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L’état des connaissances scientifiques en éducation

Rendre compte, accompagner, s’approprier, prospérer

Le présent article rend compte de l’état d’avancement de l’idée de création d’un institut national1 d’excellence en éducation (INEE), sur les aspects qui peuvent être rendus publics au moment d’écrire ces lignes. Dans un premier temps, je reprends les éléments qui président à cette réflexion au Québec et les orientations politiques retenues par le gouvernement du Québec, en faveur de la création d’un tel institut. Dans un deuxième temps, j’aborde quelques observations générales découlant de la consultation qu’a menée le groupe de travail que j’ai présidé sur la création d’un INEE. Troisièmement, je mets en relief quelques principes directeurs qui doivent guider l’aménagement de l’institut.

Éléments qui président à cette réflexion au Québec

L’idée de création d’un organisme ou d’une instance qui rendrait compte aux milieux de pratiques éducatives des résultats de la production scientifique en éducation a reçu un large appui des participants au 2Forum régional francophone en 2017. Initiative issue du Québec, l’idée a rapidement suscité l’intérêt des leaders du Forum pour rendre accessibles – avec toute la portée que peut avoir ce terme – les résultats les plus probants de la science à travers le Canada.

Au Québec, la forme actuellement privilégiée prend sa source dans de nombreux échanges entre différents praticiens, leaders de l’éducation et autorités gouvernementales. Elle est toutefois devenue un élément de la Politique de la réussite éducative2, à la suite des consultations qu’a menées le gouvernement du Québec à l’automne 2016, à laquelle près de 15 000 personnes et organismes ont pris part. L’idée de rendre compte des résultats de la science en éducation auprès des usagers y faisait consensus. On la retrouve d’ailleurs dans l’orientation 4.2 de la politique : « Sans être les seuls critères devant guider l’action, les résultats de la recherche doivent constituer des intrants de la prise de décision dans tous les milieux éducatifs. Toutefois, […] il faudra encourager et soutenir une culture de transfert. » (p. 54)

Des propos qui ont récemment été repris (le 16 janvier 2018) dans l’allocution du premier ministre du Québec lors du dévoilement de la Stratégie 0-8 ans3. Or, la politique aborde aussi les moyens qui seront considérés pour encourager et soutenir une culture de transfert des résultats scientifiques : « Le gouvernement entreprendra des démarches en vue de la création d’un INEE sur la base des recommandations d’un groupe de travail mis sur pied à cet effet » (p. 55).

On note ici que la position du gouvernement du Québec consiste à créer un tel organisme, selon une forme à être précisée à la lumière des recommandations d’un groupe de travail.

Observations découlant des consultations sur la création d’un INEE

Ainsi, le 21 juin 2017, le ministre Sébastien Proulx dévoilait la politique de la réussite éducative et me nommait président d’un groupe de travail sur la question. Les recommandations du groupe devaient porter notamment sur : la mission et les fonctions de l’institut, sa structure, ses domaines de compétences, ses responsabilités, sa gouvernance, les ressources requises pour l’accomplissement de sa mission et sa mise en œuvre. Le groupe de travail devait s’assurer que ses recommandations permettent à l’institut d’atteindre trois objectifs :

1. Dresser la synthèse la plus exhaustive et objective possible de l’état des connaissances scientifiques disponibles, au Québec et ailleurs, sur toute question concernant la réussite éducative;

2. Favoriser le transfert des résultats probants vers le réseau
scolaire et le public;

3. Contribuer, lorsque requis, à la formation et à l’accompagnement des intervenants au regard des meilleures pratiques.

Dans la réalisation de son mandat, le groupe de travail constitué dans la foulée de la rentrée scolaire 2017-2018, devait s’assurer de consulter des organisations représentatives du réseau scolaire, du personnel scolaire, de la recherche en éducation et du milieu du transfert des connaissances.

Pour ce faire, le groupe de travail a rendu public, le 16 octobre 2017, un document de consultation rédigé afin de présenter des éléments de contexte entourant la création de l’institut, de préciser la nature possible de son mandat et de poser six questions aux personnes et organismes souhaitant prendre part aux échanges. La période de consultations publiques par dépôt de mémoires s’est tenue du 16 octobre au 17 novembre 2017. Au total, quatre-vingt-six (86) personnes, groupes ou organismes ont participé aux consultations.

Tout au long des consultations, deux principaux types d’inquiétudes sont apparus et se sont manifestés tant à travers le processus de consultation que dans l’espace public. Le premier est issu d’une partie des chercheurs en éducation. Il concerne les types de connaissances qui seraient abordés par l’institut et la hiérarchisation des niveaux de preuves scientifiques. L’un met en relief la crainte que les recherches quantitatives soient davantage prises en compte et valorisées que les recherches scientifiques qualitatives, ayant inévitablement un effet sur les subventions de recherche octroyées par les organismes subventionnaires et in extensio sur le financement des chercheurs en éducation et l’orientation de leurs travaux. L’autre porte sur la hiérarchisation des niveaux de preuves et des luttes épistémologiques que l’on observe au sein même de ce champ disciplinaire. Le second type d’inquiétudes observées est principalement issu des syndicats d’enseignants qui craignent que l’on instrumente le travail professionnel des enseignants, qu’on leur impose des façons de faire et que l’on fasse reposer sur leurs seules épaules la responsabilité de la réussite éducative des élèves. Des préoccupations bien légitimes et qu’il faut prendre en compte dans la suite des choses pour éviter toute forme de dérive à leur égard.

