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Engagement, Évaluation

Le rôle des enseignants dans la motivation des garçons envers la lecture et l’écriture

La motivation scolaire et la réussite académique des garçons ont fait, dernièrement, l’objet de préoccupations de nombreux psychologues, éducateurs et parents. Puisque le facteur le plus important de la réussite dans la vie semble être la littératie, selon Tyre, la lecture et l’écriture deviennent donc, selon cette auteure, des compétences essentielles dans l’économie d’aujourd’hui: on réussit mieux en maths et en sciences si on est fort en lecture et en écriture, tandis qu’une faiblesse en lecture devient de plus en plus le facteur décisif dans le décalage des sexes[1]. Cette étude se concentre sur quelques ouvrages actuels qui proposent des pistes d’amélioration de la motivation des garçons envers la lecture et l’écriture, et implicitement envers la réussite scolaire.

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On réussit mieux en maths et en sciences si on est fort en lecture et en écriture.

Ce que le rapport de CCL/CAA montre  

Un rapport récent réalisé par Dr Cappon (CCL/CAA), qui analyse des rapports de recherche, des données et des consultations avec les experts en éducation, montre que la situation des garçons en éducation suscite de l’intérêt au Canada, tout comme dans d’autres pays membres de l’OCDE[2]. Dr Cappon cite une série d’articles dans le Globe and Mail qui affirment qu’il y a un écart marqué entre les garçons et les filles dans presque tous les aspects de la vie scolaire (lecture, écriture, tests standardisés, comportement, décrochage scolaire), et un article dans The Walrus qui lance un signal d’alarme: « […] en ignorant le désengagement généralisé des jeunes hommes, cela pourrait entraîner une énorme perte de capital humain pour le Canada » [3] (traduction libre). Dr Cappon mentionne le projet de l’OISE qui identifie des stratégies visant la réussite des garçons en littératie ainsi que le document du gouvernement de l’Ontario qui recommande « l’emploi des ressources ciblées et la formation des enseignants dans le domaine de la littératie des garçons » [4] (traduction libre). Les données prouvent qu’au Canada les garçons démontrent un écart significatif par rapport aux  filles dans leur performance au niveau K-12, en particulier en lecture et qu’en en 2005 les filles constituaient 58% des étudiants dans les universités[5]. Ce phénomène est attribuable au décalage entre les garçons et les filles dans le domaine de la littératie (les habiletés de lecture et d’écriture) dont les causes sont reliées soit à la culture des garçons qui perçoivent la lecture et l’écriture comme des activités féminines, soit aux différences de rythme de maturation (y inclus la maturation du cerveau), soit même à l’organisation scolaire et à la pédagogie[6]. Sans approfondir les causes du manque de motivation scolaire chez certains garçons, cette même étude se penche sur des stratégies qui pourraient être employées facilement dans nos classes.

Pistes d’amélioration en lecture

Lemery offre aux enseignants « des pistes de solution pour assurer l’acquisition des compétences en lecture des garçons » et souligne que les résultats des tests du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA 2000) montrent que « […] dans tous les pays, les élèves de sexe féminin atteignent des niveaux supérieurs à ceux du sexe masculin concernant la compétence en compréhension de l’écrit (lecture) »[7]. La solution à ce problème appartient à nous, les enseignants, qui sommes le plus en mesure de contribuer à la réussite des garçons en littératie.

D’abord, il serait très utile de fournir aux garçons une multitude de choix de lectures en assurant une variété des livres disponibles en salle de classe. Cela comprend des genres divers qui vont attirer l’attention des garçons et des filles, lesquels ont souvent des goûts et des intérêts différents en matière de lecture. Pour atteindre cet objectif, on doit tenir compte des caractéristiques des livres, c’est-à-dire des « portes d’entrée » selon l’expression de Lemery.  Ce dernier propose une classification très intéressante et recommande des ouvrages qui vont susciter l’intérêt et vont satisfaire les préférences des garçons pour:

