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Pratiques prometteuses

L’enseignement insulaire

L’enseignement en classe multiâge est très présent dans les régions éloignées du Québec. La dénatalité, le vieillissement de la population, l’exode des jeunes des régions pour les centres urbains ont grandement dévitalisé certaines régions du Québec. Compte tenu de la faible démographie dans les régions rurales et la clientèle limitée, les classes multiâges sont souvent le seul moyen d’offrir un enseignement public. Elles sont créées quand le ratio d’élèves n’est pas assez élevé pour chaque niveau scolaire. Ces classes permettent aux jeunes de poursuivre leur cheminement scolaire dans leur région et regroupent plusieurs jeunes d’âges et de niveaux scolaires différents. C’est un peu comme les écoles de rang du début du 20e siècle. Cependant, les méthodes d’enseignement ont grandement évolué.

Mon milieu

Située en plein cœur du Golf St-Laurent, l’île d’Anticosti est un immense territoire dans lequel on ne retrouve qu’un seul village, Port-Menier. C’est dans cette petite communauté isolée d’environ 150 habitants que se situe l’école Saint-Joseph dans laquelle, depuis 10 ans, je développe mes compétences en enseignement, en classe multiâge. L’école fait partie de la Commission scolaire du Littoral dont le siège social est situé à Sept-Îles. Bien que l’école ait connu une nombreuse clientèle dans le passé, il en est tout autrement maintenant. Aujourd’hui une dizaine d’élèves seulement, du préscolaire à la deuxième secondaire, fréquente l’école. À la fin du premier cycle du secondaire, nos élèves doivent poursuivre leurs études dans les villes qui offrent le 2e cycle du secondaire. La séparation avec la famille s’effectue dès l’âge de 14 ans. La commission scolaire offre des allocations pour le logement et le transport afin que les jeunes puissent retrouver mensuellement leur famille.

Les défis

Compte tenu de la faible clientèle, une enseignante et moi devons dispenser l’ensemble des cours. Les élèves du préscolaire sont intégrés au 1er cycle du primaire alors que les autres élèves forment le 2e groupe. L’enseignement en classe multiâge est donc nécessaire. Bien souvent, ces classes sont mal perçues par les parents et par le personnel enseignant. Pour les parents, elles représentent l’insécurité. Ils craignent que la réussite de leur enfant soit diminuée, eu égard au temps individuel plus restreint consacré à chaque enfant. Comme l’enseignant doit diviser son temps entre les divers niveaux, les élèves bénéficient moins d’un enseignement magistral traditionnel. Pour le personnel, cela est synonyme de double planification, de double évaluation, de double prestation, etc. Les classes multiâges sont souvent perçues négativement par les enseignants, car bien qu’elles soient plus exigeantes, elles sont trop souvent méconnues. Il y a un grand manque de formation pour préparer les futurs enseignants à ces classes hétérogènes. L’inconnu exhorte l’insécurité et les jugements de valeur.

Ce constat met donc en évidence que ces enseignants doivent avoir recours à des méthodes qui leur facilitent le quotidien. Ils doivent s’adapter à l’hétérogénéité du groupe. Et même faire plus que de s’y adapter : cela doit devenir un objectif pédagogique.

La différentiation et l’enseignement coopératif sont des stratégies d’enseignement et d’apprentissage que je favorise dans mon approche pédagogique. En effet, elles permettent aux élèves de développer des qualités essentielles pour bien fonctionner en classe multiâge, à savoir l’autonomie, le sens des responsabilités, l’entraide, le respect et le partage.

Notre équipe ne comporte pas d’orthopédagogue ou de psychoéducateur. Lorsqu’un élève nécessite des évaluations, nous devons faire la requête auprès de notre commission scolaire. Ainsi, est-elle en mesure de nous envoyer la personne-ressource dont nous avons besoin.

L’importance du milieu

Port-Menier est une petite communauté tissée serrée. Les jeunes reçoivent un soutien sans borne de leur milieu. Qu’il s’agisse des organismes communautaires, de la municipalité, de la commission scolaire ou de tout autre partenaire, la participation de la communauté joue un rôle essentiel dans la réussite des élèves. En effet, l’école peut, sans la moindre hésitation, demander la collaboration du milieu, tant pour l’élaboration de ses projets que pour son financement. Pour sa part, la commission scolaire met en place de nombreuses mesures de financement pour permettre à nos élèves de vivre des expériences signifiantes. Dans ce contexte, plusieurs invités provenant de la musique ou du théâtre, nous rendent visite afin de partager leur passion. Il y a également divers organismes qui offrent leur service pour animer des ateliers destinés à nos élèves : Association forestière, Pêche et Océan Canada, etc.

Double rôle professionnel

Je porte deux chapeaux, soit celui de directeur et d’enseignant. Ce double rôle n’est pas toujours évident. Il est parfois difficile pour de jeunes élèves de faire la distinction entre ces deux fonctions. À titre d’exemple, lors de grands débordements, je peux demander en tant qu’enseignant, à un de mes élèves, d’aller rencontrer le directeur. À ce moment-là, ce jeune viendra me voir en tant que directeur.

Je dois donc constamment ajuster mon comportement et mes agissements en fonction de ces deux rôles que j’assume au quotidien. Quant à l’élève, il apprend rapidement à faire la différence entre ces deux fonctions, selon la posture que j’adopte.

Je crois être bien en contrôle de la situation : j’ai appris à adapter le bon comportement au regard du double rôle professionnel que j’incarne. D’ailleurs, j’ai souvent constaté que mes élèves n’aiment pas trop être convoqués au bureau du directeur pour un comportement inapproprié… Toutefois, ils adorent venir me jaser dans la salle de classe!

Prise de décision à l’interne

La situation géographique fait en sorte que certaines décisions normalement prises par la commission scolaire relèvent désormais du domaine de la direction d’école. Par exemple, lors des journées de tempête, ce n’est pas la commission scolaire qui va prendre la décision de suspendre les cours. Au contraire! Je dois d’abord vérifier régulièrement les conditions météorologiques et l’état des routes et c’est à moi qu’incombe la responsabilité de prendre la bonne décision.

En tenant compte de l’isolement géographique, de la faible clientèle scolaire, du contexte social et pédagogique, on peut affirmer que Saint-Joseph est une école très particulière et unique en son genre, mais elle apporte une expérience tellement enrichissante pour un enseignant! D’ailleurs, à l’école Saint-Joseph, ce ne sont pas les défis qui manquent. Ceux-ci m’offrent de belles occasions de croître et de m’épanouir non seulement comme enseignant mais comme directeur.

Il ne faut surtout pas avoir peur de l’inconnu, mais s’y confronter avec une belle ouverture d’esprit. Dans mon cas, c’est ce qui me permet très souvent de faire de belles rencontres, de développer de nouvelles connaissances et de me faire grandir tant professionnellement que personnellement.

Recap: A teacher working in a multi-age classroom in a remote region reflects on his career, highlighting teaching and learning strategies suitable for this type of mixed class. École Saint-Joseph, located on Anticosti Island, currently has only a dozen or so students from preschool to Grade 8; requiring the author to wear two hats as both teacher and principal.

Carte : Gracieuseté du Wikimedia Commons

Première publication dans Éducation Canada, juin 2017

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Martin Larivée

Martin Larivée est à la fois directeur, enseignant et père de trois jeunes enfants de l’école Saint-Joseph dans le village de Port-Menier de l’Île d’Anticosti.

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