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Enseignement

Les enjeux de formation initiale à l’enseignement au Québec 

Point de vue de futures enseignantes issues de l’immigration récente

Contexte

L’enseignement demeure certainement l’un des secteurs où l’accès à l’emploi est le plus restreint pour les immigrants nouvellement arrivés au Canada. Les recherches ayant traité de l’insertion professionnelle des enseignants issus de l’immigration récente dans les pays occidentaux sont relativement nombreuses et offrent un portrait désolant : discrimination systémique, difficulté accrue à trouver un emploi, et isolement professionnel sont notamment rapportés. Par-dessus tout, ces enseignants vivent un décalage avec la culture scolaire canadienne, ce qui leur amène un lot de défis et d’enjeux à surmonter pour pouvoir pratiquer leur emploi.

Si les enjeux d’insertion professionnelle des enseignants issus de l’immigration sont bien documentés, rares sont les études qui se sont penchées sur le cas des futurs enseignants issus de l’immigration récente qui sont inscrits dans un programme de formation initiale à l’enseignement, alors que cette population est en constante augmentation au Canada.

En plus des enjeux liés à leur insertion professionnelle, les enseignants issus de l’immigration récente doivent souvent composer avec un défi de taille, soit la non reconnaissance de leur formation dans leur pays d’origine. Ainsi, même dans le cas où ils possèdent des diplômes et une identité professionnelle déjà bien établie dans leur pays d’origine, ils doivent recommencer, partiellement ou entièrement, leur formation, sans toutefois bénéficier d’un meilleur accès à l’emploi. Les enjeux d’insertion professionnelle mentionnés plus haut sont alors précédés d’enjeux liés à la formation universitaire. Ces derniers ont été peu étudiés, alors même que les futurs enseignants issus de l’immigration récente forment une population en constante augmentation au Canada.

Pour mieux comprendre les enjeux auxquels font face les futurs enseignants issus de l’immigration récente, nous avons souhaité leur donner la parole. Six futures enseignantes issues de l’immigration récente ont accepté de partager leurs perceptions. Toutes étaient en première année de formation et cinq d’entre elles étaient inscrites au programme d’enseignement du primaire alors qu’une provenait du programme d’enseignement du français langue seconde. Nous avons procédé à deux entrevues de groupe avec les six participantes : une entrevue s’est déroulée avant le stage de première année, qui consiste en de l’observation de classe, alors que la seconde entrevue a eu lieu suite au stage. Nous avons par la suite réalisé une analyse de contenu qui a permis de faire émerger des enjeux de trois types: culturels, linguistiques et relationnels.

Enjeux linguistiques

L’enjeu linguistique qui prévaut dans les réponses des futures enseignantes est l’insécurité linguistique. Pour celles d’entre elles dont le français est la langue seconde, cette insécurité se traduit par la peur que leur niveau de maitrise du français nuise à la qualité des interactions avec leurs élèves, lorsqu’elles sont en stage.

P23 : Est-ce que je vais comprendre les enfants? Parce que, des fois, quand ils parlent, je prête attention, mais je ne comprends rien.

Il est intéressant de noter qu’une des futures enseignantes était d’origine française, de sorte que son niveau de maîtrise linguistique était comparable à celui de ses pairs francophones québécois. Pour elle, c’est davantage l’accent français qui constitue une source d’insécurité linguistique, non pas parce qu’il nuit à la qualité des interactions, mais parce qu’il est perçu comme discriminant lors des cours universitaires :

P16 : Je me sens complexée lorsque je m’exprime, parce que j’ai vu tous les préjugés qu’il y avait sur le français de France.

Enjeux culturels

Les enjeux culturels renvoient à l’intégration des futures enseignantes à la société québécoise. Le fait de ne pas avoir vécu, en tant qu’élèves, les pratiques d’enseignement et d’apprentissage de l’École québécoise, ainsi que les valeurs qui les sous-tendent, est perçu comme un retard à rattraper durant la formation universitaire. Cet enjeu d’adaptation rapide à une nouvelle culture, notamment éducative, explique pourquoi les futures enseignantes interrogées perçoivent « partir de plus loin » que leurs pairs québécois.

P11: En plus, c’est compliqué, je pense, encore plus que pour les Québécois, puisque on doit s’adapter en même temps à une autre société. […] Les valeurs que je dois transmettre ne sont pas les valeurs que j’ai naturellement.

Enjeux relationnels

Les enjeux relationnels sont les plus rapportés par les futures enseignantes. Au dire de ces dernières, la relation avec les acteurs immédiats du stage (l’enseignant associé, le superviseur de stage et les élèves), telle qu’elles l’ont vécue durant leur premier stage, est positive : le statut de migrant n’est ni ressenti comme une barrière, ni comme un obstacle à surmonter. En revanche, sorti des murs de la classe, l’intégration semble plus difficile, notamment avec l’équipe-école.

P10 : Quand, au début, je rencontrais quelqu’un dans le couloir, je me sentais… On voit que je ne suis pas Québécoise. Mais quand j’étais dans ma classe, j’étais dans mon élément, je me sentais acceptée.

Ultimement, le plus grand défi relationnel posé par le statut de migrante des futures enseignantes est l’intégration à la communauté universitaire. En cours et en dehors, les futures enseignantes semblent se regrouper entre migrants, à défaut de pouvoir tisser des liens avec les étudiants québécois.

P35 : Moi, je dirais, je me sens au même niveau [que les étudiants québécois], sauf sur un point : je n’arrive pas à créer des amitiés avec les étudiants québécois de souche.

Conclusion

À la lumière de ce texte, il apparaît qu’en plus des enjeux – déjà grands – valables pour tous futurs enseignants en formation initiale, les futurs enseignants issus de l’immigration récente font face à des enjeux spécifiques, notamment sur les plans linguistiques, culturels et relationnels. Ceci ouvre des pistes pratiques intéressantes, qu’il conviendrait d’explorer davantage. De façon primordiale, il conviendrait de s’assurer que tous les acteurs de la formation initiale à l’enseignement, incluant les futurs enseignants québécois, sont sensibilisés aux enjeux des futurs enseignants issus de l’immigration. Plusieurs pistes d’action gagneraient à être explorées pour poursuivre dans cette voie. Nous pensons notamment à des pratiques pédagogiques favorisant l’intégration des étudiants étrangers aux étudiants québécois dans les cours universitaires; des ateliers de préparation aux stages spécifiquement dédiés aux futurs enseignants issus de l’immigration récente; ainsi qu’un encadrement de stage assuré par des enseignants associés et des superviseurs de stage formés aux dimensions interculturelles de l’enseignement. Plus largement, les enjeux rencontrés par les futurs enseignants viennent renforcer la pertinence de cultiver une gestion positive de la diversité à tous les niveaux de la formation scolaire et universitaire.

 

Illustration : iStock

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Simon Collin

Simon Collin

Simon Collin, Ph.D., est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur une approche sociocritique du numérique en éducation et Directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante - Université du Québec (CRIFPE-UQ)
collin.simon@uqam.ca

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AlexandraH Michaud

Alexandra H. Michaud

Assistante de recherche et étudiante à la maîtrise en didactique des langues à l’Université du Québec à Montréal

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