a) l’humour (par des personnages, des expressions, des situations comiques);

b) le besoin d’agir (par des aventures, des héros, des choses à comprendre ou à faire, qui se trouvent dans des documentaires, du théâtre, des sports, des loisirs, des sciences, de la science-fiction, des collections, des défis);

c) l’imaginaire  (par la visualisation, des aventures, des illustrations, des fantaisies, des bandes dessinées);

d) la musique (par des spectacles, des vedettes, des émotions);

e) le sentiment d’appartenance (par des goûts communs, du soutien);

f) le besoin de s’identifier (par  l’utilisation du « je », du « nous », d’autres personnages, de la gang;

g) la place à la rétroaction (par l’intrigue, des inférences, de l’échange avec les pairs, des questions et des réponses);

h) le sujet en contexte (par des connaissances antérieures pour ce qui est du vocabulaire, de l’auteur, du genre littéraire, de son monde – des amis, du vécu, des parents, des personnages connus ou ressemblants)[8].

La maîtrise des stratégies de lecture a une importance majeure pour le développement des compétences des garçons en matière de littératie.

La maîtrise des stratégies de lecture a une importance majeure pour le développement des compétences des garçons en matière de littératie. Ces stratégies peuvent être acquises d’une façon implicite (en réalisant certaines tâches) ou explicite (par l’enseignement proprement dit). Lemery nous suggère d’enseigner des habiletés de lecture d’une manière interdépendante afin d’aider l’élève à devenir un lecteur actif, qui apprend des connaissances et développe des habiletés, reconnaît des connaissances antérieures, des émotions et du vécu, acquiert des attitudes, utilise des stratégies, des moyens, des lieux et des temps, recherche le sens à donner et participe à des pratiques pédagogiques[9].

Un autre aspect fort important qui contribue à la réussite des garçons en lecture est la technique des questions que le lecteur se pose avant, durant et après la lecture. Une fois de plus, Lemery nous recommande d’enseigner les stratégies de lecture par le biais de questions qui ciblent des aspects précis:

 1) diriger sa lecture pour comprendre (par des questions au sujet du but de la lecture, des liens avec le vécu, des attentes du lecteur);

2) survoler et prédire (grâce à des questions sur les indices fournis par le livre : le titre, les sous-titres, l’introduction, les illustrations, la structure du texte);

3) interpréter (par des questions sur les personnages, leurs actions, les lieux ou par celles qui aident à faire des inférences);

4) déterminer l’essentiel (par la sélection des idées importantes ou par la reformulation du texte);

5) faire des liens (avec d’autres textes ou avec soi-même, ou encore comparer des personnages et des événements);

6) clarifier (par des questions, par la relecture ou même par des recherches);

7) se faire des images (par la visualisation des personnages, des lieux, des actions, etc.);

8) résumer ou synthétiser;

9) découvrir (en notant les nouvelles choses);

10) se prononcer (en portant un jugement ou en tirant une conclusion);

11) activer ses connaissances (avec l’intention de vérifier certains aspects, de chercher une lecture semblable, ou d’échanger des impressions, etc.)[10].

Pistes d’amélioration en écriture

À titre d’auteur, un garçon doit être engagé et intéressé à ce qu’il écrit, affirme Fletcher[11]. Pour atteindre ce but, les enseignants doivent prendre en considération plusieurs facteurs de base qui assurent la réussite  de nos élèves en écriture et qui seront énumérés ci-dessous.

La salle de classe doit être un environnement d’apprentissage où les garçons se sentent à l’aise de bouger.

En premier lieu, la salle de classe doit être un environnement d’apprentissage où les garçons se sentent à l’aise de bouger. Dans ma classe, j’ai commencé à utiliser avec succès un podium qui permet aux élèves d’écrire en restant debout; il faut aussi leur permettre d’écrire allongés sur le tapis ou de choisir une autre place.

