L’enseignement des réalités coloniales Quelles politiques éducatives pour la « réconciliation »?

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Apprentissage autochtone, Enseignement

L’enseignement des réalités coloniales

Quelles politiques éducatives pour la « réconciliation »?

« Il faut enseigner la vraie histoire », répètent sans cesse les Autochtones engagés dans des activités de sensibilisation. Mais qu’est-ce que « la vraie histoire »? Quoi enseigner et comment? Depuis quelques années, la prise de conscience d’une responsabilité collective et d’une nécessité d’action est simultanément marquée par un sentiment d’impuissance, puisqu’une très grande méconnaissance entoure les réalités autochtones. Comment enseigner ce qu’on ne connaît pas? Comment les enseignants et professeurs peuvent-ils « combler les lacunes dans les connaissances historiques qui perpétuent l’ignorance et le racisme », quand eux-mêmes n’ont appris que des stéréotypes réducteurs visant à justifier la colonisation? Pour trouver des pistes de réponse, il peut être utile de se tourner vers des mesures visant une meilleure connaissance des réalités coloniales, fondées sur une idéologie raciste, et sur la manière d’y faire face.

L’expérience du racisme au quotidien

Plusieurs recherches ont montré que le racisme est omniprésent dans la vie des étudiants autochtones et les accompagne de la maternelle au postsecondaire. Afin de comprendre cette affirmation, il est nécessaire de redéfinir le racisme : celui-ci ne consiste pas uniquement en des actes individuels et intentionnels de violence raciale (par exemple, les insultes ouvertement racistes), mais bien en un système multidimensionnel, s’exprimant au travers des institutions comme des comportements individuels ouvertement ou inconsciemment racistes. Ainsi, depuis leurs origines, le Canada et le Québec sont fondés sur une idéologie raciste basée sur l’idée de la supériorité des colons d’origine européenne et l’infériorité des peuples occupant le territoire avant la colonisation. Ce racisme n’est pas un simple reliquat du passé, mais bien un système structurel sans cesse redéfini et réactualisé au quotidien1.

Alors que la plupart des recherches expliquent l’échec scolaire massif des Autochtones par les théories de la « différence culturelle », d’autres recherches ont montré que le racisme est la cause première du décrochage scolaire2. Tout au long de leurs études, les étudiants autochtones expérimentent différentes formes de racisme. Certaines sont évidentes : il s’agit par exemple de professeurs disant à leurs élèves autochtones qu’ils n’arriveront jamais à rien dans la vie ou excluant du cours un étudiant qui remet en question une affirmation raciste3. D’autres sont plus subtiles : les étudiants subissent les conséquences du sous-financement des écoles dans les communautés autochtones et vivent de l’exclusion sociale dans les écoles hors des communautés. Sauf exception, tous les étudiants autochtones verront leurs réalités systématiquement dénigrées ou exclues à travers les curricula scolaires.

Aller au-delà des mesures culturalisantes

Face à ces constats, une inquiétude persiste quant à la possibilité que les politiques scolaires actuelles ne soient appliquées que comme un ensemble de mesures niant les problèmes de fonds et contribuant à transmettre des préjugés racistes. Un exemple en est le programme Éthique et culture religieuse (ECR), qui inclut l’étude des « spiritualités des peuples autochtones ». La vision qui sous-tend ce choix est extrêmement problématique. Ces « spiritualités » ne sont intégrées que parce qu’elles ont « marqué le patrimoine religieux de la société québécoise », au même titre que le judaïsme4. Il n’est pas fait mention du statut spécifique des peuples autochtones comme des nations distinctes ni du fait que ce sont précisément les politiques coloniales qui ont œuvré à détruire les pratiques religieuses traditionnelles5. Par ailleurs, il n’est pas précisé ce qui est entendu par « spiritualités autochtones » : le programme ne fait pas mention des formes contemporaines de spiritualités et de religions autochtones, incluant notamment le christianisme.

De plus, les étudiants en ECR n’ont à l’heure actuelle pas de cours obligatoire sur les réalités autochtones dans leur cursus. Il est donc très probable que les enseignements contribuent à reproduire et valider des stéréotypes erronés et racistes. Une étudiante qui suivait mon cours sur les « Religions autochtones en Amérique du Nord » à l’université m’a dit que sans ce cours, elle aurait demandé à ses jeunes élèves de dessiner des totems et des « Indiens à plumes », hors de toute connaissance du contexte québécois. Les élèves seraient ressortis du cours avec des stéréotypes encore plus prégnants sur les Autochtones, sans prise de conscience du génocide colonial et de la complexité des réalités autochtones contemporaines.

« La reconnaissance du racisme systémique engendre une forte résistance, notamment au Québec qui constitue une « majorité fragile »10 par rapport au Canada.

