Bienêtre des élèves en formation professionnelle
Rôle du sentiment d’efficacité personnelle du personnel enseignant
Longtemps perçue au Québec comme « la voie de la dernière chance » pour les élèves en difficulté, la formation professionnelle du secondaire, qui mène à la pratique d’un métier spécialisé, bénéficie aujourd’hui – et fort heureusement! – d’un regard plus positif. Selon de récentes études, une majorité d’apprenants et d’apprenantes qui évoluent au sein des différents programmes d’études de la formation professionnelle ne s’y retrouve pas à défaut de meilleures options de formation ou par manque de capacités à poursuivre des études plus avancées (Beaucher et Breton, 2020), mais dans bien des cas, parce que ce programme constitue, tout naturellement, la voie d’accès privilégiée au métier qu’ils rêvent d’exercer.
Néanmoins, et c’est tout aussi vrai pour l’ensemble des autres secteurs de formation, les parcours scolaires des élèves du professionnel ne se vivent pas toujours sans heurt et il arrive que la motivation, la persévérance et les processus d’apprentissage soient mis à rude épreuve. Une situation financière précaire, des obligations parentales rendant plus difficile la réalisation d’études, une problématique de santé physique ou mentale ou une faible estime de ses capacités de réussir sont autant de facteurs reconnus comme des freins potentiels à la réussite et au bienêtre de ces élèves. La pandémie de COVID-19 aura malheureusement exacerbé plusieurs de ces défis vécus par les élèves de la formation professionnelle aux plans social, motivationnel et psychologique, en plus d’affecter la qualité de la formation qui, souvent, pouvait difficilement s’offrir dans une modalité d’enseignement à distance ou en respectant les mesures sanitaires imposées par la santé publique.
Le contexte postpandémique actuel devrait ainsi inciter les centres de formation professionnelle (CFP) à réfléchir aux moyens de favoriser le bienêtre de leurs élèves durement éprouvés durant les derniers mois. Car bien que les freins potentiels à la réussite et au bienêtre nommés précédemment semblent à première vue relever davantage de la sphère personnelle que scolaire, il serait toutefois regrettable de sous-évaluer l’influence du rôle joué par l’école et ses différents acteurs (personnel enseignant, professionnels, membres de l’administration scolaire, etc.) sur le bienêtre des élèves. En effet, l’école constitue un lieu de première importance dans la vie de ces derniers : espace déterminant au plan des processus de socialisation, jeunes et moins jeunes y développent leurs croyances personnelles et y façonnent une pluralité de buts éducatifs et professionnels. Sans surprise, les expériences vécues dans le cadre des études professionnelles et les contacts avec les membres du personnel enseignant sont ainsi susceptibles de jouer un rôle considérable dans la qualité de vie globale et le développement personnel de l’individu.
Lorsque le sentiment d’efficacité personnelle se substitue à la résignation
Les recherches sur le bienêtre des élèves ont démontré le lien crucial entre le bienêtre et le sentiment de contrôlabilité ressenti par l’élève envers sa réussite. L’exemple qui suit en illustre les mécanismes : si une élève du programme de Secrétariat se sent complètement démunie et impuissante devant sa sixième tentative à réaliser un bilan financier avec le logiciel Excel, elle ressentira un niveau élevé de stress et aura tendance à se résigner, puis à abandonner la tâche sans tenter de mobiliser l’ensemble de ses compétences. Vécu de façon répétitive, ce sentiment de ne pas être en contrôle de sa réussite peut mener l’apprenant ou l’apprenante à ressentir des symptômes d’anxiété et de dépression qui influent ainsi sur sa santé physique et son bienêtre psychologique. Déjà, dans les années 70, une étude réalisée par Seligman illustrait bien ce phénomène de « résignation apprise ». Bien que cet exemple puisse sembler manquer de délicatesse pour décrire ce que vivent les élèves, il demeure toutefois utile de le détailler afin de comprendre le phénomène en question. Dans l’étude de Seligman, des chiens, emprisonnés dans une cage et sans possibilité de s’évader, reçoivent des chocs électriques. Si, lors des premières décharges, les pauvres animaux essaient de trouver une solution au problème et de s’échapper de la cage, au bout d’un certain temps, constatant qu’ils ne peuvent rien changer à leur sort, ils se résignent et finissent par se coucher et attendre passivement le prochain choc. Le plus surprenant, c’est qu’une fois libérés de leur cage, ces chiens continuent de démontrer la même passivité et ce, même s’ils ont en réalité la possibilité de fuir. Malheureusement, à l’instar de ces chiens, les élèves peuvent aussi apprendre à se résigner, au fil des difficultés et des échecs vécus, s’ils ont le sentiment de n’avoir que peu de maîtrise sur leur environnement. Lorsque c’est le cas, la motivation scolaire et le bienêtre s’en trouvent durement touchés et il est alors essentiel de leur démontrer qu’ils peuvent reprendre les rênes de leur réussite.