La possibilité de faire des choix constitue une dimension très importante pour stimuler la motivation des garçons face à la création et à la réussite. Tout comme dans le cas du choix de lecture, il faut laisser les garçons choisir le sujet de rédaction car ils vont écrire mieux si cela touche leurs intérêts. Fletcher note parmi leurs sujets favoris les éléments suivants : les voitures, la réparation des vélos, la construction des rampes de planches à roulettes, pêcher, les sportifs illustres, etc.; il faut donc prendre en considération les intérêts des garçons (les sports, la fantaisie, la science-fiction, les scénarios, l’horreur, les bandes dessinées), essayer de les inclure dans la planification de projets de longue durée et leur permettre d’écrire dans un genre jamais essayé auparavant. Selon Fletcher, le choix du langage est tout aussi  important dans des limites raisonnables en faisant la distinction entre le langage scolaire, celui de terrain de jeux et celui de la rue). Il faut éviter de les juger selon leur écrit tout en essayant de trouver l’humour au-delà de l’écriture, une autre composante importante de la lecture et de l’écriture chez les garçons. C’est la raison pour laquelle il est important d’essayer de comprendre leur sens de l’humour, chercher l’intelligence au-delà des sottises, et les encourager à lire des textes comiques[12].

En tant qu’enseignants, il nous arrive souvent d’avoir de la difficulté à déchiffrer l’écriture de certains élèves. En ce qui a trait à la lisibilité de l’écrit, il faut néanmoins distinguer entre l’écriture négligente et celle illisible, permettre aux élèves d’utiliser l’informatique pour rédiger leur texte ou simplement l’écrire directement à l’ordinateur pour certains d’entre eux, et finalement, leur fournir des commentaires au sujet de leur écriture dans des termes descriptifs sans perdre de vue l’image d’ensemble (la qualité de l’écriture)[13].

La participation aux discussions est essentielle pour le développement des compétences et habiletés en litteratie. Pour encourager la participation des garçons dans des conversations en classe, Fletcher nous rappelle d’accepter leurs idées, leurs réponses, leurs approches et leurs styles différents et pourquoi pas permettre des choix de groupes dans des conversations (par exemple en cherchant un style commun)[14].

Une autre stratégie efficace consisterait à utiliser la conférence qui donne l’occasion d’accepter diverses modalités de s’exprimer, de suggérer des stratégies concrètes et réelles en vie d’améliorer et surtout de faire l’éloge des forces de l’élève. Toutefois, Fletcher recommande des conférences courtes durant lesquelles il faut faire attention au langage corporel et aux signaux non-verbaux tout  en s’assurant que le garçon reçoit le message: « Je sais que tu peux bien écrire, je crois en toi comme auteur et je suis intéressé par ce que tu veux écrire et par ta façon d’écrire » (traduction libre); le langage de l’enseignant doit  rester neutre et descriptif, sans jugement ou commentaires désobligeants,  en montrant de la flexibilité lorsqu’on entend du « slang » et des expressions populaires[15].

Il faut aussi accepter et montrer de l’intérêt envers d’autres modes d’expression des garçons. À titre d’exemple, à travers la représentation visuelle (des croquis, des dessins), les encourager à utiliser les cahiers d’écriture comme des cahiers de croquis; il est important aussi de leur donner de petites leçons de techniques de dessin ou de partager des modèles de livres où les garçons sont des artistes[16].

Conclusion

Pour conclure, j’ai choisi de souligner le rôle primordial de l’enseignant qui est de stimuler à la fois la motivation des garçons en lecture et la réussite de tous les élèves. Conformément à ce qu’écrit Lemery : « […] l’enseignant devient un intervenant qui devra être capable d’animer et de gérer la construction de sens en lecture, le développement de stratégies de lecture, des interactions enrichissantes entre les élèves, un processus évaluatif qui devra avoir une fonction formative dans l’acquisition des compétences »[17]. Et pour mieux stimuler l’intérêt des garçons pour l’écriture, gardons en tête comme enseignants cette idée fondamentale : leur permettre d’écrire pour le plaisir sans jamais perdre de vue l’intention d’écriture, et pourquoi pas leur enseigner comment devenir de véritables auteurs[18]. Finalement, n’oublions pas ce que Tyre signale: les difficultés d’apprentissage de la lecture et de l’écriture ne sont pas immuables et innées chez  les garçons; il appert que les écoles ne leur fournissent pas un enseignement adapté. [19] (traduction libre)

