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Enseignement, Évaluation, Pratiques prometteuses

Contenu exclusif en ligne – Pour des pratiques gagnantes d’adaptation de l’enseignement en contexte d’inclusion d’élèves en trouble langagier au primaire

L’inclusion scolaire est aujourd’hui la voie privilégiée au Québec. Dans ce contexte, la nécessité d’adapter l’enseignement en classe ordinaire pour y favoriser la réussite de l’élève en difficulté ne fait plus de doute[1]. La mise en place efficace de pratiques d’adaptation de l’enseignement demeure cependant problématique, les enseignants de classe ordinaire tendant souvent à planifier leur enseignement en fonction du groupe-classe, plutôt qu’en fonction de l’élève, et réalisant peu d’adaptations qui répondent aux besoins spécifiques de l’élève en difficulté[2]. Les élèves en trouble du langage oral ou écrit n’échappent pas à cette réalité. Le changement radical des pratiques que nécessite chez les enseignants l’adaptation de l’enseignement en contexte d’inclusion expliquerait en partie cette problématique. L’observation de pratiques gagnantes et la connaissance d’histoires de pairs enseignants ayant implanté avec succès ces pratiques permettraient néanmoins de mieux soutenir le milieu scolaire dans le mise en place de pratiques qui répondent mieux aux besoins de tous les élèves[3].

L’inclusion scolaire est aujourd’hui la voie privilégiée au Québec.

Cet article reprend ainsi les faits saillants d’une étude[4] ayant cherché à dresser un portrait des pratiques d’adaptation de l’enseignement mises en place par des enseignants reconnus exemplaires du fait des pratiques gagnantes qu’ils instaurent en contexte d’inclusion d’élèves en trouble du langage au primaire[5]. La présentation de ces pratiques pourrait ainsi inspirer les enseignants et les aider à bonifier leurs propres pratiques. 

Des formules pédagogiques gagnantes en classe inclusive

Si les enseignants exemplaires ayant participé à cette étude adoptent des formules pédagogiques[6] qui leur sont propres, de nombreux points de convergence peuvent néanmoins être observés quant aux stratégies exploitées pour assurer un enseignement adapté aux besoins de chaque élève. De fait, ces enseignants privilégient généralement une formule d’animation en grand groupe et un enseignement hautement explicite, pour tout nouveau contenu au programme et lors de toute nouvelle séance d’enseignement-apprentissage. Cette formule permet en effet un enseignement et un rappel plus systématiques des contenus notionnels, mais aussi des stratégies efficaces à mettre de l’avant, pour une application et un transfert efficaces des contenus visés lors d’activités d’apprentissage ultérieures. Cet enseignement et ce rappel se font essentiellement au moyen de l’explicitation répétée par l’enseignant des notions et stratégies, puis au moyen d’une modélisation par l’enseignant devant le groupe, suivie de l’explicitation des notions et stratégies par les élèves eux-mêmes. Par ailleurs, chez ces enseignants, toutes les consignes et questions précédant les exercices, tous les textes remis aux élèves sont lus, décortiqués et expliqués en grand groupe. 

Un enseignant de deuxième cycle rend compte, en ces termes, de la formule pédagogique exploitée :

C’est de l’animation que je fais… en groupe… Je fais un enseignement, par contre, très structuré… En lecture, par exemple… j’apporte toujours le même soutien… Je fais lire à voix haute le titre par un ami de la classe, puis je dis à tout le monde : « Vous lisez la première partie jusqu’à la ligne. Chaque fois que vous avez un mot que vous ne comprenez pas… vous mettez des petites vagues en dessous». Là ils me disent les mots. J’écris le mot au tableau et on s’aide. On est tout le monde ensemble à trouver ça… Et on écrit (le sens) au-dessus du mot difficile… On décortique… Tout le monde me suit. 

