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Communauté scolaire, Enseignement

Composer avec les parents

Nouvelles dimension du métier pour les enseignants formés à l'étranger

Depuis quelques décennies, les écoles primaires et secondaires canadiennes reçoivent des enseignants formés à l’étranger (EFE). Au Québec, quoiqu’ils suivent une formation d’appoint en arrivant, ils sont en perte de repères en raison de l’écart entre leurs expériences antérieures et les exigences de leur nouveau contexte de travail. Dans une recherche ayant documenté l’intégration professionnelle d’EFE (d’Afrique du Nord) dans les écoles québécoises1, nous nous sommes intéressés aux ajustements dans lesquels ils s’engagent relativement à ce qui constitue pour eux une nouvelle dimension de leur métier : la coopération avec les parents d’élèves. Ainsi, en examinant les rapports aux parents dans leurs pays d’origine et les premières expériences dans les écoles québécoises, nous exposons comment les EFE s’ajustent à cette nouvelle dimension du métier au travers de l’analyse des apprentissages des nouvelles dynamiques de pouvoir avec les parents.

Le parent : acteur effacé ou de premier plan?

Dans le pays d’origine de plusieurs EFE, les parents d’élèves sont quasiment absents de la vie scolaire. Réservant une confiance absolue à l’enseignant et n’exerçant aucun contrôle sur son travail, ils appuient chacune de ses interventions auprès des élèves, même punitives : « Si l’élève est blâmé par l’enseignant, il le sera forcément par le parent […]; on a plus les parents de notre côté» (Zinab). En vertu de cette entente tacite, l’enseignant s’autorise à exercer des pressions sur les élèves (i.e. : contrôle-surprise) pour qu’ils travaillent davantage, reste froid et distant pour faire autorité.

Arrivés au Québec, les EFE constatent rapidement que la pratique du métier implique un autre rapport aux parents. Par exemple dans les écoles privées, ceux-ci jouent un rôle central dans la gestion et participent à la régulation du travail enseignant par leurs exigences de traitement envers leurs enfants. Lors de son entretien d’embauche au privé, une EFE s’est étonnée d’entendre la directrice lui dire « Les parents vont t’adorer! » (Zinab). L’importance des parents dans la dynamique scolaire au Québec et les chocs qui en relèvent ont attiré notre attention sur les nécessaires ajustements des EFE à cette nouvelle dimension du métier.

Les sanctions comme moteur de l’ajustement des EFE

Au Québec, au privé plus qu’au public, les parents d’élèves paient de fortes sommes pour inscrire leurs enfants, ce qui procure du poids aux revendications et demandes qu’ils formulent à la direction d’école et aux enseignants :

« Dans une école privée, ce sont vraiment les parents qui suivent l’enseignant; en plus de la directrice, ils étaient pesants en interne! Si l’enfant ne progressait pas, il suffisait d’appeler le matin et ça faisait notre belle ou mauvaise journée; tout dépendait des parents. » (Zinab)

Au public, cette relation de pouvoir serait un peu plus équilibrée entre les diverses parties, la direction d’école jouant un rôle d’arbitre face aux réclamations. Un parent d’élève le suggère en rapportant une mésentente avec une EFE ayant manifesté une approche distante envers sa fille :

« J’ai cogné à la porte du directeur et je lui ai dit : « Il faut qu’on se parle parce que ça ne va pas »; il a décidé de nous rencontrer […]; cette rencontre a mis des attentes plus claires envers nous; de notre côté, arrêtez de lui [enfant] mettre la pression; du côté de l’enseignante, c’est d’avoir une approche un peu plus maternelle. » (Diane)

Cependant, pour les EFE qui n’ont pas l’habitude de devoir transiger avec les parents, des ajustements aux normes locales sont nécessaires pour éviter les conflits. Ces normes tacites, ils ne les découvrent pour la plupart que lorsqu’ils commettent des « faux-pas » sanctionnés par leurs partenaires scolaires :

« J’ai connu une enseignante qui a voulu empêcher un élève de sortir en le tenant par la main; elle a été obligée de présenter ses excuses aux parents et à l’élève parce qu’une plainte a été déposée contre elle à la police pour ça » (Rida).

On relève aussi le rôle important des collègues qui les aident à décoder les attentes de leur nouvel environnement scolaire.

« Ici [au Québec], il faudrait faire un suivi continu; aviser les parents quand l’absence est assez répétitive, quand l’enfant n’arrive pas à suivre en classe; sinon, on pourrait nous le reprocher lors de la rencontre […]; c’est ce qu’un collègue m’a dit de faire. » (Dalia)

Ainsi, lorsque leurs manières de faire apprises dans un tout autre contexte se révèlent non opératoires, soulèvent des réprobations, menacent leur emploi, les EFE apprennent de nouveaux repères pour la pratique du métier au Québec en s’alignant sur leurs pairs.

Collaborer avec les parents : une véritable conversion

Si au départ, ils s’ajustent pour « éviter des ennuis » (Dalia), plusieurs EFE rencontrent des collègues, des directions et même des secrétaires d’école qui leur expliquent les fondements des réclamations des parents. En les mettant en contexte avec l’évolution de la société, ils appréhendent mieux les attentes et adhèrent plus aisément aux normes et valorisations locales. Les EFE comprennent que s’ils développent une relation personnalisée et de proximité avec les élèves, leurs parents deviennent de précieux collaborateurs. L’une des EFE se dit métamorphosée par ce nouveau rapport aux parents:

« Il y a eu beaucoup de changements dans ma façon de voir les choses; ce n’est plus l’académique qui est privilégié; c’est plus la relation humaine, c’est plus partager de bons moments avec mes élèves et leurs parents; j’ai maintenant des parents qui, à la fin de l’année, me font des câlins, me donnent des cadeaux parce que j’étais à l’écoute de leur enfant; […] je suis très fière de ce que j’ai accompli. » (Rida)

Plusieurs EFE témoignent de cette conversion identitaire2, ces nouvelles dynamiques les amenant à être sereins pour la première fois au travail.

Conclusion

En définitive, une fois passées les premières turbulences, les EFE découvrent le plaisir de partager le pouvoir avec les parents, de s’en faire des alliés pour favoriser la réussite de leurs élèves. Ce nouveau mandat se révèle plus satisfaisant que celui qui était le leur dans leur pays d’origine : écarter le plus rapidement possible du système scolaire ceux qui ne sont pas performants.

 

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Photo: iStock


1 Morrissette, J. & Demazière, D. (CRSH 2015-2017). Une approche interactionniste des savoirs professionnels enseignants. Programme Développement savoir.

2 Berger, L. & Luckmann, T. (1996). La construction sociale de la réalité (2e éd.). Paris: Armand Colin.

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Dr. Joëlle Morrissette

Professeure agrégée à la Faculté des sciences de l'éducation - Département d'administration et fondements de l'éducation, à l’Université de Montréal

Joëlle Morrissette, Ph. D., est Professeure agrégée à la Faculté des sciences de l'éducation - Département d'administration et fondements de l'éducation, à l’Université de Montré...

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