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Chemins, Évaluation, Politique, Pratiques prometteuses

La persévérance scolaire au Québec

Un enjeu de société renouvelé

Au Québec, sous l’impulsion du Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires et du rapport publié en mars 20091, la stratégie gouvernementale « L’école, j’y tiens », lancée en septembre 20092, incitait tous les acteurs à se mobiliser pour créer les conditions favorables pour atteindre la cible de 80 % de diplômés chez les moins de vingt ans, ce avant 2020. Le programme de financement Réunir Réussir, annoncé dans le cadre d’un partenariat public-privé en 2009, est venu consolider l’une des orientations de cette stratégie, soit la nécessité de l’action régionale et locale.

Le Groupe d’action anime l’alliance volontaire de quarante-deux représentants de la société civile autour de la persévérance scolaire. Trois Grandes rencontres (2009, 2011, 2013) ont rythmé la mobilisation favorisant le partage de connaissances issues de la recherche et de la pratique afin de soutenir les actions et orienter les efforts dans les communautés. À partir du prisme de nos propres travaux de recherche, nous appuyant sur nos observations quant au cheminement du Groupe, nous pouvons dégager trois constats pour mieux cadrer l’analyse du mouvement social en faveur de la persévérance scolaire.

Premièrement, les connaissances acquises sur les déterminants de l’abandon scolaire et sur le rôle des politiques publiques dans le domaine de la persévérance scolaire posent une exigence fondamentale. Nous ne pouvons prétendre comprendre les réalités de la persévérance scolaire et orchestrer des plans d’action efficaces sans recourir au rapprochement, d’un côté des connaissances propres au domaine de l’éducation (incluant la psychoéducation, la psychopédagogie, l’orthopédagogie, etc.) et d’un autre côté, celles émanant des sciences sociales (sociologie, géographie, politique, etc). Nous insistons sur ce point pour bien marquer le fait que si des travaux dominants ont été conduits en psychoéducation et en psychologie sur le dropping out, devenu un objet de recherche disciplinaire depuis plus de 30 ans, il y a maintenant un impératif de convergence entre ces mêmes disciplines et les sciences sociales. Cet impératif n’est pas avant tout académique. II est lié à la volonté des États et des collectivités d’agir plus efficacement en matière de persévérance scolaire.

Deuxièmement, des efforts de recherche et d’intervention significatifs ont été consentis pour dépasser le seul prisme des réalités individuelles de l’abandon scolaire. Plusieurs travaux, tant en France3 qu’au Québec4, montrent clairement que la distribution spatiale de l’abandon scolaire s’avère très contrastée dans l’espace. Au-delà des corrélations statistiques, on doit chercher à mieux comprendre les effets des contextes socioculturels et les processus qui produisent de telles disparités. Affirmer que les modèles d’analyse et d’action doivent être systémiques constitue maintenant un a priori largement partagé dans les milieux scientifiques.

Troisièmement, des enjeux de cohésion et de cohérence, sont au rendez-vous. L’articulation des efforts de partenariat entre les commissions scolaires et les instances régionales de concertation (IRC) en persévérance scolaire, pour ne prendre que cet exemple, est à vitesse variable. Certaines régions se sont cependant démarquées. Le projet de faire du Saguenay–Lac-Saint-Jean (SLSJ) la première région éducative du Québec découle du chemin parcouru depuis 20 ans en matière de persévérance scolaire, autour du modèle mis en place par le Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire (www.crepas.ca). Les avancées sur ce territoire s’appuient à la fois sur la contribution réciproque des politiques publiques et de la société civile, tout en bénéficiant justement du rapprochement des sciences de l’éducation et des sciences sociales.5

L’état des lieux provincial et régional en matière de diplomation et d’abandon scolaire

Le taux de diplomation et de qualification au secondaire avant l’âge de 20 ans au Québec, sexes réunis, est passé de 68,6 % en 2006-2007 à 74,6 % en 2011-2012 6, un gain de plus de 6 points (Figure 1). La courbe évolutive du même indicateur pour les quatre dernières décennies permet d’apprécier le bon considérable de la diplomation au Québec depuis la Révolution tranquille, soit 30 points de pourcentage Ce rattrapage s’est effectué principalement de 1971-au milieu des années 80. Après un fléchissement notoire consécutif aux changements apportés aux seuils de passage pour les examens de fin d’études, le taux s’est accru à nouveau progressivement pendant dix ans pour s’abaisser à nouveau du milieu des années 90 jusqu’à la remontée qui coïncide avec le nouveau mouvement en faveur de la persévérance dont nous avons parlé précédemment.

