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Bienêtre, Développement professionnel, Rétention du personnel

Bonheur, qualité de vie ou bienêtre à l’école?

Y voir clair pour mieux intervenir

Alors que la réflexion sur le bienêtre ou la « bonne vie » était déjà bien entamée à l’époque de Platon et d’Aristote, elle a certainement été relancée par l’avènement de la psychologie positive au tournant des années 2000. S’étant étendue jusque dans la vie scolaire, cette réflexion peut mener à des stratégies visant le développement du bienêtre et ayant plusieurs visées comme celles de répondre à certaines difficultés, prévenir les risques, augmenter la productivité ou encore tendre vers un épanouissement personnel en phase avec les aspirations individuelles. Plusieurs questions demeurent toutefois : si l’élève est au centre des préoccupations scolaires, le bienêtre à l’école doit-il seulement le concerner ? En admettant que le bienêtre individuel puisse notamment avoir des retombées sur les relations interpersonnelles positives, dans une perspective scolaire, est-il judicieux de concentrer les efforts pour favoriser le bienêtre d’une poignée de personnes en fonction de leur rôle dans la communauté scolaire? Si l’on convient que le bienêtre de tous membres de la communauté scolaire doit être pris en considération, qui en est responsable? L’individu? Ces questions, bien ancrées dans les réflexions actuelles, amènent à réfléchir au bienêtre à l’école dans une perspective systémique. 

Une vision commune du bienêtre, une utopie ? 

En théorie comme en pratique, il est difficile, voire impossible, de s’entendre sur une définition unique du bienêtre. Néanmoins, comme le rappelaient Ryan et Deci (2001, p. 142), « La façon dont nous définissons le bienêtre influence nos pratiques en matière de gouvernance, d’enseignement, de thérapie, de parentalité et de prédication, car tous ces efforts visent à améliorer les êtres humains et requièrent donc une certaine vision de ce qu’est le “mieux” ». Par ailleurs, un corpus grandissant de recherches montre désormais comment les actions ancrées dans les différentes conceptions du bienêtre peuvent engendrer des retombées différentes pour les individus. En ayant l’objectif de répondre au mieux aux besoins des élèves, des personnes enseignantes et des autres membres de la communauté scolaire, il est essentiel de s’y intéresser de façon collective même si l’exercice est fastidieux. 

En éducation, l’ancrage des définitions du bienêtre provient parfois des sciences de la santé, de la psychologie, des sciences de l’éducation ou d’autres sources. Par ailleurs, de façon individuelle, lorsqu’on laisse une personne définir le bienêtre, sa réponse sera nécessairement orientée vers son vécu ou encore ses idéaux. Chose certaine, si tout le monde peut tenter une définition personnelle du bienêtre, il s’agit d’un phénomène complexe et difficile à cerner. Sans prendre position, nous pouvons affirmer qu’une confusion existe d’ailleurs avec plusieurs autres concepts proches comme le bonheur ou la qualité de vie ou encore d’autres états considérés à tort ou à raison antagonistes, comme le stress ou l’épuisement professionnel (Voyer et Boyer, 2001). La compréhension du bienêtre peut aussi tomber sous l’ombrelle de concepts plus généraux, comme le « mieux-être », ce qui le rend d’autant plus difficile à circonscrire. Ces perceptions plurielles de ce qui est entendu par le bienêtre peuvent aussi créer une confusion en ce qui a trait à la compréhension du phénomène et à la visée des interventions mises en place. 

