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Opinion

La gouvernance en éducation, une question d’équilibre

Cette pièce de blogue fait partie de notre série sur la Loi 86.

D’entrée de jeu, le Conseil supérieur de l’éducation souhaite rappeler trois principes qui doivent, selon lui, éclairer les décisions et les actions en éducation.

  • L’éducation est un droit pour tous. Elle est un bien individuel et collectif, donc à la fois un instrument essentiel de développement des personnes, jeunes et adultes, et de développement de la société.
  • Les parents ont un rôle important à jouer au sein des instances scolaires comme accompagnateurs du cheminement de leurs enfants. Ce sont des partenaires de l’école.
  • Parce qu’elle est un bien collectif, l’État et les collectivités ont la responsabilité partagée de la gouvernance de l’éducation.

Le Conseil a lu le projet de loi no 86 à la lumière de ces principes. Il est interpellé par deux grands changements :

  • L’abolition des élections scolaires en faveur d’un nouveau modèle de gouvernance;
  • Le nouvel équilibre des pouvoirs et des responsabilités.

En ce qui a trait à l’abolition des élections scolaires, le Conseil constate que le projet de loi s’éloigne du principe de la participation citoyenne à la gouvernance de l’éducation. Bien qu’il reconnaisse que la faible participation aux élections scolaires soulève la question de la légitimité du gouvernement scolaire, il estime que l’abandon du principe de démocratie élective n’est pas la solution.

Le Conseil accueille favorablement le droit de vote accordé aux parents. Toutefois, comme les parents usagers pourront également nommer les représentants de la communauté, il juge que leur voix prendra la place de celle des citoyens.

On s’éloigne ainsi d’un modèle de gouvernance basé sur les principes d’une démocratie où les représentants sont élus à titre de citoyens par l’ensemble des citoyens. Ce que le projet de loi propose s’apparente davantage à un modèle qui est susceptible de limiter aux seuls usagers la possibilité d’influencer l’évolution du système d’éducation. Or, les enjeux éducatifs concernent l’ensemble de la société québécoise, qui procure également le financement des services.

Le Conseil invite à maintenir un équilibre entre démocratie élective et démocratie d’usagers en considérant d’autres options comme pour la sélection des représentants de la communauté : un suffrage universel qui privilégie des modes de scrutin plus souples (ex. : scrutin en ligne ou par la poste) ou tenu en même temps que les élections municipales. 

Quant au second grand changement, c’est-à-dire le nouvel équilibre des pouvoirs et des responsabilités, le Conseil constate un écart entre le discours favorisant la décentralisation, soit les intentions annoncées par le projet de loi, et les moyens mis en œuvre.

Le projet de loi ne confie directement aucun nouveau pouvoir aux établissements. Il déplace plutôt des acteurs de l’établissement vers le palier intermédiaire.

Selon le Conseil, c’est à un exercice difficile que sont conviées les directions d’établissement, qui devront composer avec la tension entre les besoins et l’intérêt de leurs élèves, de même que les besoins et l’intérêt des élèves de l’ensemble du territoire de la commission scolaire. C’est aussi un exercice qui demande du temps, souvent accaparé par les exigences administratives au détriment de la direction pédagogique.

Le Conseil constate, et déplore, que le projet de loi accorde de nouveaux pouvoirs au ministre, renforçant le mouvement de centralisation. Cette centralisation se fait au détriment d’une souplesse nécessaire à la reconnaissance des besoins et à la mise en œuvre de réponses différenciées pour assurer la réussite éducative des élèves, jeunes et adultes.

Pour le Conseil, l’exercice des responsabilités du conseil scolaire et du conseil d’établissement pourrait alors n’être perçu que comme une injonction de conformité, sans quoi le ministre, avec ses nouveaux pouvoirs, décidera lui-même. 

Il n’est jamais facile de trouver un juste équilibre entre une centralisation qui uniformise les réponses et une décentralisation susceptible de creuser des inégalités inacceptables.

Pour y arriver, le Conseil préconise :

  • Un pilotage ministériel ferme pour les visées et souple pour les moyens;
  • Un pilotage qui détermine les grands objectifs et qui consacre des zones de responsabilités aux diverses instances pour permettre l’expression de différences entre les établissements;
  • Un pilotage qui veille, par ses encadrements, à ce que ces différences ne se transforment pas en inégalités socioéducatives. 

Dans le nouvel équilibre des pouvoirs et des responsabilités proposé dans le projet de loi, le conseil d’établissement aura dorénavant un pouvoir d’adoption, en séance, dans des domaines susceptibles d’empiéter sur l’espace d’autonomie du personnel enseignant. À quelques reprises, le Conseil a souligné la difficulté à cerner où commencent et où finissent l’autonomie professionnelle des enseignantes et des enseignants et le droit de regard des parents. C’est pourquoi la bonne marche du conseil d’établissement et celle du conseil scolaire résident dans la définition de balises, de principes et de critères qui guident les rapports entre les divers acteurs et permettent de prendre des décisions en partenariat.

De plus, les caractéristiques des parents siégeant aux conseils d’établissement tendent à démontrer, par exemple, une faible représentation des jeunes parents, des chefs de famille monoparentale ou des personnes vivant une situation de garde partagée et une plus grande proportion de parents ayant des revenus supérieurs à la moyenne. Aussi, pour favoriser la participation de parents représentatifs des intérêts du plus grand nombre au sein de toutes les instances, le Conseil recommande-t-il de mettre en place des mesures pour rejoindre les parents traditionnellement peu impliqués et des mesures compensatoires pour faciliter leur engagement.

En somme, pour atteindre un nouvel équilibre des pouvoirs et des responsabilités ainsi qu’une nouvelle légitimité pour les commissions scolaires, il importe : 

  • D’établir un partage clair des responsabilités;
  • De définir des principes et des critères pour guider les acteurs et permettre une prise de décision en partenariat et dans le meilleur intérêt des élèves, jeunes et adultes;
  • De maintenir un équilibre entre démocratie élective et démocratie d’usagers.

Enfin, le Conseil recommande la plus grande prudence quant à l’abandon du principe de la démocratie élective et que les amendements apportés au projet de loi soient en faveur d’une réelle décentralisation.

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lucie bouchard

Lucie Bouchard

Lucie Bouchard est présidente par intérim du Conseil supérieur de l’éducation depuis novembre 2015. Elle en est aussi secrétaire générale depuis octobre 2010.

http://www.cse.gouv.qc.ca/

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