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Bienêtre, Leadership, Recherche

Pratiques tenant compte des traumatismes

Pourquoi le bienêtre des éducatrices et éducateurs compte

Au nom de l’Ontario Principals’ Council

La majorité des initiatives en éducation commencent par l’introduction d’un nouveau mot. Il suffit de penser à « bien-être » ou « bienêtre », à « équité » ou à « réconciliation ». Chaque terme est un phare qui illumine de nouvelles couches de complexité en éducation, révèle d’autres besoins des élèves ou exigences du système, motive des objectifs plus porteurs et ouvre la voie à de meilleures pratiques d’enseignement et de leadership. 

Or, à mesure que chaque mot est incorporé au jargon quotidien de l’éducation, sa lueur particulière commence à faiblir. Son pouvoir et son potentiel d’innovation pâlissent. Les termes qui incitaient auparavant les membres de la communauté éducative à élargir la portée et la profondeur de leur réflexion pédagogique sont utilisés si fréquemment – et parfois si nonchalamment – qu’ils perdent de leur sens. Ironiquement, les mots supposés attirer notre attention, susciter un sentiment d’urgence ou nous sensibiliser à la complexité de l’expérience humaine risquent souvent de devenir un nouveau mot à la mode parmi tant d’autres. 

Le mot « traumatisme1 » fait incontestablement partie de ces mots. Ayant fait son apparition dans le milieu de l’éducation il y a moins de vingt ans, ce terme – de même que les expressions composées qui en découlent – est maintenant entré dans la langue courante. Dans le contexte de la pandémie, l’idée que les écoles, loin d’être uniquement des lieux d’apprentissage, devraient aussi être des lieux de « guérison », a gagné en popularité dans le milieu. 

Mais où en sommes-nous lorsqu’il s’agit de venir réellement en aide aux élèves ayant vécu des traumatismes? Où se situent les membres du personnel scolaire par rapport à leur compréhension des traumatismes et à leur capacité d’aborder les complications fréquentes des traumatismes en classe? L’Ontario Principals’ Council (OPC) a récemment mené un sondage en ligne et une étude qualitative auprès de directions d’école de la province pour mieux comprendre cette question. En tout, 652 personnes (directions et directions adjointes) représentant des écoles élémentaires et secondaires de 25 conseils scolaires publics de langue anglaise des quatre coins de la province y ont répondu. Le rapport complet (disponible seulement en anglais) peut être consulté à l’adresse
www.principals.ca/RPR. 

Les traumatismes des élèves sont plus importants que jamais 

On a d’abord demandé aux directions d’école d’estimer le pourcentage d’élèves touchés par des traumatismes dans leurs écoles, avant et après la pandémie. Près du tiers estimaient que 10 % ou moins de leurs élèves avaient vécu des traumatismes avant la pandémie. Toutefois, ce taux augmentait de manière significative lorsqu’on leur demandait de tenir compte du contexte pandémique. Près du quart des personnes participantes croyait que de 20 à 30 % de leurs élèves avaient vécu un traumatisme. Le nombre de directions d’école qui croyaient que de 30 à 50 % de leurs élèves avaient vécu un traumatisme doublait avec le contexte pandémique. 

Lorsqu’on leur demandait d’évaluer, sur une échelle de 1 à 10 (où 1 correspond à une incidence faible et 10 à une incidence élevée), l’incidence négative des traumatismes sur le rendement scolaire, les personnes participantes étaient majoritairement d’avis que les traumatismes nuisaient aux résultats et influençaient le comportement et d’autres éléments comme l’assiduité et l’attitude générale face à l’école (voir la figure 1). Ainsi, plus du quart des directions d’école ont évalué l’incidence des traumatismes sur les résultats scolaires à 10/10. Plus du tiers ont évalué l’incidence des traumatismes sur le comportement à 10/10, et plus du quart ont évalué l’incidence des traumatismes sur l’assiduité ou l’attitude générale à 10/10. 

Figure 1 : Globalement, quelle est selon vous l’incidence des traumatismes sur les résultats scolaires, le comportement et d’autres éléments comme l’assiduité et l’attitude des élèves face à l’école? 