Le concept du sentiment d’efficacité personnelle (SEP), même s’il n’est pas nouveau, prend ici tout son sens. Contrairement au phénomène de résignation apprise, le SEP permet plutôt à l’élève de devenir un sujet actif de son développement et de s’engager pleinement et avec confiance dans ses apprentissages (Vianin, 2018). Défini par son créateur, l’illustre psychologue canadien Albert Bandura, comme l’ensemble des jugements et des croyances que possède un individu à propos de ses compétences, de ses ressources et de sa capacité à réaliser avec succès une tâche particulière, le SEP serait – rien de moins! – au fondement de la motivation, des accomplissements et du bienêtre de l’être humain (Bandura, 2019). En agissant sur l’autorégulation des processus cognitifs, de la motivation ainsi que des états émotionnels de l’élève, l’efficacité personnelle perçue contribue fortement à sa performance et ce, quelles que soient ses aptitudes réelles! Si nous reprenons l’exemple mentionné précédemment en lien avec le programme d’études de Secrétariat, cela voudrait donc dire que deux élèves possédant des aptitudes absolument identiques pourraient avoir un rendement de niveau très différent lors de la réalisation de leur bilan financier en fonction de leurs croyances d’efficacité respectives. Ainsi, ce qu’il faut comprendre de la théorie du SEP de Bandura, c’est que pour réussir, il ne suffit donc pas d’être capable, mais encore faut-il se croire capable! L’élève qui se croit capable s’engagera plus activement dans son travail et aura tendance à persévérer face aux difficultés plutôt que de baisser les bras, augmentant par le fait même ses chances de réussite.
Le rôle des croyances d’efficacité du personnel enseignant dans la construction du SEP des élèves et de leur bienêtre.
S’il est important de cultiver des croyances d’efficacité positives chez les élèves afin de favoriser leur réussite et de promouvoir leur bienêtre, il est tout aussi important d’assurer un fort SEP chez le personnel enseignant puisque ce qui est vrai pour l’élève l’est aussi pour celui ou celle qui l’accompagne! L’enseignant ou l’enseignante qui se croit capable s’engagera plus activement dans son travail et aura moins tendance à se résigner devant les défis rencontrés, augmentant ainsi ses chances de succès dans le cadre de ses différentes fonctions professionnelles.
Lorsque l’élève qui se croit capable est en plus accompagné d’une personne qui, elle aussi, se croit capable de le guider vers la réussite, le pouvoir du SEP s’en trouve alors décuplé
C’est au cours des années 80 qu’un vif intérêt est développé pour le « sentiment d’efficacité du personnel enseignant » définit par Gibson et Dembo (1984) comme la croyance que possède un enseignant ou une enseignante en sa capacité d’influencer les apprentissages de ses élèves. Lorsque l’élève qui se croit capable est en plus accompagné d’une personne qui, elle aussi, se croit capable de le guider vers la réussite, le pouvoir du SEP s’en trouve alors décuplé, laissant présager un scénario des plus encourageants!
