|
Design technopédagogique, Enseignement, Pratiques prometteuses

Les TIC

Pour une utilisation raisonnée en éducation

Certains acteurs de l’éducation (Karsenti[1] et Laferrière[2]) ou d’autres milieux estiment insuffisante la présence des TIC (technologies de l’information et de la communication) en éducation. En outre, il existerait un décalage entre les attentes de la société quant au recours à la technologie et l’utilisation effective de celle-ci dans les établissements d’enseignement.

Une récente étude canadienne réalisée par HabiloMédias met en relief que les jeunes du secondaire sont incontestablement utilisateurs des médias numériques et qu’ils ont, dans certains contextes, dont l’école, de bonnes habitudes en matière de validation de l’information obtenue. Selon cette étude, ils doivent leurs compétences en littératie numérique à l’école dans une proportion assez importante (recherche en ligne, 45 % des jeunes). Cette recherche met toutefois en lumière d’importants besoins de formation en littératie numérique sur les questions éthiques et les aspects commerciaux de la navigation sur le Web. Ainsi, « […] ce n’est pas parce que les jeunes utilisent les médias sans effort qu’ils le font nécessairement bien. Pour devenir des citoyens numériques réfléchis et informés, les enfants doivent absolument acquérir les compétences grâce auxquelles ils pourront faire l’évaluation critique des médias numériques dans lesquels ils sont plongés »[3]. L’éducation devrait donc occuper davantage le terrain des médias numériques, en fonction de ses finalités propres.

Dans un avis de 2009 portant sur l’adaptation de l’école secondaire aux besoins des élèves, le Conseil supérieur de l’éducation du Québec allait plus loin. Il soulignait en effet que « [l’utilisation] des technologies informatiques et numériques par les adolescents transforme le rapport qu’ils ont au savoir et à l’école en plus de diversifier leurs modes de socialisation »[4]. Le rapport au savoir des « élèves du numérique » se présenterait autrement, ce qui induirait une façon d’apprendre différente de celle des générations précédentes, dont une part des enseignants sont issus.

Le recours à Internet réduirait la capacité de fixer son attention sur un même objet pendant de longues périodes, comme le permet la lecture d’un livre.

Cette transformation du rapport au savoir suscite des interrogations et soulève des controverses. Ainsi, selon Carr[5 et 6] qui questionne l’effet d’Internet et de moteurs de recherche comme Google sur le fonctionnement de l’esprit, le rapport au savoir serait effectivement en pleine transformation, d’une façon similaire, mais plus rapide que ne l’avait fait l’invention de l’imprimerie au 15e siècle. Il ne s’agirait pas d’une question de valeurs ou de préférence envers l’acquisition de connaissances par voie numérique, mais de transformations plus profondes qui modifieraient le fonctionnement du cerveau humain, autant chez les adultes que les jeunes. Reprenant la thèse de McLuhan, Carr estime que le Web fournirait aujourd’hui non seulement la matière première de la pensée, mais modèlerait également le processus de la pensée. L’utilisation quotidienne du Web, soutenant un flot incessant d’informations, agirait notamment sur la capacité de « concentration et de contemplation ». Le recours à Internet réduirait la capacité de fixer son attention sur un même objet pendant de longues périodes, comme le permet la lecture d’un livre. Le nouveau mode de lecture (surf) jouerait en défaveur de l’acquisition de connaissances plus profondes et de la création des riches connexions mentales alimentant la pensée. Reconnaissant que peu de recherches ont été menées sur la manière dont le Web « reprogramme » le cerveau, Carr s’inquiète néanmoins de l’avenir de la pensée humaine.