À travers cette formule d’animation en groupe-classe, ces enseignants assurent néanmoins la participation active de chaque élève lors d’échanges et de questions au groupe. Ils différencient par ailleurs leur enseignement, dans ce contexte, par l’adaptation systématique du contenu et du niveau conceptuel des questions posées à chacun, de la nature de la participation qui lui est demandée, du soutien qui lui est offert et des rétroactions émises à son intention. Un enseignant de premier cycle précise, à ce propos :

J’essaie d’adapter mes interventions… En grand groupe, (lors de la lecture), quand je questionne les élèves, j’adapte les questions aux besoins de chaque élève… Par exemple, la fusion, ce n’est pas encore acquis pour l’élève…alors on travaille là-dessus… D’autres lisent des phrases complètes… alors j’adapte les questions à chacun…

En contexte de consolidation des acquis ou d’enseignement supplémentaire et correctif, ces enseignants privilégient toutefois une variété de groupements des élèves et de modes de fonctionnement à l’intérieur d’une même séance d’enseignement-apprentissage; cette formule de groupements variables permet l’instauration d’une intervention différenciée en termes de contenus abordés, d’approches exploitées et de soutien offert, en fonction des besoins de chacun. Un enseignant précise à ce propos :

J’essaie de m’organiser… en fonction des besoins… je n’enseigne pas nécessairement la même chose (à) tout le monde. C’est selon les niveaux… (aussi) selon les besoins… Par exemple… quand je fais des petites évaluations, je ne corrige pas nécessairement tout le monde en même temps. Je vais les appeler par petits groupes, en fonction des besoins. J’ai un grand rouleau de papier. On s’installe là-dessus, par terre. Puis, avec les enfants, on revient sur cette notion-là; mais je reviens seulement avec les enfants qui ont eu de la difficulté. (Et ce n’est) pas juste pour les enfants qui sont nécessairement cotés… Pendant que je fais ça, les autres vont (travailler) en équipes ou seuls… on varie… 

Ces enseignants tirent par ailleurs systématiquement profit, dans leur gestion de l’enseignement-apprentissage, du soutien humain spécialisé en classe, lorsqu’il est disponible; le spécialiste soutient alors principalement l’élève en difficulté dans la progression du travail et son fonctionnement en groupe. Ce soutien spécialisé permet aux enseignants de mieux répondre aux besoins des autres élèves. Tel que l’explique cet enseignant, au sujet de son élève en trouble du langage :

Vu ses difficultés d’apprentissage… et dans ses interactions avec les autres … il a besoin… et son équipe aussi… de beaucoup de supervision… Quand c’est possible, il travaille en équipe mais est quand même aidé par l’éducatrice spécialisée… Parfois, il travaille seul avec la l’éducatrice, pendant que les autres travaillent en équipes… Et il est pendant toute la période avec l’intervenante dans les ateliers; elle le suit (dans chaque atelier)… (Alors), moi, je circule… j’aide les autres élèves… Quand l’éducatrice n’est pas présente, je place l’élève près de moi, je m’assure qu’il comprend les consignes et les étapes du travail à faire… Je fais autrement…

Les formules pédagogiques adoptées par ces enseignants tiennent donc systématiquement compte des besoins de chaque élève, mais aussi de la disponibilité ou non d’un soutien spécialisé en classe.

Des mesures gagnantes d’adaptation des contenus et du matériel pédagogique

Les enseignants exemplaires ayant participé à l’étude partagent aussi des pratiques communes en ce qui a trait à l’adaptation des contenus et du matériel d’enseignement-apprentissage en fonction des besoins de leurs élèves : une adaptation sur mesure, essentiellement en cours d’intervention, en réponse à des besoins immédiats et précis manifestés par certains élèves ou par le groupe inclusif. De fait, le matériel d’enseignement-apprentissage auquel sont exposés les élèves de ces classes font rarement l’objet d’adaptations spécifiques préalables sur le plan du contenu. C’est notamment par l’ajout de traces écrites – au tableau, sur des affiches ou directement sur la copie d’un élève – au moment même de l’intervention, qu’il y a adaptation du matériel d’enseignement-apprentissage en terme de contenu ou de niveau de difficulté. Concrètement, au fur et à mesure des explications, rappels, exemples donnés, l’enseignant et parfois les élèves eux-mêmes sous instruction de l’enseignant ajoutent par écrit des repères, des explications ou des exemples, soulignent ou raturent certains éléments; cela, en contexte de travail en grand groupe comme en contexte de soutien spécifique auprès d’un élève. Les propos de cet enseignant de deuxième cycle illustrent cette formule d’adaptation du matériel en cours d’intervention, au moyen de l’ajout de traces écrites :

En lecture, on lit tous ensemble… Ensuite,  je demande aux enfants : « Ici à côté, la première phrase, qu’est-ce qu’on pourrait mettre pour bien se rappeler ce qu’il y a dans la première phrase? » Il faut qu’ils soient capables de comprendre tout de suite pour ne pas que ça les bloque…