Principes directeurs et conditions de mise en œuvre

À l’issue des consultations menées, cinq principes peuvent être mis en relief concernant la création d’un INEE, que le groupe de travail a récemment rendu publics4.

Le premier concerne la finalité d’un tel institut. Rendre accessible l’état des connaissances scientifiques et des pratiques avérées pour l’ensemble des acteurs qui œuvrent à la réussite éducative rencontre un très large consensus, voire l’unanimité. À ce besoin partagé s’est ajoutée l’idée d’assurer une veille scientifique.

Le second porte sur l’indépendance de l’organisation et de ses membres. La presque totalité des groupes, des personnes rencontrées et des mémoires reçus insistent sur l’importance de garantir une indépendance à l’égard des influences de toute nature. C’est pour cette raison que le statut proposé est celui d’organisme mandataire de l’état.

Le troisième concerne les types de savoirs considérés et l’étendue des savoirs scientifiques à propos desquels il est important de rendre compte auprès des usagers. Les consultations ont mis en relief l’importance de prendre en compte outre les savoirs scientifiques, les savoirs d’expérience et les contextes. Elles ont aussi permis de rappeler l’importance de rendre compte tant des résultats de recherches qualitatives que quantitatives et d’agir avec prudence concernant la hiérarchisation des niveaux de preuves.

Le quatrième constat porte sur la place et le rôle d’un tel institut. Les participants à la consultation souhaitent qu’il ait une relation de proximité avec tous les acteurs et les groupes, notamment le ministère, le Conseil supérieur de l’éducation, les universités, les organismes de transfert, les personnels (cadres, hors cadres, enseignants, professionnels), l’ensemble des organismes qui œuvrent actuellement auprès des élèves et le public. Bref, un grand nombre d’entre eux souhaitent que l’institut agisse comme un « phare » de la réussite éducative.

Le cinquième constat suggère que l’institut joue un rôle significatif auprès des acteurs de la réussite éducative en identifiant les besoins de formation avec ces derniers et en collaborant avec les autres acteurs de la réussite éducative, notamment les universités dans la formation et l’accompagnement des personnels.

En soi, rendre accessible l’état des connaissances scientifiques n’est pas suffisant pour atteindre les objectifs de la politique de réussite éducative. La création de l’institut doit s’inscrire dans un train de mesures (également inscrites dans la politique) et s’accompagner de modalités d’appropriation. On parle certes ici d’un développement professionnel efficace, mais aussi d’une modification de la formation initiale des maîtres (notamment pour consolider leur formation sur la nature de la connaissance scientifique et sur la production scientifique), de celle des directions d’établissement scolaire et des modes de gouvernance scolaire. Des changements qui impliquent que l’ensemble des personnels bénéficie du temps requis et de l’espace nécessaire pour se mobiliser et s’approprier les éléments répondant à leurs besoins, dans le contexte où ils évoluent.

Ce dernier élément demeure un enjeu important parce qu’il implique des investissements significatifs, mais qui sont excessivement lucratifs, si l’on se fie à une récente note économique produite par Pierre Fortin5. Atteindre 85 % de diplomation ou de qualification, cinq ans après l’entrée au secondaire, permettrait à la province de Québec d’accumuler des hausses de son produit intérieur brut (PIB) totalisant de 400 à 500 milliards de dollars sur 60 ans par rapport au statut quo. Un gain d’un demi trillion de dollars qui représenterait combien s’il s’étendait à l’échelle du pays?

 

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Illustration : Satenik Guzhanina (iStock)

Première publication dans Éducation Canada, mars 2018

1 La politique de la réussite éducative utilise cette appellation.

2 www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/PSG/politiques_orientations/politique_reussite_educative_10juillet_F_1.pdf

3 www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/PSG/politiques_orientations/Strate__gie_0-8_ans.pdf

4 Je reprends ici, en les adaptant, des parties de la lettre que le groupe de travail a jointe au rapport préliminaire qu’il a déposé au ministre : www.lesoleil.com/actualite/education/aider-les-profs-a-se-mettre-a-jour-cae59922774149eacede835feb68a43d

5 http://lactualite.com/societe/2018/01/25/un-taux-de-diplomation-de-85-au-secondaire-quossa-donnerait/

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Photo par le Soleil

Dr. Martin Maltais

Professeur en financement et politiques d’éducation et directeur du secteur disciplinaire des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Rimouski

Martin Maltais, Ph.D., est professeur en financement et politiques d’éducation et directeur du secteur disciplinaire des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Il a récemment présidé le groupe de travail sur la création d’un institut national d’excellence en éducation, au Québec.

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