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Un programme d’études nouveau

Si je veux savoir quelle conception de l’éducation, de l’école, du rôle de l’enseignant se fait la collectivité d’un pays, j’examine le programme d’études de l’école obligatoire de ce pays. Au-delà des discours officiels, c’est là un miroir qui ne trompe pas. À travers ce que « les enfants et les jeunes doivent savoir » s’exprime une certaine vision de ce qui est important pour cette collectivité.

Il y a maintenant quinze ans, le Québec a vécu une grande opération collective d’examen de son système d’éducation. Ces États généraux sur l’éducation (1995-1996) ont abouti à un certain nombre de recommandations dont les deux plus significatives furent la réorganisation des services à la petite enfance et ce qu’on a appelé « la réforme du curriculum d’études ». C’est de ce dernier sujet dont je parlerai ici.

Dans tous les pays, il arrive que de temps à autre, on change tel ou tel élément d’un programme d’études. On introduit un contenu nouveau ou on change telle matière de la « grille-matière » ou encore le temps consacré à chacune d’elle. Dans le nouveau programme de l’école québécoise, des changements de cet ordre ont certes été apportés, mais les changements plus profonds ont été mis en œuvre. Moins visibles à l’observateur superficiel, ils changent significativement les orientations qui étaient visées par le programme antérieur. Et je pense qu’on n’en a pas encore tiré toutes les conséquences.  

Pourquoi changer? Dans les dix années qui ont précédé les États généraux sur l’éducation, la question de la refonte du programme d’études a été omniprésente. Plusieurs tentatives de changement échouent, les unes après les autres. Changements superficiels, ils ne répondent pas aux attentes, lesquelles sont encore confuses. Et les propositions de réforme, contradictoires, vont à hue et à dia. Au Québec, comme ailleurs, on a du mal à se remettre des conséquences du choc de la révolution numérique. Et l’école est le bouc émissaire facile tout trouvé. Dans ce contexte, une réforme qui fasse consensus apparaît impossible.

Mais juste avant les États généraux, un comité, dit « comité des sages », produit un rapport éclairant, le rapport Corbo, du nom de son président. Ce rapport, dont les orientations seront validées par les États généraux, va déterminer toute la suite. Il indique le sens, l’orientation des changements à apporter. C’est la prise en compte de ce que sera l’avenir de nos enfants et de nos jeunes, le monde nouveau qui est en train d’émerger, monde dans lequel ils auront à vivre, qui doit déterminer les changements. Et il décrit les grandes tendances qui modèlent ce monde. Et en relisant, aujourd’hui, ces pages écrites il y a quinze ans, on s’étonne de voir annoncées des choses qui maintenant nous apparaissent évidentes.

On ne peut bien comprendre plusieurs caractéristiques du programme d’études nouveau si on ignore ce rapport et les conséquences qu’il entraine. Mieux préparer les enfants et les jeunes au monde où ils auront à vivre, c’est travailler à une refonte des contenus du programme d’études en allant à contre-courant de certaines tendances inscrites dans le programme précédent. C’est notamment viser l’acquisition de « savoirs durables » au lieu de l’accumulation de « savoirs en miettes ». C’est aussi mettre en relief la « perspective culturelle » des différentes matières du programme au lieu de se contenter d’une « perspective utilitaire ». Et pour permettre de tels apprentissages plus exigeants, c’est libérer l’espace professionnel des enseignants qui ne peut plus se contenter d’être un simple applicateur de procédures d’enseignement établies par d’autres.

Privilégier l’acquisition de « savoirs durables », c’est aussi ne pas négliger le développement chez l’élève de certains savoir-faire intellectuels ou comportementaux qui lui serviront toute la vie.

L’ancien programme souffrait plus particulièrement au secondaire du syndrome de la « balkanisation ». Il conduisait à viser l’accumulation superficielle des connaissances par l’élève plus que leur intégration. Aussi privilégier dans un programme d’études l’acquisition de « savoirs durables », c’est déterminer les notions, les concepts-clefs qui doivent être maîtrisés dans chacune des disciplines et tenter de les réorganiser de façon à maintenir entre elles des liens. Ce socle de connaissances, s’il est bien maîtrisé par l’élève, lui permettra de greffer ultérieurement des connaissances nouvelles. S’aventurer sur ce terrain, c’est s’obliger à un immense travail de remembrement des contenus des matières du programme. Si l’on veut se faire une idée de ce qu’implique ce travail et en quoi l’enseignement du professeur peut par la suite en être affecté, il suffit de comparer les contenus des matières de l’ancien programme du Ier cycle du secondaire dans les matières suivantes : Écologie, Biologie, Science, Technologie et celui du nouveau programme de Sciences et technologie qui les intègre.