Un autre enseignant conclut, référant à cette mesure d’adaptation du matériel, cette fois en contexte d’intervention individuelle au cours de laquelle il ajoute des exemples, rature certains éléments, souligne des mots importants: « (Quand) je circule, j’aide beaucoup avec mon crayon… ! »

En définitive, ces enseignants privilégient le recours à un matériel d’enseignement-apprentissage présenté dans toute sa complexité et au départ exempt d’adaptations pouvant en altérer inutilement le contenu; est largement préférée l’adaptation du matériel en cours d’intervention en fonction des besoins manifestés par les élèves. Chez ces enseignants, l’utilisation de fiches d’activités ou de tout type de matériel préalablement adapté aux élèves en difficulté, en termes de niveau conceptuel et d’ampleur de la tâche, le recours à des textes a priori plus courts, épurés au préalable et autres mesures semblables d’adaptation du matériel, sont ainsi à peu près inexistants. L’adaptation du matériel constitue plutôt une mesure de soutien supplémentaire, exploitée au besoin, au moment même où se déroulent les activités d’enseignement-apprentissage. Tous les élèves ont donc, a priori, accès au même matériel, en terme de contenu d’enseignement-apprentissage. Certaines adaptations sont néanmoins apportées, en cas de besoin, au format du matériel proposé aux élèves, tel des textes imprimés en plus gros caractères et seulement au recto, par exemple.

Sont par ailleurs mis à la disposition des élèves des outils destinés à les soutenir dans la réalisation des tâches. Il s’agit essentiellement, outre des outils de référence communs, tels les dictionnaires ou des affiches tapissant les murs, des aide-mémoire collés sur les bureaux de certains élèves et autres outils de soutien élaborés spécifiquement pour ces derniers. Ces outils sont modifiés au besoin en cours d’année, en fonction de la progression de chacun. Un enseignant de deuxième cycle précise, à cet égard :

Je vais y aller selon ce (dont) ils ont besoin… Certains vont avoir sur leur bureau une bande autocollante avec l’écriture cursive parce qu’ils ont besoin d’un rappel pour former leurs lettres…, des élèves ont des référentiels avec des pictogrammes, des aide-mémoire…

Si ces enseignants exemplaires partagent des pratiques d’adaptation communes quant aux formules pédagogiques privilégiées, tant au niveau des contenus que du matériel exploités en contexte d’enseignement-apprentissage, ils adoptent aussi des pratiques adaptatives communes en contexte d’évaluation des apprentissages. Ces pratiques s’inscrivent dans la continuité et la logique des mesures mises en place en contexte d’enseignement-apprentissage à l’intention du groupe hétérogène. En clair, les approches et formules privilégiées en contexte d’enseignement-apprentissage, de même que l’aide supplémentaire individualisée adaptée aux besoins des élèves, restent de mise dans toute situation d’évaluation, tel que le précise cet enseignant :

En examen… j’apporte le même soutien… Alors, on décortique… je demande aux enfants quelles sont les difficultés… On décortique… tous ensemble… (Et) en évaluation ou pas…il va y avoir de l’aide… selon ce (dont) les élèves ont besoin… (et) pas seulement les élèves en difficulté, mais tout le monde…

Ces travaux et productions sont notés et commentés en vue du bulletin. Les éventuelles traces écrites apposées directement par l’enseignant sur les productions de l’élève permettent de rendre compte des difficultés qu’il a rencontrées et du soutien dont il a bénéficié lors de la tâche. Ces notes viennent compléter les données permettant de dresser un portrait juste des acquis de l’élève, mais aussi de ses besoins.

Les pratiques dites gagnantes sont l’œuvre d’enseignants qui se montrent en constant questionnement quant à leurs pratiques.