Par exemple, dans une recension systématique au sujet des interventions visant à développer le « bienêtre » au travail chez les personnes enseignantes, Dreer et Gouasé (2021) ont identifié 27 interventions différentes sur les 29 textes retenus. Bien que toutes ces activités visaient à développer le « bienêtre », les résultats escomptés étaient différents selon les propositions (p. ex. réduction du stress, meilleure gestion de classe, développement du sentiment de gratitude).  Ces constats sont intéressants puisqu’ils informent sur les raccourcis à éviter lorsque des activités favorisant le développement du bienêtre en contexte scolaire sont envisagées. En effet, on ne peut pas s’attendre aux mêmes retombées d’une intervention qui vise l’augmentation des émotions positives quotidiennes et d’une autre qui cible le développement du sentiment de compétence en gestion de classe. Néanmoins, ces distinctions sont souvent masquées par une utilisation générique du terme « bienêtre » qui ne précise pas le type de bienêtre ni ses composantes. C’est pourquoi il est important de dépasser la simple déclaration selon laquelle ces interventions visent à favoriser le « bienêtre ». Les questions suivantes peuvent aider à clarifier la situation : 

  • Quelle problématique précise chaque intervention cherche-t-elle à résoudre? Les actions proposées sont-elles conçues pour prévenir une problématique ou pour y réagir? 
  • Quel est l’objectif spécifique de chaque intervention et comment peut-on en observer les résultats? Les effets attendus se manifestent-ils à court terme ou à long terme? 

Autrement, il est facile de perdre de vue les différents fondements qui sont associés au phénomène que l’on souhaite circonscrire et cela ouvre la porte à des interventions qui ne sont pas ancrées dans des postulats scientifiques. Dans d’autres cas, il devient difficile de trouver des pratiques gagnantes et de répondre aux besoins de la communauté scolaire.   

Dans les textes retraçant les ancrages du concept de bienêtre, plusieurs clés de compréhension sont dégagées pour arriver à démêler les différentes propositions de définition. Par exemple, Veronica Huta (2016, p. 215) suggère de regrouper les définitions en quatre catégories :  

  1. les orientations de vie (p. ex. désirer éprouver du plaisir, viser le développement du plein potentiel); 
  2. les comportements (p. ex. s’engager dans certaines activités); 
  3. les expériences personnelles (p. ex. vivre des émotions positives ou négatives); 
  4. le fonctionnement de l’individu (p. ex. agir de façon adaptée à son contexte de vie).  

De façon parallèle, tirées de perspectives psychologiques, on retrouve également les conceptions centrées sur des expériences vécues à court terme, soit les affects (émotions) positifs, négatifs et la satisfaction de vie, ainsi que des orientations à plus long terme, associées à des sphères de la vie qui contribuent à viser l’atteinte du plein potentiel (p. ex. relations interpersonnelles positives, sentiment de compétence, etc.). Beaucoup d’encre a coulé pour déterminer quelle était la conception qui permettait le mieux cerner le concept. Désormais, plusieurs s’entendent pour dire que les deux perspectives, soit que les affects (positifs et négatifs) et les éléments qui contribuent à ce que l’individu tende vers le développement de son plein potentiel soient considérés de façon simultanée pour obtenir une vision plus holistique du phénomène du bienêtre.  

Partager la responsabilité du bienêtre 

Plusieurs chercheurs adaptent leur conception du bienêtre à la situation où il est mesuré. C’est pourquoi des expressions adaptées à la situation des acteurs scolaires sont parfois employées, comme « bienêtre au travail », « bienêtre à l’école » ou encore « bienêtre pédagogique ». En ce qui concerne les personnes enseignantes, les précisions sont en cohérence avec le courant actuel en psychologie du travail qui soutient que le bienêtre se construit à travers soi, les relations interpersonnelles, mais aussi à travers l’organisation (l’école). Du côté de l’élève, il est aussi entendu que le bienêtre de l’enfant à l’école est tributaire des différents aspects de l’environnement scolaire dans lequel il évolue. Ainsi, l’individu évolue dans un contexte donné et il n’est pas l’unique responsable de son bienêtre. Bien que cela soit plus difficile à cibler en contexte scolaire, il faut également prendre en considération les autres environnements de vie de la personne dans l’équation.   