Vu la prévalence des traumatismes, les directions d’école ont indiqué qu’une portion importante du temps d’enseignement est consacrée à la gestion des problèmes découlant des traumatismes des élèves. Par exemple, la moitié des personnes répondantes ont estimé que leur personnel consacrait de 10 à 30 % de son temps d’enseignement à régler ce type de problèmes. Et une personne sur dix estimait que de 40 à 60 % du temps d’enseignement était consacré à ces problèmes. 

Les traumatismes affectent aussi le personnel scolaire 

Les traumatismes des élèves ont aussi une incidence sur les membres du personnel scolaire. Par exemple, sur une échelle de 1 à 10 (où 1 correspond à une incidence faible et 10 à une incidence élevée), 80 % des directions d’école ont évalué à 7/10 ou plus l’incidence négative sur leur bienêtre de la gestion des problèmes découlant des traumatismes. Le tiers des personnes répondantes a évalué l’incidence à 9/10 ou plus. Les directions d’école ont également indiqué avoir ressenti l’incidence de la gestion des traumatismes des élèves sur leur propre bienêtre. Près des trois quarts des personnes participantes ont évalué cette incidence à 7/10 ou plus. Et près d’une personne sur cinq l’a évaluée à 10/10 (voir la figure 2). 

Figure 2 : Dans quelle mesure la gestion des traumatismes des élèves a-t-elle une incidence négative sur le bienêtre de votre personnel ou sur votre propre bien-être? 

L’importance d’être sensible aux traumatismes   

Préoccupés par la prévalence des traumatismes chez les élèves et par leur incidence sur les résultats scolaires, les directions d’école étaient fortement en faveur de l’adoption d’une approche sensible aux traumatismes dans le milieu de l’éducation, plus de la moitié évaluant cette nécessité à 10/10, tandis que près de 85 % la chiffrent à 8/10 ou plus. 

Les directions d’école avaient toutefois tendance à évaluer la capacité actuelle de leur établissement à soutenir les élèves victimes de traumatismes comme « modérée ». Sur une échelle de 1 à 10, où 1 correspondait à « faible » et 10 à « excellente », près d’une personne sur dix a accordé une note égale ou inférieure à 2. Moins de 2 % des personnes répondantes ont accordé le score de 9/10 ou plus. Un peu plus de la moitié a évalué la capacité de leur établissement à 5/10 ou moins. 

Obstacles à l’enseignement tenant compte des traumatismes  

Vu leur difficulté à répondre efficacement aux traumatismes des élèves, on a demandé aux directions d’école d’indiquer quels étaient les obstacles auxquels se heurtait le personnel dans la mise en œuvre efficace d’une approche tenant compte des traumatismes. 

L’obstacle le plus courant, cité par 86 % des personnes répondantes, était le stress et l’épuisement du personnel scolaire, suivi de près par le manque de formation, le manque de temps et la pression liée au curriculum (voir la figure 3).  

Figure 3 : Y a-t-il des éléments qui nuisent à la capacité de votre personnel à adopter une approche sensible aux traumatismes? (Vous pouvez cocher plus d’une réponse.) 

Les directions d’école ont également été confrontées à des obstacles importants dans la mise en œuvre d’une approche sensible aux traumatismes. L’obstacle le plus fréquemment cité (par les trois quarts des personnes répondantes) était les exigences simultanées des autres tâches administratives. Les deux tiers des directions d’école ont cité le stress et l’épuisement professionnel, suivi de près par le manque de temps. Et la moitié ont mentionné le manque de formation, suivi du manque de soutien par le système. 

Les entrevues ont clairement démontré que les directions d’école et leur personnel considèrent les traumatismes des élèves comme une priorité. Toutefois, il est aussi évident que la majorité des membres du personnel scolaire peinent à réagir efficacement aux traumatismes. Elles et ils veulent s’améliorer, mais sont déjà épuisés par les demandes existantes et accablés à l’idée d’assumer plus de responsabilités, particulièrement pour quelque chose qu’elles et ils estiment souvent hors de leur champ d’expertise. 

L’expérience des directions 
Parfois, lorsqu’il y a beaucoup de problèmes liés aux traumatismes, aux comportements des élèves, à l’anxiété et au stress du personnel, cela met beaucoup de pression sur l’administration. Je commence à ressentir de l’épuisement, tout comme mes collègues à qui je parle de la situation. 

J’ai de plus en plus de difficulté à démontrer le niveau d’empathie et de patience que je trouve nécessaire auprès du personnel et des élèves. J’en ai « assez » si on peut dire. 