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Cette évolution s’est produite cependant à vitesse variable selon les territoires7 Pour dresser un portrait d’ensemble plus détaillé, référons à la plateforme Web CartoJeunes8 qui permet le traitement, à différentes échelles, de divers indicateurs scolaires et socioéconomiques. De 2005 (cohorte 1998-99) à 2012 (cohorte de 2005-06), le nombre de MRC (municipalité régionale de comté) présentant un taux de diplomation après sept ans inférieur à 65 % a chuté de 26 à 16. Le nombre de MRC affichant un taux supérieur à 80 % est passé de 4 à 10. Par ailleurs, on peut examiner le même indicateur pour chacune des dix-sept régions administratives de la province (Figure 2), lequel varie pour la cohorte de 2005-06 de 78,4 % à 66,0 %, soit un écart de 12,0 points de pourcentage. On ne considère pas ici la région Nord-du-Québec, en raison de la situation particulière de celle-ci à plusieurs points de vue. La diplomation a évolué différemment d’une région à l’autre. Celles qui affichaient les meilleurs taux pour la cohorte de 1998-99 (Chaudière-Appalaches, Capitale-Nationale, Saguenay–Lac-Saint-Jean) sont toujours en tête du peloton sept ans plus tard, soit pour la cohorte 2005-06. Pour huit régions, des gains notables variant de 11,2 % à 4 % sont observés, soit dans l’ordre Laurentides, Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, Estrie, Montréal, Laval, Mauricie, Montérégie et Bas-Saint-Laurent. Si la situation est généralement plus favorable depuis plusieurs années au SLSJ, dans la Capitale-Nationale et dans Chaudière-Appalaches, le bilan demeure toutefois préoccupant pour plusieurs régions situées aux extrémités nord, ouest, nord-est et sud-ouest où le taux demeure sous la barre de 70 % : Nord-du-Québec, Abitibi-Témiscamingue, Outaouais et Lanaudière. Le bilan s’est amélioré à Montréal mais les disparités demeurent très prégnantes à l’échelle des municipalités et des arrondissements9.

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Comment expliquer les inégalités observées et l’évolution différenciée selon les territoires? Y a-t-il des facteurs communs? Des publications antérieures10 ont formulé l’hypothèse que les initiatives conjuguées des acteurs locaux, régionaux et nationaux, notamment les efforts des milieux scolaires, communautaires et de la société civile ont permis de réaliser des gains importants dans bon nombre de milieux. Mais on peut également penser que les gains des dernières années ont été enregistrés principalement parmi des groupes de jeunes plus faciles à soutenir et que les gains à venir nécessiteront davantage d’efforts et beaucoup d’innovation11.

Conclusion

Un document12, lancé à l’occasion des Grandes rencontres de 2013, validé par nombre d’experts et plusieurs centaines d’intervenants, constitue un outil de référence permettant la complémentarité des approches individuelles et communautaires. Il prend pour acquis que les élèves fréquentant les écoles québécoises bénéficient généralement d’enseignants qualifiés et de parents attentionnés. D’ailleurs, une majorité d’entre eux réussissent plutôt bien, comme le démontrent les enquêtes PISA et les grands indicateurs nationaux. Par contre, une proportion encore trop importante de jeunes peinent à réussir, se sentent laissés pour compte, adoptent des parcours atypiques, abandonnent. Adoptant une vision systémique, le document privilégie la prévention par des mesures touchant l’ensemble des 0-20 ans.

