions du CRP.

3 Dumoulin, M.-J. (2009). La restructuration de l’expérience chez trois enseignantes débutantes en contexte d’accompagnement mentoral. Thèse de doctorat en éducation, Université de Sherbrooke, Sherbrooke.

4 Le CNIPE fondé en 2005 et parrainé par le MELS, est un site internet dont le mandat est d’offrir un lieu de partage et de diffusion entre les différents acteurs intéressés par la question de l’insertion professionnelle dans l’enseignement et de soutenir la mise en œuvre de projets de soutien et d’accueil (www.insertion.qc.ca).

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Marie-Hélène Fréchette

Marie-Hélène Fréchette est conseillère pédagogique à la Commission scolaire des Patriotes. Elle est responsable des dossiers en lien avec l'insertion professionnelle des nouveaux enseignants et l'enseignement des mathématiques.

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Céline Garant

Céline Garant, Ph.D., est professeure titulaire à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. Responsable de la formation continue au sein de son département, elle s’intéresse plus particulièrement à l’accompagnement réflexif du développement professionnel du personnel scolaire et à l’insertion professionnelle dans l’enseignement.

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