Une voie possible : l’éducation antiraciste 

Dans ce contexte, comment outiller les enseignants pour engager les jeunes en vue d’une réelle « réconciliation »? Plutôt que des approches basées sur l’éducation interculturelle ou multiculturelle, plusieurs chercheurs valorisent l’éducation antiraciste. L’approche antiraciste permet d’aborder avec les élèves les systèmes d’inégalités, de prendre conscience des rapports de pouvoir qui structurent les relations entre certains groupes, et de modifier leurs propres préjugés et comportements. Enseigner l’histoire de la colonisation ou des pensionnats indiens et sensibiliser les élèves au sujet des relations contemporaines entre Québécois et Autochtones s’inscriraient dans cette logique. La perspective antiraciste a émergé au Québec dans les années 1980, mais a ensuite été abandonnée lorsque les francophones sont devenus une majorité sociologique6. Elle est cependant poursuivie dans d’autres provinces, notamment en Ontario, où a été lancé en 2007 un projet financé par le ministère de l’Éducation pour former les enseignants et les élèves à identifier le racisme, le sexisme et l’homophobie7. Dans une optique d’éducation antiraciste appliquée aux réalités autochtones, il serait par exemple possible de faire lire des témoignages sur les pensionnats autochtones pour réfléchir aux impacts de la colonisation et de la christianisation8 ou de visionner le film de Disney Pocahontas et d’analyser avec les élèves les biais racistes et sexistes véhiculés9. Dans cette perspective, il s’agit non pas de donner un cours sur les Autochtones, mais bien de faire réfléchir sur les modalités des relations entre Autochtones et Québécois. Cela constitue donc en partie un exercice d’autoréflexion, dans lequel l’enseignant peut parler de sa propre (in)expérience et inclure tous les élèves et étudiants, quelles que soient leur origine et leurs connaissances des réalités autochtones. Cette approche aurait le double avantage de former des citoyens informés et responsables, tout en créant d’emblée un climat inclusif pour les éventuels étudiants autochtones.

La reconnaissance du racisme systémique engendre une forte résistance, notamment au Québec qui constitue une « majorité fragile »10 par rapport au Canada. Cependant, une chose est certaine : s’il ne s’accompagne pas d’une remise en question du système actuel, le discours de réconciliation apparaît comme une nouvelle forme de domination, imposé de manière unilatérale aux peuples autochtones. Au niveau éducatif, cette nécessaire remise en question concerne tant le contenu des programmes d’études (notamment des programmes d’histoire et d’ECR), la formation des professeurs, que les relations interpersonnelles qui se jouent à l’école entre autochtones et non-autochtones. Ainsi que le rappellent Pierrot Ross-Tremblay et Nawel Hamidi11, une réelle politique de « réconciliation » ne pourra pas faire l’économie de la reconnaissance des fondements coloniaux du Canada et du Québec. C’est à cette condition que l’école pourra jouer un rôle majeur dans l’éducation des citoyens et la création d’une société inclusive.

 

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Première publication dans Éducation Canada, mai 2018

NOTES

1 Voir à ce sujet la brochure de la Ligue des Droits et Libertés, 2017, Le racisme systémique… parlons-en ! (liguedesdroits.ca/wp-content/fichiers/ldl_brochure_racisme_final_20170905.pdf), ou le document du Centre national de la collaboration de la santé autochtone, 2013, Comprendre le racisme (https://www.ccnsa-nccah.ca/docs/determinants/FS-UnderstandingRacism-Reading-FR.pdf).

2 St. Denis, Verna et Eber Hampton, 2002, Literature Review on Racism and the Effects on Aboriginal Education, Prepared for Minister’s National Working Group on Education Indian and Northern Affairs Canada, Ottawa, Ontario.

3 Voir à ce sujet Lefevre-Radelli, Léa et Laurent Jérôme, 2017, « Logique d’exclusion, d’intégration ou d’inclusion ? Enquête sur l’expérience des étudiants autochtones à l’UQAM », Les Cahiers du CIERA, 15, ainsi que par exemple le témoignage de Marly Fontaine, dans Loisel, Mélanie, 2017, Ma réserve dans ma chair. L’histoire de Marly Fontaine, Montréal, Fides.

4 http://www.capres.ca/wp-content/uploads/2010/06/16-Le-programme-disciplinaire-%C3%A9thique-et-culture-religieuse.pdf

5 De 1884 à 1951, plusieurs modifications à la Loi sur les Indiens ont interdit les cérémonies religieuses telles que les potlatchs et la danse du soleil, sous peine d’incarcération. Ces interdictions concernaient principalement les nations autochtones de l’Ouest canadien et de la côte du Pacifique.

6 McAndrew, Marie, 2004, « L’éducation antiraciste au Québec : bilan et prospective », dans Jean Renaud, Annick Germain, Xavier Leloup, Racisme et discrimination. Permanence et résurgence d’un phénomène inavouable, Saint-Nicolas, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 201-210.

7 Voir le descriptif du programme sur https://www.bienetrealecole.ca/a-propos. Il est cependant à noter que ce programme fait plutôt référence à l’immigration qu’aux personnes autochtones.

8 Voir les références dans l’article de Dufour, dans le même numéro

9 Voir une analyse critique du film en ligne : http://www.lecinemaestpolitique.fr/pocahontas-1995-etre-femme-et-indienne-chez-disney/

10 Cette expression a été utilisée par McAndrew, Marie, 2010, Les majorités fragiles et l’éducation : Belgique, Catalogne, Irlande du Nord, Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal.

11 Ross-Tremblay, Pierrot et Hamidi, Nawel, 2018, « L’épreuve de la vérité : le Canada, les Premiers Peuples et l’esprit de 1867 », Liberté, n. 319, mars, p. 12-14. En ligne : http://revueliberte.ca/2018/02/26/lepreuve-de-verite-canada-premiers-peuples-lesprit-de-1867/

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Léa Lefevre-Radelli Éducation Canada

Léa Lefevre-Radelli

Doctorante

Léa Lefevre-Radelli est doctorante à l'UQAM et à l'Université de Nantes (France). Sa recherche de doctorat vise à comprendre l'expérience des étudiants des Premières Nations dans les universit...

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