Le bienêtre dans une perspective systémique 

Afin d’avoir une vision plus globale du bienêtre à l’école, plusieurs choisissent d’adopter une perspective systémique. S’il y a plusieurs façons de l’appréhender, ce point de vue peut mettre de l’avant les liens bidirectionnels qui unissent l’individu et son environnement. Cela permet notamment d’identifier les éléments contextuels avec lesquels la personne doit composer ; les obstacles, les contraintes, les demandes, mais aussi les ressources. Cette perspective permet également d’obtenir un point de vue plus holistique sur la communauté scolaire plutôt que de seulement envisager des interventions ciblées ou individuelles. Le modèle élaboré par Bronfenbrenner et Morris (1998) peut être intéressant pour illustrer la portée d’une perspective systémique en contexte scolaire. Il s’agit d’un modèle développemental qui tente de prendre en considération plusieurs composantes de la vie de l’individu afin de mieux comprendre les processus dynamiques qui ont lieu au quotidien et qui vont modifier l’expérience de la personne. L’élève, la personne enseignante ou tout autre membre de la communauté scolaire peut être le point focal du modèle (voir Papazian-Zohrabian et Mamprin, 2020, pour lire un exemple contextualisé durant la pandémie). Si l’école est, sans contredit, un espace de développement pour l’élève, on oublie parfois que les personnes enseignantes titulaires ou suppléantes, les directions et les autres membres de la communauté scolaire sont aussi en développement. Ces individus sont engagés dans un processus de développement personnel et professionnel et l’école devrait aussi leur permettre d’atteindre leur plein potentiel.  

Quatre composantes forment la dernière itération du modèle proposé par Bronfenbrenner et Morris :  

  1. Les processus : le caractère dynamique des relations bidirectionnelles qui sont entretenues entre la personne et l’environnement (p. ex. la relation éducative qui unit l’élève à son enseignant qui se forge au courant de l’année scolaire et qui peut aussi être modifiée par les différentes interactions entre les deux parties). 
  2. La personne : les caractéristiques individuelles et les expériences personnelles qui peuvent moduler les réactions ou les besoins de chacun (p. ex. les relations éducatives précédentes dans lesquelles la personne était engagée, les représentations de l’école ou de l’éducation, les forces et les défis individuels). 
  3. Le contexte : les divers « systèmes » qui segmentent l’environnement de vie de l’individu en relations proximales (où l’individu est directement impliqué, par exemple en classe) et distales (où l’individu est indirectement impliqué, par exemple les lois, les politiques ou les contextes sociaux). 
  4. Le temps : les marqueurs temporels (p. ex. âge chronologique d’un individu, les continuités ou les discontinuités dans une relation).  

Ces éléments permettent d’amorcer une réflexion sur le bienêtre à l’école en tenant compte des caractéristiques et des besoins de la personne, de son contexte de vie, mais aussi de la perspective temporelle qui peut avoir des retombées sur certaines situations. Cela sous-entend également que les actions mises en œuvre pour favoriser le développement du bienêtre n’ont pas à être limitée à des interventions individuelles, mais que tout changement dans le contexte de vie de l’individu (où il est impliqué directement ou indirectement) peut aussi avoir des retombées importantes sur ce dernier.  

Par exemple, la perspective systémique peut aider à voir comment le bienêtre (ou le mal-être) d’un membre de la communauté scolaire peut avoir des retombées sur les autres personnes avec qui il interagit au quotidien. Pour illustrer ce lien, prenons par exemple la relation éducative qui unit l’élève et la personne enseignante. Une relation éducative de qualité doit reposer sur la disponibilité de l’élève et de la personne enseignante à créer et maintenir ces liens (Papazian-Zohrabian et Mamprin, 2020). Cette relation est dynamique et évolue dans le temps. Une personne enseignante qui présente des symptômes d’épuisement professionnel ne sera peut-être pas aussi disponible pour s’investir dans la relation éducative. Elle se sentira peut-être aussi moins compétente pour répondre aux besoins de l’élève. Si l’on veut soutenir cette personne enseignante et favoriser le développement de son bienêtre, il devient important d’étudier le contexte de travail de cette dernière (p. ex. manque-t-elle de temps ou de ressources? Le défi de soutenir les élèves de sa classe au quotidien lui semble-t-il réaliste? La collaboration avec les parents est-elle possible? Quelles sont les structures d’aide qu’elle pourrait solliciter?). Si plusieurs personnes enseignantes sont dans une situation similaire, quelles sont les interventions qui doivent être mises en place? Ces interventions doivent-elles être ancrées en classe? À l’école? Dans les politiques du système scolaire? Ces éléments de réflexion pourront permettre de cibler certaines initiatives pertinentes.   

