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Cyberharcèlement : c’est grave!

Les conséquences du cyberharcèlement chez les victimes et dans les établissements scolaires.

Le cyberharcèlement est l’utilisation des technologies de communication électroniques pour se livrer volontairement à des actes répétés ou diffusés à un large public d’humiliations, de cruauté et de violence psychologique envers les autres.

La victime de ce type de comportements ne sait pas forcément qui est l’agresseur, bien que dans la plupart des cas, il soit connu et qu’un sur deux soit dans le même établissement scolaire. La distance entre l’agresseur et l’agressé, spécifique à la communication électronique, facilite l’expression d’idées ou de pensées qui d’ordinaire n’auraient pas cours. Le fait de ne pas observer directement l’impact de ce que l’on dit ou écrit sur la victime facilite les choses.

Aussi, l’empathie et la prise de conscience de la portée des actes agressifs sont-elles perturbées par l’absence de communication non langagière. La victime, de son côté, ne voit pas les expressions de l’agresseur et peut avoir une interprétation négative de ses intentions, augmentant le sentiment d’être agressé et pouvant éventuellement susciter des réactions agressives de sa part. Une victime sur deux est aussi agresseur et les trois-quarts des agresseurs sont aussi victimes.1

Les conséquences des agressions en ligne peuvent être nombreuses tant au niveau personnel qu’à celui de l’établissement scolaire dans lequel la victime et les agresseurs sont scolarisés.

Au niveau personnel, les victimes sont susceptibles d’être démotivées pour leur scolarité, de voir leurs performances scolaires décroître et éventuellement de décrocher. Elles mettent en place des stratégies d’évitement et ont tendance à s’absenter. Selon une étude menée par O’Brien et Moules2, près d’une victime de cyberharcèlement sur trois s’absente et plus du tiers arrête d’avoir des amis à l’extérieur de l’établissement scolaire.

Outre les aspects scolaires, les victimes ressentent des troubles psychiques et une détresse émotionnelle tels que du stress, des troubles du comportement alimentaire, une baisse de l’estime de soi, de la colère, de la frustration générée par l’anonymat de l’agresseur ou par le sentiment d’impuissance et d’absence de contrôle sur les évènements, des troubles du sommeil, de l’anxiété, un état dépressif voire une dépression chronique. Si ces conséquences sont similaires à celles du harcèlement traditionnel, en ligne, la victime n’a aucun répit, le phénomène dépasse les murs de l’école et est omniprésent. Elle se sent d’autant plus impuissante que le nombre de témoins voire de supporters ou participants potentiels est infini3. La recherche montre que les victimes en ligne sont aussi très souvent victimes de harcèlement traditionnel4.

Les conséquences peuvent être dramatiques, d’autant plus que les victimes peuvent éprouver de la culpabilité et de la honte. La loi du silence prévaut et seulement un tiers des victimes se confient, s’enfermant peu à peu dans un isolement social qui contribue à leur souffrance.

Ainsi, en septembre 2010, on dénombrait quatre suicides de jeunes garçons aux États-Unis, suite à du harcèlement en ligne et à l’école. Une étude américaine auprès de 2 000 collégiens montre que 20 % des jeunes victimes ont eu des idées suicidaires en raison de ce qui leur arrivait5. Depuis, de nombreux cas de suicides, que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe, défraient la chronique et inquiètent tout en impulsant une mobilisation forte en termes de prévention, d’information et de formation à un usage sûr d’Internet, comme le montrent les politiques nationales de prévention et les lignes d’écoute qui se développent dans le monde entier.

Si le cyberharcèlement a des conséquences non négligeables, comme nous venons de le voir au niveau individuel, il a aussi un impact négatif sur la vie des établissements scolaires.

Toutefois, comme de nombreux faits de cyberviolence ont lieu à l’extérieur de l’établissement scolaire, les enseignants ont souvent tendance à penser que le problème ne relève pas de leurs compétences professionnelles. Ils se sentent incompétents pour prévenir ou arrêter le phénomène alors que les conséquences sur la qualité des apprentissages et le climat scolaire dans son ensemble sont loin d’être négligeables.

Une étude que nous avons menée sur l’impact de la cyberviolence sur le climat scolaire en 20106, indique que les victimes répétées ont une perception globale de leur école significativement plus négative que les autres élèves et qu’elles se sentent moins en sécurité dans leur établissement scolaire.

