Le transfert de connaissances dans l’insertion professionnelle des enseignants au collégial
Constats généraux
Déjà en 1999, Raymond et Hade publiaient des prévisions accablantes concernant les départs à la retraite des enseignants du collégial entre 2000 et 2015. Sur cette période de quinze ans, près de 80 % du personnel enseignant serait appelé à être remplacé. Ces enseignants représentent, pour la plupart, la première génération d’enseignants embauchée à la suite de la création des cégeps à la fin des années 60. Force est d’admettre qu’ils détiennent une expertise, empreinte de plus de 25 ans de pratique, essentielle au développement professionnel des nouveaux enseignants.[1]
Entre 2000 et 2015 … près de 80 % du personnel enseignant serait appelé à être remplacé. Force est d’admettre qu’ils détiennent une expertise, empreinte de plus de 25 ans de pratique, essentielle au développement professionnel des nouveaux enseignants.
L’importance de ce transfert est d’autant plus marquée par la problématique liée à l’insertion professionnelle vécue par ces nouveaux enseignants. À ce sujet, les enseignants du collégial qui débutent dans la profession vivent généralement en état d’urgence. Les conditions d’enseignement souvent caractérisées par des délais d’embauche trop courts, la multiplication des charges de cours, la préparation des contenus ou encore l’absence de formation pédagogique ne changent en rien qu’ils doivent tout de même satisfaire aux mêmes exigences que les enseignants d’expérience.[2]
Types de connaissances
Il convient de préciser les grandes lignes de la typologie selon laquelle la connaissance peut être d’ordre explicite, tacite (technique) ou tacite (cognitive). Ainsi, la connaissance explicite est codifiée et organisée, donc plus facile à diffuser et à reproduire au sein d’une organisation. Elle peut se détacher aisément de la personne qui la détient ou qui l’utilise, pour ensuite, être récupérée par quelqu’un d’autre. La connaissance tacite, quant à elle, s’opère dans l’action, elle est donc plus difficile à cerner et à formaliser. Elle se distingue selon deux approches. L’une, technique, se rapporte aux compétences et aux aptitudes formant ainsi le savoir-faire. L’autre, cognitive, touche aux modèles mentaux, aux croyances et aux perceptions tenues pour acquises. Il s’agit du savoir-être qui regroupe les comportements affectifs, les attitudes et les valeurs de la personne qui influencent, entre autres, la résolution de problèmes et la prise de décisions. [3]
La typologie des savoirs enseignants (voir le tableau) met en évidence l’interrelation de certains savoirs d’ordre tacite et explicite, ce qui rejoint la théorie selon laquelle ces deux dimensions sont complémentaires et s’enrichissent l’une l’autre.[4] De plus, considérant que les connaissances tacites représentent près de 70 à 80 % du savoir d’un individu, et par extension d’une organisation,[5] la diversification et la combinaison des moyens de transfert deviennent des facteurs de réussite dans le processus d’acquisition des savoirs enseignants à caractère multidimensionnel.
Recommandations
Pour cet article, la formulation de quelques recommandations afin de faciliter le processus d’élaboration d’un programme de transfert des savoirs enseignants m’apparaît tout à fait justifiée dans une approche orientée vers l’action.
1. Privilégier une approche axée sur le suivi et l’encadrement hebdomadaires pour l’élaboration d’activités de transfert dans un contexte d’insertion professionnelle
La formule flexible du jumelage et des ateliers de groupe permet d’inclure un encadrement plus formel afin de suivre et de faciliter l’insertion professionnelle du nouvel enseignant. Ces moyens de transfert offrent une continuité dans le temps qui leur est propre et favorisent notamment l’acquisition des savoirs liés à la planification. La diversification des moyens de transfert suggère différents degrés d’implication, d’encadrement et de planification afin d’offrir un éventail de possibilités pour répondre aux besoins et aux exigences des personnes concernées, ainsi que pour mettre à profit les aptitudes et les qualités spécifiques des enseignants dans les processus de transfert appropriés. Il s’agit donc d’intégrer aux activités de transfert cet aspect supplémentaire d’encadrement, qui ne se retrouve pas autrement, afin de résoudre certaines problématiques directement liées à l’insertion professionnelle.
Atelier de groupe
La proposition de tenir des ateliers de groupe est inspirée du concept des communautés de pratique où, globalement, la mise en commun des diverses expériences des membres permet de résoudre certaines problématiques ou encore de développer de nouvelles façons de faire. [6] Les enseignants novices constituent la « communauté », qui est encadrée par un intervenant choisi selon ses compétences en matière des savoirs enseignants précis à transférer. Des conseillers pédagogiques, des membres de la direction, des coordonnateurs de département, des enseignants d’expérience, des représentants syndicaux peuvent animer ces ateliers et ce, individuellement ou conjointement par une combinaison des personnes nommées précédemment. Cette orientation permet d’alléger la tâche de transfert qui incombe présentement uniquement aux enseignants expérimentés. Ainsi, d’autres intervenants peuvent prendre en charge certains savoirs comme le langage administratif, la définition de la tâche enseignante, les rôles et responsabilités des différents services (organigramme), ainsi que les modes de fonctionnement.
L’atelier de groupe permet de resserrer les liens entre collègues, de reconnaître l’expérience et le savoir du responsable de l’atelier et de favoriser le partage des meilleures pratiques pour enrichir le développement professionnel des enseignants novices. De plus, ces rencontres ont permis de briser l’isolement ressenti par certains, de décloisonner les pratiques départementales et de favoriser une culture d’entraide et de partage entre les membres du corps enseignant. Le transfert passe également par la mise en commun des expériences vécues par les enseignants novices. Le partage d’idées entre des collègues qui vivent les mêmes situations permet une remise en question, une introspection qui enrichit en fin de compte le savoir à transmettre. La forme et la durée des ateliers demeurent flexibles, selon la stratégie de transfert envisagée et les thèmes sélectionnés.
