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Design technopédagogique, Enseignement, Pratiques prometteuses

Contenu original à venir?

La réalité évoquée par les auteures de cet article est celle de leur milieu scolaire qui bénéficiait en mars 2020 de ressources tant numériques qu’humaines pour soutenir l’apprentissage et l’enseignement à distance1. Tout ce qui a été accompli pour répondre au contexte sanitaire a certes été favorisé par les moyens mis à disposition de tous, mais il serait malhonnête de laisser croire pour autant que cela s’est fait sans heurts ni résistances.

C’est une première pour les générations actuelles d’avoir dû affronter à une pandémie planétaire ayant eu autant d’effets sur tous les aspects de la société. En effet, du jour au lendemain, nous avons été emportés dans une histoire dont le déroulement et l’issue nous échappaient. Les décisions gouvernementales et les aléas des mesures sanitaires impliquant la fermeture abrupte des écoles ont entraîné la perturbation des repères quotidiens dans tous les milieux scolaires. Plusieurs enseignants nous ont d’ailleurs rapporté un grand sentiment d’impuissance et de perte d’efficacité professionnelle allant même, pour certains, jusqu’à une crise d’identité2. L’acte d’enseigner étant avant tout une affaire de relations, le passage à l’enseignement à distance a donc été pour beaucoup une profonde remise en question de la pertinence de leur rôle.

Le legs de la pandémie sur l’éducation nous préoccupe d’autant que le milieu de l’éducation était déjà fragilisé par un taux d’abandon de la profession inquiétant3 et par un important taux de décrochage des élèves4. À ces préoccupations s’ajoute un constat : depuis des années existent des initiatives visant à transformer l’École, mais elles n’ont pas trouvé d’écho assez fort pour inspirer massivement le changement dans le système scolaire. Quelle suite allons-nous donc donner à cet épisode? Parviendrons-nous à trouver un équilibre entre passé et présent malgré une vision encore floue du futur et l’immense fatigue qui affecte les milieux scolaires? Saurons-nous éviter une « renormalisation » scolaire qui nous ramènerait inévitablement à une position précaire? Saurons-nous tirer profit de ce qui sera, au bout du compte, une parenthèse dans la longue histoire de l’École, pour faire émerger des propositions de remplacement ou complémentaires?

Il était une fois l’école ou le mirage de la normalité

À quoi fait-on référence quand on parle de normalité scolaire? À un lieu physique précis, celui de l’espace de la classe ou plus largement de l’établissement scolaire; à une organisation du temps très cadrée, celle du calendrier scolaire et de l’horaire de classe; à des formes d’enseignement où les interactions sont en présence, y compris l’évaluation. Quand certains rêvent d’un retour à la normale, c’est de cette époque dont ils sont nostalgiques. Deux raisons semblent expliquer cette attitude de résistance : premièrement, l’alternance distance-présence impliquant l’enseignement à distance à partir de l’automne 2020 n’a pas touché de la même manière tous les enseignants. Pour certains, il n’existait donc pas de besoin qui les incite à questionner ou à modifier leurs pratiques. Deuxièmement, d’autres ont considéré qu’il n’y avait pas assez de bénéfices à les changer au regard des difficultés rencontrées ou encore qu’ils se sentaient dépassés par l’ampleur de la tâche. Pourtant, malgré ces résistances, plusieurs ont accepté de voir la crise qu’ils traversaient comme une occasion de faire autrement et tout porte à croire que, pour eux, rien ne sera plus comme avant. En effet, les défis de l’enseignement à distance ont démontré la nécessité de scénariser la séquence d’apprentissage autour d’une intention pédagogique claire et de savoirs essentiels à prioriser en contexte, réflexe qui était loin d’être si naturel auparavant. De nouvelles approches et modalités d’interventions ont donc été expérimentées, ce qui a permis de constater souvent des effets positifs des changements apportés sur la réussite des élèves. À titre d’exemple, celui de la rétroaction : de nombreux enseignants s’entendent sur le fait que celle qu’ils donnent désormais à leurs élèves, optimisée par l’usage d’outils numériques (GoFormative, Wooclap, Nearpod, Flipgrid…), a gagné en efficacité et en utilité. En effet, d’une part, les outils numériques favorisent une rétroaction instantanée, ce qui permet d’agir rapidement auprès d’un élève ou d’un groupe. D’autre part, les élèves se sont montrés particulièrement réceptifs aux commentaires vocaux laissés par leurs enseignants car cela leur donnait l’impression de recevoir des conseils qu’ils auraient obtenus lors d’un dialogue un à un. Grâce à cette ouverture et à cette prise de risque de la part de certains enseignants, ils ont pu trouver des réponses concrètes à des situations problématiques, ce qui a eu pour conséquence un regain de confiance et d’estime de soi dans leur capacité d’innovation.