Prensky avance pour sa part qu’il existerait une fracture entre ce qu’il nomme les digital natives, cette « nouvelle » génération qui a toujours vécu dans un environnement numérique et les digital immigrants, qui ont vu naître ces technologies et croître leur influence. À propos des premiers, il suggère que « Il est maintenant clair qu’en raison de cet environnement [technologique] omniprésent et de l’ampleur de leurs interactions avec celui-ci, les élèves d’aujourd’hui pensent et traitent l’information d’une façon fondamentalement différente de celle de leurs prédécesseurs. Ces différences sont beaucoup plus profondes et marquées que le soupçonnent ou le réalisent la plupart des éducateurs »[7]. (Traduction libre) Selon Prensky, qui défend le développement d’une perspective d’enseignement et d’apprentissage renouvelée et l’utilisation des TIC en éducation, « Il est tout simplement bête (et paresseux) – en plus d’être inefficace – pour les éducateurs de présumer que (malgré leurs traditions), la méthode de l’immigrant numérique constitue la seule façon d’enseigner, et que la “langue” du natif numérique n’est pas aussi en mesure que la leur d’englober chaque idée ».[8] (Traduction libre) Il enjoint donc les enseignants à revoir leur façon de penser et leur approche pédagogique, et à passer d’une perspective d’enseignement à une perspective plus dynamique d’apprentissage.

On déduit donc des propos de Carr et de Prensky que, selon la position adoptée, différents angles sont envisageables quant à la manière de prendre en compte cette transformation du rapport au savoir en éducation. Bien qu’opposées, les réflexions des deux auteurs se rejoignent dans l’importance de suivre attentivement les effets des technologies de l’information et de la communication sur le rapport au savoir des élèves et des étudiants. Si l’éducation ne peut passer à côté de cette révolution culturelle, elle doit néanmoins être circonspecte face au chant des sirènes et garder le cap sur les finalités auxquelles sont censé contribuer ces prodigieux moyens. Il importe certes d’enrichir les pratiques d’enseignement et les rendre plus efficaces et adaptées à la culture d’aujourd’hui, mais aussi de ne pas confondre information et savoir dans le cadre d’une utilisation appropriée, raisonnée et éthique des technologies. (CSE, 2000)[9]

Photo: iStock

Première publication dans Éducation Canada, septembre 2014

 

RECAP – The current president of the Conseil supérieur de l’éducation (CSE) invites educators to reflect deeply on the judicious use of information and communications technology (ICT). He believes there is a discrepancy between society’s expectations with regard to technology use and how technology is actually used in schools. According to a 2009 CSE report, ICT use transforms how students relate to knowledge and school in addition to varying the ways in which they socialize. Other research shows that Internet use can reduce students’ ability to focus for long periods of time, particularly when it comes to reading. We are therefore urged to monitor how technology affects the relationship to knowledge, and to enrich and adapt our teaching practices to this new culture by making appropriate, reasonable, ethical use of technology.


[1] Karsenti, T. (2005). Les TIC : cheval de Troie de la réussite scolaire en milieu défavorisé? Résumé des résultats d’une recherche menée dans le cadre du programme Actions concertées sur la persévérance et la réussite scolaire MELS-FQRSC, 4 p.

[2] Laferrière, T. (2014). L’environnement éducatif formel de demain. Présentation donnée lors de la 48e assemblée plénière du Conseil supérieur de l’éducation, 5 mai 2014.

[3] HabiloMédias (2014). Experts ou amateurs? Jauger les compétences en littératie numérique des jeunes Canadiens, Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III, p.1.

[4] Conseil supérieur de l’éducation (2009). Une école secondaire qui s’adapte aux besoins des jeunes pour soutenir leur réussite, Québec, Le Conseil, 80 p., p.8.

[5] Carr, N. (2008). « Is Google Making Us Stupid? », The Atlantic, juillet-août.

[6] Carr, N. (2011). Internet rend-il bête?, Robert Laffont, Paris, 312 p.

[7] Prensky, M. (2001). « Digital Natives, Digital Immigrants », On the Horizon, vol. 9, no. 5, p.1.

[8] Prensky, M. (2001). « Digital Natives, Digital Immigrants », On the Horizon, vol. 9, no. 5., p.6.

[9] Conseil supérieur de l’éducation (2000). Éducation et nouvelles technologies : pour une intégration réussie dans l’enseignement et l’apprentissage : rapport annuel 19992000 sur l›état et les besoins de l’éducation, Sainte-Foy, Le Conseil, 181 p.

Apprenez-en plus sur

Claude Lessard

Il vous reste 5/5 articles gratuits.

Mon compte Rejoignez notre réseau