Enfin, il faut souligner que la planification et la gestion des mesures adaptatives qu’instaurent ces enseignants au quotidien sous-entendent une bonne connaissance de chaque élève, ce que ceux-ci assurent par une évaluation constante de chaque élève, tel qu’en fait foi cet enseignant :

Les enfants intégrés… et tous les enfants…. j’ai pris le temps de les observer… Pour nos enfants intégrés…, j’ai des choses dans mes plans d’intervention… et je notais des petites choses aussi…. Ensuite, on a retravaillé avec les enfants… Là, j’ai en tête les facilités, (les) difficultés… pour chaque enfant.… (Et quand) je circule, j’aide… j’observe… et je prends des notes… Maintenant, ces enfants-là, je les connais bien…. (alors), je sais comment intervenir…

Conclusion

Certains constats doivent être tirés de ce bref portrait de pratiques gagnantes d’adaptation de l’enseignement en contexte inclusif. D’abord, l’ensemble des mesures exploitées par ces enseignants, dits exemplaires, se résument en fait à assurer en classe l’apprentissage actif chez chaque élève, notamment par une planification et une gestion très rigoureuses de l’enseignement, qui se veut différencié. Cela implique l’instauration, au quotidien, d’adaptations apportées à tous les aspects de l’enseignement en classe – organisation de la classe et groupements adoptés, méthodes et stratégies d’enseignement privilégiées, contenu et matériel exploités – pour mettre en place un cadre de fonctionnement permettant l’instauration de mesures répondant cette fois aux besoins spécifiques de l’élève en trouble langagier, besoins qui sont généralement importants sur le plan scolaire. C’est, par ailleurs, essentiellement par l’adaptation de la nature et de l’ampleur du soutien offert par l’adulte à cet élève, en cours de tâche, qu’est réalisée l’adaptation de l’enseignement à son intention. Faut-il enfin souligner que les pratiques dites ici gagnantes – du fait qu’elles permettent la progression de tout élève en contexte inclusif – sont l’œuvre d’enseignants qui se montrent en constant questionnement quant à leurs pratiques et en constant réajustement des mesures adaptatives implantées, en fonction des caractéristiques et besoins de leurs élèves, et au vu des effets des pratiques implantées sur la progression de ces derniers. De là pourrait tenir, pour l’essentiel, l’efficacité des pratiques d’adaptation de l’enseignement instaurées par ces enseignants en contexte inclusif.

RECAP – This article examines teaching adaptation practices, referred to as best practices, implemented for students with language challenges by teachers in inclusive classrooms at the primary school level. The educational inclusion of students with special education needs is the approach now taken in Québec. There is no longer any doubt that it is necessary to adapt regular classroom teaching practices in order to enable the success of students with special education needs, but the effective implementation of adaptive teaching practices has proven to be difficult. The main purpose of this study is to examine best practices in teaching adaptation and the context of their implementation. The author notably shows that adaptive practices in teaching that are considered exemplary stem from the work of teachers who continually readjust their daily practices according to the needs of their students. 


[1] Vienneau (2006). Vienneau, R. (2006). De l’intégration scolaire à une véritable pédagogie de l’inclusion. In C. Dionne et N. Rousseau (dir.), Transformation des pratiques éducatives. La recherche sur l’inclusion scolaire (p.7-32). Québec : Presses de l’Université du Québec.

[2] McLeskey, J. et Waldron, N. L. (2002). Inclusion and school change : Teacher perceptions regarding curricular and instructional adaptations. Teacher education and special education, 25(1), 41-54.

[3] Deaudelin, C., Desjardins, J., Dezutter, O., Thomas, L. et al. (2007). L’évaluation formative en contexte de renouveau pédagogique au primaire : analyse de pratiques au service de la réussite. Les Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, 10(1), 27-45.

[4] Nootens, P. (2010). Étude descriptive de pratiques exemplaires d’adaptation de l’enseignement en contexte d’inclusion d’élèves en difficultés langagières au primaire. Thèse de doctorat en éducation, Université de Sherbrooke, Québec.

[5] Cette étude a été réalisée auprès de trois milieux scolaires primaires québécois, au moyen d’entretiens auprès des enseignants participants et d’observations de leurs pratiques en contexte de classe.

[6] Les formules pédagogiques regroupent les méthodes et stratégies d’enseignement-apprentissage, l’organisation de classe et les modes de groupement des élèves.

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Pascale Nootens

Pascale Nootens est enseignante de formation. Elle a exercé pendant près de 10 ans comme intervenante en français auprès d’élèves en trouble du langage. Elle détient un doctorat en éducation de l’Université de Sherbrooke et est actuellement stagiaire postdoctorale à la Chaire de recherche sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture chez le jeune enfant (Pre Marie-France Morin). Elle s’intéresse à l’adaptation de l’enseignement à l’intention de l’élève en trouble langagier éduqué en contexte d’inclusion.

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