RECAP – Many educators, psychologists, and parents are concerned about the situation of boys in education, in Canada as well as in other OECD member countries. They see a significant difference between boys and girls in almost all aspects of school life: reading, writing, standardized tests, behaviour, and dropping out. Studies show that one of the most important factors for success in life is literacy. This article insists on the fundamental role played by teachers in motivating boys to read and write. What can be done to motivate boys and spark their interest in reading and writing? The author provides some answers to the reader. Her study is based on works suggesting possible solutions to improve the motivation boys feel for reading and writing, and implicitly, for success in school.


[1] Tyre, Peg. The Trouble with Boys, Crown Publishers New York, 2008: 149.  Ibid., 2008: 136-137, 140

[2] Dr. Paul Cappon, Canadian Council on Learning, Bosch Foundation Berlin. « Exploring the ‘Boy Crisis’ in Education » (January 27-29, 2011).

[3]Globe and Mail, October 15, 2010; Ken Coates and Clive Keen, « Snail Males: Why are men falling behind in universities while women speed ahead? »; The Walrus, 2007/03, dans Dr. Paul Cappon, Canadian Council on Learning, Bosch Foundation Berlin. « Exploring the ‘Boy Crisis’ in Education », 2011: 1, 35

[4]OISE. The Boys’ Literacy Teacher Inquiry Project, 2005-2008; Government of Ontario, « Reach Every Student : Energizing Ontario Education », 2008: 9 (disponible en français :  www.edu.gov.on.ca/fr), dans Dr. Paul Cappon, Canadian Council on Learning, Bosch Foundation Berlin. « Exploring the ‘Boy Crisis’ in Education  », 2011 : 37

[5]Statistics Canada, « Measuring up: Canadian Results of the OECD PISA Study », 2008: 56; OECD, Higher Education to 2030, Volume 1: Demography, 2008 : 266, dans Dr. Paul Cappon, Canadian Council on Learning, Bosch Foundation Berlin. « Exploring the ‘Boy Crisis’ in Education  », 2011: 5, 7

[6]Dr Paul Cappon, Canadian Council on Learning, Bosch Foundation Berlin. « Exploring the ‘Boy Crisis’ in Education », 2011: 17.

[7] Lemery, Jean-Guy, La lecture et les garçons, Chenelière Éducation, 2007 : vii, 3.

[8] Ibid., p. 33.

[9] Ibid., p. 90.

[10] Ibid., p. 99.

[11] Fletcher, Ralph, Boy Writers: Reclaiming Their Voices, Pembroke Publishers, 2006: 8

[12] Ibid., p. 42- 46, 56-57, 68, 136-138.

[13] Ibid., p. 75-77.

[14] Ibid., p. 85.

[15] Ibid., p. 97-98, 115.

[16] Ibid., p. 129.

[17] Lemery, Jean-Guy,  La lecture et les garçons, Chenelière Éducation, 2007 : 94.

[18] Fletcher, Ralph, Boy Writers: Reclaiming Their Voices, Pembroke Publishers, 2006: 166-167.

[19] Tyre,Peg. The Trouble with Boys, Crown Publishers New York, 2008: 149.

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Tatiana Carapet

Tatiana Carapet enseigne en français immersion et s’intéresse aux différences individuelles dans le contexte de l’apprentissage des langues. Elle est candidate au doctorat à l’Université York (Études francophones) et détient un diplôme en philologie de l’Université de Bucarest, un baccalauréat en éducation de l’Université d’Ottawa ainsi qu’une maîtrise en études françaises de l’Université York.

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