Aussi, ce que nous avons remarqué dans notre école, c’est que certains enseignants n’étaient pas forcément des experts en technologie. Cependant, ils ont su s’autoformer ou solliciter les ressources pour ajuster leurs pratiques5. Les initiatives inspirantes de ces enseignants6 suffiront-elles néanmoins pour provoquer le changement auprès de leurs collègues, et rêvons un peu… auprès des instances ministérielles? Localement, pour encourager l’innovation et la porter plus loin, nous recommandons que les directions scolaires tiennent compte des effets positifs du partage de pratiques entre pairs et de la collaboration pédagogique entre collègues. Elles devraient aussi mettre en place des structures qui les favorisent (mentorat, groupe d’entraide professionnelle, communauté d’apprentissage professionnelle, rencontre d’accompagnement pédagogique, etc.).

Il était une fois des élèves qui apprenaient à être compétents

Dans les médias, nous entendons souvent parler des élèves qui ont cumulé des retards importants, qui ont perdu leur motivation ou qui ont développé des problèmes de santé mentale. Ces propos nous amènent à faire deux constats : d’une part, ces élèves n’étaient pas suffisamment outillés pour faire face à ce chamboulement des pratiques pédagogiques. D’autre part, a contrario, cette crise semble avoir eu des impacts positifs sur certains. Revenons à il y a plus de vingt ans au Québec : à cette époque, le milieu scolaire a vécu une profonde réforme des programmes qui s’est traduite par la mise en place d’un enseignement et d’une approche évaluative centrés sur le développement de compétences tant disciplinaires que transversales. Par ailleurs, depuis quelques années, nombre d’études internationales ont souligné la nécessité de développer des compétences qui permettraient aux élèves de faire face aux principaux défis de notre époque, compétences qui ont été identifiées comme celles du XXIe siècle. Ironie du sort, la crise actuelle a montré la nécessité absolue de développer ces compétences transversales, tant décriées et mises

… depuis des années existent des initiatives visant à transformer l’école, mais elles n’ont pas trouvé d’écho assez fort pour inspirer massivement le changement dans le système scolaire.

de côtés il y a vingt ans. On a d’ailleurs constaté, par exemple, que les élèves qui avaient développé avant la pandémie leur capacité à résoudre des problèmes, leur pensée créative et leur autonomie, avaient un net avantage sur ceux qui n’avaient pas autant d’habiletés au niveau de l’organisation de leur travail. Durant cette pandémie, nos élèves auront certainement beaucoup appris, ayant été confrontés à des situations inconnues de leurs prédécesseurs. Il sera donc primordial que le réseau de l’éducation reconnaisse et promeuve la pertinence de ces compétences auprès de tous les intervenants scolaires, quitte à les actualiser au regard de ce qui a été vécu depuis un an. Il sera aussi essentiel qu’on les intègre dans le parcours de formation initiale et continue des enseignants parce qu’il ne suffira plus que ceux-ci en facilitent l’acquisition chez leurs élèves. Il faudra également qu’ils les possèdent eux-mêmes, d’où l’importance de soutenir les activités de développement professionnel sur une base continue et le déploiement de communautés d’apprentissage professionnelles sur une base locale.

Et si le meilleur était à venir dans le prochain épisode?

Beaucoup d’initiatives ont été mises en place par les directions d’établissements scolaires et par le ministère de l’Éducation pour soutenir la formation des enseignants et pour rattraper les retards importants que certains élèves auraient subis dans leurs apprentissages. Voici ce que nous aimerions voir perdurer dans les prochaines années :

  • l’importance accordée au design pédagogique7 en tenant compte des savoirs essentiels et de nouvelles modalités d’évaluation ;
  • la confiance accordée au jugement professionnel des enseignants en ce qui concerne l’évaluation des apprentissages8 : mettre l’accent sur la croissance plutôt que sur la performance, bref se détacher du résultat chiffré pour comprendre la progression de l’élève;
  • la prise de conscience que la réussite scolaire est une responsabilité partagée et collective : lien école-famille, coéducation9, etc.;
  • l’aide et l’accompagnement en classe par des spécialistes en pédagogie (conseillers, consultants ou autres ressources)
  • l’assouplissement de l’organisation scolaire : télétravail, parcours des élèves, etc.;
  • le tutorat qui s’est traduit de différentes manières dans notre milieu : création d’un espace réussite dans les matières de base animé par des enseignants et des orthopédagogues; assistance à l’organisation et à la motivation des élèves par des éducateurs spécialisés; recrutement de plusieurs intervenants pour aider les élèves avec des problématiques plus « profondes », notamment avec la zoothérapie;
  • la collaboration et le partage au-delà des frontières : formations en ligne qui permettent une mutualisation des expériences et des expertises, reconnaissance de la force de l’intelligence collective;
  • du temps dédié à la formation continue et au développement de la mentalité de croissance;
  • la reconnaissance de l’autoformation;
  • une attention accrue à la bienveillance et à l’intelligence émotionnelle : développement global tenant compte du savoir-être;
  • le changement de regard sur le numérique en classe : c’est un auxiliaire à l’apprentissage et à l’enseignement et non une solution miracle.

