La santé de la direction et la qualité de ses pratiques en pandémie : premier pas vers le succès des élèves
Introduction
Parler d’une vision du succès de l’élève pour l’après-pandémie semble prématuré, même si la communauté planétaire marque le deuxième anniversaire de cette crise sanitaire sans pareille. Cela dit, cet article donne la parole aux membres des équipes de direction d’école, car le succès des élèves repose en grande partie entre les mains des personnes qui ont la lourde responsabilité de coconstruire cette vision du succès des apprenants qui fréquentent nos écoles. Depuis la pandémie, les professionnels de l’éducation n’ont pas eu beaucoup de temps à réfléchir à la notion du succès, car la gestion de cette crise sanitaire les a placés dans un mode de survie. C’est à peine s’ils gardent la tête hors de l’eau. Qu’importe, ils n’ont pas perdu l’essentiel : l’élève, ses apprentissages, sa santé et son bienêtre demeurent au cœur de leur quotidien.
La recherche le confirme : après le personnel enseignant, c’est l’équipe de direction d’école qui a le plus d’influence sur la réussite des élèves (Leithwood, 2012; Leithwood, Seashore Louis, Anderson et Wahlstrom, 2004; Waters, Marzano et McNulty, 2003). Cela est d’autant plus vrai dans un contexte sociétal complètement bouleversé comme c’est le cas depuis le début de la pandémie de la COVID-19.
Cet article présente les résultats d’une étude qui a pris naissance dans un contexte de crise sanitaire mondiale. Elle porte sur l’incidence de la pandémie sur les pratiques de gestion, sur la santé et sur le bienêtre des équipes de direction. Elle cherche à établir un lien entre les efforts des équipes de direction et le succès des élèves.
Contexte
En mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait que l’éclosion de COVID-19 était devenue une pandémie. C’est alors que les autorités dans plus de 190 pays à l’échelle mondiale ont fermé leurs écoles touchant plus de 1,6 milliard d’élèves du primaire au secondaire (Bryant, Chen, Dorn et Hall, 2020). « Horaires de cours déraillés; fermeture de jeu; réorganisation des cohortes d’élèves; sentiments d’insécurité face à l’inconnu : le grand dérangement » (Rocque et Côté, 2021, p. 13)! Onze mois plus tard, en février 2021, la situation sanitaire demeurait aussi précaire et l’impact de la pandémie sur le système scolaire se poursuivait. Le graphique « PORTRAIT COVID-19 : ALBERTA ET MANITOBA » illustre le nombre de cas dans chacune des provinces au moment de la collecte des données : la ligne bleue dentelée indique le nombre de cas en Alberta et la rouge, au Manitoba. Les deux crochets noirs (*) indiquent la période de la collecte. Il était impossible de savoir que les cas dans les deux provinces seraient à leur plus bas à ce moment-là. Qu’importe, les vagues à la hausse se sont manifestées immédiatement après et, malheureusement avec l’arrivée des variants, la tendance est demeurée à la hausse. C’est dans ce contexte que l’équipe de recherche1, en collaboration avec le Conseil scolaire Centre-Nord (CSCN – Alberta) et la Division scolaire franco-manitobaine (DSFM – Manitoba), a mené son étude dont les principaux objectifs visaient 1) à recueillir l’opinion des équipes de direction d’école du CSCN et de la DSFM sur la pandémie et ses effets sur la gestion de l’école et 2) à examiner le niveau de santé et de bienêtre de ces équipes durant la crise sanitaire.
Méthodologie
Au total, 63/70 personnes, provenant des équipes de direction du CSCN (n=31) et de la DSFM (n=32), ont participé à l’enquête, donnant un taux de participation de 90 %. Un questionnaire2 portant sur la gestion, la santé et le bienêtre a été envoyé aux participants à la mi-février 2021. Suite à la collecte des données, des analyses ont été réalisées à l’aide d’un logiciel3 qui a signalé les résultats statiquement significatifs (p ≤ 0,10). Le Comité d’éthique de la recherche de l’Université de Saint-Boniface a donné son approbation à l’équipe pour la réalisation de l’étude.
Présentation des résultats
Soucieux de vouloir apporter un éclairage susceptible d’alimenter la réflexion sur la façon dont l’équipe de direction contribue à l’épanouissement des élèves en contexte de pandémie, les auteurs ont choisi de présenter les résultats de l’étude en portant une attention particulière à ces trois questions :
- Quelle incidence la pandémie a-t-elle eue sur les pratiques de gestion pédagogiques des équipes de direction?