Fort de plusieurs décennies de recherche, le SEP du personnel enseignant a été maintes fois lié à la qualité des pratiques pédagogiques et des interventions en gestion de classe. En outre, l’enseignant ou l’enseignante ayant un SEP élevé s’avère plus susceptible d’adopter des pratiques novatrices et efficaces en cohérence avec les besoins de ses protégés. Certaines recherches ont même pu établir un lien entre de fortes croyances d’efficacité chez le personnel enseignant, la réussite des élèves dans certaines matières scolaires ainsi que leur motivation.
À la lumière de ce qui vient d’être énoncé, il n’est pas surprenant de constater que les croyances d’efficacité des enseignants et des enseignantes ont une incidence sur le bienêtre des élèves. En effet, si un fort SEP leur permet d’exploiter leurs ressources efficacement et de les mettre au service des élèves, il influence également positivement la perception qu’ils se font de leur compétence et de leur savoir-être. Cela contribue à favoriser un climat de classe favorable donnant lieu à des interactions positives et significatives, assurant ainsi le bienêtre, autant chez la personne enseignante que chez l’élève (Galand et Vanlede, 2004). En résumé, un SEP élevé chez le personnel enseignant favorisera l’utilisation de stratégies pédagogiques pertinentes et appropriées qui elles, auront un effet sur le SEP et par conséquent, sur la réussite et le bienêtre des élèves qui, à leur tour, viendront alimenter les croyances d’efficacité de l’enseignant ou l’enseignante, accroitre son bienêtre et ainsi de suite, laissant deviner une sorte d’engrenage circulaire qu’il importe de garder en mouvement!
Des stratégies au service du développement du SEP du personnel enseignant
En raison des liens considérables qui unissent le SEP du personnel enseignant et celui des élèves, il est crucial de se demander, en tant qu’enseignant et enseignante, de quelles façons il est possible de nourrir ces fameuses croyances d’efficacité. À ce sujet, une étude menée auprès de 22 nouveaux enseignants et enseignantes de la formation professionnelle nous donne des pistes de réponse. À partir de leur témoignage, quatre catégories de stratégies leur servant à maintenir et à développer leur SEP ont pu être identifiées. Peut-être sauront-elles inspirer et faire réfléchir les membres du personnel enseignant qui souhaitent accroitre leur SEP et ainsi, favoriser le bienêtre de leurs élèves!
Les stratégies de mobilisation de ressources
Les élèves qui évoluent aux côtés d’enseignants et d’enseignantes qui savent tirer profit du soutien et de l’expertise des différentes personnes qui les entourent se sentiront davantage épaulés et bénéficieront potentiellement d’un enseignement de meilleure qualité. Voici les principales stratégies de mobilisation de ressources relevées par les enseignantes et les enseignants consultés :
• Solliciter le soutien de ses pairs afin de bénéficier de leurs conseils et de leurs rétroactions par rapport à divers aspects de ses pratiques enseignantes
• Procéder à l’observation de l’enseignement de collègues expérimentés
• Faire appel aux différentes personnes-ressources de son CFP (conseiller pédagogique, orthopédagogue, travailleur social, etc.)
