Neuromythes au Québec

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Les neuromythes chez les enseignants québécois

À quel point sont-ils fréquents et quelle est leur origine?

Au cours des dernières années, des études ont montré que plusieurs enseignants adhèrent à des croyances non fondées sur le fonctionnement du cerveau. Par exemple, certains croient à tort que :

  1. Les élèves apprennent mieux lorsqu’ils reçoivent l’information selon leur style d’apprentissage préféré, parmi les styles auditif, visuel et kinesthésique;
  2. Les élèves possèdent un profil d’intelligence prédominant, par exemple logico-mathématique, musicale, interpersonnelle, dont il faut tenir compte dans l’enseignement;
  3. Des différences entre les élèves dont le cerveau gauche est dominant et ceux dont le cerveau droit est dominant peuvent aider à expliquer des différences d’apprentissage observées chez les élèves;
  4. De courts exercices de coordination, comme toucher sa cheville gauche avec sa main droite et vice-versa, peuvent améliorer la communication entre les deux hémisphères du cerveau;
  5. Nous utilisons environ 10 % de notre cerveau.

Le fait que des enseignants croient à ces neuromythes est problématique, notamment parce que cela peut inciter les milieux scolaires à dépenser temps, énergie et argent pour des pratiques dont l’efficacité est contredite ou n’a pas été vérifiée par la recherche. À l’ère d’un courant privilégiant l’appui de la pratique sur des données probantes, ces neuromythes constituent un obstacle à l’amélioration des pratiques d’enseignement. 

Comme nous l’avons mentionné dans deux articles précédents (Masson & Blanchette Sarrasin, 2015; Blanchette Sarrasin & Masson, 2017), ces croyances, qui sont pourtant incompatibles avec nos connaissances actuelles, sont très répandues parmi les enseignants dans de nombreux pays. Jusqu’à tout récemment, il n’y avait à notre connaissance aucun article scientifique concernant les neuromythes chez les enseignants du Québec.

Une enquête pour en savoir plus

Nous avons donc mené une enquête à l’aide d’un questionnaire en ligne auprès de 972 enseignants du Québec d’écoles francophones œuvrant au préscolaire, au primaire et au secondaire. Les résultats de cette enquête viennent d’être publiés dans la revue Mind, Brain, and Education (Blanchette Sarrasin, Riopel, & Masson, 2019). 

En plus de demander aux répondants leur niveau d’accord quant aux cinq neuromythes mentionnés dans l’introduction (fortement en accord; plutôt en accord; indécis; plutôt en désaccord; fortement en désaccord), nous leur avons demandé de préciser quelle était la source à l’origine de leur niveau d’accord. En d’autres mots, les répondants devaient préciser où ils avaient pris connaissance de chacune de ces idées, parmi une liste de 15 sources (p. ex., revue, conférence, etc.).

Des neuromythes fréquents chez les enseignants du Québec 

Le tableau  1 présente la prévalence (c’est-à-dire le pourcentage d’enseignants affirmant être fortement en accord ou plutôt en accord avec l’énoncé) de chacun des cinq neuromythes étudiés. La colonne de gauche présente la moyenne de prévalence observée chez les enseignants de plusieurs pays sondés par des études portant sur cette thématique et la colonne de droite montre la prévalence de chacun des neuromythes chez les enseignants du Québec.

Tableau 1. Prévalence des cinq neuromythes étudiés chez les enseignants.

Note : La prévalence de la colonne « Ailleurs » est la moyenne des taux d’adhésion à chacun des neuromythes obtenus dans les études antérieures impliquant des enseignants du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Turquie, de la Grèce, de la Chine, de l’Espagne, de l’Amérique latine, des États-Unis et de la Suisse francophone (voir Blanchette Sarrasin, Riopel et Masson [2019] pour la liste complète des études).

Bien que la prévalence de ces cinq neuromythes demeure élevée au Québec, il est intéressant de noter que les taux d’adhésion sont moins élevés qu’ailleurs dans le monde. 

Au moins trois causes, possiblement complémentaires, sont à explorer afin d’expliquer l’écart entre les résultats obtenus au Québec et ailleurs dans le monde. Premièrement, il se peut que l’écart soit dû à des différences méthodologiques entre les études (comme le type de questionnaire ou le profil des répondants). Deuxièmement, il est possible que cette plus faible prévalence s’inscrive dans une tendance mondiale de diminution du taux d’adhésion des enseignants aux neuromythes avec le temps. Par exemple, il est possible que les efforts déployés pour mettre au grand jour ces neuromythes portent fruit et que les enseignants y croient de moins en moins. Troisièmement, il se peut également que les enseignants du Québec soient moins affectés que les autres par les neuromythes pour une raison encore inconnue.