Privilégier l’acquisition de « savoirs durables », c’est aussi ne pas négliger le développement chez l’élève de certains savoir-faire intellectuels ou comportementaux qui lui serviront toute la vie. Et pour ce faire, il faut nommer explicitement dans le programme d’études quelles sont ces « compétences » générales ou propres à chacune des matières qu’il faut développer.

Quant à la perspective culturelle du programme établie pour contrecarrer la tendance à une approche immédiatement et étroitement utilitaire des études, elle est présente dans toutes les matières. L’orientation de certaines d’entre elles s’en est trouvée transformée. L’histoire n’est plus seulement alors l’étude des événements politiques, mais aussi celle des créations sociales des collectivités. La géographie n’est plus alors seulement l’étude physique des sols, mais aussi l’étude des différents modes d’occupation humaine du sol et de l’environnement, celle des territoires. L’étude de la langue est alors aussi celle de la littérature et celle de la science n’est plus détachée de ses aspects sociaux. Et ainsi de suite pour toutes les matières. 

L’école, lieu de transmission culturelle, introduit l’enfant, le jeune, dans ce monde. Car on ne naît pas « homme », on le devient. Aussi le rôle de l‘enseignant est un des plus beaux rôles qui soient : en plus d’être un « éveilleur d’esprit », il est un « passeur culturel ».

Plus profondément un tel programme réalise l’idée-force suivante : l’école est un lieu de transmission culturelle. Le monde où il nous faut vivre n’est pas un monde naturel, c’est un monde culturel, fruit des créations de l’activité humaine. L’école, lieu de transmission culturelle, introduit l’enfant, le jeune, dans ce monde. Car on ne naît pas « homme », on le devient. Aussi le rôle de l‘enseignant est un des plus beaux rôles qui soient : en plus d’être un « éveilleur d’esprit », il est un « passeur culturel ».

Mais ce programme nouveau, comme tous les programmes d’études officiels, reste un curriculum théorique. Il a beau être le meilleur du monde, qu’en est-il sur le terrain? Produit-il les effets qu’on en attend? Les réajustements de l’enseignement qu’il suppose sont-ils en place? Ce sont là des questions importantes. Mais je ne peux évidemment pas les traiter dans les limites imposées à cet article. 

N.B. La suite de cet article paraîtra en ligne sur le site de l’ACE, dans le prochain numéro, en janvier 2013. L’Association canadienne d’éducation (ACE) vous invite à en prendre connaissance.

RECAP – Fifteen years ago, Québec went through a major collective process of reviewing its education system. The Estates General on Education (1995–1996) culminated in a number of recommendations, the two most significant being the reorganization of early childhood education services and the reform of the curriculum. In this article, Paul Inchauspé explains the main changes and major thrusts of Québec’s education program, which is primarily aimed at better preparing youth for life in the twenty-first century. Precedence is therefore given to the acquisition of “sustainable knowledge” and the development of certain intellectual or behavioural know-how useful throughout life. In this context, the cultural perspective is essential and highly prevalent in the different subjects in the curriculum. According to the author, teachers have a great and noble role to play: they must not only “awaken minds” but must also “transmit culture.”

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Paul Inchauspé

Paul Inchauspé, ex-président du Groupe de travail ministériel sur la réforme du curriculum d’études, a été impliqué dans des travaux qui ont mené des propositions de réforme du curriculum d’études du primaire et du secondaire. Et cela à plusieurs titres, comme membre du Conseil supérieur de l’éducation (1988-1996), du Comité Corbo, dit comité des sages, (1994), commissaire des États généraux sur l’éducation (1995-1996), président du groupe de travail ministériel sur la réforme du curriculum d’études du primaire et du secondaire (1997). Le rapport de  ce groupe de travail porte le nom Réaffirmer l’école (Québec, 1997). Il est l’auteur du livre Pour l’école, Lettres à un enseignant sur la réforme des programmes (Montréal, Liber, 2007).

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