Le cyberharcèlement a aussi un impact négatif sur la qualité des relations entre les membres de la communauté éducative et le sentiment d’être respecté. En effet, 65 % des jeunes victimes à répétition (trois incidents et +) pensent que leur parole n’est pas prise en compte et les deux tiers disent qu’ils ne se sentent pas appréciés par les autres élèves.

Enfin, 24.5 % des jeunes qui disent avoir été cybervictimes à plusieurs reprises au cours de l’année scolaire estiment que leurs relations avec leurs enseignants sont négatives alors qu’ils sont 16 % chez les non victimes. Nombreux sont les chefs d’établissement qui rapportent des incidents au retour de fins de semaine ou de vacances en raison de conflits initiés en ligne, alors que les élèves étaient chez eux. Ceci vient confirmer que le cyberharcèlement a un impact certain non seulement sur la scolarité des jeunes et leur attachement à leur établissement mais aussi sur le climat scolaire dans son ensemble, celui-ci étant affecté à tous les niveaux.

Les conséquences du cyberharcèlement sont importantes, parfois graves, voire dramatiques.

Le phénomène peut affecter le développement psychique des individus et relève par certains aspects d’un problème de santé publique.

Prévenir le cyberharcèlement, c’est aussi contribuer à la prévention contre le décrochage scolaire et assurer un environnement propice au bien-être et à la réussite tant au niveau des élèves qu’à celui des adultes des établissements scolaires.

L’interdiction des usages numériques à la maison ou à l’école n’est pas la solution et ne préserve pas les jeunes des dangers encourus, les agressions pouvant avoir lieu en dehors de leur utilisation et l’interdiction pouvant être aisément contournée.

Les risques sont réels et il est donc de la responsabilité de tous les adultes et prestataires de service de téléphonie mobile et d’Internet de mettre en œuvre toutes les actions de prévention et d’intervention possibles afin de garantir un usage éthique et sûr des outils électroniques de communication et de permettre ainsi l’accès à toutes les opportunités d’information, d’échanges et de communication qu’offrent ces outils en toute sécurité.

 

Photo: Marisa Williams (iStock)

Première publication dans Éducation Canada, mars 2014

 

RECAP – The pervasive use of communication technologies is resulting in changes in behaviour and the emergence of new types of relationships between individuals. The number of incidents of cyberbullying and subsequent suicides among young people in both Europe and North America is of great public concern and is mobilizing government authorities. The consequences of this type of victimization are serious, both for individuals who experience emotional distress, anxiety, depression, dropping out of school, etc., and for the educational institutions whose overall atmosphere is affected. Strong, informed mobilization on the part of all adults is needed to ensure that cyberspace is a safer world and to educate youth on the ethical use of this space, which although virtual, can cause very real suffering.


[1] Blaya, C., Les ados dans le cyberespace – prises de risque et cyberviolence. Bruxelles : De Boeck. (2013).

[2] O’Brien, N. & Moules, T., The impact of cyber-bullying on young people’s mental health. Anglia Ruskin University (2010). www.ncb.org.uk/media/…/cyber-bullying_report.pdf

[3] Cross, D., Shaw, T., Hearn, L., Epstein, M., Monks, H., Lester, L., & Thomas, L., Australian Covert Bullying Prevalence Study (ACBPS). Perth: Child Health Promotion Research Centre, Edith Cowan University. (2009).

[4] Voir note 1.

[5] Patchin, J.W., Hinduja, S., “Changes in adolescent online social networking behaviours from 2006 to 2009”. Computers and Human Behavior. 26. 1818-1821 (2010).

[6] Blaya, C., Happy Slapping and Cyberbullying in France. In Mora Merchan, J.A. & Jäger, T. (Eds.) (2010). Cyberbullying: A cross-national comparison. Landau: Verlag Emprische Padagogik (2010).

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Catherine Blaya

Catherine Blaya, PhD, est présidente de l’Observatoire International de la Violence à l’École, réseau de recherche international de chercheurs et de praticiens de 25 pays. Elle est membre du Centre d’Analyse des Processus en Éducation et Formation et professeure en sciences de l’éducation à l’Université de Nice Sophia Antipolis. Ses recherches portent sur des études comparatives quant aux problèmes de violence en milieu scolaire, la délinquance juvénile, le décrochage scolaire et la cyberviolence.

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