• Mobiliser son réseau professionnel de métier afin de bénéficier du soutien ponctuel de « spécialistes de terrain » pour des questions plus pointues (exemple : équipements spécifiques utilisés en industrie ou normes en vigueur dans les milieux de pratique)
Les stratégies relatives au travail du personnel enseignant
Certaines des stratégies utilisées par le personnel enseignant consulté renvoient directement aux actions mises en place dans leur enseignement. Comme elles permettent d’optimiser le choix et l’effet des stratégies d’enseignement-apprentissage et favorisent la différenciation pédagogique, elles sont indubitablement au service du bienêtre de l’élève. Voici les trois stratégies principales notées par les participants et participantes :
• Bien planifier son enseignement afin d’anticiper les difficultés ou les imprévus, réfléchir à leurs solutions en amont de la période d’enseignement et assurer une bonne fluidité et continuité dans le processus d’enseignement-apprentissage
• Utiliser fréquemment l’évaluation formative pour valider l’efficacité des méthodes d’enseignement et d’apprentissage utilisées, obtenir des informations cruciales au sujet des besoins des élèves, orienter ses interventions futures et éviter les pertes de temps
• Instaurer et entretenir de bonnes relations avec les élèves afin de les connaitre, de comprendre leurs défis et de leur apporter l’aide et le soutien dont ils ont besoin
Les stratégies relatives aux attitudes et au bienêtre
Dans le but de se sentir efficaces dans leur vie professionnelle, plusieurs enseignants s’efforcent d’adopter des attitudes ou des comportements associés au bienêtre. Voici quelques-unes des stratégies mentionnées par les personnes participantes à la recherche :
• Aborder ses tâches avec entrain et se centrer sur les aspects positifs de son travail, surtout dans les moments plus difficiles
• S’engager dans les tâches et la vie de son CFP afin de se sentir utile, valorisé et important (exemples : participation à des comités ou à des activités promotionnelles de son CFP
• Pratiquer un sport ou un loisir que l’on affectionne particulièrement afin de maintenir un niveau d’énergie adéquat pour enseigner et préserver un équilibre entre sa vie personnelle et professionnelle
Les stratégies de développement professionnel
Afin de se sentir efficaces, les enseignants et enseignantes de l’étude ont également fait part de l’importance d’assurer leur perfectionnement professionnel. Les stratégies qu’ils ont répertoriées touchent autant l’aspect pédagogique que disciplinaire du travail enseignant :
• Suivre des formations et s’autoformer afin de rester près du métier enseigné et de mettre à jour ses connaissances
• Faire partie de regroupements stratégiques comme être membre d’un conseil d’administration d’une entreprise ou d’une association de métier, ce qui permet de « garder un pied sur le terrain »
Ces stratégies offrent l’occasion au personnel enseignant de demeurer à l’affût des changements et des nouveautés associés à leur champ d’expertise. En plus de garantir une formation de qualité répondant aux besoins du marché du travail, le fait de demeurer relativement près de son ancien univers de travail permet de mettre plus facilement en contact des employeurs potentiels et des élèves finissants. En ce sens, nul doute que ces stratégies influencent le bienêtre des élèves!
En conclusion…
Le bienêtre de l’élève est touché de près par le sentiment d’efficacité personnelle du personnel enseignant qui intervient auprès de lui. L’étude sur les croyances d’efficacité des nouveaux enseignants et enseignantes de la FP a permis de retenir quatre familles de stratégies utilisées par les enseignants du milieu de la formation professionnelle pour augmenter leur SEP. Précisons que ces stratégies peuvent servir plus largement à tout projet dans la communauté éducative s’intéressant au sentiment d’efficacité personnelle et peuvent inspirer tout particulièrement les enseignants et enseignantes à la recherche de moyens pour augmenter leur SEP et ce, quel que soit le niveau scolaire (primaire, secondaire, collégial, universitaire) dans lequel ils œuvrent. Mais peu importent les stratégies employées, gardons en tête que favoriser le développement du SEP du personnel enseignant aura des incidences non négligeables sur son bienêtre et sur celui des élèves.
Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2021
Références
Bandura, A (2019). Auto-efficacité. Comment le sentiment d’efficacité personnelle influence notre qualité de vie (3e édition). De Boek Supérieur.
Beaucher, C. et Breton, S. (2020). Formation professionnelle. Les élèves de moins de 21 ans ont-ils un projet professionnel qui les anime? Éducation Canada, 60(2). https:// edcan.ca/articles/formation-professionnelle/?lang=fr
Galand, B et Vanlede, M. (2004). Le sentiment d’efficacité personnelle dans l’apprentissage et la formation : quel rôle joue-t-il? D’où vient-il? Comment intervenir? Savoirs, 5 (hors série), 91-116.
Gibson, S. et Dembo, M. H. (1984). Teacher efficacy: A construct validation. Journal of Educational Psychology, 76, 569-582.
Vianin, P. (2018). Le bien-être de l’élève et l’autoefficacité. Dans N. Rousseau et G. Espinosa (Dir.), Le bien-être à l’école. Enjeux et stratégies gagnantes (p. 85-108). Les Presses de l’Université du Québec.