Cette fatigue accablante a une grande incidence sur le niveau de résilience dont je peux faire preuve, à la fin de la semaine, pour résoudre efficacement les problèmes. J’essaie de gérer les effets cumulatifs des traumatismes – comme un grand nombre de mes collègues. 

Pour être honnête, il y a trop de choses qui entrent en jeu dans notre rôle de leader. Nous ne sommes PAS des spécialistes de la santé et des traumatismes, et le conseil scolaire n’a pas non plus de connaissances à ce sujet. Les membres ignorent comment soutenir les personnes en première ligne. Les écoles battent de l’aile, et le moral aussi. Laissez-nous faire notre travail à l’abri de toutes ces autres exigences imprévues qui touchent les écoles! 

Je suis extrêmement sensible au lien entre les traumatismes (ou les traumatismes perçus) et le comportement des élèves. J’ai conscience que mon expertise dans l’identification des traumatismes et la gestion des comportements qui en découlent est limitée au quotidien. Or, en tentant de répondre chaque jour aux besoins des élèves, nous avons tissé, nous les membres du personnel, des liens solides dans notre établissement. 

Élargir la notion du traumatisme à l’école 

Les traumatismes des enfants sont avant tout une violation fondamentale de la sécurité de leurs relations avec des adultes. Par conséquent, la sécurité peut uniquement être restaurée par les relations avec les adultes. Malgré tout, bien que la guérison doive se faire par les adultes, elle est rarement facile ou évidente, surtout en classe. 

Il est souvent éprouvant de venir en aide aux élèves ayant vécu des traumatismes. L’expérience de chaque élève est unique et les traumatismes peuvent les toucher de manières différentes et complexes. Certains peuvent présenter des comportements d’opposition, tandis que d’autres seront trop obéissants ou feront complètement preuve de manque d’intérêt. Les élèves ont souvent besoin de beaucoup de temps et de soutien, les progrès sont lents et les solutions sont le fruit d’essais-erreurs. Il faut tester les limites, tant personnelles que systémiques,  remettre en question ses croyances fondamentales et s’attendre à ce que ses émotions personnelles soient chamboulées. 

Les membres du personnel scolaire ont un rôle important à jouer pour aider les élèves à surmonter les répercussions des traumatismes. Mais pour tenir efficacement compte des traumatismes, il faut plus que simplement ajouter des approches sensibles aux traumatismes à leur charge de travail. Si cela implique l’adoption d’outils pratiques en classe, il faut aussi élargir la notion de bienêtre pour tenir compte des multiples sources de pression avec lesquelles elles et ils doivent déjà composer. Il faut mettre en place des changements systémiques pour alléger quelque peu la pression et renforcer les structures organisationnelles afin de favoriser le bienêtre du personnel scolaire. Cela comprend la création d’environnements de travail où elles et ils se sentent à l’aise de se montrer vulnérables et de parler de leurs réussites et de leurs échecs à l’abri du jugement. Il faut arrêter de simplement rappeler à ces personnes de prendre soin d’elles et prendre des engagements organisationnels en faveur du soutien mutuel. Il faut s’assurer que le personnel ne se sente pas isolé en classe. Mais surtout, il faut se rappeler que de toutes les « stratégies » d’enseignement, celle qui importe le plus est de s’assurer que les membres du personnel ont ce dont ils ont besoin pour faire leur travail. 

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note

[1] Traumatisme : ​Un traumatisme psychique est une réaction émotive persistante qui fait souvent suite à un évènement extrêmement éprouvant de la vie. Le fait de vivre un évènement traumatisant peut compromettre le sentiment de sécurité et le sentiment d’identité ainsi que la capacité à réguler les émotions et à s’orienter dans ses rapports avec les autres. Longtemps après avoir vécu un évènement traumatisant, la personne ressent fréquemment une peur intense accompagnée d’un sentiment de honte ou d’impuissance. (The Centre for Addiction and Mental Health)

 

Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canadaseptembre 2023

Apprenez-en plus sur

David W Tranter, Ph.D.

Dr. David Tranter has been teaching and working in mental health, well-being, and education for over 30 years. As a researcher, professor, and the Scientific Director for the Centre for Relationship-Based Education, Dr. Tranter works widely with parents, mental health professionals, and educators across Canada and beyond to support students at all grade levels to reach their highest potential.

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Director, Western's Centre for Education Leadership, Western University

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