Les recherches axées sur le territoire montrent par ailleurs que les élèves en difficulté ne sont pas uniquement des écoliers. Ce sont des jeunes qui vivent, par exemple, dans un quartier urbain défavorisé, une capitale régionale en perte de vitesse, un village forestier valorisant peu l’école. Les enquêtes sociologiques font valoir qu’ils sont à la fois « ici » par leur lieu de résidence et « ailleurs » par leurs liens virtuels. Tout en partageant une même culture jeunesse, ils vivent des réalités différentes selon leur milieu de vie.

Devant la complexité des déterminants de la persévérance scolaire et les disparités spatiales de la scolarisation, la rencontre des sciences de l’éducation et des sciences sociales doit se poursuivre pour mieux comprendre les réalités vécues par les jeunes et soutenir l’action concertée du milieu scolaire et de la société civile.

 

 

Recap – This article offers an analytical overview of the student dropout issue in Quebec. We begin by summarizing how the situation has evolved in recent years, which has made student retention a pressing social issue. We then review current trends, notably by looking at convincing data on graduation rates. Two assumptions underpin our thinking. We are increasingly familiar with the primary risk factors that require intervention, in early childhood, to prevent early school leaving. We also better understand how public policy and civil society leaders play a complementary role in encouraging more students to succeed.

 

Photo: iStock

Première publication dans Éducation Canada, mai 2015


[1] Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires au Québec (2009). Savoir pour pouvoir : un chantier national pour la persévérance scolaire. Québec, Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires au Québec. 67 p.

[2] Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2009). L’école, j’y tiens. Tous ensemble pour la réussite scolaire. Québec, Gouvernement du Québec, 33 p.

[3] Caro, P. et Rouault R. (2010). Atlas des fractures scolaires en France : une école à plusieurs vitesses. Paris, Éditions Autrement, 80 p.

[4] Perron, M. (2013). Les inégalités territoriales de la persévérance scolaire au Québec : du diagnostic à la mobilisation des acteurs ». Dans P. Chenard, P. Doray, E.-L. Dussault et M. Ringuette (dir.), L’accessibilité aux études postsecondaires : un projet inachevé. Québec, Presses de l’Université du Québec, pp. 147-164.

[5] Perron, M. et Veillette, S. (2012). Territorialité, mobilisation des communautés et persévérance scolaire : la diffusion d’une innovation sociale au Québec. Dans J.-L. Gilles, P. Potvin et C. T. Christinat (Éds), Les alliances éducatives pour lutter contre le décrochage scolaire. Berne, Peter Lang, Éditions scientifiques internationales, pp. 169-189.

[6] Taux d’obtention d’un diplôme ou d’une qualification du secondaire, tant au secteur des jeunes qu’au secteur des adultes chez les moins de 20 ans. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2014). Compilation spéciale pour la chaire VISAJ, octobre.

[7] L’ajout en 2011 de certains diplômes qualifiants à la liste des qualifications reconnues, tel que l’attestation de spécialisation professionnelle (ASP), a pu affecter à la hausse le taux de diplomation et de qualification au secondaire, mais nous estimons que cet ajustement équivaut à moins de 2 %.

[8] www.cartojeunes.ca

[9] Ibid

[10] Perron, M., Veillette, S. et Morin, I. (2013). Persévérance scolaire, territorialité et mobilisation des acteurs : état des lieux au Québec, Administration et éducation, no 137, pp. 43-49.

[11] Compte tenu qu’un gain global de 4,2 points de pourcentage permettrait d’atteindre la cible provinciale adoptée en 2009 et que les efforts devront être modulés selon les différents territoires.

[12] Collectif d’auteurs (2013). Poursuivons le mouvement pour la persévérance et la réussite scolaires au Québec (version du 29 octobre 2013). Québec, Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires au Québec, 14 p.

Apprenez-en plus sur

Michel Perron

Michel Perron, Ph.D., est professeur au Département des sciences humaines de l’UQAC. Il est titulaire de la Chaire UQAC-Cégep de Jonquière et membre-fondateur du Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires au Québec. 

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