- Quelle incidence la pandémie a-t-elle eue sur le bienêtre et la santé mentale des équipes de directions?
- Quelle incidence la pandémie a-t-elle eue sur le niveau d’anxiété des équipes de direction?
1. Incidence de la pandémie sur les pratiques de gestion pédagogiques et administratives
Les élèves réussissent mieux dans les écoles où les équipes de direction accordent une priorité à l’enseignement et à l’apprentissage (Archambault, Garon, Harnois et Ouellet, 2011; Huber et Muijs, 2010). Les pratiques de gestion pédagogiques de l’équipe de direction qui touchent le personnel, et par conséquent qui peuvent être associées à la réussite et à la persévérance des élèves, sont nombreuses dans l’étude :
- Préparer et réviser l’horaire des élèves et des membres du personnel.
- S’occuper de la sécurité à l’école.
- Préparer des notes et des messages courriel destinés aux membres du personnel, aux élèves et aux parents.
- Préparer et animer les réunions du personnel.
- Assurer les activités reliées à la supervision et à l’évaluation du personnel.
- Assurer les activités reliées à l’évaluation du rendement des élèves.
- Résoudre des problèmes de conflits ou de discipline chez les élèves.
- Conseiller et aider les enseignants avec leurs pratiques pédagogiques.
- Encourager et motiver les enseignants.
- Participer à des réunions d’ordre pédagogique avec le Ministère ou le conseil scolaire.
- Préserver le bienêtre du personnel.
- Recevoir des parents à l’école.
- Participer à des formations professionnelles destinées à l’équipe de direction d’école.
Parmi cette liste, nous avons retenu les six pratiques qui ont fait l’objet d’un fort consensus parmi tous les répondants à la suite de cette question : « En comparaison à votre situation avant la pandémie de COVID-19 (avant mars 2020), évaluez combien votre temps consacré aux différentes fonctions de gestion a changé (diminué/augmenté) ». Les résultats peuvent être regroupés en deux catégories : a) la gestion des lieux, des espaces et du temps et b) la gestion des relations humaines (figure 1).
Figure 1. Fonctions de gestion pédagogiques et % de répondants qui affirme qu’elles ont augmenté/beaucoup augmenté
* (a) : gestion des lieux, des espaces et du temps; (b) : gestion des relations humaines
Collerette, Pelletier et Turcotte (2013) affirment que l’équipe de direction d’école qui « met beaucoup d’énergie à instaurer un milieu de vie agréable pour les élèves [et qui] fait le nécessaire pour instaurer un environnement calme, ordonné et sécuritaire » (p. 12) contribue à soutenir les enseignants dans leur enseignement et les élèves dans leur apprentissage. En raison des conditions sanitaires changeantes, les répondants de l’étude ont reconnu avoir consacré plus de temps à s’occuper de la sécurité, de la gestion des espaces et de la préparation/révision des horaires, et ce, presque au quotidien.
Fullan (2014; 2021), Leithwood (2013) et Dupuis (2004) ont tous étudié les conseils scolaires performants et les écoles efficaces. La qualité des relations humaines entre la direction et le personnel enseignant est fortement associée à la réussite des élèves. Presque la totalité des répondants (97 %) qui ont participé à l’étude a reconnu qu’en situation de crise, il faut « Préserver le bienêtre du personnel ». « Les encourager » et « les motiver », deux autres fonctions de gestion des relations humaines ont aussi augmenté à 90 % et plus durant la pandémie. Développer des relations de travail saines, ouvertes, chaleureuses et productives à l’intérieur des écoles dans des circonstances exceptionnelles ne peuvent faire autrement qu’appuyer les enseignants qui se soucient de l’apprentissage de leurs élèves.
2. Incidence de la pandémie sur le bienêtre et la santé mentale
L’étude s’intéresse à la perception des membres des équipes de direction d’école des deux autorités scolaires sur leur bienêtre et leur santé mentale en effectuant leur travail durant une crise sanitaire. Il est pertinent de s’y arrêter, car la recherche l’affirme depuis longtemps : les conséquences du stress, d’une mauvaise santé et d’un haut niveau d’anxiété qui perdure mènent à un éventuel épuisement émotionnel, à une déshumanisation des relations interpersonnelles et à une diminution du sentiment d’accomplissement (Poirel, 2009). Selon la durée de ce mauvais état de santé, « [c]ette spirale de détérioration du rendement aurait comme conséquence une perte de productivité pouvant conduire à la dépression nerveuse (Shirom, 2003, cité dans Poirel, 2009).