Pour certains, la perspective systémique veut aussi dire que « le système » est impliqué et est complémentaire à la proposition théorique de Bronfenbrenner et Morris. Il est donc question du système d’éducation ainsi que des initiatives globales et à long terme (p. ex. changements dans les politiques, les conditions de travail) qui dépassent les actions ciblées pour certaines personnes ou certains groupes. Dans tous les cas on tend vers une responsabilité partagée qui étudie le contexte scolaire pour en dégager les éléments qui pourraient favoriser ou entraver le développement du bienêtre. 

Conclusion 

La réflexion sur le bienêtre à l’école gagne à s’inscrire dans une approche systémique qui considère les liens dynamiques entre l’individu et les diverses composantes de son environnement (p. ex. les relations en classe, les politiques, les conditions de travail, les conditions d’études, le rapport de la société à l’éducation). Bien que la définition du bienêtre puisse varier selon les perspectives et les conceptions, il est essentiel d’y voir plus clair pour mettre sur pied des initiatives qui répondent aux besoins de la communauté scolaire en dépassant les propositions qui infèrent que l’entière responsabilité du bienêtre est individuelle. Les interventions visant à favoriser le bienêtre doivent tenir compte des réalités des différents membres de la communauté scolaire, de la responsabilité partagée du bienêtre et prendre en considération les caractéristiques spécifiques des milieux scolaires. Pour ce faire, des initiatives impliquant des changements de fond graduels et ayant un caractère durable (p. ex. politiques, cultures scolaires) où tous sont engagés dans la transformation doivent être envisagées. En adoptant cette approche, les actions entreprises pourront soutenir le bienêtre et la vitalité de la communauté scolaire.  

  

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Références  

Bronfenbrenner, U. et P. A. Morris (1998). The ecology of developmental processes, dans W. Damon et R.M. Lerner (dir.), Handbook of child psychology (vol. 1): Theoretical models of human development, New York, John Wiley, 993-1028.  

Dreer, B. et Gouasé, N. (2022). Interventions fostering well-being of schoolteachers: A review of research. Oxford Review of Education, 48(5), 587-605. 

Huta, V. (2016). An overview of hedonic and eudaimonic well-being concepts. Dans L. Reinecke et M. B. Oliver (dir.), Handbook of media use and well-being (pp. 14-33). Routledge.  

Papazian-Zohrabian, G. et Mamprin, C. (2020). L’école en temps de pandémie : comment favoriser le bien-être des élèves et des enseignants. https://fse.umontreal.ca/fileadmin/fse/documents/pdf/publications/Guide_pandemie_Final_1 6.09.2020.pdf  

Ryan, R. M. et Deci, E. L. (2001). On happiness and human potentials: A review of research on hedonic and eudaimonic well-being. Annual review of psychology, 52(1), 141-166. 

Voyer, P. et Boyer, R. (2001). Le bienêtre psychologique et ses concepts cousins, une analyse conceptuelle comparative. Santé mentale au Québec, 26(1), 274-296. 

 

Photo : iStock

Première publication dans Éducation Canada, septembre 2023

Apprenez-en plus sur

Caterina Mamprin

Caterina Mamprin est professeure adjointe en éducation à l’Université de Moncton, au campus de Shippagan. Ses travaux portent principalement sur le bienêtre au travail des personnes enseignantes et leur disponibilité à répondre aux besoins des élèves ayant des parcours diversifiés. 

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