À quelques semaines de la fin de cette année scolaire très mouvementée, nous aimerions imaginer un dénouement positif qui évitera l’évaporation cognitive d’ici septembre 2021. Tout ce que nous avons gagné durant cette crise doit servir à transformer l’École pour qu’elle s’ancre enfin dans son époque. Antoine de Saint- Exupéry a écrit : « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose. Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le coeur de tes hommes et femmes le désir de la mer. ». C’est notre plus grand souhait pour l’avenir.

Notes

1 Dans les faits, cela signifie qu’enseignants comme éléves disposaient d’outils numériques (tablettes ou ordinateurs portables, applications numériques et plateformes d’apprentissage, etc.) et que ces milieux disposaient également de ressources humaines (technopédagogues, conseillers pédagogiques ou autre personnel de soutien à la pédagogie) pour accompagner et aider à l’appropriation des outils et à la réflexion que leurs usages supposent.

2 Voir les recherches d’Albert Bandura sur le sentiment d’efficacité personnelle, notamment : Bandura, A., (trad. Jacques Lecomte), Autoefficacité : Le sentiment d’efficacité personnelle [« Self-efficacy »], Paris, De Boeck, 2007, 2e éd. (1re éd. 2003)

3 Pierre Canisius Kamanzi, Maurice Tardif et Claude Lessard (2013). Les enseignants canadiens à risque de décrochage : portrait général et comparaison entre les régions. Repéré à https://erudit.org/fr/revues/mee/2015-v38-n1-mee02527/1036551ar/

Réseau d’information pour la réussite éducative (2019). Pour quelles raisons les nouveaux enseignants d.crochent-ils? Repéré à http://rire.ctreq.qc.ca/2019/07/pour-quelles-raisons-les-nouveauxenseignants-decrochent-ils/

4 Réseau d’information pour la réussite éducative (2018). Quatre pistes d’action pour contrer le décrochage scolaire. Repéré à http://rire.ctreq.qc.ca/2018/06/quatre-pistes-daction-contrerdecrochage-scolaire/

5 Les enseignants ont pu recourir à des autoformations, notamment celles offertes et élaborées par la TELUQ, le Cadre21, l’École branchée et le RÉCIT.

6 Nous faisons allusion ici au concept d’empowerment individuel et collectif tel que William A. Ninacs l’a développé notamment dans Empowerment et intervention : Développement de la capacité d’agir et de la solidarité. Québec. Les presses de l’Université Laval.

7 Voir la d.marche et les outils déposés sur le site J’enseigne à distance, TELUQ, 2020. Voir aussi Précis d’ingénierie pédagogique de Manuel Musial et Andr. Tricot. Les auteurs proposent une théorie de l’ingénierie pédagogique en 3 actes : l’acte d’apprendre, l’acte d’enseigner et l’acte de concevoir un enseignement. Ils fournissent aussi de nombreux exemples pour soutenir sa mise en œuvre.

8 Voir le Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2016-2018, Évaluer pour que .a compte vraiment, Conseil Supérieur de l’Éducation, 2019. Voir aussi la présentation de l’atelier « Des outils pour évaluer différemment : comment le numérique peut-il être au service réel des apprentissages ? » animé par Laurie Bédard, Conseillère pédagogique au RECIT CSDA et Josée Portelance, Conseillère pédagogique en intégration du numérique au CSDA, à l’AQEP 2019. Repéré à https://bit.ly/aqep213_2019

9 Coéducation, Quelle place pour les parents ?, Revue de l’IFE, Lyon, 2015. Voir aussi l’accompagnement et les ressources propos.s en coéducation par le magazine « L’École branchée » : https://ecolebranchee.com/famille/

Apprenez-en plus sur

Janick Cloutier

Enseignante d’Univers social au secondaire

Janick Cloutier est enseignante d’Univers social au secondaire depuis 2004 au Collège Letendre. Elle y coordonne aussi le programme de Leadership entrepreneurial responsable (LER) et accompagne le développement de projets pédagogiques innovants.

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Nathalie Couzon

Nathalie Couzon

Technopédagogue, Collège Letendre

Lyonnaise de naissance, Québécoise de coeur et d'adoption. Pas forcément dans l'ordre mais avec coeur : auteure, blogueuse, enseignante au secondaire à Québec, chargée de projets au MELS, intér...

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