Face à une montagne de données, nous avons dû effectuer des choix judicieux. C’est pourquoi nous présentons les réponses statistiquement significatives en fonction des années d’expérience des membres des équipes de direction pour illustrer leur bienêtre et leur santé mentale. Le tableau 1 nous présente les figures portant sur six différents indicateurs de bienêtre et de santé :
- Je n’ai jamais assez de temps pour effectuer mon travail au quotidien.
- Je suis la plupart du temps détendu.
- J’ai beaucoup d’énergie.
- J’ai un bon équilibre famille/travail.
- Décrivez votre état de santé.
- J’ai une haute estime de soi.
Chaque indicateur nous aide à brosser un portrait global des répondants. Les résultats démontrent que pour l’ensemble des indicateurs, à l’exception de la description de l’état de santé (figure 6), les membres des équipes de direction ayant moins d’expérience font moins bonne figure que ceux ayant plus d’expérience. Le niveau d’estime de soi (figure 7) est tout de même favorable chez les deux groupes (70 % et 89 %), cependant, chez les répondants ayant moins d’expérience, 13 % sont « incertain » et 17 % sont « en désaccord » avec l’affirmation : « j’ai une haute estime de soi ».
Tableau 1. Portrait global du bienêtre et de la santé mentale en fonctions des années d’expérience (données statistiquement significatives)
Figure 2. Résultats en % en fonction des années d’expérience : ne jamais avoir assez de temps pour faire le travail au quotidien | Figure 3. Résultats en % en fonction des années d’expérience : je suis la plupart du temps détendu |
Figure 4. Résultats en % en fonction des années d’expérience : j’ai beaucoup d’énergie | Figure 5. Résultats en % en fonction des années d’expérience : j’ai un bon équilibre famille/travail |
Figure 6. Résultats en % en fonction des années d’expérience : décrivez votre état de santé | Figure 7. Résultats en % en fonction des années d’expérience : j’ai une haute estime de soi |
3. Incidence de la pandémie sur l’état d’anxiété4
Le dernier indicateur retenu est celui de la présence de l’anxiété et de sa fréquence dans la vie des participants (figure 8). Nous constatons que 80 % des membres des équipes de direction d’école éprouvent de l’anxiété durant la pandémie, cependant, seuls 18 % affirment qu’elle se manifeste « la plupart du temps ou toujours ».
À la lecture des résultats présentés, nous voyons que la pandémie a eu une incidence sur : 1) le temps consacré aux pratiques de gestion pédagogiques et administratives; 2) le bienêtre et la santé mentale et 3) la présence de l’anxiété dans la vie des membres des équipes de direction des autorités scolaires de l’Alberta et du Manitoba. Malgré le fait que 80 % des répondants affirment vivre dans l’anxiété, 97 % d’entre eux consacrent plus de temps à « préserver le bienêtre de leur personnel » et 90+ % à « encourager/motiver les enseignants » durant cette crise sanitaire. Ces pratiques de gestion axées sur la qualité des relations interpersonnelles entre l’équipe de direction et le personnel enseignant contribuent sûrement à maintenir un environnement qui permettait le maintien d’un certain engagement de la part des élèves, et ce, à l’intérieur d’une organisation qui a subi d’importantes transformations de fond en comble depuis l’arrivée de COVID-19.
Retombées sur le terrain
Cette tranche de l’article propose quelques éléments pratico-pratiques. D’abord, les répondants ont reconnu l’importance de gérer leur stress afin de maintenir une gestion de leur établissement, et un accompagnement des gens qui les fréquentent, en contexte de pandémie. La figure 10 illustre ces différentes façons. L’activité physique et la méditation/pleine conscience se trouvent au haut de la liste tandis que la thérapie individuelle/de groupe et l’automédicamentation s’y retrouvent au bas.
Figure 10. Résultats en % : façons de gérer le stress (ordre décroissant)
Le tableau 3 présente différents aspects de gestion des pratiques pédagogiques et de bienêtre, tant pour les enseignants que pour les membres des équipes de direction, ainsi que des actions prises pour les illustrer. La communication se voulait fréquente, accueillante et favorisant une approche consultative. La gestion se voulait simplifiée, malgré la complexité des exigences, collaborative, rassurante et stratégique selon les priorités. La technologie servait d’outil d’appui et les répondants se souciaient de leur bienêtre ainsi que de celui du personnel en cherchant un équilibre à leur vie.