Jumelage
Trop souvent, le manque de temps, l’impression d’éteindre des feux, d’être constamment en réaction face aux responsabilités à assumer et aux tâches à exécuter finissent par décourager le nouvel enseignant d’investir du temps pour aller chercher du support et pour partager ses incertitudes. Le caractère planifié et formel de la rencontre sert donc à encadrer et à faciliter la relation de jumelage en l’officialisant. Une activité de jumelage définie par des rencontres planifiées permet également d’aller au-devant de certaines problématiques ou encore d’anticiper certaines erreurs éventuelles liées au manque d’expérience du nouvel enseignant.
2. Élaborer un plan d’action institutionnel en matière de transfert des connaissances
Bien que les départements jouissent d’une certaine mesure d’autonomie de gestion et de pouvoir décisionnel, les activités de transfert ne découlent toutefois pas uniquement de ces derniers. Or, en se dotant d’un plan global, l’établissement collégial pose les bases d’une stratégie organisationnelle de transfert et encourage, par l’exemple, le développement et le soutien d’initiatives en matière de transfert des connaissances entre les enseignants. De plus, promouvoir une approche institutionnelle peut avoir un effet sécurisant sur les nouveaux enseignants, qui pourront alors compter sur le soutien du collège indépendamment du degré d’implication de leur département dans les activités de transfert. Il s’agit de promouvoir et de valoriser une culture organisationnelle axée sur le partage et l’enrichissement des savoirs au sein de la communauté collégiale.
3. Favoriser l’implication de différents intervenants dans les activités de transfert des savoirs enseignants
Dans un souci d’efficacité, il a été démontré que certains savoirs gagnent à être transmis par des intervenants autres que des enseignants. Or, le fait d’impliquer différentes personnes dans les processus de transfert permet de libérer les enseignants expérimentés et, ainsi, de répartir plus efficacement la charge de travail entre les services. Cela permet d’uniformiser certains savoirs en déléguant la transmission de contenus à une personne-ressource qualifiée ou à un regroupement d’intervenants. De plus, l’implication de différentes catégories d’emplois provenant de différents services confère aux processus de transfert un caractère rassembleur en indiquant qu’il s’agit d’un projet collégial et non seulement départemental.
4. Reconnaître le temps investi et l’implication des enseignants novices et expérimentés dans les processus de transfert planifiés
La reconnaissance se présente sous plusieurs formes et celles-ci peuvent se complémenter. Ainsi, il existe la libération qui permet aux enseignants de consacrer une partie de leur charge de travail et de leur temps à une tâche ou une activité ciblée et celle-ci est reconnue dans le calcul de leur charge individuelle d’enseignement. Il est également possible d’offrir des montants forfaitaires en fonction du degré d’implication et du temps investi dans les activités de transfert. Finalement, la valorisation auprès des pairs constitue un élément significatif dans le processus de reconnaissance puisqu’il permet de souligner et de rendre public les bons coups effectués par les enseignants concernés et d’exposer les effets positifs et les bienfaits observés chez les participants aux activités de transfert.
Le transfert des savoirs enseignants doit être chapeauté par une vision partagée, une culture organisationnelle axée sur le travail d’équipe, le partage et la réflexion portant sur la pratique.
En conclusion, le transfert des savoirs enseignants doit être chapeauté par une vision partagée, une culture organisationnelle axée sur le travail d’équipe, le partage et la réflexion portant sur la pratique. Le désir de mettre en œuvre des processus de transfert doit ultimement transcender l’aspect managérial de ce type de projet.
RECAP – The impact of the baby boom that occurred in Quebec during the post-war years is now being felt in the labour force, given the massive number of retirements it is generating. In colleges, the considerable renewal of teaching staff has raised many questions surrounding the best knowledge-transfer methods and the knowledge itself to be shared. While knowledge transfer may be a solution for preserving seasoned teachers’ know-how and for facilitating new teachers’ work, it is nevertheless important to keep in mind that this transfer is taking place in the context of a transition into the profession. This article, the outcome of a research study of experienced and novice CEGEP teachers in the Centre-du-Québec region, proposes recommendations for facilitating the implementation of a knowledge-transfer program in a teaching institution.
[1] Raymond, D et Hade, D. 1999. Module d’insertion professionnelle des nouveaux enseignants du collégial (MIPEC). Sherbrooke: PERFORMA.
[2] Gagnon, J. 2007. L’enseignement en tandem comme forme de mentorat pour favoriser l’insertion professionnelle et l’acquisition de compétences pédagogiques des enseignants débutants au collégial. Mémoire de maîtrise, Rimouski, Université du Québec à Rimouski, 185 p.
[3] Nonaka, I. et Takeuchi, H. 1995. The knowledge Creating Firm. New York: Oxford University Press, 304 p.
[4] Alavi, M. et Leidner, D. 2001. Review: Knowledge Management and Knowledge Management Systems: Conceptual Foundations and Research Issues. MIS Quarterly. Vol. 25, no 1, p. 107-136.
[5] Dalkir, K. 2005. Knowledge Management in Theory and Practice. Burlington: Elsevier Inc., 356 p.
[6] Wenger, E. C. et Snyder, W. M. 2000. Communities of Practice: The Organizational Frontier. Harvard Business Review, (janvier, février), p.139-145.