Sur l’origine des neuromythes 

La figure 1 indique les sources les plus fréquemment citées par les enseignants comme étant à l’origine de leur adhésion aux énoncés qui sont des neuromythes. On peut voir dans cette figure que trois sources se distinguent des autres par leur fréquence plus importante. 

Origine des neuromythes copy

Figure 1. Sources citées par les enseignants du Québec comme étant liées à leur adhésion aux cinq neuromythes.

Dans un premier temps, la formation universitaire est la source la plus fréquemment rapportée par les répondants adhérant aux neuromythes étudiés. Ce résultat est cohérent avec d’autres études rapportant que des neuromythes sont présents dans la formation universitaire des enseignants (voir Lethaby & Harries, 2016 et Tardif et al., 2015). Cependant, bien que ce résultat soit préoccupant, il convient de préciser certains éléments contextuels afin de bien l’interpréter. En effet, les données recueillies dans cette étude constituent des éléments rapportés par des individus. La mémoire humaine n’étant pas infaillible, on ne peut pas conclure avec certitude que ces souvenirs sont parfaitement clairs et justes. Pour s’en assurer, il faudrait éventuellement étudier précisément les contenus des cours universitaires afin de vérifier ce qu’il y est enseigné exactement. Cela dit, ce résultat reste préoccupant, considérant qu’il est légitime pour les étudiants en enseignement de s’attendre à une formation évitant de véhiculer des idées qualifiées de neuromythes par la recherche scientifique. Cette forte prévalence est également préoccupante si l’on considère que les effets de la présence de neuromythes dans la formation dispensée par les universités sont susceptibles de se répercuter dans les écoles durant toute la carrière d’un enseignant. 

La deuxième source la plus rapportée par les enseignants est le fait que « ça leur apparaît logique ». Ce résultat est particulièrement intéressant : il met en évidence que, bien que les enseignants aient souvent d’excellentes intuitions pédagogiques, il arrive parfois que leurs intuitions soient à l’origine de leur croyance en des neuromythes. 

La troisième source ou raison la plus fréquemment rapportée par les enseignants pour justifier leur niveau d’accord est qu’« ils l’observent dans leur pratique ». Or, bien que les enseignants soient les premiers observateurs du progrès de leurs élèves, certaines perceptions peuvent parfois être trompeuses. Par exemple, il est possible que les élèves soient effectivement plus concentrés après avoir effectué de courts exercices de coordination, mais cet effet est peut-être dû au fait qu’ils ont eu l’occasion de prendre une pause, plutôt qu’à l’exercice en tant que tel. Il est conséquemment important d’encourager les enseignants à comparer leurs observations pédagogiques avec des résultats provenant de la recherche afin d’enrichir leurs intuitions et leurs perceptions.

Conclusion 

La présence des neuromythes chez les enseignants au Québec est préoccupante et pourrait créer un cycle vicieux : plus une croyance est répandue, plus on en entend parler, et plus on finit par y croire. Renverser ce cycle est un défi important et c’est pourquoi il semble essentiel d’encourager les enseignants à se méfier de leurs intuitions et perceptions, mais aussi de toutes les propositions pédagogiques fortes qui ne s’appuient sur aucun résultat provenant de la recherche. 

 

Références

Blanchette Sarrasin, J., & Masson, S. (2017). Connaître les neuromythes pour mieux enseigner. Enjeux pédagogiques, 28, 16-18. 

Blanchette Sarrasin, J., Riopel, M., & Masson, S. (2019). Neuromyths and their origin among teachers in Quebec. Mind, Brain, and Education, 13(2), 100-109.

Lethaby, C. & Harries, P. (2016). Learning styles and teacher training: are we perpetuating neuromyths? ELT Journal, 70(1), 16-27.

Masson, S., & Blanchette Sarrasin, J. (2015). Neuromythes et enseignement  : connaître les mythes sur le fonctionnement du cerveau pour mieux enseigner. Éducation Canada, 55(3), 32-35.

Tardif, E., Doudin, P.-A. & Meylan, N. (2015). Neuromyths among teachers and student teachers. Mind, Brain, and Education, 9(1), 50-59. 

Apprenez-en plus sur

Jérémie Blanchette Sarrasin

Martin Riopel

Professeur à l’Université du Québec à Montréal et vice-doyen à la recherche de la Faculté des sciences de l’éducation

Martin Riopel, Ph.D., est professeur à l’Université du Québec à Montréal et vice-doyen à la recherche de la Faculté des sciences de l’éducation Découvrir

Steve Masson

Steve Masson is Professor at the Faculty of Education at Université du Québec à Montréal and Director of the Laboratory for Research in Neuroeducation.

Steve Masson est prof...

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