Tableau 3. Aspects de gestion des pratiques pédagogiques/bienêtre et actions
Aspects | Actions concrètes |
COMMUNICATION |
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STRATÉGIES DE GESTION |
|
TECHNOLOGIE |
|
BIENÊTRE |
|
Conclusion
La pandémie de la COVID-19 aura fait bien des victimes humaines, regrettablement. Mais que fera-t-elle des structures et des organisations, telles que le système d’éducation et la redéfinition du succès des élèves qui les fréquentent? Cet article cherchait à démontrer l’incidence de cette crise sanitaire sur les membres des équipes de direction qui soutiennent les responsables de l’enseignement. En adaptant leurs pratiques de gestion pédagogiques aux nouvelles réalités et en se préoccupant du bienêtre de leur personnel, les autorités scolaires ont donné de nouvelles formes à l’enseignement et à l’apprentissage. L’expérience des équipes de direction de ces autorités scolaires offrira-t-elle un éclairage partiel sur les nouveaux défis à relever quand viendra le véritable « après pandémie »? C’est alors qu’il sera possible de s’ajuster et de répondre aux attentes qui se pointeront à l’horizon pour nos élèves et les membres du personnel de nos écoles.
Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, mars 2022
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Notes
1 Jules Rocque, chercheur et Cynthia Côté, assistante de recherche.
2 Questionnaires adaptés de Derogatis (1987) et St-Germain (2011).
3 Statistical Package for the Social Sciences (SPSS, version 27).
4 Anxiété : une émotion désagréable qui combine des symptômes physiques (battement accéléré du cœur, difficulté respiratoire, sueurs, tremblements, étourdissements, mains moites, muscles tendus) et des pensées anxieuses (inquiétudes, ruminations, obsessions, doutes, craintes). Adaptation de la définition de l’Association des médecins psychiatres du Québec (https://ampq.org).
Références
Archambault, J., Garon, R., Harnois, L, et Ouellet, G. (2011). Diriger une école en milieu défavorisé : Ce qui ressort des écrits scientifiques et professionnels (mise à jour du document 2006). Université de Montréal et Programme de soutien à l’école montréalaise (MELS), 17 p.
Bryant, J., Chen, L.-K., Dorn, E. et Hall, S. (2020). School-system priorities in the age of coronavirus. McKinsey & Company.
Collerette, P., Pelletier, D. et Turcotte, G. (2013). Recueil de pratiques des directions d’écoles secondaires favorisant la réussite des élèves. Recueil de pratiques. Université du Québec en Outaouais.
Derogatis, L. R. (1987). The Derogatis Stress Profile (DSP) : quantification of psychological stress. Dans G. A. Fava et T. N. Wise (dir.), Advances in Psychosomatic Medicine : Vol. 17. Research Paradigms in Psychosomatic Medicine (30-54). Karger.
Dupuis, P. (2004). L’administration de l’éducation : quelles compétences? Éducation et francophonie, 32(2), 133-157.
Fullan, M. (2021). Les moteurs efficaces de la réussite systémique. Centre for Strategic Education.
Fullan, M. (2014). The Principal. Three Keys to Maximizing Impact. Jossey-Bass.
Huber, S. G., et Muijs, D. (2010). School leadership effectiveness: the growing insight in the importance of school leadership for the quality and development of schools and their pupils. In S. G. Huber (dir.), School leadership – International perspectives. Springer Science.
Leithwood, K. (2013). Les conseils scolaires performants et leur leadership. Une étude commandée par le Council of Ontario Directors of Education et l’Institut de leadership en éducation.
Montgomery, C., Bujold, N., Bertrand, R. et Dupuis, F. (2002). Les caractéristiques psychométriques des indicateurs de stress et de la capacité de résolution de problèmes sociaux chez les étudiants en enseignement en milieu majoritaire et minoritaire francophone; une comparaison entre deux contextes. Étude.
Poirel, E. (2009). Le stress professionnel des directions d’école au Québec : sources du stress, vécu professionnel et ajustements (Thèse de doctorat, Université de Montréal).
Rocque, J. et Côté, C. (2021). COVID-19, les équipes de direction d’école en milieux francophones minoritaires (Alberta et Manitoba). Impact sur la gestion, la santé et le bien-être. Rapport de recherche. Université de Saint-Boniface.
St-Germain, M. (2011). Le leadership et la gestion du temps. Dans J. Rocque (dir.), La direction d’école et le leadership pédagogique en milieu francophone minoritaire – considérations théoriques pour une pratique éclairée (p. 219-256). Presses universitaires de Saint-Boniface.